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Full text of "Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme français"

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BULLETIN  DE  LA  SOCIETE 

DE  L'HISTOIRE 

PROTESTANTISME  FRANÇAIS 


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PARIS.  —   TYPOGRAPHIE   DE    CH.    MEYBUEIS 
rue  des  Grès,  11.  —  1864 


BULLETIN  DE  LA  SOCIÉTÉ 


DE  L'HISTOIRE 


DOCUMENTS  HISTORIQUES  INÉDITS  ET  ORIGINAUX 

XVI«,    XVII^    ET    XVIII*    SIÈCLES 


TREIZIÈME    ANNEE 


,X^1..21^CSv, 


c<  Etqiianl  m  premier  point  sur 
la  réformalion  que  j'aj  commen- 
cée et  qnej'ay  di^libére continuer 
p;ir  la  grâce  tie  Dii:u...,  ie  l'aj  ,ip- 
prinse  par  la  Bible  queie  lis  plus 
qno  les  docteurs...,  lU  n'av  point 
entreprins  de  planter  nouvelle 
religion  en  mes  pais,  sinon  y  res- 
taurer les  ruinesde  l'ancienne... 
le  ne  fay  rien  par  force...  Dieu 
me  monstre  des  exemples...  » 

Jeanne  il'Albret,  Reine 
4e  rfavarre  au  cardinal 
d'Armairnac. 
(Lettre  du  18  d'aoust  1563.) 


Vos  pères,  où  sont-ih  ? 

(Zacbarib,  I,  s.) 


^7? 


«  le  trouverois  lion,  qu'en  clias- 
cune  ville,  il  y  eusl  persoiines 
députées  pour  escrire  fidèlement 
les  actes  qui  onl  esté  l'ail  durant 
ces  troubles  :  et  par  tel  moyen, la 
vérilé  pourroit  eslre  réduite  en 
un  volume,  et  pourcestc  cause, 
ïe  m'en  vay  counnenci-r  à  t'en 
faire  un  bien  petit  narré,  non  pas 
du  tout,  mais  d'une  uarhe  du 
commencement  de  riîglise  réfor- 
mée. » 

Bernarà  Palissy. 
(  Receple  véritable  ,  etc .,  La  Ro- 
chelle, lS63,pag«  lOS.) 


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7Vt 


PARIS 

AGENCE   CENTRALE    DE    LA    SOCiÉTÉ 

174,    RUE    DE    RIVOLI 


1864 


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OI^Lj. 


SOCIÉTÉ  DE  L'HISTOIRE 


PROTESTANTISME  FRANÇAIS. 


TREIZIÈME  AN!\ËE. 


lU  ont  des  oreilles,  et  n  entendent  point!  Ils  ont  des  yeux, 
et  ne  voient  point!  (Ps.  CXXXIV,  v.  16  et  17.) 


€tuc6tinuô  si  Hépouôcô.  —  Coi'iCôpouiïancf. 

OBSERVATIONS    ET    COMMUNICATIONS    RELATIVES   A   DES    DOCUMENTS   PUBLIÉS. 
—  AVIS   DIVERS,    ETC. 

lia  France  protestante* 

Dans  un  article  très  susbtantiel  que  M.  Théodore  Schott,  de  Stuttgard,  a 
publié  récemment  dans  une  Revue  allemande,  sur  l'histoire  du  protestan- 
tisme français,  nous  relevons  avec  quelque  satisfaction  certains  passages 
qui  prouvent  que  nos  efforts  et  ceux  de  nos  amis  sont  justement  appréciés 
par  la  docte  Allemagne. 

«  Le  principal  ouvrage,  dit  M.  Schott,  qui  ait  paru  dans  ces  derniers  temps 
sur  la  matière  est  sans  contredit  la  France  protestante  des  frères  Haag, 
œuvre  gigantesque  dont  l'heureux  achèvement  témoigne  de  l'activité  et  de 
la  persévérance  des  auteurs,  de  leur  habileté  dnns  les  recherches,  de  leur 
perspicacité  à  débrouiller  les  questions  de  généalogie,  etc.  Les  documents 
recueillis  par  eux,  tant  en  France  qu'à  l'étranger,  ont  été  mis  en  œuvre  avec 
un  soin  et  une  exactitude  trop  rares  parmi  les  écrivains  français.  Cet  ou- 
vrage, vraie  encyclopédie  pour  la  matière,  est  de  tous  points  capital  pour 
le  protestantisme  français;  il  pose  des  bases  solides  pour  toutes  les  re- 
cherches futures,  la  science  historique  lui  devra  beaucoup.  Aussi  l'Eglise 
réformée  de  France  n'a-t-elle  fait  que  remplir  un  devoir  en  offrant  aux  au- 
teurs un  témoignage  de  sa  reconnaissance.  Peu  après  la  publication  du 
premier  volume  de  la  France  protestante,  et  pour  favoriser  la  reprise  de 

1864.  Janv.,  Fbv.  et  Mars,  n"  1  et  2.  XIII.  —  \ 


2  QUESTIONS   ET   REPONSES. 

cet  ouvrage  qui  avait  été  suspendu  par  suite  des  événemeiUs  de  février 
4  848,  se  fonda  une  Société  historique,  avec  le  concours  de  3IM.  Athanase 
Coquerel  fils,  Jules  Bonnet,  Cli.  ^Vad(lington,  Ch.  Weiss  et  les  frères 
Haag,  qui  publie,  sous  la  direction  de  M.  Ch.  Read ,  président  de  cette 
Société,  un  Recueil  mensuel  dont  la  mission  est  de  servir  d'intermédiaire 
entre  les  amis  du  protestantisme  français  et  de  donner  la  publicité  à  tous 
les  documents  nouveaux.  Articles  originaux  et  traductions  d'ouvrages  alle- 
mands sont  également  admis  dans  ses  colonnes.  Nous  n'entrerons  pas  dans 
le  détail  de  tout  ce  que  cette  Revue  a  déjù  publié  d'intéressant.  Nous  nous 
bornerons  à  dire  qu'elle  est  une  source  indispensable  pour  tous  ceux  qui 
s'occupent  des  questions  qu'elle  traite,  et  en  un  mot  que  c'est  une  publi- 
cation qui  ne  laisse  rien  à  désirer.  Les  rédacteurs  se  plaignent  de  l'indiffé- 
rence de  leurs  coreligionnaires.  Ce  reproche  peut  être  fondé,  mais  une 
Revue  purement  scienlilique  ne  peut  se  répandre  qu'avec  le  temps,  et  il  ne 
faut  point  méconnaître  les  beaux  résultats  déjà  obtenus.  « 


lie  protestantisme  français  «^rautlement  utile  à  l'Egalise 
romaine. 

Nous  citions  naguère  cette  observation  passablement  naïve  et  ridicule 
d'un  Guide  du  voyageur  imprimé  à  Paris  en  1672,  disant,  à  propos  de 
Monteliniar  :  «  qu'on  se  plaignait  de  la  grande  quantité  de  huguenots  qu'il 
y  avait  dans  cette  ville.  » 

Le  passage  qu'on  va  lire  est  propre  à  montrer  que  l'on  aurait  dû  se  fé- 
liciter, et  non  se  plaindre,  du  grand  nombre  de  huguenots  qu'il  y  avait  au- 
trefois en  France: 

«  La  France  est  redevable,  au  grand  nombre  de  huguenots  qu'elle  a  tou- 
jours eus  dans  son  sein,  du  savoir  et  de  la  bonne  conduite  de  son  clergé 
gallican,  qui  surpasse  à  ces  égards  celui  de  tout  autre  pays  catholique. 
Les  gens  d'Eglise  ne  sont  nulle  part  aussi  débauchés  qu'en  Italie,  parce 
qu'ils  y  sont  plus  souverains  que  partout  ailleurs;  et  nulle  part  plus  igno- 
rants qu'en  Espagne,  parce  qu'il  n'y  a  point  d'endroit  où  la  doctrine  de 
l'Eglise  romaine  soit  moins  conibattuc.  Le  clergé  anglican,  en  tournant  les 
schismaliipic:)  eu  ridicule  sur  leur  ignorance,  les  a  amenés  à  l'orudiiion  et 
s'est  attiré  des  adversaires  formidables  auxquels  il  a  bien  de  la  peine  à  ré- 
sister. D'un  autre  côté  les  non-conformistes,  à  force  de  veiller  sur  la  con- 
duite de  leurs  puissants  ennemis,  les  rendent  plus  réguliers  dans  leurs 
mœurs  (pi'ils  ne  seraient  apparemment,  s'ils  ne  craignaient  pas  la  malignité 
de  leurs  espions.  » 

Ces  lignes  sont  citées  par  l'auteur  des  Pensées  libres  sur  la  religion 


QUESTIONS   ET   REPONSES.  O 

(Londres,  4723),  qui  les  a  empruntées  au  livre  célèbre  intitulé  La  fable  des 
Abeilles,  de  Bernard  de  Mandeville  (Londres,  1723). 

Combien  peu  de  gens,  hélas!  comprennent  ou  appliquent  l'excellent 
traité  de  Plutarque  Sur  futilité  des  ennemis.  Mettons  adversaires ,  au 
lieu  d'ennemis  :  n'est-il  pas  vrai  que  les  contraires  doivent  se  servir  mu- 
tuellement, loin  de  se  nuire,  et  que  l'antagonisme  est  une  harmonie,  c'est- 
à-dire  une  des  grandes  lois  de  l'histoire,  une  des  conditions  de  la  vie  et  du 
développement  de  l'humanité?  Mais  combien  peu  cette  vérité  est  admise 
d'Eglise  à  Eglise,  de  secte  à  secte,  d'individu  à  individu.  Quels  avantages, 
quels  services  indirects  ils  tireraient  pourtant  les  uns  des  autres,  si ,  dans 
leur  aveuglement  respectif,  ils  ne  se  méconnaissaient  à  qui  mieux  mieux! 
—  Sua  si  bona  nôrintl 


liCS  dépêches  dn  nonce  S»a|Tiati  sur  la  Saint-Barthélémy 
et  le  projet  de  publication  de  Chateaubriand. 

Nous  avons  cité  (IX,  35:  —  voir  aussi  X,  '194),  une  note  des  Etudes 
historiques  de  Chateaubriand,  dans  laquelle,  parlant  des  dépêches  de  Sal- 
viati,  le  nonce  du  pape  à  Paris  en  4  572,  le  grand  écrivain  disait  que  ces 
dépêches  étaient  en  sa  possession,  et  «  qu'il  les  publierait  peut-être  un 
«  jour,  en  y  joignant,  par  forme  d'introduction,  l'histoire  complète  de  la 
«  Saint-Barthélémy.  » 

Voici  une  circonstance  qui  semble  montrer  que  ce  projet  avait  en  eflét 
reçu  de  son  illustre  auteur  un  commencement  d'exécution.  A  la  suite  de  la 
brochure  publiée  en  1831 ,  sous  ce  titre  :  «  De  la  nouvelle  proposition  rela- 
«  tive  au  bannissement  de  Charles  X  et  de  sa  famille,  etc.  »  (Paris,  Le  Nor- 
mani  fils,  édit.  In-8°  de  155  pages),  nous  trouvons  (à  la  page  157)  une 
grande  annonce  ainsi  conçue  : 

Pour  paraître  en  1 832  :  Correspondance  diplomatique  de  SALVIATI, 
nonce  apostolique  près  la  cour  de  France,  avec  le  cardinal  de  Como, 
secrétaire  d'Etat  à  Rome,  pendant  les  années  1570,  1572, 1573,  1574. 
Texte  italien  et  traduction  française,  précédée  d'une  Notice  sur  la 
Saint- Barthélémy,  par  M.  de  Chateaubriand, 

Le  manuscrit  de  cette  publication  était-il  déjà  prêt,  lorsqu'on  l'annonçait 
ainsi  à  la  librairie  Le  Normant?  Cette  annonce  seule  a-t-elle  porté  ombrage 
à  qui  de  droit  et  soulevé  des  scrupules  qui  auront  arrêté  Chateaubriand 
dans  la  réalisation  de  son  dessein?  En  tout  cas,  si  le  travail  a  été  fait  en 
tout  ou  partie,  surtout  V Introduction,  il  serait  bien  à  souhaiter  qu'il  ne 
fût  pas  perdu. 


*  QL'ESXlONâ    ET    REPONSES. 

La  révucatiuii  de  i'Edit  de  .\'autes,  une  des  eoiist-queiices  de  la 
centralisation  excessive  du  siècle  fie  liouis  XBV. 

Dans  un  livre  fort  curieux,  mais  fort  peu  connu  (et  pour  cause),  de 
.M.  P.J.  l'rouJlion,  on  lit  ce  qui  suit  : 

"  ...  Dans  la  voie  où  Louis  XIV  avait  fait  entrer  le  despotisme,  les  ordres 
supérieurs  anéantis,  il  n'y  avait  d'issue  que  la  Révolution...  11  y  eut  un 
moment  de  péril.  L'éclat  qu'avaient  fait  rejaillir  sur  la  religion  les  sciences 
et  les  lettres  devait  produire  une  recrudescence  de  piété  et  faire  lever  un 
vent  d'intolérance. 

«  Je  regarde,  quant  à  moi,  la  révocation  de  l'Edit  d*e  Nantes  comme  un 
fait  d'histoire  aussi  nécessaire,  les  circonstances  données,  (|iie  l'avait  été, 
cent  soixanie-liuit  ans  auparavant,  la  protestation  de  Luther.  C'est  la  France 
tout  entière  qui,  après  les  brillants  travaux  de  controverse  et  d'exégèse 
de  son  clergé,  se  laisse  aller  à  l'idée  de  rétablir  l'unité  dans  la  religion 
comme  on  l'avait  rétablie  dans  l'Etat,  idée  tout  à  t'ait  de  notre  pays,  et  que 
je  m'étonne  de  voir  poursuivie  de  tant  d'injures  par  la  démocratie  jacobi- 
nique.  Le  catholicisme  était  si  grand,  si  beau  dans  les  écrits  des  nouveaux 
Pères!...  Comme  toujours,  la  royauté  fut  l'organe  de  la  nation  :  il  est  ab- 
surde de  rapporter  un  pareil  acte  à  des  commérages  de  dévotes.  La  révo- 
cation de  l'Edit  de  Nantes  n'est  pas  plus  l'œuvre  de  i\ladame  de  iMaintenon 
que  l'expulsion  des  jésuites  ne  sera  plus  tard  celle  de  Madame  de  Ponqia- 
dour.  Elle  est  le  résultat  de  notre  génie  centralisateur,  un  instant  four- 
voyé par  la  ferveur  religieuse. 

«  En  ce  moment  les  lettrés  durent  garder  le  silence:  il  n'y  aurait  pas  eu 
sécurité  pour  eux  à  laisser  échapper  un  mot  de  blâme  ;  la  nation  se  fût  levée 
pour  la  politique  royale.  Ueureusement,  la  même  cause  qui  avait  allumé 
l'incendie  l'éteigiiit. 

"  On  avait  fait  appel  à  l'unité  :  le  sermon  de  Bossuet  sur  X  Unité  de 
l'Eglise  est  de  IGS'I.  Cette  unité,  Louis  XIV,  comme  chef  de  l'Etat  galli- 
can, faillit  un  instant  la  comiiromettre  à  propos  de  la  régale,  en  se  brouil- 
lant avec  le  pape,  1682,  Mais  le  nuage  se  dissipe  vile  :  Louis  XIV  poursuit 
le  plan  d'unité  d'abord  contre  les  protestants  par  la  révocation  de  l'Edit 
de  Nantes,  1685;  puis  contre  les  quiélistes,  par  la  condamnation  de  Féne- 
lon,  Hiij9;  entin  contre  li!s  jansénistes,  auxquels  il  impose  la  bulle  l'nige' 
îiitus,  apiès  s'être  rècoiuilié  avec  le  saint-siége,  1713.  On  n'est  pas  plus 
unitaire,  disons  plus  Français  (pie  Louis  XIV  : 

«  Ce  Monseigneur  du  I.iou-là 
«  l"ut  parent  île  Caligula.  » 

"  il  n'en  lallait  pas  tant  pour  calmer  la  lièvre  d'unité.  Bienlùt  la  litlera- 


QUESTIONS   ET    REPONSES.  5 

ture,  qui  n'avait  fait  que  sourire,  osa  parler  :  en  1721  parurent  les  Lettres 
persanes;  en  1733,  les  Lettres  philosophiques.  Au  cimetière  Saint-Médard 
finit,  sous  les  huées,  l'école  rigoriste  de  Port-Royal;  1764  api)rit  au  monde 
la  suppression  des  jésuites.  Sous  l'action  combinée  de  la  philosophie  et 
des  lettres,  les  deux  colonnes  de  la  chrétienté  (lisez  catholicité)  gisaient  à 
terre. 
«  A  cette  époque,  un  vent  nouveau  souffle  sur  la  littérature...  >• 

Ce  passage  est  extrait  de  l'ouvrage  intitulé  De  la  Justice  dans  la  Révo- 
lution et  dans  l'Eglise,  nouveaux  principes  de  philosophie  pratique, 
adressés  à  S.  E.  Mgr  Matthieu,  cardinal,  archevêque  de  Besançon, 
par  P.-J.  Proudhon  (t.  III,  p.  168-69).  —  Pour  l'auteur,  la  Révolution, 
c'est  «  la  fin  de  l'âge  religieux  aristocratique,  monarchitiue  et  bourgeois; 
l'équation  de  l'homme  et  de  l'humanité»  (Ibid.,  p.  150).  —  La  neuvième 
étude  traite  de  Progrès  et  Décadence,  et  le  chapitre  VI,  d'où  sont  tirées  les 
lignes  qui  précèdent,  a  pour  titre  :  «  De  la  littérature  dans  ses  rapports 
avec  le  progrès  et  la  décadence  des  nations.  » 


Beuseig^nenieuts  dÎYers  sur  Pierre  et  Charles  Dicq,  et  Pierre 
Ciuy,  arrêtés  et  détenus  à  la  ESastille  en   1691. 

Le  19  janvier  1690,  il  était  prescrit  au  lieutenant  de  police  La  Reyniede 
faire  des  perquisitions  chez  les  nommés  Dicq,  à  Paris,  pour  y  rechercher 
le  ministre  Lestang,  dit  Yalsec  {Bull.,  IV,  124),  qui  fut  pris  le  18  avril  sui- 
vant à  une  petite  assemblée  qu'il  tenait  dans  la  maison  du  sieur  Mallet 
{Mém.  sur  la  Bastille,  I,  237).  Le  9  avril  1691,  il  était  enjoint  à  La  Reynie 
de  faire  arrêter  Dicq  et  Guy  {Bull.,  IV,  206,  208,  21 1 ,  37o). 

Le  registre  de  la  Bastille  conservé  à  la  bibliothèque  de  la  Ville  de  Paris 
contient  ces  deux  mentions  : 

«  Pierre  Dicq,  ouvrier  en  drap  d'or,  d'argent  et  de  soie.  Entré  le  16  avril 
«  1691.  Suspect.  Transféré  au  Château  de  Guize,  le  9  juin  1691.  » 

K  Charles  Dicq,  ouvrier  en  soie,  à  Paris.  Entré  le  2  mars  1693.  Ordre 
«  Phélippeaux.  Crime  de  faux  pour  fabrication  de  fausse  route  pour  faciliter 
«  l'évasion  des  religionnaires  hors  du  royaume.  Sorti  le  1"  mars  1694  »  (1), 

Les  deux  notes  suivantes  font  partie  de  celles  que  l'on  conserve  aux  ar- 
chives de  la  préfecture  de  police  : 

1691.  Pierre  Dicq,  ouvrier  en  drap  d'or  et  d'argent  et  soye,  tra- 
vaillant aussy  en  gaze  à  Paris.  Espion.  Détenu  à  la  Bastille. 

(1)  «Pour  être  transféré  au  château  de  Caeri,  »  est-i!  dit  ailleurs. 


6  QUESTIONS   ET    REPONSES. 

Pierre  Guy,  ouvrier  en  soye  et  travaillant  en  gaze.  Détenu  à  la 
Bastille. 

Soupçonnés  d'avoir  fait  l'envoy  d'un  ballot  de  marchandises  à  la 
ville  de  Lisle,  pour  passer  pour  des  marchands  et  pour  mieux  couvrir 
le  dessein  qu'ils  avoient  d'aller  au  siège  de  Mons  y  négocier  quelques 
intrigues  contre  les  intérêts  du  roy  et  de  l'Estat.  Ont  été  arrêtés  à 
Louvres  le  5  avril  1691. 

(M.  DE  LA  Reynie.  Gacdion,  greffier.) 

1693.  Charles  Dicq,  marchand,  ouvrier  en  soye,  bourgeois  de  Paris, 
Interrogé  à  l'hôtel  de  M.  de  la  Reynie  par  ordre  du  roy  (avec  les 
nommés  Edme  Roger,  Nicole  Tesson,  de  Gien  ;  Thomas  Bonhomme, 
de  Bordeaux;  Madeleine  Godefroy,  femme  d'Edme  Roger,  Isabelle 
Boucher,  de  Châtillon-sur-Loire  ;  Louis  Laumonnier,  sieur  de  La  Motte- 
Varenne,  gentilhomme);  tous  religionnaires  entre  lesquels  il  y  en  a 
plusieurs  qui  ont  abandonné  la  religion  catholique  pour  la  P.  R.  et  ont 
esté  aux  exercices  de  ladite  religion  dans  des  maisons  particulières 
à  Paris  après  la  révocation  de  l'Edit  de  Nantes,  ont  instruit  des  ca- 
tholiques dans  leur  religion  et  leur  ont  persuadé  de  la  professer.  — 
Quelques-uns  ont  été  soupçonnés  de  commerce  suspect  en  pais  étran- 
gers et  d'avoir  facilité  l'évasion  de  quelques  religionnaires  sujets 
du  roy. 

(M.  DE  LA  Reynie.  Jacques  Philippe  de  Laistrk,  secrétaire.  Les  com- 
missaires DE  tA  Marre  et  Chevalier.) 

Voici  une  autre  note  tirée  du  registre  d'écrou  du  lieutenant  du  roi  Du 
Junca,  conservé  à  la  bibliothèque  de  l'Arsenal  (fol.  15,  verso)  : 

Du  mercredi  21  janvier  (1693),  à  six  heures  du  soir,  M.  Desgrais  a 
amené  icy,  par  ordre  de  M.  de  Pontchartrain,  le  sieur  Charles /)ic^, 
marchand  de  gasse,  do  la  religion,  et  demeurant  dans  la  rue  Quiui- 
campois  de  cette  ville,  lequel  on  a  mis  seul  dans  la  première  chambre 
de  la  Tour  du  Trésor,  conduit  et  visité  par  M.  Laberre. 

On  lit  il.iiis  les  Mr moires  de  la  Bastille  (I,  251)  :  «  On  avoit  su,  peu  de 
jours  a|)ris  le  départ  du  roi  pour  rexpédilioii  de  .'\lons,  que  les  nonuiiés 
Dit  q  cl  Guy,  cousins,  niailrcs  ouvriers  eu  i;aze  à  Taris,  faisoieul  état  d'al- 
ItT  à  ce  siège  avec  quelques  autres  protestants  nouveaux  catholiques,  au 
tionibrr  de  douzr,  tous  frères  ou  parents,  connus  pour  être  prolestants. 


QUESTIONS   ET   REPONSES.  7 

hardis  et  très  mal  intentionnés.  Sur  cet  avis,  on  cliargea  quelqu'un  de  les 
observer  de  près  et  de  les  arrêter  s'ils  paraissoient  sur  la  route  de  Flan- 
dre. Le  5  avril  1691,  ces  deux  hommes,  ayant  acheté  chacun  un  cheval,  et 
s'étant  vêtus  en  cavaliers  avec  des  chapeaux  brodés  d'argent  et  des  pisto- 
lets, parurent  en  cet  équipage  sur  le  chemin  du  Bourget,  sur  lequel  ils 
furent  arrêtés  par  un  cavalier  qui  feignit  d'aller  à  Mons.  Dicq  et  Guy  se 
joignirent  à  lui  pour  y  aller  de  compagnie,  et  s'étant  arrêtés  pour  dîner 
ensemble  à  Louvres,  ils  parlèrent  encore  de  leur  voyage  sans  se  faire  con- 
naître, et  le  sieur  Auzillon,  exempt  de  la  prévôté  de  l'hôtel,  étant  survenu, 
il  arrêta  ces  deux  hommes  dont  l'un,  outre  l'équipage  ci-dessus  marqué, 
fut  trouvé  nanti  de  deux  pistolets  de  poche.  Ils  dirent  d'abord  qu'ils  alloient 
à  Lille  en  Flandre  pour  y  vendre  des  marchandises  de  leur  métier,  qu'ils  y 
avoient  envoyées;  mais  ils  n'en  purent  montrer  aucune  facture  et  il  ne  se 
trouva  aucun  autre  papier  sur  eux.  Le  6  avril,  sur  le  compte  qui  en  fut 
rendu  et  sur  les  ordres  du  roi,  ces  deux  hommes  furent  conduits  la  nuit  du 
même  jour  à  la  Bastille.  Ces  deux  prisonniers  furent  interrogés.  Ils  dirent 
l'un  et  l'autre  qu'ils  n'avoient  aucun  dessein  d'aller  au  camp  devant  Mons, 
et  soutinrent  qu'ils  n'en  avoient  parlé  à  personne,  ni  au  cavalier  qui  les 
avoit  abordés  sur  le  chemin.  Us  déclarèrent  hardiment  qu'ils  avoient  fait 
abjuration  pour  obéir  seulement  aux  ordres  du  roi,  mais  qu'ils  avoient  tou- 
jours été  et  qu'ils  étoient  encore  prolestants.  Trois  ministres  de  la  R.  P.  R., 
qui  avoient  été  arrêtés  à  Paris,  en  1689  et  1690,  avoient  eu  relation  avec 
eux,  et  ils  avoient  eu  retraite  dans  leurs  maisons.  Le  soupçon  de  leur 
voyage  dans  la  conjoncture  où  ils  l'avoient  entrepris,  l'équipage  et  l'assor- 
timent des  armes  défendues,  c'est-à-dire  des  pistolets  de  poche,  firent  pren- 
dre toutes  les  précautions  qui  dévoient  être  prises  à  leur  égard.  Transférés 
de  la  Bastille  au  château  de  Guise,  le  31  mai  1691,  ils  y  étoient  encore 
en  1695.  )) 


Estienne  «lalabert,  g^alérien  protestant  (1698-1 3*13),  omis 
par  Elle  Benoit,  mentionné  par  M.M.  Haa^.  —  Rég^ime  des 
galères. 

M.  L.  Liebich  nous  écrit  : 

«  Voici  un  renseignement  que  je  tire  d'une  lettre  appartenant  à  M.  Jala- 
bert.  Estienne  Jalabert,  de  Saint-Césaire  de  Gauzignan,  écrit  de  Marseille 
le  7  août  1711,  à  son  oncle  Jalabert  à  Saint-Césaire,  «  qu'il  est  sur  la 
«  galère  l' Héroïne  en  dépôt,  en  attendant  que  la  Perle  qui  revient  de 
<*  voyage  soit  désarmée,  après  quoi  il  y  sera  remis  parce  qu'il  en  est.  Il  a 
u  été  laissé  à  cause  qu'il  ne  peut  plus  résister  à  ces  rudes  travaux,  ayant 


g  QUESTIONS    ET   REPONSES. 

>(  perdu  presque  toutes  ses  forces.  »  Je  n'ai  pas  trouvé  oe  nom  dans  le 
martyrologe  dressé  par  MM.  Haag.  » 

Nous  pouvons  répondre  que  pourtant  le  nom  «  d'Etienne  Jalabert,  de 
la  province  du  Languedoc,  mis  ù  la  chaîne  en  1698  et  libéré  en  1713,  » 
figure  dans  les  listes  dressées  par  M.  Haag,  et  reproduites  dans  ce  Bulletin 
(voir  VI,  82).  11  ne  pouvait  pas  se  trouver  encore  parmi  les  noms  qu'Elie 
Benoît  mentionne  (t.  III,  p.  1036  et  1037)  de  ceux  qui  servaient  en  1695 
sur  les  galères  niéroine  et  la  Perle.  —  Nouvelle  preuve  de  la  grande 
exactitude  relative  des  auteurs  de  la  France  protestante. 


lie  oulle  protestant  cY'léliré  à  Paris,  dans  le  commencement 
du  XVIIBI'  siècle,  aux  hôtels  des  ambassades  d'Angleterre,  de 
lloliaude  et  «le  Suède. 

J.-C.  Nemeitz,  conseiller  de  S.  A.  S.  Mgr  le  prince  de  "NValdeck,  après 
avoir  fait  deux  voyages  à  Paris  et  y  avoir  passé  plus  de  deux  années,  pu- 
blia, en  1716,  le  Séjour  de  Paris,  c'est-à-dire  Instructions  fidèles  pour 
les  voyageurs  de  condition,  ou,  en  d'autres  termes,  un  guide  fort  com- 
plet et  plein  de  curieux  détails  de  mœurs,  qui  eut  bientôt  plusieurs  édi- 
tions, et  qui  cependant  est  devenu  rare.  Nous  extrayons  d'un  exemplaire 
de  l'édition  donnée  à  Leyde  en  1727  (2  vol.  in-12)  le  passage  suivant,  qui 
rentre  dans  le  cadre  de  nos  recherches  : 

«  Les  étrangers  qui  sont  en  voyage  n'ont  quelquefois  point  de  tems  ni 
d'occasion  d'assister  au  culte  public,  et  l'on  trouve  fort  rarement  des  as- 
semblées de  protestans  aux  lieux  sujets  aux  catholiques.  Le  libre  exercice 
de  cette  religion  est  défendu  en  toute  riialic,  l'Espagne,  par  tout  le  Por- 
tugal, et  dans  toute  la  France.  Néanmoins,  cet  exercice  est  permis  aux  mi- 
nistres étrangers  dans  leurs  hôtels.  Ainsi  on  a  aujourd'hui  dans  Paris  (car 
c'est  de  cette  ville  que  je  parle  ici)  trois  assemblées  de  protestans,  savoir: 
une  de  luthériens,  chez  M.  Gedda,  résident  de  la  part  du  roi  de  Suéde,  et 
deux  de  réformés,  savoir  :  chez  l'ambassadeur  extraordinaire  de  la  Grande- 
Bretagne  (ce  fut  en  mon  tems  mylord  Polworth),  et  chez  celui  des  Etats- 
Généraux  des  Provinces-l!nies  des  Pays-Bas  (ce  fut  de  mon  tems  M.  Hop). 
—  Les  autres  ministres  évangéli(|ues,  comme  ceux  de  Prusse,  de  Dane- 
mark, de  Wurtemberg  cl  de  Ilese-Cassel,  n'ont  point  de  prédicateurs.  — 
Les  .sermons,  aux  deux  assemblées,  chez  l'ambassadeur  d'Angleterre  et 
celui  des  Etats-Généraux,  se  font  dans  les  langues  de  ces  deux  nations; 
mais  c'est  (piehiue  chose  de  fort  extraordinaire  que  les  évangéliques  font 

il'  servirc  divin  m  Iimi'.mk^  ;iilem;iii(le  rli(>/  ieilif  iniiiistrede  Suède.  Il  est  bi^n 


QUESTIONS   ET    REPONSES.  » 

probable  que  cela  se  fait  ainsi  pour  la  commodité  et  pour  le  bien  des  luthé- 
riens, qui  ont  en  partie  établi  leur  domicile  dans  certains  quartiers  privi- 
légiés de  la  ville,  par  exemple  dans  l'enclos  de  l'abbaye  de  Saint-Germain 
des  Prez,  dans  celui  de  Saint-Jean  Latran,  du  Temple,  etc.,  et  qui,  en  partie, 
sont  au  service  de  France  dans  les  régimens  de  Suisses  et  d'autres  nations 
étrangères;  comme  aussi  pour  le  bien  de  ceux  qui  demeurent  à  Paris  comme 
voyageurs.  Ces  hommes  entendent  presque  tous  la  langue  allemande, 
quoiqu'ils  soient  peut-être  de  diverses  nations.  C'est  pourquoi  cette  as- 
semblée a  été  quelquefois  au  nombre  de  plus  de  quelques  centaines 
d'hommes,  parmi  lesquels  il  y  a  aussi  quelques  banquiers,  à  Paris,  de  la 
religion  réformée,  Suisses  ou  Allemands  de  nation,  qui  vont  ordinaire- 
ment avec  leurs  familles  dans  la  maison  du  ministre  de  Suède,  pour  y  en- 
tendre les  sermons  et  pour  faire  leur  dévotion  en  allemand,  parce  qu'ils 
ne  savent  pas  assez  la  langue  anglaise  ni  la  hollandaise. 

«  Ce  service  divin  se  fait  publiquement  chez  chacun  desdits  trois  mi- 
nistres en  particulier,  dans  un  grand  appartement  qu'ils  y  ont  destiné,  tous 
les  dimanches  et  jours  de  fêtes,  régulièrement  de  dix  jusqu'à  douze  heures 
avant  midi.  Pendant  le  carême,  l'on  prêche  là  aussi  la  passion  une  fois  la 
semaine.  Ainsi  les  luthériens  qui  sont  à  Paris  peuvent  fréquenter  ce  service 
divin  avec  toute  commodité  et  y  aller  faire  leur  dévotion.  Je  ne  sais  que 
dire  de  ceux  qui,  étant  à  Paris  des  ans  entiers,  ne  fréquentent  pas  ces  as- 
semblées, ni  ne  se  servent  des  moyens  de  leur  salut,  pendant  qu'ils  les  peu- 
vent avoir  si  aisément  dans  un  lieu  catholique.  La  populace  de  Paris  leur 
fait  honte  par  sa  conduite.  Car  il  n'y  en  a  pas  un,  jusqu'au  plus  misérable 
de  ces  gens,  qui  n'aille  à  la  messe,  si  ce  n'est  tous  les  jours,  au  moins  une 
fois  la  semaine  et  surtout  les  dimanches  et  les  jours  de  fêtes,  pensant  qu'il 
a  assez  satisfait  son  devoir  de  chrétien  par  cette  action  extérieure  toute 
pure.  Qu'on  ne  se  laisse  donc  pas  détourner  par  aucun  accident  de  la  fré- 
quentation du  service  divin.  Aussi  cela  ne  se  fait-il  que  les  dimanches  et 
jours  de  fêle,  et  l'après-midi  se  passe  ordinairement  en  ne  faisant  rien; 
au  lieu  que  l'on  devrait  donner  tout  entier  le  jour  du  repos  à  Dieu  qui  l'a 
institué.  C'est  une  coutume  très  louable  qu'en  Angleterre  tout  le  dimanche 
est  célébré  avec  beaucoup  de  dévotion.  Toutes  les  boutiques  sont  fermées 
ce  jour-là,  tout  travail  de  service  et  de  main  est  alors  suspendu;  l'on  voit 
fort  peu  de  carosses  dans  les  rues,  et  un  profond  silence  règne  par  toute 
la  ville.  En  un  mot,  on  peut  bien  voir  que  les  Anglais  distinguent  parti- 
culièrement le  dimanche  des  autres  jours  de  dévotion  et  des  jours  ou- 
vriers...  (Chap.XXXlII.) 

Le  même  auteur  dit  plus  loin  à  son  lecteur,  qui  est  toujours  censé  être 
un  étranger  protestant  : 


10  QUESTIONS   ET   REPONSES. 

«  Un  homme  de  condition  fera  bien,  ù  mon  avis,  de  s'arrêter  à  Paris  un 
an  pour  le  moins...  Ceux  qui  ont  du  temps  et  du  bien  peuvent  s'arrêter  en 
ce  beau  lieu  un  peu  plus  qu'à  l'ordliiaire.  Je  suis  persuadé  qu'en  tel  en- 
droit du  monde  qu'ils  vivent,  ils  donneront  la  préférence  à  Paris.  Il  ne  faut 
point  bâtir  un  tabernacle  en  ce  lieu,  mais  songer  à  son  établissement 
dans  sa  patrie  ou  autre  part  :  chose  qu'un  protestant  ne  trouvera  point  en 
France,  à  moins  de  vouloir  changer  de  religion!  » 


Ije  réfugié  «Jacques  Dnsitasre,  pasteur  de  I'Eg;lise  wallonne 
«le  I^a  llaye  eu  1718. 

Le  président  Hénault  se  rendit  en  Hollande,  en  1718,  avec  le  comte  de 
Morville,  nommé  ambassadeur  de  France  à  La  Haye.  «  J'y  vis  (dit-il  dans 
ses  Mémoires,  publiés  pour  la  première  fois  en  1855,  par  le  baron  du  Vigan, 
son  arrièrc-nevou),  j'y  vis  le  ministre  Jacques  Basnage,  ce  célèbre  réfugié, 
connu  par  son  Histoire  de  l'Eglise,  par  celle  des  Juifs,  etc.  On  sait  qu'ils 
étoient  |)lusieurs  de  ce  nom,  originaires  de  Normandie,  tous  illustres  et 
entre  autres  Henri  Basnage  de  Beauval,  auteur  des  Ouvrages  des  Sa- 
vants. Jacques  Basnage  étoit  un  petit  homme,  les  yeux  vifs,  le  visage  bou- 
tonné, d'une  activité  surprenante,  fort  mêlé  dans  les  affaires  de  la  Répu- 
blique, et  recherché  de  tous  les  ambassadeurs.  Son  talent  n'étoit  pas  la 
prédication,  où  il  étoit  surpassé  par  le  ministre  Saurin.  Je  profitois  pour 
m'ii>struire  de  tous  les  moments  que  M.  Basnage,  qui  m'avoit  pris  en 
amitié,  pouvoit  m'accorder 

«  Né  à  Bouen,  le  6  août  1633,  Jacques  Basnage  est  mort  le  22  décembre 
4723,  ûgé  de  70  ans,  pasteur  de  l'Eglise  wallonne  de  La  Haye.  Il  avoit  épousé 
en  1684  Suzanne  Dumoulin,  fille  de  Cyrus  Dumoulin,  cousin  germain  du 
fameux  jurisconsulte  Dumoulin.  » 


L.<>H    iioii>rau\ -ronvertis    de   S$aiuf- Maurice    de    Caseviellle   eu 
17  l'I.  —  l'ii  baptême  au  Oi-Ncrt  eu  1713. 

Les  extraits  qu'on  va  lire  coniijlctent  ceux  qui  ont  été  insérés  au  Bulle- 
tin (XII,  l.'i"')),  (i'a|irès  la  connnunication  de  1\I.  I.iehicli  : 

<•  Voici  une  pièce  tirée  des  archives  de  Saint-.Maurice,  prés  Vézenobres 
(Gard) ,  qui  montre  que,  pour  avoir  fait  abjuration  de  l'hérésie,  les  nou- 
veaux eonverlis  de  celle  paroisse  n'étaient  pas  encore,  a|)rès  vingt-neuf 
ans,  de  bien  fi^rvents  catholiques,  si,  comme  chacun  le  sait,  l'amour  d'une 


QUESTIONS   ET    REPONSES.  11 

église  bien  ornée  est  l'un  des  caractères  distinctifs  des  véritables  enfants 
de  la  sainte  mère  Eglise  romaine. 

Fisite  de  la  paroisse  de  Saint-Maurice  de  Casevieîlle. 

Le  mercredi  13  juin  1714,  à  une  heure  après-midi,  nous  sommes  arrivés 
en  ladite  paroisse  accompagné  des  mêmes  personnes  que  dans  nos  précé- 
dentes visites,  et  du  sieur  Pouzols,  doyen.  Ce  prieuré-cure  est  de  notre 
collation,  de  mille  livres  environ  de  revenus.  Le  nombre  des  commu- 
niants est  de  deux  cents,  tous  N.  C,  hors  23  (ou  25)  anciens  catholiques, 
sans  hameau.  Après  la  prière  du  Saint-Esprit  et  l'exhortation  faite  au  peu- 
ple, nous  avons  procédé  à  notre  visite.  La  pierre  sacrée,  etc.  Continuant 
notre  visite  dans  la  nef  de  ladite  église,  nous  avons  trouvé  pour  balustre 
un  mur  de  maçonnerie,  une  chaire  de  prédicateur  de  pierre,  fort  simple, 
sans  ciel.  Il  n'y  a  pas  de  confessionnal,  ni  fonts  baptismaux,  ni  bénitiers 
d'entrée.  Le  corps  de  laditte  nef  est  en  bon  état  pour  le  bâtiment,  la  cou- 
verture, le  pavé,  l'enduit  et  les  vitres.  Il  n'y  a  pas  de  confréries  du  Saint- 
Sacrement  que  celle  du  doyenné.  Cependant  il  y  a  un  dais,  deux  fanaux. 
Il  manque  un  drap  mortuaire.  Cette  église  est  champêtre,  et  le  cimetière 
qui  est  autour  est  sans  clôture  et  sans  croix;  il  y  en  avait  une  dans  la 
place  qui  a  été  détruite. 

Ordonnances.  —  Nous  ordonnons  aux  prieur,  déciraateurs,  etc.,  et  aux 
consuls  et  habitants  de  la  paroisse  de  Saint-Maurice  de  faire  garnir  de 
quelque  étoffe  la  chaire  de  prédicateur,  que  nous  avons  trouvée  être  de  ma- 
çonnerie toute  simple,  avec  un  ciel  au-dessus.  Plus,  de  faire  faire  un  con- 
fessionnal et  des  fonts  baptismaux  élevés  sur  une  marche,  garnis  au-dessus 
d'un  petit  dôme,  et  d'avoir  une  cuvette  étamée  avec  ce  qui  est  nécessaire 
pour  les  baptêmes;  d'avoir  un  bénitier  à  l'entrée  de  l'église;  plus,  d'avoir 
un  drap  mortuaire,  une  représentation  et  six  chandeliers  noirs  pour  l'of- 
fice des  morts  ;  plus,  de  faire  clore  le  cimetière  de  murailles  et  d'y  planter 
une  croix,  comme  aussi  de  faire  faire  une  croix  de  belle  pierre  de  taille  au 
lieu  de  celle  qui  a  été  détruite  en  la  place  dudit  lieu. 

Toutes  les  susdites  ordonnances,  pour  être  exécutées  à  la  diligence  de 
notre  promoteur  deux  mois  après  la  signification  d'icelles.  Fait  les  an  et 
jour  que  dessus  en  présence  des  soussignés  avec  nous,  Michel,  évesque, 
comte  d'Uzès  ;  Rodur,  substitut  du  promoteur,  Gorrand,  secrétaire,  signés  à 
l'original.  Le  présent  extrait  a  été  tiré  du  registre  des  visites  du  doyenné 
(illisible),  étant  dans  le  secrétariat  de  l'évêché,  par  moi  le  \"  soussigné, 
Gorrand,  secrétaire,  signé. 

L'an  1714,  et  le  dixième  jour  du  mois  de  juillet,  avant  midi,  par  moi 
Jean  Flory,  huissier  en  la  temporalité  d'Uzès,  y  habitant,  soussigné  à  la 


12  QUESTIONS    ET    REPONSES. 

requête  de  M.  le  promoteur,  en  l'évêché  d'Uzès,  les  ordonnances  de  Mon- 
seigneur l'évesque,  dont  copie  est  ci-dessus,  ont  été  signifiées  aux  con- 
suls et  liabilants  de  Saint-Maurii^e,  parlant  à  M.  des  Cambous,  maire  dudit 
lieu,  trouvé  en  son  domicile  audit  lieu,  aux  fins  qu'ils  obéissent  et  exécu- 
tent les  ordres  dans  le  délai  porté  par  icclles;  et  leur  en  ai  laissé  copie,  et 
de  cet  exploit,  en  foi  de,  etc.  Signé  :  Flory. 

Voici  un  certificat  de  baptême  que  m'a  communiqué  M.  Mourgue,  maire  : 
'(  Je  soussigné,  certifie  que  cejourd'hui,  cinquième  septembre,  en  vertu 
du  saint  ministère  qui  me  fut  conféré  dans  le  pays  étranger,  j'ai  baptisé 
Jeanne  Funtanieu,  fille  légitime  de  Jaques  Fontanicu  et  de  Louise  Hugue, 
mariés,  du  lieu  de  Saint-Maurice  de  Casevieilles,  babitant  en  qualité  de 
rentier  (l)au  Mas  de  Sainte-Croix  do  Bouriac,  diocèse  d'Uzès,  née  le  troi- 
sième du  même  mois  et  môme  année  que  dessus.  Et  que  je  l'ai  baptisée  au 
nom  du  Père ,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit.  Le  père  et  la  mère  m'ayant  pro- 
mis qu'ils  ne  consentiront  point  à  ce  que  leur  dite  fille  soit  rebaptisée,  afin 
d'éviter  la  profanation  du  nom  adorable  de  la  très  sainte  Trinité,  le  mé- 
pris du  saint  baptême  et  le  scandale  qu'il  y  aurait  dans  la  réitération  de  ce 
saint  sacrement.  Les  noms  et  surnoms  du  parrain  et  de  la  marraine  se  trou- 
veront couchés  dans  mon  registre.  Fait  cejourd'hui,  Ij*  septembre  1743, 
par  moi,  Bétrine,  ministre  de  Jésus-Christ.  » 


Philibert  Hamelin  et  les  instructions  à  lui  remises  par  Calvin. 

(Voir  t.  XII,  p.  469.) 

Yverdon,  11  février  1864. 
Monsieur  le  Président,  j'ai  publié  à  Bordeaux,  il  y  a  vingt-trois  ans,  mon 
Histoire  des  Eglises  reformées  de  Pons,  etc.,  et  j'ai  consacré  tout  nu 
chapitre  (dix  pages)  à  raconter  la  vie  de  Philibert  Damelin,  le  plus  grand 
réformateur  de  la  Saintonge  et  de  l'Aunis.  J'ai  parlé  de  ses  premiers  tra- 
vaux, de  sa  chute,  de  son  relèvement  et  de  sa  résolution  de  contribuer  par 
tous  les  moyens  possibles  ù  répandre  la  semence  du  pur  Evangile  dans  la 
contrée  (|u'il  avait  choisie  pour  y  exercer  son  pieux  ministère.  Je  l'ai  mon- 
tra; d'abord  ini/nimcur  cl  libraire  a  Genève,  puis  colporteur  et  évangéliste 
en  France.  J'ai  nifutioniiè  1rs  inslrurtions  spéciales  que  Calvin  lui  avait 
remises  pour  l'or'^anisaiioii  des  nouvelles  Eglises  ;  enfin  j'ai  terminé  mon 
récit  par  l'emprisonnement,  la  condamnation  et  la  mort  du  glorieux 
martyr. 

(1)  Ce  mol,  dans  le  Lanpinîdof,  sijjiiific  fermier. 


QUESTIONS    ET    REPONSES.  13 

Cela  étante  je  n'ai  pu,  quant  à  moi,  «  prendre  agréableraenl,  »  suivant 
l'expression  de  Philibert  Hamelin,  les  renseignements  nouveaux  qui  vous 
ont  été  adressés,  car  il  est  pénible,  quand  on  a  travaillé  consciencieuse- 
ment, de  se  voir  soupçonné  de  manquer  de  véracité  en  affirmant  que  Calvin 
a  don?ié  des  directions  à  Philibert  Hamelin,  et  de  se  sentir  en  quelque 
sorte  condamné  aux  yeux  du  public  par  la  déclaration  de  M.  le  pasteur 
Arcliinard,  qui  dit  aussi  n'avoir  aperçu  nulle  part  le  nom  de  Philibert  Ha- 
melin dans  les  registres  contiés  à  sa  garde. 

Ces  instructions  de  Calvin  à  Philibert  Hamelin  sont  pourtant  bien  réelles. 
Elles  se  trouvent  clans  le  premier  volume  des  registres  manuscrits  de  la  Vé- 
nérable Compagnie  des  Pasteurs  de  Genève,  à  la  date  du  13  octobre  1553, 
et  je  les  ai  transcrites  en  entier  dans  ma  Chronique  protestante  de  France 
duXFI^  siècle,  Paris,  1846  (voir  l'Appendice,  pièces  justificatives  et  docu- 
ments rares  ou  inédits,  n°  18,  p.  76).  Elles  commencent  par  ces  lignes  : 
«  Copie  de  lettres  données  à  M.  Philibert  Hamelin  pour  dresser  Eglise 
«  aux  frères  dispersez  en  aucunes  isles  de  France,  »  et  se  terminent  par 
cette  signature  :  Charles  d'Espeville,  tant  en  son  nom  que  de  ses  frères. 
— Tout  le  monde  sait  de  nos  jours  que  Charles  d'Espeville  est  le  pseudonyme 
de  Calvin,  et  le  réformateur  le  portait  déjà  à  son  arrivée  à  Genève,  comme  on 
peut  s'en  convaincre  en  lisant  la  Correspondance  française  de  Calvin  aoec 
Louis  du  Tillet,  etc.,  1537-1638,  que  j'ai  découverte  parmi  les  manuscrits 
de  la  Bibliothèque  royale,  à  Paris,  et  que  j'ai  publiée  à  Lausanne  en  1850. 

Veuillez  agréer,  etc.  A.  Crottet,  pasteur. 


Une  anecdote  d'un  ministre  protestant  du  XVII°  siècle. 

(Voir  t.  XII,  p.  478.) 

Monsieur  le  Président,  dans  la  grammaire  italienne  de  Vergani,  revue  par 
Moretti,  7«  édition  (Paris,  Lequien,  1838),  je  trouve  cette  même  anecdote, 
mieux  précisée  (p.  216).  La  voici  transcrite  textuellement  : 

«  Un  ecclesiastico  essendo  privato  del  suo  officio  sotto  il  regno  de  Gia- 
«  como  II,  a  motivo  di  non  conformité,  disse,  che  ciô  avrebbe  costato  la 
«  viia  a  molle  centinaja  di  persone.  Moltissimi  credettero  ch'  egli  volesse 
«  farsi  promolore  d'una  sedizione  :  ma  avendolo  interrogato,  trovarono  ch' 
«  egli  intendeva  dire,  che  avrebbe  esercitato  la  medicina.  » 

Ce  n'est  pas  une  réponse,  comme  vous  voyez,  à  la  question  qui  a  été 
posée,  mais  un  simple  rapprochement  qui  prouve  que  Vhistorietle,  histo- 
rique ou  non,  a  couru  sur  le  compte  de  plus  d'un  ministre  plus  ou  moins 
huguenot.  L.  L, 

Saint-Maurice  de  G.  (Gard),  29  décembre  1863. 


DOCUMENTS  INÉDITS  ET  ORIGINAUX. 
CHANSON  SPIRITUELLE  DU  XVI^  SIÈCLE. 

1540   (?). 

Cette  chanson  est  tirée,  comme  d'autres  précédemment  publiées,  du 
recueil  de  1569  (Voir  Bull.,  X,  221,  440;  XI,  241;  XII,  129).  Elle  rappelle, 
par  les  idées  qui  y  sont  exprimées,  VEpilre  dédicatoire  aux  Dames  de 
France  placée  par  Clément  Marot  en  tête  de  sa  traduction  des  Psaumes, 
1543  {Bull.^  I,  35).  Ce  doit  être  une  des  premières  exhortations  à  substituer 
des  chants  spirituels  aux  chansons  profanes ,  en  les  «  faisant  virer  en 
d'autres  sens,  >>  comme  dit  l'auteur  lui-même. 

Sur  le  chant  :  Las,  voulez-vous  qu'une  personne  chante,  etc. 

Las,  voulez-vous  qu'une  personne  chante 

Folles  chansons,  dont  se  deust  retirer? 

Faites  chanter  la  musique  plaisante 

Dont  Dieu  jadis  vint  David  inspirer. 

Car  à  cela  devons-nous  aspirer. 

Louant  Celuy  qui  guérir  ne  refuse 

Le  cœur  contrit  qui  de  péché  s'accuse. 

Or  donc,  vous.  Rois,  à  qui  chacun  présente 

Tout  passetemps  pour  d'ennuy  vous  tirer. 

Dorénavant  nul  de  vous  ne  consente 

D'ouïr  chansons  pour  dames  attirer  : 

Car  vostre  honneur  n'en  pourroit  qu'empirer. 

Mais  cscoutez  celles  qui  sont  sans  ruse 

Au  los  de  Dieu,  des  biens  duquel  on  use. 

Vous  tous  aussi  qui  mettez  votre  entente 

A  composer  et  à  vous  mesurer  : 

Gardez  le  sens,  mais  la  lettre  insolente 

Kn  autre  sens  veuillez  soudain  virer. 

C'est  à  sçavoir  à  Dieu  seul  honorer 

Et  à  cela  provorpicr  votre  muse. 

Ou  autrement  chacun  de  vous  s'abuse. 


L'ENTRÉE  DU  DUC  DE  GUISE  A  PARIS 

ET  LE  PRESCHE  DES  HTJ&UENOTS  EN  CETTE  VILLE. 

LETTRE  INÉDITE  DE  M.   FRANÇOIS  CHASTAIGNER  A  M.  DE  LA  ROCHEPOSAY 

SON   PÈRE. 

1563. 

La  lettre  suivante,  que  nous  communique  M.  B.  Fillon,  d'après  l'original 
conservé  aux  archives  départementales  à  Poitiers,  a  été  évidemment  écrite 
de  Paris  le  M  mars  4562,  jour  où  le  duc  de  Guise,  couvert  des  lauriers  de 
Vassy,  fit  son  entrée  dans  la  capitale,  «  en  grand'compagnie,  avec  grandes 
«  acclamations  de  gens  attitrés,  comme  si  le  roy  raesme  y  fust  entré  en 
«  personne,  jusques  à  crier  à  haute  voix  :  Five  Monsieur  de  Guise!  sans 
«  toutesfois  que  ledit  seigneur  ni  autres  de  sa  compagnie  montrassent  que 
«  cela  leur  déplust  aucunement.  »  {Mém.  de  Condé,  III,  193;  voir  aussi 
II,  29.)  Cette  lettre  donne  un  détail  que  nous  n'avons  pas  rencontré  ailleurs, 
et  indique  l'emplacement  du  prêche  où  se  rendit  ce  jour  même  le  prince  de 
Condé;  seulement  cette  indication  aurait  besoin  d'être  éclaircie  quant  au 
texte  et  quanta  la  topographie.  M.  Coquerel  fils  dit,  dans  son  Précis  (p.  59), 
que  c'était  alors  le  «  temple  de  Hiérusalem,  »  qui  avait  depuis  le  tumulte  de 
Saint-Médard,  remplacé  celui  du  Patriarche,  et  que  ce  bâtiment,  construit 
sur  les  fossés  du  faubourg  Saint-Jacques,  a  fait  partie  plus  tard  d'une  rue 
dite  de  l'Egout,  qui  était  contiguë  au  mur  méridional  du  Val-de-Gràce. 
Cette  désignation  concorde-t-elle  avec  le  texte  de  notre  lettre?  Fiat  lux. 

Ajoutons  que  celui  qui  l'a  écrite  est  sans  doute  François  Chastaigner, 
seigneur  de  Talmont,  dont  on  sait  bien  peu  de  chose. 

A  Monsieur  de  la  Rocheposay,  conseiller  et  ynaisfre  d'hostel  ordinaire 
du  Roy,  à  Toufou.  (Près  de  Poitiers.) 

Monsieur,  mon  frère  et  moy,  vous  avions  escript  et  voulions  en- 
voyer ce  pacquet  par  Fillaut,  mais  Jehan  de  Mouzon  nous  a  abusez, 
parce  qu'il  nous  avoit  promis  de  partir  sabmedy  au  soir  ou  dimanche; 
mais  nous  avons  veu  que  c'estoitungmocqueur,  pourquoy  nous  vous 
renvoyons  par  le  fils  de  Fillaut,  porteur  du  présent.  Quant  aux  nou- 
velles de  Monsieur  de  Guyse,  il  est  arrivé  ce  soir  en  cesle  ville.  Mon- 
sieur le  connestable  et  Monsieur  le  maréchal  de  Saint-André  avec  luy, 


IG  LETTllE    USÉDITE    DE    EUANCOIS    DE    SALES 

et  en  tout  avoientbien  deux  mil  chevaulx,  les  ungs  disent  plus.  L'on 
dict  que  mondict  sieur  de  Guyse  a  eseript  à  Monsieur  le  prince  de 
Condé,  et  asseuré,  par  Monsieur  de  Givry  (1),  comment  la  compai- 
gnye  qu'il  avoit  n'estoit  que  pour  luy  faire  service,  et  que  ce  qui  luy 
faisoit  avoir  si  bonne  compaignye  n'estoit  que  pour  des  malveillans, 
que  il  se  doubte  avoir  en  ce  pays,  et  que  lui  et  sa  dicte  bande  estoit 
bien  à  son  commandement.  Ledict  sieur  prince  luy  a  respondu  que 
ce  qui  luy  faisoit  ammasser  des  gens  et  aller  armez,  n'estoit  que  pour 
empescher  que  la  populasse  de  Paris  ne  s'esmùt  de  plus  et  qu'elle 
saccageât  ceulx  quialloientau  presche,  où  ledict  sieur  prince  est  allé 
ce  soir  accompagné  de  bien  deux  cens  chevaulx  en  armes  et  force 
gens  de  pied,  tant  escoliers  que  aultres,  ayant  leurs  espées.  Ledict 
presche  se  faict  à  une  maison  devant  la  Bracque  latin  (?).  Je  n'ay  rien 
aprins  aultre  chose  depuis  mes  aultres  lettres  qui  est  sus,  priant 
Dieu,  Monsieur,  qu'il  vous  doinct  et  bonne  santé  et  très  heureuse  et 
longue  vye,  après  m'estre  très  humblement  recommandé  à  vostre 
bonne  grâce. 

Voztrès  humbles  et  très  obéissans  enfans. 

Chastaigner. 
De  Paris,  ce  xvif  mars. 


LETTRE  INEDITE  DE  FRANÇOIS  DE  SALES 

A    SON    ONCLE    LOUIS    UE    PINGON 

UUION    1)E   LISY,    OBSIILIIOMME    DE    S.    A.   R.    .MO;iStIU.>ElR    LE    UtC    DE   S4V0TE. 

159h. 

L'orijiinal  de  celte  lettre,  provenant  du  cabinet  de  M.  Viileiiave,  fait 
aiijourd'liui  partie  de  la  belle  colleciion  d'autographes  de  M.  Chambry,  qui, 
avec-  son  obligeance  accouluniéc,  nous  a  bien  voulu  permettre  d'en  prendre 
copie  et  (le  la  publier.  Nous  la  croyons  inédile;  du  moins  ne  se  trouve-l-elle 
ni  dans  rciiiiidii  des  Lettres  de  François  de  Sales  de  Paris,  1758,  \n-\i,  ni 
dans  les  Nouvelles  Lettres  publiées  jtar  IJIaisc  en  1835,  ni  enlin  dans  le 
t.  m  des  Œuvres  complètes,  Paris,  G.  Martin,  1845,  iii-8". 

(1)  «  Enscij^ne  de  M.  de  (luise.  »  (Mdm.  de  Coudé,  1,  108.) 


A   SON    ONCLE    LOUIS    DE    PINGON.  17 

A  Alonsieur  Louis  de  Pingon,  baron  de  Cusy,  gentilhomme  de  S.  A.  H. 
Mgr  le  duc  de  Savoye. 

t 

Monsieur^  on  avoit  défendu  aux  huguenots  de  Thonon  de  sonner 
la  cloche  qui  est  en  Téglise  des  catholiques.  Ils  sont  sur  le  point  de 
demander  a  S.  A.  qu'il  leur  soit  permis  de  s'en  servir  autant  qu'à 
nous,  et  sont  si  outrecuydés  qu'ils  pensent  de  l'obtenir.  Certes,  ils 
ont  gasté  desjà  un'  autre  plus  grosse  cloche  en  haine  de  nous  autres 
catholiques  qui  la  sonnions.  Leur  presche  ne  se  fait  pas  en  ceste 
église-là  ni  en  la  ville  car  il  leur  est  défendu,  pourquoy  leur  permet- 
tra-on de  la  sonner  là  où  ils  ne  le  disent  ni  peuvent  dire?  Une  cloche 
ne  peut  servir  à  Dieu  et  à  Behal.  C'est  ce  que  j'écris  à  S.  A.  et  le 
supplie  que  si  ceux  de  Thonon  s'addressent  à  elle  pour  luy  présenter 
requeste  de  cest  affaire,  elle  les  renvoyé  sans  décret  ou  avec  nou- 
velle défence  de  sonner.  La  chose  n'est  pas  si  légère  qu'elle  semble, 
car  ils  sçavent  faire  valoir  la  moindre  chose  qu'on  leur  accorde 
pour  contrister  les  bons  catholiques.  Désirant  donq  infiniment  pour 
l'honneur  de  Dieu  que  Son  Alt.  daigne  lire  ou  faire  lire  prompte- 
inent  ma  lettre  affm  que  je  ne  sois  pas  presvenu  par  les  requestes  de 
ces  huguenots,  je  n'ay  scu  à  qui  mieux  m'addresser  qu'à  vous,  pour 
vous  supplier  très  humblement  de  bailler  ma  lettre  et  prier  S.  A.  de 
la  voir,  et  s'il  ne  la  veut  voir  luy  discourir  du  sujet.  La  grande  con- 
fiance que  j'ay  en  vostre  bonté  me  fait  ainsy  vous  importuner,  ayant 
rnesme  ce  bien  et  honneur  d'estre  et  devoir  estre  à  jamais. 
Monsieur, 

Vostre  très  humble  neveu  et  serviteur. 

Franc,  de  Sales,  Ind.  prestre 
de  Saint-Pierre  de  Genève. 
Aneci,  le  12  feb.  98. 

U  est  question  des  protestants  de  Thonon  dans  plusieurs  des  lettres  im- 
primées. Celle  adressée  au  pape  Clément  VIII  (après  le  8  avril  1597),  con- 
tient cette  phrase  :  «  C'est  pourquoi  il  est  à  croire  que  dans  peu  de  tems 
«  les  alTaires  en  iront  mieux,  si  le  roy  en  est  sollicité  par  Vostre  Sainteté. 
<'  De  plus,  s'il  plaisoit  ù  Sa  Majesté  exiger  de  la  république  de  Genève  que 
«  la  liberté  de  conscience  fût  permise  dans  cette  ville,  il  y  auroit  espérance 

XIII.  —  2 


18  l'ÉDIT    de  NANTES    EN    BOURBONNAIS. 

«  que  celte  chose,  qui  est  la  seule  désirable  dans  ce  misérable  tems,  réussi- 
«  roit  heureusement.  » 

Ces  lignes  curieuses  montrent  comment  chacun  tirait  à  soi  dès  lors  «  la 
liberté  de  conscience.  » 


L'ÉDIT  DE  NANTES  EN  BOURBONNAIS 

d'après  des  documents  originaux. 

1600-1618. 

IV»  Extrait  du  registre  des  arrêtés  et  délibérations  de  la  ville  [de 
Moulins]  depuis  161C  jusqu'en  1634.  (Archives  communales  de 
Moulins  G^'  208;  f"  20,  n»  7.) 

31  octobre  1617.  Lettre  du  roi/,  portant  avis  que  les  sieurs  Thevin 
et  de  Rouvre  doivent  aller  à  Moulins  pour  vacquer  au  fait  de  leur 
commission. 

DE  PAR  LE  ROY. 

Chers  et  bien  amez,  le  bien  et  le  repos  de  noz  subjetz,  tant  catho- 
licques  que  de  la  religion  prétendue  refïoruiée,  nous  estant,  comme 
il  est,  en  sin<]çullière  recommandation,  nous  ne  voulons  laisser  en  ar- 
rière aulcun  moyen,  qui  nous  sera  possible,  de  les  y  maintenir  et 
conserver,  soubz  l'observation  de  noz  édictz,  et  dans  l'obéissance 
qu'ils  nous  doibvent;  et  ayant  receu  plusieurs  i)lainctes  de  nosdicts 
subjectz,  de  l'une  et  de  l'autre  relligion,  de  divers  endroictz  de  ce 
royaume,  des  contraventions  et  innexécutions  qui  se  font  à  noz  dictz 
édictz  de  paciffication ,  qui  pourroienl  en  fin  altérer  et  troubler  la 
bonne  union,  concorde  et  intelligence  qui  doibt  estre  entre  nosdictz 
subjectz,  et  préjudicier,  par  ce  moyen,  grandement,  à  notre  service, 
nous  avions  résolu,  dès  le  temps  de  la  conférence  deLougdun,  d'en- 
voyer des  commissaires,  personnages  de  quallitez  et  condictions  re- 
quises, par  toutes  les  provinces  de  nostre  dit  royaume,  pour  pourvoir 
ausdictes  plainctes.  Ce  bon  desseing  ayant  esté  retardé  par  la  multi- 
tude des  grandz  affaires  ({ue  nous  avons  eu  despuis  sur  les  bras, 
niais  voullans  maintenant  satisH^^rc  à  ce  qui  estoit  de  nostre  intcncion 
par  l'cnvoy  desdicts  commissaires,  ayans,  pour  ce,  faict  ellcction  des 


l'ÉDIT   de   NANTES    EN    BOURBONNAIS.  19 

sieurs  de  Thévyn  et  de  Rouvray,  conseillers  en  mon  conseil  pour  se 
transporter  en  nostre  province  de  Bourbonnoys,  et  là  ouyr  lesdictes 
plainctes,  et^  parce  qu'ilz  auront,  vacquans  à  leur  dicte  commission, 
à  se  trouver  en  nostre  ville  de  Moulins,  nous  avons  bien  vouUu  les 
accompaigner  de  ceste  lettre,  pour  vous  ordonner  de  les  recepvoir  en 
nostre  dicte  ville,  comme  vous  debvez,  estans  envoyez  de  nostre  part 
pour  ung  si  bon  effect,  et  les  assister,  en  ceste  occasion,  de  tout  le 
secours,  ayde  et  faveur  qui  deppendra  de  vous,  comme  estant  le  fruict 
de  leur  dicte  commission  et  voïage  pour  vostre  bien  et  contentement, 
et  nous  asseurans  que  vous  ne  manquerez  à  ce  qui  est  en  cella  de 
vostre  debvoir,  nous  ne  vous  en  ferons  icy  autre  plus  exprès  com- 
mandement. Donné  à  Paris,  le  dernier  jour  d'octobre  mil  six  cens 

dix-sept. 

(Signé)  LOUIS. 
Et  plus  bas  : 

De  Loménie. 
Et  à  la  subscription  : 

A  nos  chers  et  bien  amez  les  maire  et.  esckevins  et  habitans  de  nostre 

ville  de  Moulins. 

Vf  Commission  pour  Messieurs  Thévin  et  de  Rouvre  pour  visiter  les 
provinces  de  Bourgogne,  Bresse,  Geyx,  Auvergne,  Lionnois,  Fo- 
rests,  Beaujolois,  et  Bourbonnois,  et  régler  les  plaintes  de  ceux  de 
la  religion  P.  R.  sur  l'aproche  des  temples. 

Louis,  par  la  grâce  de  Dieu^  roy  de  France  et  de  Navarre,  à  noz 
amez  et  féaulx  les  sieurs  Thévin,  conseiller  en  nostre  conseil  d'Etat, 
et  maistre  des  requêtes  ordinaires  de  nostre  hostel,  et  de  Rouvre, 
aussi  conseiller  en  nostre  dit  conseil,  salut.  Le  grand  désir  que  nous 
avons  tousjours  eu,  depuis  nostre  advénement  à  ceste  couronne,  de 
maintenir  et  conserver  nos  subjectz  en  bonne  amitié,  union  et  con- 
corde les  ungs  avecq  les  autres  soubz  nostre  auctorité  et  l'obéissance 
et  l'observation  de  noz  édictz,  nous  a  faict  rechercher  tous  les  moyens 
plus  convenables  pour  parvenir  à  ceste  nostre  inleneion,  entre  les- 
quelz  ayant  estimé  estre  principalement  nécessère  de  fère  cesser 
toutes  les  divisions  et  altérations  qui  se  seroient  pu  engendrer,  à 
cause  de  la  différence  de  la  relligion,  nous  nous  résolûmes  dès 
l'année  MVIc  unze,  avec  le  prudent  advis  et  conseil  de  la  royne 
noslre  très  honorée  dame  et  mère,  lors  régente,  d'envoyer  par  toutes 


20  l'ÉDIT    de    NANTES    EN    BOURBONNAIS. 

les  provinces  de  nostre  royaume  deux  commissaires,  l'ung  catho- 
licque,  et  l'autre  de  la  relligion  prétendue  refformée,  pour  pourvou' 
aux  plainctes  qui  se  pourroient  faire  tant  pour  les  contravencions  et 
inobservations  fettes  à  l'édict  de  Nantes,  articles  secretz;  et  autres 
déclarations  en  suitte  d'icelluy,  que  à  l'exécution  et  observation  des 
responces  par  nous  depuis  faictes  sur  aulcuns  cahiers  à  nous  pré- 
sentez par  noz  dicts  subjectz  de  la  dicte  relligion  prétendue  refformée, 
et  bien  que  les  dictz  commissaires  y  ayent  deslors  travaillé  très  digne- 
ment, néanmoingtz  d'aultant  que  nous  recevons  encores  quelques 
plainctes  de  la  part  des  ungs  ou  des  autres,  désirans  y  pourvoir  et 
continuer  ce  mesme  remedde  dont  nous  nous  estions  lors  servis, 
affin  que  nos  subjectz,  par  l'ulillité  d'icelluy,  recognoissent  aussy 
combien  nous  affectionnons  leur  bon  repos  et  contentement,  ayant, 
pour  ce  subject,  résolu  d'envoyer  deux  personnages  de  la  quallité 
susdicte  en  noz  provinces  de  Bourgogne,  Gex,  Brèce,  Auvergne, 
Lyonnois,  Forestz,  Beaujoloys,  et  Bourbonnoys,  avec  emple  charge 
et  pouvoir  de  nous  sur  ce  subject,  et  recognoissans  que  nous  ne  sçau- 
rions  fère  pour  cest  effect,  ung  plus  digne  choix  que  de  vos  per- 
sonnes tant  pour  les  bons  et  fidelz  services  que  vous  nous  avez 
rendus,  et  continuez  chacun  jour,  que  par  la  grande  congnoissance 
que  vous  avez  des  affères  de  nostre  conseil,  nous  vous  avons  commis, 
ordonnez,  et  dcpputtez,  commettons,  ordonnons  et  depputtons,  par 
ces  présentes,  pour  vous  transporter  en  nos  dictes  provinces  de 
Bourgogne,  Bresse,  Gex,  Auvergne,  Lyonnois,  Forestz,  Beaujoloys 
et  Bourbonnois,  et  après  avoir  veu  les  gouverneurs  et  nos  lieutenans 
généraulx  en  icclles,  ou,  en  leur  absence,  noz  lieutenans  généraulx 
ausdits  gouvcrnemens,  et  leur  avoir  faict  entendre  le  subject  de 
vostre  voïage,  vous  vous  rendrez  aux  villes  et  lieux  desdictes  pro- 
vinces, où  vous  jugerez  voslre  présence  plus  utille,  pour  l'effect  et 
exécution  de  nostre  intention,  et,  particulièrement,  vous  aurez  soing, 
arrivant  en  icelles,  de  visiter  noz  cours  souveraines,  conférer  aussi 
avec  elles  du  subject  de  vostre  voyage,  vcoir  noz  officiers  présidiaulx 
en  leurs  sièges,  et  les  maires,  consulz,  et  eschevins  desdictes  villes, 
en  leurs  maisons  de  ville,  leur  faire  à  tous  entendre  noz  bonnes  in- 
tentions il  l'end roict  de  tous  noz  subjectz,  le  désir  que  nous  avons  de 
les  vow  tous  en  repos,  tian([uillité  et  union,  soubz  nostre  obéissance, 
les  exhorter  de  s'y  maintenir  et  conserver,  et  de  s'opposer  par  toutes 
sortes  de  voycs  à  tous  ceulx  qui,  soubs  quel  prétexte  que  ce  soit,  y 


l'ÉDIT    de   NANTES   EN   BOURBONNAIS.  21 

voudroient  apporter  du  trouble  et  de  la  division,  et  qui  contrevien- 
droient  et  transgresseroient,  en  quelque  sorte  que  ce  puisse  estre, 
noz  édictz,  déclarations,  et  ordonnances  faictes  par  les  roys  nos  pré- 
décesseurs, et  nous,  pour  la  paciffication  des  troubles,  divisions  et 
partiallitez,  qui  ont  esté  cy-devant  en  nostre  royaume,  de  quoy  vous 
ferez  perquisition,  pour  réprimer  et  faire  chastier  ceulx  qui  s'en  trou- 
veront coupables,  et  spéciallement  vous  vous  informerez  s'il  y  aura 
plainctes,  tant  de  la  part  des  catholicques,  que  de  ceulx  de  la  dicte 
relligion  prétendue   réformée,   pour   raison  des  contraventions  et 
inobservations  audict  Edict  de  Nantes,  articles  secretz,  et  brevetz 
despuis  ensuivis,  ou  pour  inexécutions  de  chose  qui  leur  ayt  esté  par 
nous  accordée,  et  où  il  vous  en  apparoistra,  vous  adviserez  à  y  faire 
pourvoir  et  remédier  sur-le-champt,  si  faire  se  peult,  sinon  de  nous 
en  donner  promptement  advis,  pour  en  estre  par  nous  ordonné,  et, 
sur  l'instance  que  nosdictz  subjectz  de  la  religion  prétendue  reflformée 
nous  ont  faicte,  de  leur  vouloir  accorder,  par  grâce  particulière, 
l'aproche  de  l'exercice  de  leur  religion  d'aucunes  villes  où,  pour 
l'éloignement  du  lieu  d'icelluy,  ilz  reçoivent  beaucoup  d'incommo- 
dité, après  en  avoir  communiqué  avec  les  gouverneurs  des  provinces 
et  villes,  et  avec  les  principaulx  officiers,  maires,  consulz,  et  esche- 
vins  d'icelles,  vous  verrez  et  considérerez  les  lieux  où  l'on  demande 
les  dictes  approches  estre  faictes,  pour  y  pourvoir,  et  en  ordonner 
le  plus  favorablement  et  raisonnablement  que  faire  se  pourra,  et  où 
lersque  vous  serez  èsdictes  provinces,  vous  jugerez  vostre  présence 
n'estre  nécessère  en  aulcuns  endroictz  d'icelles,  où  vous  ne  peussiez 
commodément  vous  acheminer,  soict  à  cause  de  l'eslongnement,  ou 
pour  quelques  autres  considérations  et  erapeschementz,  nous  vous 
donnons  pouvoir  d'y  subdéléguer  en  vostre  place  d'autres  personnes, 
pour,  en  vostre  absence,  pourvoir  à  ce  qui  pourroit  y  estre  requis, 
suivant  les  instructions  particulières  que  vous  leur  en  baillerez,  et, 
en  tout  ce  que  dessus,  vous  y  apporterez  telle  diligence,  affection  et 
sincérité  que  tous  nosditz  subjectz  puissent  recongnoistre  le  soing  que 
nous  voulons  prendre  de  leur  bien,  repos  et  seuretté,  et  généralle- 
ment  faire,  adviser,  et  ordonner  ce  qui  sera  par  vous  jugé  raison- 
nable, pour  l'efïect  et  exécution  desdictes  présentes,  entreténement, 
et  observation  dudict  édict,  ensemble  desdictz  articles  secretz,  décla- 
rations, brevetz,  et  des  responses  par  nous  faictes  sur  les  cahiers  à 
nous  présentez  parnosdicts  subjectz  delà  religion  prétendue  reffor- 


22  l'ÉDIT    de    NANTES   EN   BOURBONNAIS. 

mée,  suivant  et  conformément  aux  mémoires  et  instructions  que 
nous  vous  en  ferons  bailler,  voulans  voz  jugementz  et  ordonnances 
estre  exécutiez  par  provision  nonobstant  oppositions  ou  appellations 
quelconques,  et  dont  nous  avons  retenu  et  retenons  la  congnoissanoe 
à  nous,  et  à  nostre  conseil,  pour,  partyes  ouyes,  en  estre  ordonné, 
et  icelle  avons  interdicte  et  interdisons,  à  toutes  les  autres  courtz 
et  jurisdictions  quelconqiios,  de  ce  Caire  vous  avons  donné  et  don- 
nons plein  pouvoir,  auctorité,  commission  et  mandement  spécial  ; 
mandons  et  commandons  à  tous  noz  justiciers,  officiers  et  subjectz, 
qu'à  vous,  en  ce  faisant,  ilz  obéissent,  assistent,  prestent  main-forte, 
et  donnent  ayde  es  choses  touchans  et  concernans  l'exécution  de 
ceste  nostre  dicte  conmiission,  et  à  nos  huissiers  et  sergens,  premiers 
sur  ce  requis,  de  faire  pour  l'exécution  de  ces  dictes  présentes,  et  de 
voz  dictz  jugementz  et  ordonnances,  tous  exploictz,  commande- 
mentz,  signiffications,  et  contrainctes  nécessères,  leur  en  ayant 
donné  pouvoir,  parles  mesmes  présentes,  sans  estre  tenus  demander 
aucun  placet,  visa,  ni  pareatur;  car  tel  est  nostre  plaisir.  Donné  à 
Paris,  le  20'=  jour  d'octobre,  l'an  de  grâce  1617,  et  de  nostre  règne, 

le  8*=. 

(Signé)  LOUIS. 

Et  plus  bas  : 

Par  le  roy  :  De  Loménie. 
Et  scellé,  sur  simple  queue,  du  grand  scel  de  cire  jaulne,  aux  armes  du  roy. 

VI"  A  nos  Seigneurs  les  Commissaires  généraux  desputez  par 
Sa  Majesté  pour  l'exécution  des  E dictz  de  pacification. 

(Archives  communales  de  Moulins,  C«  1072.) 

Nos  Seigneurs,  les  habitantz  de  la  ville  et  faulbourgs  de  Moulins 
faisantz  profession  de  la  religion  prétendue  (A)  réformée ,  vous  re- 
monstrent  que,  des  l'année  1()03,  Messieurs  Frère  et  Chandieu,  com- 
missaires desputés  de  Sa  Majesté  ,  pour  l'exécution  de  l'édict  de 
pacification  donné  à  Nantes,  en  faveur  de  ceux  de  la  religion,  ayant 
faict  leur  establisscment  en  la  paroisse  d'Avermc,  et  leur  ayant  mar- 
qué un  cymctièrc  hors  les  fausbourgtz  et  franchise  de  laditte  ville, 
auquel  faute  de  leur  avoir  esté  donné  aultre  place  pour  le  bastiment 

(A)  Note  en  marge  :  en  interligne,  pn'tendu.  Il  est  ordonné  p.ir  nosseigniuns 
les  commissaires  que  le  mot  de  «  prétendu  »  sera  mis.  (Signé)  Taevin  et  Rouvray. 


l'ÉDIT    de   NANTES    EN   BOURBONNAIS.  23 

d'ung  temple^  ainsi  qu'il  avoit  esté  ordonné  par  lesditz  sieurs  com- 
missaires, ilz  avoient  faict  aporter  quelques  matériaux  et  comancé  de 
travailler  audict  bastiment,  pour  l'exercice  de  leur  ditte  religion, 
auquel  s'estantz  opposés  les  maire  et  eschevins,  prétendantz  le  dict 
cymetière  estre  dans  la  franchise  de  laditte  ville,  et,  sur  l'empesche- 
uient,  s'estantz  pourveuz  au  conseil  de  Sa  Majesté,  où  arrest  estant 
intervenu,  le  sieur  lieutenant  général  de  laditte  ville,  auquel  il  estoit 
mandé  par  ledict  arrest  d'ordonner  place  pour  le  bastiment   dudict 
temple  ausditz  supplianlz ,  entre  la  franchise  de  la  ville  de  Moulins 
et  le  clocher  de  laditte  paroisse  d'Averme,  ordonna  la  communica- 
tion dudict  arrest  ausditz  maire  et  eschevins,  avec  lesquelz  il  avoit 
esté  donné  un  lieu,  au  lieu  de  procéder  à  l'exécution  d'iceluy ,  pour, 
par  ce  divertissement  et  eslongnement,  tesmoigner  qu'il  contribuoit 
et  favorisoit,  autant  qu'il  pouvoit,  ledict  empeschement.  C'est  pour- 
quoi lesdictz  de  la  religion,  tenantz  laditte  ordonnance  de  communi- 
cation pour  ung  refus,  et  une  inexécution  dudict  arrest,  se  pour- 
veurent  de  nouveau  au  conseil  de  Sa  Majesté,  auquel  second  arrest 
seroit  intervenu ,  par  lequel  ledict  sieur  lieutenant  général  estant 
blasmé    d'avoir   ordonné    laditte   communication    ausdits  maire  et 
eschevins,  en  conséquence  de  ce  qu'ilz  n'ont  aucune  congnoissance 
et  jurisdiction  hors  la  franchise  et  fausbourg,  lui  estoit  mandé  qu'in- 
continant  et  sans  délay;  toutes  affaires  cessantz,  il  eust  à  mectre  le 
premier  arrest  du  trentiesme  décembre  1614  à  due  et  entière  exécu- 
tion, de  point  en  point,  selon  sa  forme  et  sa  teneur,  et  à  luy  enjoint 
de  faire  plainement  et  paisiblement  jouir  lesdits  de  la  religion  du 
contenu  en  iceluy,  non  obstant  opposition  ou  appellation  quelconque, 
et  sans  préjudice  d'icelles,  à  quoy  n'ayant  voulu  satisfaire  jusques  à 
présent  lesditz  maire  et   eschevins  de  ceste  ville,  bien  qu  ilz  ayent 
esté  desclarés,  en  la  personne  de  leurs  prédécesseurs  en  laditte 
charge,  non  recepvables  opposants   audit  establissement,  ainsi  qu'il 
se  justifie  par  les  arrestz  cy-attachez,  se  jactent  d'empescher  ledict 
establissement,  plus  pour  troubler  et  priver  les  suppliantz  de  la  bien- 
veillance et  bonne  volonté  du  roy  envers  eux,  et  les  frustrer  de  l'es- 
pérance qu'ils  ont  consue  de  vostre  bonne  justice,  que  pour  leur 
intérest  qu'ilz  puissent  prétendre  audict  establissement,  prétendant, 
par  l'inexécution  de  vostre  ditte  commission ,  exposer  les  suppliantz 
aux  injures  et  opprobres  du  peuple,  lequel  jusques  icy,  par  leur 
connivance,  et  faute  de  la  publication  des  édicts  de  pacification,  ilz 


24  l'ÉDIT    de   NANTES   EN   BOURBONNAIS. 

ont  favorisé  en  ses  violentes  entreprises,  bien  que  les  suppliants 
fussent  en  la  garde  desdits  maire  et  eschevins,  par  l'ordonnance  des- 
dicts  sieurs  commissaires  Frère  etChandieu. 

Ce  considéré,  Nos  Seigneurs,  il  vous  plaise  faire  publier  ledict 
Edict  de  pacification  par  les  carrefours  et  places  publiques  de  ceste 
ville  et  fausbourgs,  avec  inibitions  et  deffences ,  sur  peine  de  la  vie, 
d'injurier,  travailler  ni  molester  lesditz  suppliantz  en  l'exercice  de 
leur  religion,  et,  en  oultre,  en  exécutant  vostre  ditte  commission, 
et  sans  avoir  esgard  aux  prétendues  oppositions  desdits  maire  et 
eschevins,  donner  une  maison  ausditz  suppliantz,  aux  termes  de 
leurs  arrestz,  au  bout  dufausbourg  et  franchise,  du  costé  d'Averme, 
le  plus  proche  que  faire  se  pourra,  tant  pour  le  soulagement  des 
enfantz,  femmes  et  vieillards,  que  pour  la  seureté  des  suppliantz, 
lesquels  on  craindra  d'offenser,  pour  la  proximité  des  juges,  soubs 
l'offre  que  lesditz  suppliantz  font  de  la  payer  son  juste  prix,  selon 
l'estimation  qui  sera  faicte  par  expertz  de  l'une  et  de  l'autre  religion, 
et  encore,  qu'il  vous  plaise,  en  conséquance  des  esmotions  qui  se 
sont  faictes,  les  vouloir  mectre  de  nouveau  en  la  protection  de  Sa 
Majesté,  et  en  la  garde  desditz  maire  et  eschevins  et  aultres  officiers 
royaux,  et  leur  ferés  justice.  Férault,  ancien. 

Soit  la  présente  requeste  communiquée,  avec  les  actes  et  pièces  y 
attachez  (1),  aux  maire  et  eschevins  de  la  ville  de  Moulins,  pour, 
leur  responce  vue,  pourvoir  aux  suppliantz,  ainsi  qu'il  advisera.  Faict 
à  Moufins,  ce  13  juing  mil  six  centz  dix-huict. 

(Signé)  Thevin  et  Rouvre. 
Thevyn.     Rouvray. 

VII"  A  Messieurs  les  Maire  et  Eschevins  de  la  mile  de  Moulina. 
(Archives  communales  de  Moulins,  C»  107».) 

Messieurs,  la  royne  mère  a  receu  de  bonne  part  l'advis  que  vous 
lui  avez  faict  donner  par  moy,  et  tesmoignant  sa  bonne  volonté 
envers  votre  ville,  et  le  ressentiment  qu'elle  a  de  l'entreprise  nou- 
velle des  ennemys  de  notre  religion,  au  préjudice  du  respect  qu'ils 

(1)  Ces  pioc.is,  parmi  lesquelles  se  trouvaient  les  deux  arrùts  du  Conseil  favo- 
ral>los  aux  prol.-slants,  nélaienl  déjà  j.lus  dans  lu  dossier  eu  1776,  époque  de 
l'inventaire  drussé  par  les  ordres  du  ministre  iierlin.  l'eul-étro  les  relrouverail- 
on  aux  Archives  de  l'Umpirc. 


l'kDIT    de    NANTES   EN   BOURBONNAIS.  25 

luy  debvoint,  elle  rend  votre  affaire  sienne,  et  veut  empescher  ce 
dangereux  establissement  si  près  de  vous.  A  ceste  fin,  elle  a  en- 
voyé vers- vous  M.  de  ViUeserin,  gentilhomme  de  sa  maison  et  son 
escuyer,  auquel  elle  m'a  commandé  de  faire  compagnie,  avec  lettres 
au  roy  contenantz  toutes  remonstrances  et  considérations  nécessaires 
sur  ce  faict,  afin  qu'il  plaise  à  Sa  Majesté  d'éloigner  de  nous  de  si 
mauvais  voisins.  Aujourd'huy  ledict  sieur  et  moy  sommes  arrivés  en 
ceste  ville,  où  nous  espérons  que  notre  poursuite,  favorable  de  toutes 
partz,  et  en  son  subject,  et  en  la  considération  de  Sa  Majesté,  à  qui 
elle  touche,  sera  suivie  d'une  heureuse  fin.  Pour  le  moins  debvez- 
vous  attendre  toute  sorte  de  diligence,  tant  de  ma  part  que  de  celle 
dudict  sieur  de  Yilleserin,  qui  est  brave  et  fort  advisé  gentilhomme, 
aymant  la  cause  de  Dieu,  et  encore  cognoissant  votre  ville,  pour  y 
avoir  esté  à  la  suite  de  la  feue  royne  Louise.  C'est  de  quoy  j'ay  voulu 
vous  tenir  advertis  par  la  présente,  à  laquelle,  soubs  votre  permis- 
sion, j'ay  joint  quelques  autres  lettres,  estimant  que  vous  n'auriés 
point  désagréable  de  les  recevoir,  pour  les  faire  rendre  à  ceux  à  qui 
elles  s'addressent.  Si  vous  trouvez  à  propos  de  m'escrire,  faictes,  s'il 
vous  plaist,  addresser  de  vos  lettres  en  la  maison  de  Monsieur  le  gé- 
néral Hinselin,  rue  Sainct-André-des-Ars.  Je  demeure.  Messieurs, 
votre  très  humble  et  très  affectionné  serviteur. 

(Signé)  De  Lingendes. 
A  Paris,  ce  lundy  18  juin  1618. 

VIII»  A  Messieurs  les  Maire  et  Eschevins  de  la  ville  de  Moulins. 
(Archives  communales  de  Moulins,  Qa  107*.) 

Messieurs,  votre  affaire  a  esté  mise  en  délibération ,  et  résolue  au 
conseil  du  roy,  où  les  desputés  généraulx  et  syndics  de  la  religion 
prétendue  réformée  ont  faict  toute  sorte  d'effortz  pour  l'anthérinement 
de  la  requeste  présentée  à  Messieurs  les  commissaires  estant  sur  les 
lieux;  mais  le  respect  et  la  considération  de  la  royne  mère  a  obtenu, 
en  ce  malheur  nécessaire,  ce  qui  nous  eût  esté  autrement  desnié.  Il 
avoit  esté  jugé  par  un  arrest  du  Conseil,  donné  en  l'année  mil  six 
cens  quatorze,  sur  ce  qui  estoit  à  exécuter  de  l'Edit  de  Nantes  en  la 
séneschaussée  de  Bourbonnois,  et  sur  les  procès  verbaux  et  advis  de 
Messieurs  les  maistres  de  requestes  ausquels  la  commission  en  avoit 


26  LETTRE    INÉDITE    DE    CHARLES    DRELINCOURT. 

esté  cy-devant  donnée,  que  lesdicts  de  la  religion  auroint  leur 
presche  en  la  paroisse  de  Verrae  (1),  ce  qui,  sans  double,  eust  esté 
maintenant  confirmé,  et  ordonné  que  lieu  leur  seroit  donné  par  Mes- 
sieurs les  commissaires  Thévin  et  de  Rouvray  dans  la  dite  paroisse, 
pour  y  construire  leur  temple;  néantmoins  l'intervention  de  ladite 
dame  royne  a  esté  de  tel  poidz  auprès  du  roy  que  pour  son  con- 
tentement ,  Sa  Majesté  a  voulu  que  lesdits  de  la  religion  soient 
establis  ailleurs  que  en  ladite  paroisse,  et  en  distance  plus  esloignée 
de  la  ville.  Sur  cela ,  Monsieur  de  Seaux  a  faict  response  de  la  part 
du  roy  à  Monsieur  Thévin,  par  le  courrier  qu'il  avoit  envoyé,  par 
laquelle  vous  apprendrés  ce  qui  a  esté  résolu  au  moindre  dommage 
de  la  ville,  et  en  la  considération  de  la  reyne,  à  laquelle  mesme  il 
avoit  esté  advisé  de  laisser  la  nomination  du  lieu,  afin  que,  sur  l'advis 
qui  luy  seroit  donné,  elle  feit  choix  de  celuy  qni  seroit  moins  incom- 
mode et  scandaleux  à  la  ville.  J'eusse  bien  désiré  accompagner  la- 
dite response,  mais  je  ne  m'en  puis  aller  sans  celle  que  Sa  Majesté 
veut  faire  à  la  reyne  sa  mère,  de  laquelle  je  suis  commandé  à  rece- 
voir les  commandements,  avant  que  me  retirer  auprès  de  vous. 
Messieurs.  Monsieur  de  Yilleserin,  en  la  compagnie  de  qui  je  suis 
venu  icy,  est  tombé  malade,  qui  est  la  cause  de  la  retardation  de 
mon  retour,  parce  qu'il  n'a  peu  retirer  la  dépesche  du  roy. 

Aussi  tost  que  je  l'auray,  je  ne  failliray  d'aller  retrouver  la  Reyne 
mère,  pour  recevoir  les  commandements  qu'elle  me  voudra  faire,  et 
de  vous  revoir.  Cependant  je  demeure.  Messieurs,  vostre  très  humble 
et  très  affectionné  serviteur.  De  Lingendes. 

A  Pans,  le  2'*  juin  1618. 


LETTRE  INEDITE  DE  CHARLES  DRELINCOURT 

A    LA   UUOUESSE   DE   LA   TRÉMOUILLE. 
1625. 

M.  P.  Marchegay  nous  a  coinrauniqut'^  la  lettre  qu'on  va  lire,  d'après 
original  roiiservé  dans  les  arcliivus  de  Thouars. 

(1)  Averine. 


LETTRES   DE    CONSOLATION.  27 

A  Madame  de  la  Trémoille. 

Madame,  vostre  bonté,  qui  a  agréé  ce  que  je  luy  ay  cy-devant  pré- 
senté, me  donne  la  hardiesse  de  faire  passer  la  mer  à  ces  Méditations, 
que  la  calamité  du  temps  et  les  prières  de  mes  amys  ont  arrachées  de 
mon  estude.  S'il  y  a  chose  qui  vous  contente,  j'auray  sujet  d'en 
louer  Dieu;  car  il  seroit  malaisé  de  satisfaire  à  vostre  esprit  sans  don- 
ner aux  autres  sujet  de  se  contenter;  sinon  au  moins  vous  supporte- 
rés  mes  efforts  et  me  continuerés.  Madame,  l'honneur  de  vos  bonnes 
grâces,  que  je  répute  à  bénédiction. 

Je  suis  très  aise  que  M.  Naudin  ayt  fait  choiz  de  ce  porteur  pour 
vous  l'adresser,  car  je  le  congnois  depuis  plusieurs  années,  et  l'ay 
veu  chez  M.  Du  Moulin.  Il  est  fidèle  et  affectionné  à  la  religion,  et, 
autant  que  j'en  puis  juger,  a  bien  apris  les  fonctions  de  son  art  et  les 
pratique  assés  heureusement.  Je  m'asseure  qu'il  vous  servira  avec 
affection  et  espèiC  que  vous  en  aurés  contentement.  Encore  qu'il 
n'ayt  point  de  besoin  de  ma  recommandation,  je  n'ay  laissé  de  luy  re- 
commander très  particulièrement  vostre  personne,  car  je  say,  Ma- 
dame, combien  vous  estes  utile  au  public  et  à  vostre  très  illustre 
famille,  pour  laquelle  je  prie  Dieu  continuellement,  et  pour  vous 
particulièrement.  Madame,  comme  estant  vostre  très  humble  et  très 

obéissant  serviteur. 

Drelincourt, 
De  Paris,  ce  6  septembre  1625. 


LEHRES  APPORTÉES  AVEC  LE  CORPS  DE  RI.  DE  SMHCT  HERMINE 

ESCRITES  A  MONSIEUR  ET  MADAJVIE  DE  LA  TABARIÈRE. 
1639-1630. 

VII.  Lettre  de  Monsieur  Daillé,  pasteur  en  V Eglise  de  Paris, 
escritte  à  Madame  de  la  Tabarière. 

Madame, 
J'ay  leu  avec  une  extrême  émotion  les  lignes  que  vous  m'avez  fait 
escrire  par  Mademoiselle  vostre  fille;  me  figurant  bien  Testât  où  cet 
espouvantable  coup  vous  aura  mise,  et  en  concevant  encore  plus 


28  LETTRES   DE   CONSOLATION. 

qu'elles  n'en  expriment^,  bien  qu'elles  en  expriment  beaucoup.  Car 
je  sçay.  Madame,  quelle  mère  vous  estes,  et  quel  estoit  le  fils 
que  vous  pleurez.  Je  regrette  infiniment  de  n'avoir  peu  en  un  tel 
désastre  vous  mieux  rendre  mes  devoirs.  Mais  la  part  que  j'avoisen 
vostre  perte  m'en  avoit  rendu  incapable,  ayant  moy-mesme  (Dieu  le 
sçait)  grand  besoin  de  consolation.  Prenez  donc  s'il  vousplaist,  pour 
acquit  de  mon  devoir  l'ennuy  que  nous  recevons  du  vostre,  et  la 
compassion  extrême  que  nous  avons  de  vos  maux.  C'est  un  coup  du 
ciel.  Madame,  contre  lequel  il  n'y  a  point  de  remède  ailleurs  qu'au 
ciel.  Ce  mesme  Dieu  qui  a  fait  la  playe  prendra  le  soin  de  la  traitter, 
et,  comme  je  l'espère  et  l'en  prie,  de  la  guérir.  Je  prends  pour  un 
arrhe  de  sa  cure,  ce  qu'au  milieu  de  cet  efïroy,  il  a  tellement  conduit 
vostre  cœur,  que  vous  vous  estes  sousmise  à  sa  verge  sans  regimber 
à  rencontre,  adorant  la  main  qui  vous  a  accablée  comme  d'un  coup 
de  foudre.  C'est  à  la  seule  inspiration  de  son  esprit  que  j'attribue 
cette  saincte  recognoissance,  que  vous  faites  à  sa  grâce  de  tout  ce 
que  vous  avez  possédé,  et  de  tout  ce  qui  vous  en  reste  ;  comme  aussi 
l'ardent  désir  que  vous  avez  de  sa  délivrance,  et  le  don  que  vous  luy 
demandez  de  sa  patience.  Je  sçay  avec  quelle  l'oy  et  de  quel  zèle  vous 
l'en  suppliez,  et  m'asseure  (ju'il  vous  en  exaucera  selon  sa  véritable 
promesse.  Seulement,  Madame,  vous  faut-il  prendre  garde  de  ne  luy 
rien  prescrire,  mais  attendre  tout  de  sa  bonté,  quand,  et  où  sa  sagesse 
l'aura  ordonné,  vous  souvenant  qu'il  a  les  saisons  en  sa  main,  et  qu'il 
sçait  seul  quel  est  le  temps  opportun.  Au  fort  nos  peines  ne  peuvent 
estre  longues,  puisque  cette  vie,  qui  en  est  le  siège,  est  si  courte.  . 
Le  tout  est  que  nous  la  mesnagions  à  la  gloire  de  celuy  qui  la  nous  a 
donnée,  et  qui  par  elle  nous  conduit  à  l'éternité.  Pensez,  Madame, 
que  s'il  vous  a  osté  un  fils,  il  vous  a  donné  le  sien  unique,  et  en  luy 
s'est  donné  soy-mesme  à  vous.  Pensez  que  celuy-là  mesme  que  nous 
pleurons  ne  nous  a  pas  esté  osté  à  vray  dire,  puisque  nous  l'avons  et 
le  possédons  encore  ;  voire  tout  entier  malgré  cette  fière  mort  qui  l'a 
divisé  en  deux  parties.  Car  son  esprit  est  nostre  tlirésor,  vivant  glo- 
rieux dans  le  ciel  ;  et  ce  triste  corps  (jui  nous  en  demeure,  et  que 
nous  avons  icy  baigné  de  nos  larmes  pour  nostre  dernier  devou-,  est 
en  la  main  de  la  Providence  divine,  vivant  à  Dieu,  qui  le  ressuscitera 
asseurément  un  jour,  bien  que  mort  pour  nous.  Or,  Madame,  je  le 
prie  do  tout  mou  cœur  qu'il  vous  remette  et  grave  profondément  en 
lAuie  ces  sain.-tcs  considriations  et  autres  semblables,  alin  que  par 


LETTRES    DE   CONSOLATION,  29 

icelles  vous  trouviez  consolation,  et  preniez  la  résolution  de  vivre 
doucement  en  attendant  sa  volonté,  à  sa  gloire,  et  à  vostre  consola- 
tion. C'est,  Madame, 

Vostre  très  humble  et  très  obéyssant  serviteur.  Daillé. 

De  Paris,  ce  17  novembre  1629. 

VIII.  Lettre  de  Monsieur  de  BeoMlieu  le  Blanc,  pasteur  à  Sedan, 
escrite  à  Madame  de  la  Tobarière. 

Madame, 
J'ay  receu  celle  dont  il  vous  a  pieu  m'honorer,  en  laquelle  j'ay  eu 
sujet  de  louer  Dieu  voyant  la  grâce  qu'il  vous  fait  de  vous  conformer 
en  cette  tant  dure  et  fascheuse  espreuve  à  sa  saincte  volonté.  Ce 
sont  de  bons  signes  de  miséricorde  quand  il  garde  nos  lèvres  demur- 
nmrer,  et  nos  esprits  d'attribuer  choses  mal  convenables  à  sa  Ma- 
jesté, surtout  lorsque  cette  bonne  crainte  qu'il  nous  donne  se  trouve 
accompagnée  d'espérance  et  de  foy.  Car  c'est  par  là  que  son  nom  est 
glorifié,  et  par  là  que  nous  est  ouvert  le  chemin  à  la  gloire  promise 
à  ses  enfants.  C'est  pourquoy  il  me  semble,  Madame,  que  Dieu  vous 
présente  mesme  en  ce  calice  amer,  juste  matière  de  consolation  et 
d'action  de  grâces,  en  ce  que  par  ce  chastiment  il  s'est  approché  de 
vous  afin  de  vous  faire  approcher  de  luy,  et  qu'il  ne  vous  a  osté  ce 
que  vous  aymiez  que  pour  avoir  occasion  de  vous  monstrer  qu'il  vous 
aymoit,  et  pour  vous  faire  chercher  vostre  contentement  non  plus  es 
choses  de  ce  monde  qui  passe;  mais  en  celuy  qui  peut  remplir  nos 
àraes  d'un  soûlas  éternel.  Car  nous  ne  pouvons  cognoistre  que  c'est 
d'estre  aymez  de  Dieu,  cependant  que  nos  allèctions  se  traînent  par 
la  terre  ;  qu'un  fils,  qu'une  maison,  un  héritage  mondain  arrestent 
nos  pensées  et  nos  désirs  icy,  de  sorte  qu'il  est  bon  quelquefois  de 
nous  voir  privez  de  ces  choses,  et  Dieu,  comme  bon  Père  nous  les 
oste  souvent,  pour  ce  qu'il  a  soin  de  nostre  salut,  et  y  pense  plus  que 
nous  ne  faisons  pour  nous-mesmes,  ce  que  l'issue  des  afflictions  dé- 
monstre tousjours  en  ceux  qui  le  révèrent,  estant  hors  de  doute  que 
le  fruict  de  la  discipline  du  Seigneur  est  justice  et  paix  pour  ceux  qui 
la  reçoivent  en  obéyssance,  et  qui  par  là  sont  rendus  ad  visez  pour  che- 
miner soigneusement  en  toutes  ses  voyes;  et  je  ne  voy  point  de  rai- 
son pourquoy,  estrangers  que  nous  sommes  en  la  terre,  nous  prenons 
si  fort  à  cœur  les  choses  qui  nous  y  arrivent,  veu  que  nous  ne  faisons 


30  LETTRES    DE   CONSOLATION. 

qu'y  passer  non  plus  qu'en  une  hostellerie,  et  que  nous  cherchons 
nostre  pays  ailleurs.  Car  nous  n'ignorons  pas  que  Dieu  a  préparé  une 
habitation  éternelle  au  ciel  pour  ses  enfants;  que  là  ont  esté  recueil- 
lis tous  ceux  qui  nous  ont  précédez  en  la  foy;  que  là  est  nostre  vray 
parentage  vers  lequel  il  nous  faut  rassembler;  là  aussi  comme  les 
ainitiez  et  les  affections,  de  mesme  les  joyes  et  les  consolations  y 
sont  parfaites  sans  que  rien  les  puisse  troubler.  Pour  vous  dire 
que  Dieu  nous  veut  rendre  cent  fois  plus  de  plaisir  au  ciel  qu'il  ne 
nous  oste  de  contentement  en  la  terre  :  que  dis-je  cent  fois,  ainsi 
le  seul  tesmoignage  de  sa  grâce  nous  vaut  cent  fois  autant  dès  cette 
vie.  Que  sera-ce  donc  quand  nous  puiserons  tout  à  plein  dans  les 
fleuves  de  ses  délices,  et  que  son  amour  aura  monstre  sa  force,  et 
produit  tous  ses  fruicts  en  la  vie  céleste  et  immortelle?  Certes,  ce 
sont  choses  qui  passent  tout  entendement.  Or,  c'est  là,  Madame,  où 
il  nous  faut  chercher  l'adoucissement  de  nos  douleurs,  et  bien  heu- 
reux sommes-nous  si  nous  le  savons  faire,  et  si,  en  dédaignant  les 
choses  d'en  bas,  nous  tendons  en  haut  par  tempérance  et  par  charité, 
ne  craignons  point  que  le  mal  nous  advienne.  Sousmettons-nous 
seulement  à  la  volonté  du  Seigneur,  et  nous  laissons  conduire  à  sa 
providence,  en  attendant  l'heure  qu'il  a  ordonnée  pour  nostre  déli- 
vrance, laquelle  nous  ne  pouvons  advancer  d'un  moment  par  nos 
désirs  précipitez.  Il  est  bon.  Madame,  de  souhaiter  la  mort  pour  estre 
avec  Christ,  mais  si  nous  le  faisons  par  impatience,  et  comme  fas- 
chez  de  vivre  plus  longtemps,  c'est  ce  que  Dieu  n'approuve  pas,  et 
n'y  a  rien  en  cela  qui  puisse  ayder  au  repos  de  nos  âmes  :  que  si 
appréhendans  sa  colère  nous  nous  humilions  sous  sa  main  puissante, 
et  nous  rangeons  doucement  à  sa  volonté,  c'est  le  moyen  asseuré 
d'expérimenter  sa  laveur  en  laquelle  gist  la  vie  et  la  félicité.  Et  en 
cest  endroit  je  clorray  la  présente,  vous  baisant  les  mains  en  toute 
humilité  et  à  Monsieur  aussi  sous  vostre  permission,  priant  Dieu  de 
tout  mon  cœur  qu'il  lui  plaise  fortifier  vostre  foy  et  restaurer  vostre 
esprit  |)ar  les  douces  consolations  de  sa  Parole,  qui  vous  renouvelle 
à  inuiiortalité.  C'est  le  souvenir  de  celuy  qui  compatit  à  vostre  dou- 
leur, et  qui  vous  sera  toute  sa  vie.  Madame, 

Très  humbles  et  aflectionné  serviteur.  Le  Blanc. 

A  Sedan,  le  12  décembre  1629. 


LETTRES    DE    CONSOLATION.  31 

IX.  Lettre  de  Monsieur  Mestreza,  pasteur  en  l'Eglise  de  Paris, 
escrite  à  Madame  de  la  Tabarière. 

Madame. 
Si  je  n'eusse  creu  que  comme  M.  Daillé  nous  a  fait  parfois  sçavoir 
la  souvenance  que  vous  avez  de  nous,  aussi  il  vous  tesmoigneroit 
combien  nous  prenions  de  part  à  vostre  affliction,  et  combien  nous 
nous  sentions  obligez  à  prier  Dieu  pour  vostre  consolation,  je  me 
fusse  donné  l'honneur  de  vous  en  donner  mes  particuliers  tesmoi- 
gnages  :  d'autant  plus  que  je  tiens  vostre  affliction  estre  publique  à 
nos  Eglises,  ausquelles  Monsieur  vostre  fils,  par  ses  rares  vertus, 
promettoit  une  édification  singulière.  Une  plante  si  excellente,  qui 
promettoit  de  grands  fruicts  laisse  à  bon  droict  de  grands  regrets, 
desquelles  toutesfois  vous  avez  cet   adoucissement  qu'elle  a  esté 
transplantée  au  ciel,  et  a  esté  ostée  du  terroir  de  ce  siècle  qui  ne  la 
méritoit  pas.  Cette  mort  a  renouvelle  les  regrets  qu'avoit  apportés  à 
vostre  maison,  et  à  tous  les  gens  de  bien,  celle  de  feu  Monsieur  de 
Bauve  vostre  frère,  que  Dieu  prit  en  un  temps  auquel  et  son  bon  na- 
turel, et  Texcellente  éducation  qu'il  avoit  eue  remplissoit  nos  esprits 
de  grandes  espérances  :  et  nous  a  fait  juger  que  Dieu  ayant  remply 
vostre  maison  des  grâces  de  son  esprit  et  d'une  singulière  piété,  la 
vouloit  aussi  à  proportion  rendre  exemple  de  ses  grandes  espreuves. 
Il  y  a  cette  différence  et  ce  sujet  de  consolation,  qu'il  vous  reste  un 
puisné,  auquel  Dieu  fera  revivre  par  sa  grâce  les  vertus  de  l'aisné, 
qui  est  la  prière  que  je  luy  fais  de  tout  mon  cœur,  et  qu'il  espande 
sur  toute  vostre  lignée  ses  plus  rares  bénédictions,  en  rémunération 
de  l'obéyssance  que  je  sçay  que  vous  luy  rendez  en  cette  occasion, 
héritière  que  vous  estes  des  vertus  et  de  la  constance  de  feu  Monsieur 
vostre  père,  la  sagesse  duquel  demeure  en  l'Eglise  de  Dieu  par  des 
monumens  qui  ne  périront  jamais,  et  des  enseignemens  qui  vous  seront 
d'autant  plus  effîcacieux  qu'ils  vous  sont  domestiques.  J'y  joins  mes 
prières  à  Dieu  à  ce  qu'il  vous  augmente  les  forces  de  son  Esprit,  pour 
vous  rendre  plus  que  victorieuse  selon  ses  promesses,  et  vous  main- 
tierme  Monsieur  vostre  mary  en  santé  pour  sa  gloire  et  vostre  conso- 
lation, désirant  les  occasions  de  vous  tesmoigner  que  je  suis.  Madame, 
Vostre  très  humble  et  très  obéyssant  serviteur.  Mestrezat. 

De  Paris,  ce  15  décembre  1629. 


32  LElTKElJ    DE    C0>S0LAT10N. 

X.  Lettre  de  Monsieur  Daillé,  pasteur  en  l' Eglise  de  Paris, 
escritte  à  Madame  de  la  Tabarière. 

Madame, 
Je  vous  remercie  très  humblement  de  la  lettre  dont  vous  m'avez 
honoré,  qui  m'a  esté  en  très  grande  consolation,  ayant  appris  par 
icelle  vostre  saincte  et  vrayement  chrétienne  résolution  de  vous  rési- 
gner entre  les  mains  de  Dieu,  pour  dépendre  uniquement  de  sa  vo- 
lonté en  cette  épreuve  si  rude.  Car,  quant  à  ces  vifs  et  violens  res- 
sentimens,  que  vous  y  tesmoignez  de  vostre  affliction,  je  ne  les 
trouve  ny  estranges,  ny  injustes;  et,  s'il  y  a  quelques  excez  en  eux 
(comme  il  est  mal-aysé  que  nos  passions  ne  soient  toujours  meslées 
de  quelque  chose  d'humain),  je  suis  asseuré  que  nostre  Seigneur 
couvrant  ce  défaut  par  sa  miséricorde,  et  vous  regardant  en  ce  Fils 
bien-aymé  auquel  vous  vivez,  et  habitez  par  foy,  tirera  peu  à  peu 
vostre  âme  de  cet  abisme  d'ennuy,  où  elle  se  voit  maintenant  plon- 
gée, et  luy  adjoustera  par  son  Esprit  ce  qui  luy  peut  manquer  de 
forces  pour  la  former  à  cette  admirable  patience,  qu'il  requiert  de 
ses  enfants,  et  qu'il  appelle  leur  perfection  divine,  comme  elle  Test 
en  efTect.  Je  prens  pour  une  arrhe  certaine  de  ceste  sienne  assistance 
la  grâce,  qu'il  vous  a  desjà  faite  de  remarquer  en  la  confusion  d'une 
si  espesse  nuict  les  rayons  de  sa  bonté,  en  cequ'il  ameury  Monsieur 
vostre  fils  avant  que  de  le  cueillir,  et  premier  que  de  le  vous  oster 
vous  a  préparée  à  cette  perte,  tant  par  une  autre  playe,  que  vous 
receustes  en  cette  ville,  que  par  les  secrets  instincts  qui  vous  fai- 
soient  appréhender  ce  funeste  coup,  longtemps  avant  qu'il  arrivast. 
Certes,  Madame,  Dieu  vous  a  donné  en  l'un  et  en  l'autre,  un  très 
évident  tesmoignage  de  son  amour  pour  lui;  et,  bénit  soit-il,  de  ce 
qu'au  milieu  de  vostre  dueil,il  vous  a  ouvert  les  yeux  pour  l'apperce- 
voir,  et  vous  a  inspiré  sur  ce  sujet  les  excellentes  pensées  que  vous  me 
faites  lu  faveur  de  me  représenter  en  vostre  lettre.  Remuez-les  sans 
cesse  en  vostre  cœur,  non  pour  en  aigrirou  envenimer  vostre  mal,  mais 
pour  l'adoucir  et  le  consoler.  Car,  en  effect,  n'avons-nous  pas  un 
grand  sujet  de  louer  Dieu  de  tant  de  grâces,  qu'il  avoit  si  miséricordieu- 
sement  cspandues  en  celuy  que  nous  pleurons,  luy  ayant  donné  de 
parfouriiir  hcurcusiMnent  en  moins  de  vingt-cinq  ans  une  vie  très  ac- 
complie'.' a  laquelle  ne  iiiaïuiuoit  aucune  des  parties,  (jue  les  aages  les 


LETTKES    DE    CONSOLATION.  33 

plus  longs  peuvent  acquérir  aux  hommes^  eu  laquelle  nous  avons 
veu  fleurir  ensemble  contre  l'ordinaire  cours  de  nature,  le  sens  et  la 
sagesse  de  la  vieillesse  avec  l'ardeur  et  la  vivacité  de  la  jeunesse,  le 
printemps  miraculeusement  confondu  avec  l'automne?  en  laquelle 
nous  avons  veu  mariées  ensemble  les  perfections  du  monde,  et  celles 
de  l'Eglise  ?  briller  et  reluire  conjointement  les  lumières  du  ciel,  et  les 
joyaux  de  la  terre?  L'avoir  veu,  l'avoir  eu  tel  l'espace  de  sept  à  huict 
ans,  est  beaucoup  plus  que  si  nous  l'eussions  eu  autre  des  siècles  tous 
entiers.  Car,  où  est  celuy  qui  n'aymast  mieux  voir  quelque  beau,  et 
excellent  diamant,  une  heure  seulement,  que  de  voir  des  cailloux 
des  années  entières,  puisque  l'une  de  ces  vues,  bien  que  courte,  ap- 
porte beaucoup  de  plaisir;  au  lieu  que  l'autre,  avec  toute  sa  lon- 
gueur, cause  plus  d'ennuy  que  de  récréation?  Et  qui  n'aymeroit 
mieux  encore  posséder  peu  d'années,  un  bon  arbre  toujours  chargé 
de  fruicts  en  sa  saison,  que  d'avoir  plusieurs  années  son  plein  jardin 
de  plantes  stériles  et  inutiles,  qui,  au  lieu  de  donner  du  fruict,  ne 
font  qu'empescher  la  terre?  C'est  la  valeur,  et  non  la  durée  des 
choses,  qui  en   fait  estimer  la  possession.  Pensez  donc  (Madame) 
quel  estoit  ce  que  Dieu  vous  a  donné,  et  non  pour  combien  de  temps 
il  vous  l'a  donné;  pesez-en  le  mérite,  et  n'en  comptez  pas  les  ans. 
Regardez  de  combien  vous  estes  plus  heureuse,  que  tant  de  mères,  de 
toutes  qualitez,  qui  ne  tirent  autre  fruict  de  la  conservation  de  leurs 
enfants,  que  le  regret  de  voir  vieillir  des  bestes  en  leurs  maisons, 
ou  lourdes  et  désagréables,  ou  qui  pis  est,  fières  et  sauvages.  Ces- 
toit,  à  la  vérité,  une  chose  très  souhaitable,  qu'une  si  bonne  et  si 
excellente  plante  n'eust  point  esté  si  tost  arrachée.  Mais  outre  que 
c'est  comme  le  destin  ordinaire  des  belles  et  rares  cboses  de  durer 
peu  en  la  terre,  qui  sçait.  Madame,  si  ce  grand  Dieu  qui  l'avoit 
plantée,  et  cultivée,  et  fait  croistre  avec  tant  de  soin  et  de  bonté, 
ne  l'a  point  ostée  d'icy,  de  peur  qu'y  demeurant  plus  longtemps, 
elle  y  perdist  quelque  chose  de  cette  exquise  et  singulière  constitu- 
tion que  nous  admirions  en  elle  ?  Ayant  accomply  ce  chef-d'œuvre 
avec  tant  d'art  et  de  perfection,  qui  sçait  s'il  ne  l'a  point  tout  exprès 
retiré  de  ces  bas  lieux,  de  peur  que  la  rouille,  qui  y  est  si  or- 
dinaire, ne  le  gastast  en  quelque  sorte?  Combien  en  voyons-nous 
tous  les  jours,  qui  eussent  esté  plus  heureux,  s'ils  eussent  moins 
vescu?  Mais,  quelle  que  puisse  estre  la  raison  qui  a  meu  cette  très 
saincte   et  souveraine  sagesse  à    en  disposer  ainsi,  c'est  à  nous. 


34  LETTRES    DE    CONSOLATION. 

Madame,  à  Tadorer  humblement  comme  vous  faites,  et  prendre 
cette  confiance  qu'elle  sçaura  bien  adresser  cet  événement,  quelque 
fâcheux  et  funeste  qu'il  nous  semble,  non-seulement  à  sa  gloire,  mais 
aussi  à  nostre  salut,  voire  mesme  à  nostre  consolation  et  joie,  selon 
cette  infinie  puissance  dont  elle  est  accompagnée,  qui  des  ténèbres 
tire  la  lumière,  et  nous  fait  cueillir,  quand  elle  veut,  de  l'espine  le 
raisin,  et  du  fort  la  douceur,  comme  disoit  l'énigme  de  Samson. 
Vostre  piété  et  sanctification  estoit  desjà  (je  l'advoue)  parvenue  à  un 
tel  poinct,  qu'il  ne  semble  pas  qu'elle  eust  besoin  d'une  si  rude  et  si 
sanglante  discipline.  Mais,  comme  elle  fait  son  profit  de  tout,  quel 
desgout  de  la  terre  et  quel  mépris  du  monde  n'en  tirera-t-elle  point? 
Comment  s'eslèvera  vostre  âme  tout  entière  vers  le  ciel,  voyant  que 
le  meilleur  et  le  plus  doux  de  ce  que  nous  possédons  icy-bas,  est  si 
mal  asseuré?  De  quelle  ardeur,  et  avec  quels  élans  se  jette-t-elle  desjà 
entre  les  bras  du  Seigneur  Jésus,  pour  y  trouver  la  consolation  et  le 
secours,  que  partout  ailleurs  elle  chercheroit  en  vain  !  Je  le  voy,  si 
je  ne  suis  bien  trompé.  Madame,  qui  se  communique  à  vous  plus  in- 
timement en  cette  occasion,  que  jamais  il  ne  fit  en  aucune  autre;  qui 
se  mesle  dans  le  secret  de  vos  pleurs  et  de  vos  soupirs,  et  flatant 
doucement  vostre  playe  avec  sa  bénite  main  y  verse  peu  à  peu  son 
baume,  espandant  son  amour  en  vostre  cœur  par  le  Saint-Esprit,  qui 
vous  a  esté  donné,  et  qu'il  vous  redoublera  sans  point  de  doute  en  ce 
besoin.  Laissez-vous  conduire  en  sa  Providence;  ne  prévenez  point, 
par  d'inutiles  souhaits,  les  temps  et  les  saisons  qu'il  a  réservez 
à  sa  propre  disposition.  Souvenez-vous  que  durant  tout  le  cours  de 
vostre  vie,  il  a  eu  un  soin  très  particulier  de  vous  et  des  vostres, 
vous  mesurant  si  justement,  et  si  miséricordieusement  ses  assistances, 
et  ses  bénéfices,  que  je  vous  en  ay  veue  quelquesfois  ravie  en  admi- 
ration. Il  a  toujours  ce  mesme  cœur,  et  cette  mesme  main,  qui  vous 
ayant  formée  en  nature,  et  reformée  en  sa  grâce  par  sa  Parole  et  son 
Esprit,  vous  a  conservée  jusques  à  ce  jour  au  milieu  de  tant  de  dan- 
gers et  de  tentations.  Il  ne  vous  quittera  point  qu'il  ne  vous  ait  mise 
en  la  pleine  possession  de  son  royaume  ;  qu'il  ne  vous  y  ait  rendu 
avec  usure  tout  ce  (lu'il  vous  a  osté  en  cette  vie.  Si  quelques  années 
plus  test,  ou  plus  tard,  il  vous  importe  de  très  peu,  puis(|ue  toutes 
nos  années  ne  sont  qu'un  point  au  prix  de  l'étornitc  que  nous  atten- 
dons après  ce  siècle.  Vous  n'aurez  nul  advantage,  ny  désadvantage, 
soit  pour  estrc  advancée,  soit  pour  estre  reculée  d'un  domy-point, 


LETTRES    DE   CONSOLATION.  35 

et  encore  moins.  Mais  ce  petit  instant  qui  ne  vous  advanceroit  de 
rien,  retarderoit  de  beaucoup  vos  autres  fruicts,  à  la  perfection  et 
nieureté  desquels  il  peut  et  doit  grandement  servir,  estant  bien  em- 
ployé icy-bas.  C'est,  Madame,  ce  qui  me  fait  persister  à  vous  supplier 
très  humblement  d'imiter  la  patience  de  Monsieur  vostre  père,  plus- 
tost  que  de  souhaiter  la  délivrance  de  Madame  vostre  mère.  Vous  me 
faites  au  reste  trop  d'honneur  de  vouloir  employer  ma  main  au  tra- 
vail de  ce  tombeau^  que  vous  préparez  aux  tristes  et  chères  reliques 
de  feu  Monsieur  vostre  fils.  Il  mérite  un  meilleur  burin  que  le  mien, 
peu  stilé  en  tels  ouvrages.  Néantmoins,  Madame,  je  feray  ce  qu'il 
vous  plaira,  et  vous  supplie  si  vous  persistez  à  requérir  cette  obéys- 
sance  de  moy,  de  commander  à  Monsieur  Monceaux,  qu'il  m'envoye 
en  un  billet  le  jour  et  l'occasion  précise  de  ce  funeste  accident.  Dieu 
vueille  bénir  le  fils  qu'il  vous  a  laissé,  et  le  conserver  longuement, 
avec  mes  Damoiselles  ses  sœurs,  et  vous  continuer  en  eux  tous  cette 
riche  et  abondante  matière  de  consolation,  qu'il  vous  y  donne  par 
les  grâces  singulières  dont  il  les  a  douez.  Je  vous  baise  très  humble- 
ment les  mains,  et  suis  à  jamais,  Madame, 

Vostre  très  humble,  et  très  obéyssant  serviteur,  Daillé. 

De  Paris,  16  décembre  1629. 

XI.  Lettre  de  Monsiew^  de  Velhieux  ministre  du  saint  Evangile, 
escritte  à  Madame  de  la  Tahariere. 

Madame, 
J'ay  esprouvé  en  vostre  sujet,  combien  sont  agréables  à  Dieu,  et 
rémunérées  de  lui  les  compassions  spirituelles  :  car,  comme  vostre 
perte  temporelle  a  esté  le  plus  grand  ennuy  que  j'aye  oncque  senty; 
ainsi  la  consolation  que  vous  recevez  en  l'esprit,  et  me  tesmoignez 
par  vostre  lettre,  est  une  des  plus  vives  joyes  que  je  peusse  recevoir. 
L'âme  de  Monsieur  vostre  fils  vrayement  bienheureuse,  en  montant 
au  ciel,  y  a  tiré  quand  et  soy  vostre  esprit  (ou  pour  mieux  dire)  l'Es- 
prit du  Seigneur,  en  recevant  de  vostre  maison  et  de  vostre  sainct  et 
sacré  troupeau  cette  agréable  offrande,  a  voulu  vous  faire  partici- 
pante de  la  joye  et  de  la  satisfaction  qu'il  a  pour  vous  à  cause  de 
nostre  Seigneur.  Or,  certes  ce  seroit  chose  bien  étrange,  que  les  ac- 
tions de  celuy  dont  procède  nostre  grand  bien  et  nostre  salut  ines- 
péré, ne  nous  fussent  à  grande  consolation;  et  que  nous  prissions 


36  LEXTKES    DE    CONSOLATION. 

rostre  contentement  d'ailleurs  que  de  là  où  nous  recognoissons  estre 
toute  Sagesse,  Justice,  Puissance  et  Bonté  :  Qui  n'est  point  content 
et  heureux  en  luy,  est  réellement  malheureux  et  maudit,  comme 
nous  atteste  le  Seigneur  par  sa  bouche  touchant  ceux  qui  sont  conso- 
lez, et  riches  en  ce  monde  et  non  point   en  luy.  Je  ne  nye  pas  qu'il 
n'y  aye  beaucoup  de  difficulté  à  se  ranger  dans  ce  devoir,  qui  n'est 
autre  chose  que  ne  point  croire,  et  ne  point  tenir  ce  que  nous  voyons, 
et  ce  que  nous  manions,  et  croire  et  nous  asseurer  sur  ce  que  nous 
ne  voyons  ny  ne  tenons.  Mais  vous  m'advouerez  que  toutes  les  choses 
excellentes  sont  aussi  fort  difficiles,  et  cette  difficulté  est  en  nostre 
sens  charnel,  et  non  point  eu  esgard  au  surplus  de  la  cognoissance 
salutaire  que  Dieu  a  imprimée  en  nos  cœurs.  La  principale  difficulté 
est  d'accorder  comment  Dieu  nous  veut  donner  contentement  en  luy, 
et  si  grande  détresse  es  nostres.  Mais  le  principal  poinct  de  nostre 
doctrine  est,  que  Dieu  nous  a  acquis  salut  par  la  croix  de  son  Fils,  et 
par  l'abolition  de  la  nature  en  son  chef  et  Prince.  Le  salut  ne  nous 
estant  manifesté  que  par  la  croix,  ne  nous  peut  cstre  appliqué  qu'a- 
vec la  tribulation  :  mais  conmie  la  vie  nouvelle  et  la  joye  du  Saint- 
Esprit  est  survenue  à  la  croix,  et  a  englouty  son  horreur,  et  souve- 
rainement adoucy  son  amertume;  ainsi  seront  no^  troubles  appaiscz, 
lors  que  nous  aurons  participé  en  foy  aux  souffrances  du  Seigneur, 
et  nous  serons  consacrez  avec  luy  à  boire  le  calice  que  le  Seigneur 
nous  a  mesuré.  Et  pour  ne  point  trouver  estrange  ee  qu'il  nous  en- 
voya, il  faut  considérer,  non  ce  que  nous  avons,  mais  ce  qui  nous 
défaut,  non  ce  qu'il  nous  a  donné  par  les  plaisirs  de  la  nature,  mais 
ce  qu'il  nous  veut  faire  acquérir  par  les  travaux  de  l'Evangile,  qui 
sont  une  ferme  foy,  laquelle  contemple  la  volonté  de  Dieu,  bonne, 
plaisante,  parfaite   miraculeusement,   et  sans  cause  desployée  sur 
nous  constamment  et  parfaictement  exécutée,  une  espérance  qui 
[)iévoit  l'immoiialité,  et  la  gloire  sur  la  destruction,  la  misère  et  les 
ennuis;  niais  sur  tout  un  amour  du  Seigneur  qui   n'aye  jamais  de 
cesse,  et  ne  laisse  aucune  place  à  d'autres  passions,  le  soin  de  le  con- 
tenter et  d'ostcr  de  nous  les  choses  qui  déplaisent  excédant  les  autres 
soins,  autant  (si  faire  se  peut)  que  sa  personne  excède  celle  de  tout 
le  reste,  c'est-à-dire  que  connue  toutes  choses  sont  par  luy,  et  pour 
luy,  ainsi  tous  nos  soucis  et  afllictions  se  rapportent  à  sa  gloire.  Mais 
il  ne  faut  pa^  s'imaginer  cette  gloire  es  choses  visibles;  mais  en  l'in- 
Msihlc  œu>re  de  la  f«>y,  et  de  li  inortilication  dans  nos  cœurs.  La 


LETTRES   DE    CONSOLATION.  37 

lettre  qu'il  vous  a  pieu  de  m'escrire,  aussi  bien  que  celle  que  vous 
avez  adressée  à  Madame  la  Mareschalle  de  Chastillon,  n'avoit  point 
de  date;  de  sorte  que  je  ne  sçay  si  vous  trouverez  cette  réponse 
prompte  ou  tardive,  cela  sçay-je  bien,  que  je  l'ay  faite  incontinent 
après  avoir  receu  la  vostre;  mais  Madame  la  Mareschalle  a  eu  la 
sienne  à  Paris,  et  la  vostre  m'a  esté  apportée  par  une  longue  voye  à 
Chastillon,  où  je  suis  demeuré  pour  tout  cet  hyver,  etc.,  Madame, 
Vostre  très  humble  serviteur. 

Velhieux. 

A  Chastillon,  ce  20  décembre. 

XII.  Lettre  de  Monsieur  Turrettin,  ministre  du  sainct  Evangile, 

et  professeur  en  théologie  à  Genève,  escritte  à  Madame  de  la 

Tabarière. 

Madame, 
Ayant  appris  avec  extrême  desplaisir  la  nouvelle  de  vostre  dou- 
leur, il  n'y  a  personne  par  deçà,  qui  n'en  ayt  profondément  sous- 
piré;  mais  la  cognoissance  que  j'avois  de  Monsieur  de  Sainct-Her- 
mine  dès  son  enfance,  m'en  a  rendu  la  tristesse  plus  sensible.  Sa 
vertu  qui  le  rendoit  aymable,  mesme  aux  adversaires,  et  le  misérable 
siècle  auquel  il  reluisoit,  accroissent  nos  regrets;  lesquels  je  ne  ra- 
mentoy  pas  pour  rafraischir  vostre  playe;  mais  plustost,  pour  vous 
ayder,  si  possible  est,  à  vous  descharger  d'une  partie  de  vos  douleurs 
dans  la  communion  de  tant  d'amis  et  de  serviteurs  de  vostre  maison, 
qui  compatissent  cordialement  à  vostre  perte;  laquelle  passe  plus 
loin  que  vostre  famille,  et  est  sentie  par  lEglise,  qui  voyoit  en  lu 
renaistre  la  science  et  prudence  d'un  père-grand  incomparable.  Or, 
je  sçay.  Madame,  que  vostre  piété  n'a  pas  attendu,  jusques  à  cette 
heure,  à  mettre  du  baume  de  Galaad  sur  une  si  douloureuse  playe, 
et  à  la  bander  par  une  saincte  et  ferme  résolution  de  se  sousmettre  à 
la  volonté  de  Dieu,  tout  bon  et  tout  sage.  La  saincte  constance,  dont 
feu  Monsieur  vostre  père  a  fait  profession  en  tant  d'espreuves,  aus- 
quelles  vous-mesme  avez  participé,  n'est  pas  esteinte;  ny  en  Monsieur 
de  la  Tabarière,  ny  en  vous.  Vous  sçavez  que  tous  ce  que  nous  avons 
est  d'emprunt,  la  propriété  en  appartient  au  Seigneur,  l'usage  à  nous, 
tant  qu'il  lui  plaist  :  et  les  fidèles  se  recognoissent  non  moins  obli- 
gez à  rendre  grâces  de  ce  qu'ils  ont  receu,  lors  que  Dieu  le  rede- 


38  LETTRES   DE   CONSOLATIOIf. 

mande,  que  quand  il  le  leur  a  preste.  Ce  qui  estant  véritable  en 
toutes  choses.  Test  à  plus  forte  raison  lorsque  nous  parlons  de  nos 
enfans;  car  ils  sont  siens,  devant  que  nostres,  d'une  façon  particu- 
lière. Et  leur  advantage  est  d'estre  enfans,  non  d'Adam,  mais  de 
Dieu  :  Partant  les  pères  et  mères  ne  les  doivent  ny  désirer,  ny  aymer, 
que  pour  les  consacrer  au  Père  des  pères.  Les  vœux  des  chrestiens, 
regardans  à  leurs  enfans  ne  pensent  point  tant  à  avoir  des  héritiers 
en  terre,  ce  que  désire  le  monde,  comme  de  les  voir  un  jour  héri- 
tiers du  ciel;  ce  qui  est  le  souhait  de  la  foy  :  nature  désire  en  retar- 
der le  temps,  et  la  conscience  le  remet  et  sousmet  à  la  volonté  de 
Dieu,  S'il  luy  plaist  les  rendre  participans  de  la  fin  heureuse,  à  la- 
quelle sa  grâce  les  a  destinez,  plustost  que  nostre  affection  ne  vou- 
droit,  il  ne  faut  ny  murmurer  contre  l'arrest  du  Souverain,  ny 
envier  le  bonheur  à  ceux  qui  nous  devancent  :  et  qui  retirez  hors  des 
dangers  de  ce  monde,  et  préservez  de  toute  corruption,  jouyssent  de 
ce  que  nous  attendons.  Or,  je  m'absliendrois  de  vous  escrire  de 
vostre  tristesse,  sçachant  bien  que  vous  avez  une  opulente  provision 
de  consolations  dedans  vous,  en  la  fontame  d'eau  saillante  en  vie 
éternelle  :  n'estoit  que  j'ay  rencontré  ce  livre  duquel  le  sujet  est 
plus  grand  en  la  pratique  (ju'au  papier;  car  il  traite  du  profit  que 
Dieu  nous  veut  faire  recueiUir  de  ses  chastimens.  S'il  y  a  quelques 
pages  qui  servent  à  adoucir  l'affliction,  et  accourager  les  cœurs  affli- 
gez à  constance,  en  la  joye  de  l'Esprit  de  Dieu,  et  attente  de  son  sa- 
lut, c'est  le  but  de  mon  dessein.  Je  Tay  remis  à  Monsieur  Micheli  qui 
m'a  promis  de  vous  l'adresser.  Je  salue  très  humblement  Monsieur  de 
la  Tabarière,  et  prie  Dieu  de  tout  mon  cœur.  Madame,  qu'il  vous  ait 
en  sa  saincte  protection,  et  par  la  grâce  de  son  Esprit  console  puis- 
samment les  vostres,  vous  conserve  longuement  en  santé  et  tous  les 
vostres,  et  les  enfans  qu'il  vous  laisse  sous  sa  garde,  comblant  vostre 
famille  de  ses  sainctes  bénédictions. 
Vostre  plus  humble,  et  plus  affectionné  serviteur. 

B.  TURRETTIN. 

De  Genève,  ce  20  janvier  1630. 


LA  GRANDE  AFFAIRE  DE  Mm.  TESTARD  ET  AMYRAUT 

d'après  un  manuscrit  des  synodes  nationaux  antérieurs 

A    LA    révocation   DE    l'ÉDIT    DE   NANTES. 
1637. 

Le  manuscrit  dont  il  s'agit  appartient  à  M.  Bès,  négociant  à  Brassac 
(Tarn),  qui  a  bien  voulu  nous  le  couder  pour  quelque  temps.  II  provient  de 
la  maison  des  Soubiran,  seigneurs  de  Brassac,  dont  on  trouve  le  nom  dans 
la  France  protestante.  C'est  un  gros  in-4°,  écrit  de  deux  ou  trois  mains 
différentes,  d'une  écriture  généralement  bonne;  il  se  termine  par  une  table 
fort  détaillée  qui  n'occupe  pas  moins  de  34  pages.  Il  n'y  a  de  pagination 
qu'au  commencement  et  à  la  tîn  du  volume.  Du  folio  \  au  243,  soit  528  pages, 
on  trouve  les  procès-verbaux  du  synode  de  Paris,  1559,  jusqu'à  celui  de 
Privas,  tenu  en  1 61 2.  La  seconde  partie,  qui  va  de  1 61 4  à  1 631 ,  c'est-à-dirë 
du  synode  de  Tonneins  à  celui  de  Charenton-Saint-Maurice,  ne  porte  au- 
cune marque  au  haut  de  ses  pages.  Enfin ,  la  troisième  partie,  qui  part  du 
synode  d'Alençon,  1637,  et  finit  ati  synode  de  Loudun,  1660,  comprend 
210  folios,  soit  420  pages. 

Nous  ferons  quelques  courtes  réflexions  sur  ce  manuscrit  comparé  à 
l'édition  d'Aymon,  après  quoi  nous  donnerons  une  pièce  que  nous  croyons 
inédite,  laquelle  fournit  des  détails  intéressants  sur  la  plus  sérieuse  discus- 
sion théologique  qui  fut  agitée  au  sein  des  synodes  nationaux.  C'est  un 
Journal  de  ce  gui  se  passa  dans  la  ville  d'Jlençon  lors  de  l'affaire  de 
MM.  Testard  et  Atmjraut.  Ce  journal  est  placé  dans  le  volume  manuscrit, 
avant  le  procès-verbal  officiel  du  synode. 

L'édition  d'Aymon  est  généralement  plus  étendue  et  plus  complète.  Elle 
contient  des  annotations  et  des  pièces  à  l'appui  qui  ne  peuvent  se  trouver 
dans  le  manuscrit.  Il  y  a  même  quelquefois  des  différences  assez  notables 
dans  le  nombre  et  dans  la  distribution  des  articles,  mais  ces  différences  vont 
s'affaiblissant  et  disparaissent  tout  à  fait  à  mesure  que  l'on  avance  dans  la 
lecture  du  recueil.  Pour  se  rendre  compte  de  ces  difierences,  il  faut  se 
souvenir  que  primitivement  les  synodes  n'enregistraient  guère  que  les 
résultats  obtenus  et  n'avaient  pour  ainsi  dire  pas  de  procès-verbaux.  Celui 
de  Vitré,  en  1583,  décida  qu'à  l'avenir  la  province  dans  laquelle  se  serait 
tenu  le  dernier  synode  enverrait  les  procès-verbaux  à  la  province  dans 
laquelle  devrait  se  tenir  le  suivant.  D'où  il  semble  résulter  que  cet  usage 
n'existait  pas  auparavant,  et  que  à  fortiori  les  autres  Eglises  devaient  être 
encore  moins  instruites  de  ce  qui  s'était  passé.  L'on  sait,  au  reste,  que  ce 


40  LA    GRANDE   AFFAIRE 

ne  furent  que  les  deux  derniers  synodes,  celui  de  Charenton  et  celui  de 
Loudun,  qui  prirent  des  mesures  pour  assurer  l'envoi  d'une  copie  à  chacune 
des  provinces. 

Aymon  contient  des  chapitres  entiers,  quelquefois  étendus,  qui  sont 
donnés  comme  ayant  été  arrêtés  en  synode  ei  qui  ne  ligurcnt  point  dans 
le  manuscrit.  Ce  dernier  ne  donne  pas  non  plus  les  listes  si  précieuses, 
quoique  très  incorrectes,  des  pasteurs  alors  en  exercice.  Ces  listes,  par 
provinces  et  par  colloques,  ont  été  laborieusement  révisées  par  MM.  Haag, 
qui  les  reproduisent  corrigées  dans  les  pièces  justiticalives  de  la  France 
protestante.  Notre  manuscrit  permettrait  de  faire  encore  quelques  correc- 
tions dans  l'orthographe  des  noms  des  députés  envoyés  aux  synodes. 

Après  avoir  rendu  à  Aymon  cette  justice,  qu'il  a  enrichi  ses  volumes  de 
beaucoup  de  pièces  dont  la  conservation  était  importante,  nous  sommes 
obligé  de  lui  faire  un  reproche  qui,  à  nos  yeux,  est  d'une  grande  gravité. 
Il  ne  nous  donne  pas  les  procès-verbaux  tels  qu'ils  ont  été  adoptés,  mais  il 
en  fait  des  paraphrases  ou,  pour  mieux  dire,  une  traduction  libre,  parfois 
assez  amplitiée  et  souvent  inexacte.  Je  ne  pourrais  dire  l'impression  pénible 
que  j'ai  éprouvée  en  voyant  les  phrases  concises  et  empreintes  d'un  parfum 
d'antiquité  du  manuscrit,  remplacées  par  les  amplifications  rajeunies  du 
langage  fllandreux  d'Ayraon.  Les  inversions  sont  parfois  si  fortes  qu'on  ne 
trouve  que  trois  lignes  plus  tard  l'idée  qui  frappait  l'esprit  dès  le  premier 
mot.  Celte  mauvaise  habitude,  il  faudrait  dire  ce  pernicieux  système,  est 
poussée  si  loin  qu'Aymon  ne  respecte  pas  même  les  communications  roya- 
les, et  qu'après  les  avoir  traitées  comme  nous  venons  de  dire,  il  ne  les 
fait  pas  moins  suivre  des  signatures  qui  auraient  dû  lui  interdire  le  plus 
léger  changement. 

Nous  nous  étions  proposé  de  donner  des  échantillons  de  cette  méthode, 
mais  il  nous  semble  suflisant  de  l'avoir  caractérisée. 

Il  faut  dire  aussi  que  le  manuscrit  n'emploie  jamais  les  mots  de  révérends 
pères  du  synode^  pour  lesquels  Aymon  a  une  prédilection  marquée. 

Après  cela,  l'imprimé  et  le  manuscrit  peuvent  se  rendre  service  réci- 
proquement. \a\  copiste  a  quehiuefois  omis  un  nom  propre  et  donné  au 
précédent  une  qualification  qui  convenait  à  celui-ci.  Mais  comme  le  manu- 
scrit rachète  ce  défaut  par  des  rectifications  plus  importantes!  M.  le  pasteur 
Alh.  Coquerel  père,  dans  son  Projet  de  discipline,  inditjiie  une  faute  d'im- 
pression d'après  laquelle  deux  chapitres  de  la  discipline  ecclésiastique  au- 
raient été  supprimés  par  le  synode  de  Castres.  Voici  comment  le  manuscrit 
rétablit  la  vérité  que  M.  Coquerel  avait,  du  reste,  indiquée  d'après  Ouick  : 
«  L'article  H  du  chapitre  IX  a  esté  rayé  comme  superflu  et  esloigné  de  la 
pratique  de  nos  Eglises.  » 

Dans  leur  article  .-imyraut,  de  la  France  protestante,  M  M .  Uaag  croient. 


DE   MM.   TESTARD    ET    AMYRAUT.  41 

sur  une  affirmation  de  Bayle,  que  ce  pasteur  ne  fut  nommé  professeur  qu'en 
1633,  et  ils  inclinent  à  penser  qu'Aymon  s'est  trompé  quand  il  l'a  fait  figu- 
rer en  cette  qualité  au  synode  de  Charenton,  en  1631.  Nous  devons  dire 
que  le  manuscrit  s'exprime  comme  Aymon,  et  alors  ce  serait  peut-être  le 
cas  de  revenir  à  la  supposition  d'après  laquelle,  comme  le  disent  MM.  Haag, 
Amyraut  aurait  rempli  les  fonctions  de  professeur  avant  d'être  titulaire. 

Arrivons  maintenant  à  la  pièce  inédite  dont  nous  avons  parlé.  Il  est  né- 
cessaire de  rappeler,  avant  de  la  produire,  que  des  accusations  s'étaient 
élevées  de  divers  côtés  contre  MM.  Amyraut  etTestard.  Des  livres  avaient 
été  écrits  pour  réfuter  les  leurs,  et  les  universités  de  Genève,  de  Leyde,  de 
Franeker  et  de  Groningue  avaient  poussé  contre  leur  doctrine  des  cris  accu- 
sateurs. Au  nombre  des  plus  ardents  adversaires,  il  faut  compter  Pierre  du 
Moulin  et  André  Rivet.  Parmi  les  approbateurs,  Vigneu  et  Garnier.  Michel 
Le  Faucheur,  pasteur  de  l'Eglise  de  Paris,  se  range  parmi  ceux  qui  se 
portent  comme  médiateurs.  Cette  discussion,  surtout  dans  le  récit  que  nous 
allons  reproduire,  fait  passer  devant  nous  tous  les  théologiens  illustres  de 
cette  grande  époque,  et  donne  des  détails  intéressants  sur  les  rôles  qu'ils 
ont  joués.  Ph-  Corbière. 


Journal  sommaire  de  ce  qui  s'est  passé  au  synode  national  d'Alençon 
commencé  le  jeudy  28  may  1637,  sur  l'affaire  de  MM.  Testard  et 
Amyraut,  recueilli  chacun  jour,  par  P.  D.  L.  S.  D.  S. 

11  faut  pour  entrée  remarquer  qu'au  synode  particulier  qui  s'étoit 
assemblé  à  Caen  le  13  may  de  ladite  année  1637,  M.  Basnage,  un 
des  députés  de  ladite  province  au  synode  national,  dit  à  M.  Hérault, 
pasteur  d'Alençon,  que  ce  seroit  à  lui,  Hérault,  de  prêcher  le  premier 
dimanche  de  la  tenue  du  synode  national.  Sur  quoi  ledit  sieur  Hé- 
rault ayant  donné  à  connaître  qu'il  n'en  avoit  pas  fait  estât,  ledit 
Basnage  luy  dit  qu'il  pourroit  prier  quelqu'un  pour  cela,  et  depuis  luy 
fit  sentir  qu'il  désiroit  estre  ce  quelqu'un-là. 

Le  jeudy  matin,  28  may,  fut  faite  l'ouverture  du  synode  national 
par  ledit  sieur  Hérault,  pasteur  du  lieu,  lequel,  après  la  nomination 
faite  de  Messieurs  Basnage,  Coupé,  Blondel  et  de  Launay  pour  estre 
à  la  Table,  dit  tout  haut  à  la  compagnie  avant  que  de  se  retirer,  que 
ne  pensant  pas  que  ce  fust  au  synode  à  pourvoir  à  la  chaire  pour 
le  dimanche  suivant,  il  avoit  prié  M.  Basnage  de  prêcher  le  matin, 
mais  qu'ayant  sçu  depuis  que  cela  dépendoit  du  synode,  il  le  remet- 
toit  à  la  compagnie. 


42  LA    GRANDE    AFFAIRE 

Le  jeudy,  après  dîner,  une  des  premières  choses  dont  il  se  parla 
fut  de  nommer  deux  pasteurs  pour  prêcher  le  dimanche  subséquent; 
et  comme,  selon  la  coutume,  ceux  de  la  Table  en  conféroient  ensem- 
ble, M.  Coupé,  adjoint,  adressant  la  parole  à  M.  Basnage,  luy  dit  que, 
M.  Hérault  luy  ayant  déjà  donné  la  chaire,  il  devroit  estre  prié  de 
faire  l'action  du  matin;  sur  quoi  un  des  secrétaires  repartit,  sans 
toutefois  pousser  plus  loin,  que  ce  n'estoit  pas  l'ordre  ni  la  coutume 
que  ceux  de  la  Table  prêchassent  à  l'entrée.  Mais  M.  Basnage  ne 
disant  rien  du  commencement  et  puis  acceptant  sur  l'instance  de 
M.  Coupé,  la  chaire  luy  demeura  pour  le  matin  et  fut  donnée  à 
M.  Pain,  de  la  province  du  Poitou,  pour  l'après-dîner. 

Celui  des  secrétaires  qui  n'avoit  pas  estimé  à  propos  ni  convenable 
que  M,  Basnage,  modérateur,  prêchastle  premier  du  synode,  voyant 
que  M.  Coupé,  qui  n'ignoroit  pas  l'usage  des  synodes  nationaux, 
l'avoit  ainsi  nommé  et  procédé,  et  que  M.  Basnage  avoit  accepté 
sans  résistance  et  excuses  quelconques,  soupçonna  aussitôt  que 
c'estoit  une  partie  faite  et  projectée  auparavant,  et  que  ledit  sieur 
Basnage  avoit  dessein  de  parler  de  questions  sur  lesquelles  plusieurs 
s'estoient  esmus  contre  MM.  Testard  et  Amyraut,  et,  à  l'issue  de 
l'assemblée,  dit  ce  sien  soupçon  à  un  pasteur  de  ses  amis,  qui  ne  put 
acquiescer  à  cette  pensée,  jugeant  une  telle  chose  peu  convenable  à 
la  prudence  dudit  sieur  Basnage  et  à  la  gravité  du  rang  qu'il  tenoit 
en  la  compagnie,  et  que  de  plus  ce  seroit  donner  ouverture  à  de  fâ- 
cheuses brouilleries  dedans  le  synode,  en  tant  que  ledit  sieur 
Basnage,  venant  à  ouvrir  et  produire  en  avant,  immaturénient  ses 
sentiments,  il  donneroit  occasion  à  d'autres  d'espandre  les  leurs ,  et 
pourroit  arriver  que  si  le  pasteur  qui  prescheroit  après  luy  avoit  quel- 
que contraire  opinion,  il  la  professeroit  aussi  en  public,  d'où  naistroit 
et  du  trouble  dedans  le  synode  et  du  scandale  parmy  le  peuple. 

Un  jour  après,  celui  qui  avoit  eu  le  soupçon  sur  cela  se  trouvant 
avec  M.  Hérault,  lui  dit  qu'il  s'estoit  cslonné  qu'estant  pasteur 
depuis  tant  de  temps  et  ayant  assisté  à  plusieurs  synodes  provinciaux, 
il  n'eust  pas  seu  encore  que  du  jour  où  un  synode  provincial  ou  na- 
tional est  assemblé,  les  j)asteuis  du  lieu  ne  se  meslcnt  plus  de  la 
chaire,  lequel  lui  respondit  ([u'il  l'avoit  bien  seu,  mais  qu'il  avoit  esté 
engagé  à  faire  ce  qu'il  avoit  fait,  et  luy  lit  ensuite  le  discours  de  ce 
qui  a  esté  représenté  cy-dessus. 

Le  texte  que  M.  Basnage  prit  pour  sujet  de  son  presche  du  di- 


DE  MM.    TESTARD   ET    AMYRAUT.  43 

manche  31  may  fut  le  3^  verset  du  chapitre  XI  de  la  2^  aux  Corin- 
thiens :  «  Je  crains  qu'ainsi  que  le  serpent  a  séduit  Eve  par  ses  ruses, 
semblablement  en  quelque  sorte  vos  pensées  se  soient  corrompues,  se 
détournant  de  la  simplicité  qui  est  en  Christ.  »  Sur  quoi  il  prit  occasion 
de  parler  fort  amplement  contre  des  gens  qu'il  accusoit  de  tenir  la 
doctrine  de  l'Evangile  trop  fade  et  se  dégouster  de  la  simplicité 
d'icelle,  et  de  vouloir  introduire  une  nouvelle  religion  et  des  dogmes 
nouveaux  qu'ils  appeloient  méthodes  pour  détourner  les  hommes  de 
la  simplicité  de  l'Evangile  de  Christ,  adjousta  que  l'Apôtre  nous  avoit 
advertis  de  nous  donner  garde  de  telles  nouvelles  méthodes,  ayant 
exprimé  ce  mesme  mot,  Eph.  IV,  44.  Et  opposa  le  mot  \jrJicozia  du- 
quel l'Apôtre  a  usé  en  cet  endroit,  méthode,  qui  toutefois  ne  désigne 
pas  méthode,  mais  aguet  et  embûche.  Et  parla  en  telle  sorte  que  com- 
bien qu'il  n'exprimast  pas  les  noms  de  MM.  Testard  et  Amyraut, 
non-seulement  tous  ceux  du  synode,  mais  encore  la  plupart  de  ceux 
du  lieu,  entendirent  facilement  que  c'estoit  à  eux  à  qui  il  en  vouloit 
et  contre  qui  se  disoient  toutes  ces  choses.  Ce  que  plusieurs  du 
synode  improuvèrent  grandement  et  en  demeurèrent  fort  offensés, 
d'autant  plus  que  ce  jour-là  estoit  celui  de  la  Pentecoste,  auquel  on  a 
accoustumé  de  faire  quelque  commémoration  de  l'envoy  du  Saint- 
Esprit  sur  les  apôtres,  dont  il  ne  dit  un  seul  mot,  et  dont  la  rencontre 
avec  le  temps  du  synode  sembloit  l'obliger  entièrement  non-seulement 
à  parler,  mais  de  le  prendre  pour  le  seul  sujet  de  son  presche. 

MM,  Testard  et  Amyraut,  doutant  que,  sur  la  lecture  delà  confes- 
sion de  foy,  on  ne  prist  occasion  de  traiter  leur  affaire,  s'estoient 
rendus  à  Alençon  dès  l'ouverture  du  synode,  dont  quelques-uns  de 
ceux  qui  estoient  mal  affectionnés  s'offensèrent  et  murmurèrent. 
Quelques  jours  après  arrivèrent  aussi  M.  de  la  Place,  pasteur  et  pro- 
fesseur en  théologie  à  Saumur,  envoyé  par  l'Académie  dudit  lieu,  et 
M.  Ozan,  ancien  de  l'Eghse  dudit  Saumur  et  envoyé  par  icelle,  ayant 
l'un  et  l'autre  charge  expresse  d'assister  ledit  sieur  Amyraut  et  luy 
rendre  tesmoignage  de  la  part  de  l'Académie  et  de  ladite  Eghse,  de 
pureté  de  doctrine  et  d'intégrité  de  vie. 

La  semaine  qu'avoit  commencé  le  synode  et  la  subséquente  furent 
employées  en  la  lecture  de  la  confession  de  foy  ou  la  discipline  et 
des  actes  du  synode  national  précédent,  qui  furent  achevés  de  lire  le 
samedy  6juin.  Après  queMM.  Testard,  Amyraut  et  de  la  Place  virent 
qu'on  ne  leur  avoit  encore  rien  dit,  et  apprenant  que  le  synode  ne  par- 


44  LA    GlUNDE    AFFAIKE 

loit  point  de  traiter  de  leur  affaire,  ils  se  résolurent  de  demander  d'être 
ouïs.  A  ceste  fin,  ledit  sieur  Testard  fut  le  dimanche  7  juin,  sur  le 
soir,  trouver  M.  Basnage,  lui  remonstra  le  long  temps  qu'il  y  avoit 
qu'il  estoit  là,  et  le  pria  de  hiy  vouloir  faire  donner  audience  le  len- 
demain. A  quoi  ledit  sieur  Basnage  fit  response  qu'il  avoit  mandé 
M.  Bochard,  pasteur  de  Caen  et  nepveu  de  M.  du  Moulin,  qui  pour- 
roit  arriver  dedans  deux  ou  trois  jours,  et  qu'il  se  donnast  patience 
jusques-là. 

M.  Testard  n'ayant  cru  insister  contre  cette  réponse,  M.  Amyraut 
résolut  d'essayer  aussi  de  son  costé  d'avoir  audience,  et  pria  M.  Vi- 
gneu,  pasteur  de  la  province  d'Anjou,  de  la  demander. 

Le  lendemain  donc,  lundi  8  juin,  ledit  sieur  Vigneu  représenta  à 
la  compagnie  le  long  temps  que  lesdits  sieurs  Amyraut  et  de  la 
Place  estoient  à  Alençon,  que  l'Académie  de  Saumur  demeuroit 
cependant  destituée  de  ses  deux  professeurs  en  théologie,  et  demanda 
pour  eux  qu'ils  fussent  ouïs. 

M.  Basnage  fit  ce  qu'il  put  pour  rejecter  cette  proposition,  mais 
ledit  sieur  Vigneu  s'y  affermissant  et  requiérant  que  la  compagnie  en 
délibérast,  force  fut  à  M.  Basnage  de  la  mettre  en  délibération,  et 
par  la  pluralité  des  voix,  fut  ordonné  que  lesdits  sieurs  Testard, 
Amyraut  et  de  la  Place  seroient  ouïs. 

Lesquels  ayant  au  mesme  temps  esté  introduits  en  la  compagnie, 
M.  Testard,  comme  plus  ancien  pasteur,  commençant  à  parler  le 
premier,  déduisit  sommairement  ce  qui  l'avoit  meu  à  composer  ses 
thèses,  les  formalités  que,  suivant  la  discipline,  il  avoit  gardées  pour 
les  mettre  en  lumière,  et  les  diverses  approbations  ([u'il  en  avoit  eues 
tant  du  dedans  que  du  dehors  du  royaume.  Puis  après  vint  à  toucher 
aussi  sommairement  les  plaintes  et  accusations  de  M.  du  Moulin  à 
l'encontre  d'icelles  et  le  chemin  qu'il  y  avoit  tenu,  et  adjousta  pour 
fin  ([u'il  estoit  venu  pour  se  justifier  contre  toutes  telles  accusations, 
protestant  cpie  s'd  se  trouvoit  (|u'il  cust  escrit  choses  aucunes  con- 
traires à  la  i*arole  de  Dieu  ,  à  notre  confession  de  foy,  catéchisme, 
liturgie,  ou  au  synode  de  Dordrecht,  il  estoit  prest  de  le  rétracter; 
que  si  aussi  il  se  trouvoit  n'y  avoir  eu  rien  contrairemont,  il  supplioit 
la  comjjagnie  vouloir  maintenir  et  protéger  son  innocence. 

M.  Amyraut  vint  h  parler  ensuite,  qui  aussi  représenta  ce  qui  l'avoit 
meu  à  escrirc  son  Truite  de  lu  /)ré dent inat ion  et  le  mettre  en  lumière, 
raiipi-dbation  (ju'il  vu  avoit  eue  de  ses  collègues,  et  ce  (pii  s'estoit 


DE    MM.    IKSIAKU    EX    AMVUAUX.  45 

fait  et  passé  ensuite  sur  le  sujet  tant  dudit  traité  que  de  ses  sermons, 
et  dura  son  discours  environ  une  heure,  avec  beaucoup  de  modéra- 
tion et  d'éloquence,  à  laquelle  pourtant  plusieurs  ne  prirent  point 
de  plaisir. 

Après  M.  Amyraut  parla  aussi  M.  de  la  Place,  qui  représenta  que 
l'Académie  de  Saumur  ayant  sceu  avec  beaucoup  de  desplaisir  les 
accusations  que  quelques-uns  avoient  mises  en  avant  contre  M.  Amy- 
raut, et  qui  dévoient  mesme  estre  proposées  en  ceste  compagnie,  la- 
dite Académie  l'avoit  envoyé  pour  rendre  raison  de  l'approbalion 
qu'elle  a  donnée  aux  escrits  dudit  sieur  Amyraut ,  selon  le  droit 
attribué  par  la  discipline  à  toutes  les  académies,  et  pour  de  plus 
rendre  témoignage  au  sieur  Amyraut  d'une  entière  pureté  de  doc- 
trine. 

Ledit  sieur  de  la  Place  ayant  fini  son  propos,  M.  Amyraut  reprit 
la  parole  et  récusa  M.  Basnage  sur  quelques  livres  qu'il  avoit  escrits 
contre  luy  et  spécialement  sur  le  presche  qu'il  avoit  fait  contre  luy 
le  jour  de  la  Pentecoste,  31  may. 

M.  Basnage  parut  un  peu  surpris  de  cette  récusation  et  dit  qu'il 
n'avoit  rien  dit  en  son  presche  qu'en  explication  de  son  texte  et  non 
pour  blasmer  aucun  ny  pour  donner  aucun  préjugé,  et  que  M.  Amy- 
raut avoit  tort  de  l'avoir  ainsi  blasmé  en  ceste  compagnie,  et  qu'il 
en  demandoit  réparation. 

M.  Amyraut  répliqua,  somma  et  adjura  la  conscience  dudit  sieur 
Basnage  s'il  n'avoit  pas  en  son  dit  presche  eu  sa  visée  contre  M.  Tes- 
tard  et  contre  luy.  A  quoi  ledit  Basnage  esquiva  disant  que  ce  n'estoit 
pas  la  coustume  d'user  de  telles  adjurations  en  nos  compagnies;  que 
contre  son  ordinaire  de  n'escrire  point  ses  preschss,  il  avoit  par 
bonheur  escrit  celui-là,  qu'il  le  produiroit  à  la  compagnie  pour  en 
juger;  et  parce  que  l'heure  de  la  séance  estoit  passée ^  on  en  de- 
meura là. 

A  la  séance  d'après-midi,  M.  Basnage  reprenant  le  propos  de  la 
récusation  qu'avoit  faite  M.  Amyraut^  voulut  la  faire  juger,  sur  quoy 
M.  Vigneu  respondit  que  M.  Amyraut  prioit  la  compagnie  qu'on 
l'ouist  avant  qu'on  procédast  audit  jugement,  à  quoi  quelques-uns 
s'opposèrent.  Mais  la  chose  ayant  esté  mise  en  délibération,  il  fut 
résolu  qu'il  seroit  ouï. 

Ayant  donc  esté  appelé,  M.  Basnage  lui  dit  qu'il  exposast  à  la 
compagnie  ce  qu'il  avoit  à  dire  et  qu'il  ne  la  détinst  point  par  longs 


46  LA    GRANDE    AFFAIRE 

discours.  Le  dit  sieur  Amyraut  persista  dans  sa  récusation  et  adjura 
derechef  la  conscience  dudit  sieur  Basnage,  et  pour  fin  adjousta  que 
ledit  sieur  Basnage  ayant,  en  la  séance  du  matin,  demandé  réparation 
contre  luy,  il  s'estoit  manifestement  formé  et  déclaré  sa  partie  et 
s'estoit  par  cela,  quand  même  il  n'y  auroit  autre  chose,  rendu  inca- 
pable d'estre  son  juge. 

M.  Basnage  esquivant  derechef  ladite  adjuration,  répliqua  quelque 
peu  de  chose,  puis  se  leva  et  sortit,  et  après  luy  ledit  sieur  Amyraut 
(|ui,  selon  qu^il  fut  remarqué  sur  l'heure  par  quelques-uns,  manqua  en 
deux  choses  :  l'une  qu'il  ne  devoit  sortir  ni  laisser  sortir  ledit  sieur 
Basnage  qu'il  n'eust  respondu  pertinemment  sur  ladite  sommation 
et  adjuration  de  sa  conscience;  l'autre, qu'il  devoit  récuser  pareille- 
ment M.  de  Langle,  nepveu  de  M.  du  Moulin,  sa  partie  formelle.  Il 
dit  depuis  à  quelques-uns  qu'il  avoit  résolu  de  le  faire,  mais  qu'il 
avoit  eu  crainte  qu'une  récusation  ne  nuisît  à  l'autre. 

Lesdits  sieurs  Basnage  et  Amyraut  estant  sortis,  plusieurs  ayant 
opiné  sur  ladite  récusation,  quelques-uns  remarquèrent  et  insistèrent 
même  que  M.  Testard  n'avoit  point  récusé  M.  Basnage,  sur  quoy  on 
fit  entrer  ledit  sieur  Testard  pour  l'ouïr  sur  cela  et  savoir  s'il  le 
récusoit  aussi,  lequel  hésita  en  sa  réponse,  et  enfin  dit  que  non. 

Sur  cette  réponse  et  sur  ce  qu'il  fut  mis  en  avant  par  quelques-uns 
qu'en  ces  compagnies  il  ne  faloit  pas  introduire  les  chicaneries  du  pa- 
lais, que  ce  seroit  une  honte  à  toute  la  compagnie  de  se  laisser  priver 
de  son  chef,  et  qu'en  la  doctrine  nul  n'estoit  récusable,  la  plurahté 
des  voix  alla  à  déclarer  ladite  récusation  non  recevable. 

Mais  quelques-uns  des  plus  adroits  à  qui  les  raisons  de  cette  récu- 
sation ne  satisfaisoient  pas  pleinement,  et  qui  ne  désiroient  nulle- 
ment pourtant  qu'elle  fût  admise,  estimèrent  qu'il  seroit  plus  à  propos 
de  vider  ce  différent  par  accomodement  que  par  un  jugement,  et 
proposèrent  de  réconcilier  ces  deux  Messieurs,  en  quoy  ils  furent 
suivis  par  la  plupart. 

Et  en  considération  de  cela  donc  on  députa  cinq  de  la  compagnie 
vers  ces  deux  Messieurs  pour  travailler  à  leur  réconciliation  et 
supplia-on  M.  le  Commissaire  de  se  vouloir  joindre  ;\  eux  et  y  con- 
tribuer ce  <|u'il  pourroit.  Lesquels  tous  scurcnt  si  bien  manier  ledit 
sieur  Amyraut  que,  sur  les  doux  propos  que  luy  tint  M.  Basnage, 
il  se  laissa  aller  ii  consentir  (pi'il  diMUcurast  son  jui;('  et  le  vint  dé- 
clarer à  la  compagnie. 


DE   MM.    TESTABD   ET    AMYRAUT.  ^7 

A  propos  de  cela ,  M.  de  Langle  présenta  une  lettre  que  M.  du 
Moulin  écrivoit  au  synode  ,  et,  outre  cette  lettre,  un  écrit  fait  par 
ledit  sieur  du  Moulin  contre  lesdits  sieurs  Testard  et  Amyraut, 
adressé  au  synode.  Au  même  temps,  on  présenta  aussi  une  lettre 
de  M.  Vigneu,  pasteur  de  l'Eglise  de  Blois,  avec  une  sienne  apologie 
imprimée,  en  fin  de  laquelle  il  y  avoit  une  lettre  de  M.  Garder, 
pasteur  de  l'Eglise  de  Marchesnois,  au  synode.  Fut  aussi  présentée 
une  lettre  de  M.  Le  Faucheur  au  synode.  La  lettre  de  M.  du  Moulin 
fut  leue,  puis  celle  de  M.  Vigneu,  mais  on  refusa  de  lire  son  apologie 
sur  ce  que  quelques-uns  dirent  qu'on  sçavoit  bien  ce  qu'elle  conte- 
noit  et  que  les  provinces  en  avoient  des  exemplaires.  Finalement  fut 
leue  celle  de  M.  Le  Faucheur,  assez  ample  et  verbeuse,  tendant  à 
montrer  que  cette  affaire  devoit  estre  traitée  avec  douceur  et  modé- 
ration. Ce  qui  ne  fut  pas  au  goût  de  plusieurs  qui  dirent  entre  eux 
qu'il  vouloit  faire  des  livres  au  synode,  et  ensuite  se  formalisèrent 
de  ce  qu'elle  avoit  esté  leue.  Ainsi  se  termina  la  seconde  séance  de 
ce  jour. 

Le  mardy  9  juin,  il  y  eut  presche  le  matin,  et  en  la  séance  d'après 
midi  on  jugea  quelques  appellations. 

Le  mercredy  matin,  10  juin,  les  deux  pasteurs  de  la  province  de 
Saintonge  présentèrent  un  escrit  fort  gros,  dressé  par  M.  Vincent, 
qu'ils  dirent  contenir  les  ])rocédures  tant  de  leur  synode  que  dudit 
sieur  Vincent  sur  cette  affaire,  lequel  ils  requièrent  estre  leu  en  la 
compagnie  pour  justification  de  leurs  actions  contre  les  plaintes  qu'en 
avoit  faites  M.  Amyrautle  lundy  précédent. 

Sur  cette  requête  fut  mis  en  délibération  si  on  liroit  ledit  escrit  et  si 
on  commenceroit  cette  affaire  par  le  jugement  des  procédures  qu'on 
avoit  trouvées  ou  par  le  jugement  du  fonds.  Tous  convinrent  qu'il 
faloit  commencer  par  le  jugement  du  fonds,  mais  plusieurs  vouloient 
néanmoins  qu'on  leust  le  susdit  escrit  comme  devant  donner  de  la 
lumière  pour  le  fonds,  mais  leur  opinion  ne  prévalut  pas  et  fut  dit 
que  cest  escrit  seroit  veu  lorsqu'on  parleroit  des  procédures,  qu'on 
commenceroit  à  juger  du  fonds  et  qu'on  y  travailleroit  sans  inter- 
ruption. 

Ensuite  M.  Vigneu  représenta  qu'il  y  avoit  un  ancien  de  l'Eglise 
de  Saumur  qui  avoit  des  lettres  du  consistoire  de  ladite  Eglise  pour 
la  compagnie  et  qui  deraandoit  d'estre  ouï.  Ce  qui  ayant  esté  mis  en 
délibération,  il  fut  appelé  et  avec  luy  entra  M.  de  la  Place.  Les  lettres 


48  LA    GllAMtE    AFFAIHE 

qu'il  présenta  n'étoient  qu'une  créance,  laquelle  luy  ayant  esté  dit 
qu'il  exposast,  il  dit  qu'il  estoit  envoyé  par  ladite  Eglise  pour  rendre 
au  nom  d'icelle  tesinoignage  à  la  compagnie  de  l'entière  probité  de 
vie  de  M.  Amyraut,  de  son  assiduité  aux  fonctions  de  sa  charge  et  de 
la  pureté  de  sa  doctrine,  et  s'estant  un  peu  étendu  sur  ces  points,  se 
rf-mit  pour  le  surplus  sur  ledit  sieur  de  la  Place. 

Ledit  sieur  de  la  Place  ayant  sommairement  représenté  les  dons 
excellents  de  M.  Cameron ,  l'approbation  de  sa  doctrine  et  de  ses 
escrits  par  nos  synodes  nationaux,  dit  que  l'Eglise  et  l'Académie  de 
Saumur,  se  sentant  obligées  audit  sieur  Cameron,  avoient  député 
ledit  ancien  et  luy  aussy  pour  faire  plainte  de  quelques-uns  qui  s'ef- 
forçoient  par  divers  escrits  de  noircir  la  mémoire  dudit  sieur  Cameron, 
entre  lesquels  étoient  M,  du  Moulin  et  un  pasteur  du  Poictou,  qui 
avoit  fait  imprimer  sur  cela  un  livret  duquel  il  mit  quelques  exem- 
plaires sur  la  table,  requérant  le  synode  de  prendre  en  sa  protection 
la  mémoire  dudit  sieur  Cameron  et  l'innocence  du  sieur  Amyraut,  et 
finit  son  discours  par  la  récusation  qu'il  fit  de  M.  de  Langle  au  juge- 
ment de  cette  affaire,  en  laquelle  M.  du  Moulin,  son  oncle,  estoit 
partie  formelle. 

M.  Basnage  lui  répondit  qu'on  avoit  résolu  de  commencer  cette 
afïiure  par  le  fonds  et  que,  lorsqu'on  traiteroit  des  procédures,  ou 
auroit  esgard  à  sa  demande,  et  les  congédia  tous  deux. 

Après  qu'ils  furent  sortis,  la  récusation  de  M.  de  Langle  fut  mise 
en  délibération,  et  par  la  pluralité  des  voix  fut  dit  que  ledit  sieur  de 
Langle  demeureroit  juge  pour  ce  qui  regarderoit  la  doctrine,  mais 
que,  lorsqu'on  viendroit  à  parler  des  procédures,  il  s'en  abstiendroit. 
Quelques-uns  murmurèrent  contre  l'envoy  dudit  ancien  et  de  ce  qu'on 
luy  avoit  donné  audience. 

En  la  séance  d'après-midi,  M.  de  Langle  proposa  de  la  part  de  M.  du 
Moulin  une  récusation  contre  MM.  Daillé,  pasteur,  et  de  Launay,  an- 
cien de  l'Eglise  de  Paris,  fondée  sur  ce  qu'il  disoitque  le  premier  avoit 
maintenu  par  divers  escrits,  l'opinion  de  31.  Amyraut,  et  que  l'autre 
avoit  escrit  audit  sieur  du  Moulin  une  lettre  offensive  de  laquelle  il 
ne  fit  point  apparoir,  ni  ne  proposa  diosc  aucune  de  ce  (|u'cllc  pou- 
voit  contenir,  et  dont  ledit  sieur  du  Moulin  se  tenoit  ollensc. 

Cette  récusation  mise  n\  drlihération  fut  jugée  non  recevable  et 
trouva-on  fort  à  rcilirc  (\ne  AL  de  Langle,  qui  venoit  d'estre  déclaré 
juge  en  cette  all'airc,  nonobstant  la  récusation  proposée  contre  luy. 


DK    MM.    TESTAUI)    ET    AMyRAUT,  49 

en  eût  proposé  une  contre  lesdits  sieurs  Daillé  et  de  Launay,  et 
se  fût  ainsi  ouvertement  déclaré  soliciteur  de  la  cause  dudit  sieur  du 
Moulin. 

Ensuite  fut  leue  la  lettre  de  MM=  les  pasteurs  de  Genève  au  synode, 
assez  rude  contre  lesdits  sieurs  Testard  et  Amyraut,  puis  celle  de 
MM.  les  pasteurs  de  Sedan,  signée  dudit  sieur  du  Moulin  et  des  an- 
ciens. Après  laquelle  M.  de  Launay  lit  instance  que  l'apologie  de 
M.  Vigneu  fust  leue ,  attendu  qu'il  estoit  de  ceux  que  M.  du  Moulin 
accusoit,  et  qu'il  ne  sembloit  pas  raisonnable  qu'on  refusast  d'ouir 
ses  justifications,  puisqu'on  adnieltoit  et  faisoit-on  lire  les  lettres 
des  estrangers  qui  s'ingéroient  volontairement  en  nos  différents.  Il 
fut  donc  ordonné  qu'elles  seroient  leues,  nonobstant  les  oppositions 
de  M.  de  Langle. 

Après  cette  lecture,  ledit  sieur  de  Langle  dit  qu'il  avoit  des  lettres 
de  M.  Rivet  pour  la  compagnie  et  un  escrit  fait  par  ledit  sieur  Rivet 
sur  cette  question,  demanda  que  les  lettres  fussent  lues,  ce  qui  lui 
ayant  esté  accordé ,  il  les  alla  quérir  et  apporta  avec  icelles,  non 
l'escrit,  mais  seulement  une  copie,  certifiée  par  iceluy  sieur  Rivet, 
des  trois  approbations  données  à  son  dit  escrit  par  les  pasteurs  et  pro- 
fesseurs des  trois  académies  des  Pays-Bas  qui  blasmoient  et  improu- 
voient  les  escrits  desdits  sieurs  Testard  et  Amyraut.  A  l'approbation 
des  pasteurs  de  l'académie  de  Franeker,  estoit  jointe  la  copie  d'un 
extrait  d'une  lettre  escrite  par  le  docteur  Bogerman,  un  des  pasteurs 
d'icelle,  audit  sieur  Rivet,  où  il  lui  dit  :  Collegis  meis  libellas  doctoris 
Amyraudi  légère  non  potuerain,  quia  non  intell igeremlinguam  Galli- 
cam,  ergo  itaque  ipsis  monstravi  te  omnia  in  tua  synopsi  fidelissimè 
ex  scriptis  ejus  exscripsisse.  Après  la  lecture  desdites  lettres  et  appro- 
bations, ledit  sieur  de  Langle  fit  instance  pour  que  l'épître  prélimi- 
naire de  l'escrit  de  M.  du  Moulin  adressé  aux  synodes  provinciaux  et 
au  national  fust  leue,  ce  quiluy  fut  accotdé. 

Après  que  ladite  épistre  préliminaire  eut  esté  leue,  on  mit  en  déli- 
bération quelle  procédure  on  tiendroit  ensuite  en  la  décision  de  cette 
affaire,  et  fut  résolu  qu'on  liroit  en  la  compagnie  l'escrit  entier  de 
M.  du  Moulin  d'une  suite,  et  puis  les  défenses  desdits  sieurs  Testard 
et  Amyraut  aussi  d'une  suite,  que  cela  fait,  on  reprendroit  l'escrit 
dudit  sieur  du  Moulin,  et  qu'après  en  avoir  leu  une  objection,  on 
reliroit  les  responses  et  défenses  des  accusés  sur  cette  objection,  les- 
quelles considérées  s'il  s'y  trouvoit  quelque  manque  ou  obscurité,  on 

xiu.  —  4 


50  LA    GRAÎNDE    AFFAIRE 

les  oiroit  par  leur  bouche  et  puis  ou  procéderoit  au  jugement  ;  et 
ainsi  du  surplus. 

Et  sur  ce  que  quelques-uns  représentèrent  qu'il  ne  se  faloit  pas 
arrester  aux  seules  remarques  faites  par  M.  du  Moulin  sur  les  escrits 
desdits  sieurs  Testard  et  Amyraut ,  et  qu'il  se  pourroit  faire  qu'il 
n'auroit  pas  touché  tout  ce  qui  y  étoit  digne  d'observations,  on 
nomma  commissaires  MM.  de  Langle,  de  Saintonge;  Blanc,  de  Die; 
Tixier,  du  Haut-Languedoc,  et  Blanc,  de  Poictou ,  pour  voir  et  exa- 
miner exactement  les  thèses  de  M.  Testard  et  les  deux  livres  de 
M.  Amyraut,  et  remarquer  tout  ce  qu'ils  trouveroient  à  propos  pour 
ouïr  les  accusés  sur  cela,  et  fut  enjoinct  à  tous  ceux  qui  auroient  fait 
quelque  observation  sur  les  susdits  escrits  de  la  bailler  auxdits  sieurs 
commissaires. 

Le  jeudy  11  juin  on  ne  s'assembla  point  pour  ce  que  c'estoit  le 
jour  de  la  Fête-Dieu  et  qu'on  voulut  éviter  toute  occasion  de  trouble 
et  donner  plus  de  loisir  et  de  commodité  aux  susdits  commissaires 
de  vaquer  à  leur  commission. 

Ce  jour-là,  ceux  qui  prenoient  les  intérêts  de  M.  du  Moulin,  qui 
n'étoient  ni  en  petit  nombre  ni  les  moins  considérables,  tinrent  conseil 
entre  eux  (ce  qu'on  a  sceu  qu'ils  ont  fait  encore  par  plusieurs  autres 
fois  pendant  la  tenue  du  synode),  auquel  soit  qu'ils  estimassent  que 
l'escritde  M.  du  Moulin  ne  fust  pas  assez  fortement  raisonné,  comme 
il  est  arrivé  quelquefois  à  M.  do  Langle  de  dire  en  l'assemblée,  dis- 
courant avec  quelques  paiticuhers  qu'il  avoit  escrit  librement  à  M.  du 
Moulin  que  ces  deux  messieurs  n'étoient  point  arminiens,  soit  qu'ils 
eussent  pressenti  que  la  lecture  des  responses  des  accusés  ne  seroit 
pas  advantageuse  à  M.  du  Moulin  ,  soit  qu'en  toutes  sortes  ils  vou- 
lussent tirer  M.  du  Moulin  entièrement  hors  de  cause  en  cette  affaire, 
comme  ils  l'effectuèrent  ensuite ,  ne  permettant  pas  même  que  les 
accusés,  lorsque  puis  après  ils  furent  ouïs  en  la  compagnie  en  leurs 
esclaircissements  et  qu'ils  respondirent  aux  objections  faites  contre 
eux  par  M.  du  Moulin,  proposassent  que  lesdites  objections,  comme 
faites  par  mondit  sieur  du  Moulin,  soit  pour  quelques  autres  raisons 
qui  ne  sont  pas  venues  en  évidence,  tant  y  a  qu'en  ce  dit  conseil  il 
fut  conclu  qu'il  faloit  empcschcr  que  ni  l'escrit  de  M.  du  Moulin,  ni 
les  responses  qui  y  avoient  este  faites  fussent  leus  en  la  compagnie, 
selon  qu'il  avoit  esté  urresté  en  la  précédente  séance. 

Pour  parvenir  à  cela,  M.  le  modérateur,  qui  s'estoit  toujours  et  en 


DE   MM.    XESTARD    El    AMYRAUT.  51 

toutes  occasions  montré  très  affectionné  vers  M.  du  Moulin  et  tout  ce 
qui  le  regardoit ,  représenta  à  l'entrée  de  la  séance  du  lendemain 
matin^  vendredy  12  juin,  qu'il  se  consumeroit  un  grand  temps  en  la 
lecture  del'escrit  de  M.  du  Moulin  et  des  responses  qui  y  auroient 
esté  faites,  qu'il  estoit  bon  que  la  compagnie  advisast  si  elle  vouloit 
persister  en  la  résolution  prise  en  la  dernière  séance  de  les  lire ,  ou 
s'il  seroit  point  meilleur  que  les  cinq  commissaires  nommés  pour  faire 
les  extraits  des  escrits  imprimés  des  sieurs  Testard  et  Amyraut  y 
travaillassent  incessamment,  et  puis  les  représenteroient  à  la  compa- 
gnie, afin  que  sur  iceux  les  accusés  fussent  ouïs  et  interrogés.  La 
chose  mise  en  délibération  ,  fut  dit  qu'on  ne  liroit  point  les  susdits 
escrits  et  qu'on  s'arrèteroit  aux  extraits,  et  qu'en  attendant  qu'ils 
fussent  faits,  on  travailleroit  aux  anciennes  affaires. 

Sur  la  fin  de  cette  séance,  la  compagnie  fut  requise  de  la  part  des 
accusés  que,  puisque  leurs  escrits  ne  dévoient  point  estre  leus,  et 
que  néanmoins  l'épistre  préliminaire  de  l'escrit  de  M.  du  Moulin 
avoit  esté  leue,  laquelle  pouvoit  avoir  fait  de  mauvaises  impressions 
es  esprits  par  les  odieuses  et  atroces  accusations  y  contenues,  il 
pleust  à  la  compagnie  faire  lire  aussi  leurs  responses  à  ladite 
épistre  préliminaire,  ce  qui  fut  accordé,  nonobstant  l'opposition  de 
plusieurs. 

En  la  séance  d'après-midy  donc  fut  leue  la  response  de  M.  Testard 
intitulée  E&chantillon,  etc.,  en  laquelle  M.  du  Moulin  fut  trouvé  bien 
peu  choyé,  ce  qui  déplut  à  plusieurs.  Ensuite  fut  leue  la  response  de 
M.  Amyraut.  La  lecture  de  ces  deux  écrits  emporta  toute  la  séance, 
qui  fut  estendue  une  heure  au  delà  de  l'ordinaire. 

Le  samedy  13  juin  fut  employé  à  vuider  quelques  appellations  pour 
ce  que  les  commissaires  n'avoient  achevé  de  faire  leurs  extraits. 

Le  lundy  matin,  15  juin,  les  accusés  firenî  représenter  à  la  com- 
pagnie qu'ils  estoient  depuis  longtemps  à  Alençon,  que  l'Académie 
de  Saumur  et  ladite  Eglise  demeuroieut  cependant  destituées  et  que 
dès  le  mercredy  précédent  les  commissaires  avoient  esté  chargés  de 
taire  leurs  extraits,  partant  qu'ils  supplioient  la  compagnie  d'or- 
donner que  lesdits  extraits  fussent  apportés  pour  estre  ensuite  ouïs 
sur  iceux.  Sur  quoi,  fut  dit  par  lesdits  sieurs  commissaires  que  les 
extraits  s'en  alloient  mis  par  ordre  et  qu'ils  les  apporteroient  après- 
midy. 

L'après-dîner  les  commissaires  ne  représentèrent  point  lesdits  ex- 


52  LA    GRANDE    AFFAIRE 

traits,  il  fut  demandé  qu'ils  eussent  à  les  bailler  selon  qu'il  avoit  esté 
ordonné  le  matin,  vu  même  qu'on  savoit  bien  qu'ils  estoient  achevés. 
A  quoy  fut  respondu  par  lesdits  sieurs  commissaires  que  lesdits  ex- 
traits estoient  véritablement  mis  au  net,  mais  qu'ils  avoient  encore  à 
conférer  ensemble  sur  iceux.  Eniin  dans  l'instance  qui  en  fut  faite, 
il  fut  dit  qu'ils  les  bailleroient  promptement  et  qu'ils  seroient  sur 
l'heure  mesme  leus  en  la  compagnie.  Ce  qui  fut  ainsi  effectué,  et  après 
cela  fut  mis  en  délibération  si  on  bailleroit  communication  aux  ac- 
cusés, et  fut  conclu  que  s'ils  la  demandoient,  on  ne  la  leur  refuse- 
roit  pas. 

Après  la  séance  levée,  les  accusés  qui  pressoient  le  plus  qu'ils  pou- 
voient  qu'on  travaillast  à  leurs  affaires,  ayant  sceu  que  les  extraits 
desdits  sieurs  commissaires  avoient  esté  baillés  et  leus  en  la  compa- 
gnie furent,  après  souper,  trouver  M.  Basnage  et  lui  demandèrent 
communication  des  extraits,  lequel  les  leur  bailla,  à  la  charge  qu'ils 
les  luy  rendroient  le  lendemain  matin  à  l'issue  du  presche. 

Le  mardy  matin,  16  juin,  on  ne  s'assembla  pas  parce  qu'il  y  eut 
presche. 

Après-diner,  ayant  esté  ordonné  que  lesdits  sieurs  Testard  et  Amy- 
raut  seroient  ouïs  sur  lesdits  extraits,  avant  que  de  les  faire  entrer 
on  mit  en  délibération  si  M.  de  la  Place  seroit  admis  à  entrer  avec 
eux,  et  fut  résolu  qu'il  pourroit  entrer  avec  eux  pour  estre  auditeur 
seulement  et  qu'il  n'auroit  liberté  de  parler  que  quand  on  l'intor- 
rogeroit. 

Fut  aussi  mis  en  délibération  si  MM.  Testard  et  Amyraut  seroient 
ouïs  conjointement  ou  séparément  (car  il  y  en  avoit  en  la  com- 
pagnie qui  faisoient  ce  qu'ils  pouvoient  pour  enipescher  qu'on  usast 
envers  eux  d'aucune  douceur  ni  courtoisie),  et  fut  résolu  qu'ils  se- 
roient ouïs  et  examinés  séparément  es  choses  particulières  à  l'un 
d'eux,  et  conjomtement  en  choses  qui  leur  estoient  communes. 

Ayant  tous  trois  esté  introduits,  on  demanda  aux  deux  accusés 
qui  avoient  eu  connaissance  des  susdits  extraits  s'il  estoient  d'accord 
d'avoir  escrit  ce  qui  estoit  contenu  en  iceux  j  sur  (luoi  M.  Testard 
reniar(jua  quehjues  choses  fpi'il  n'avoit  juis  dites  au  sens  qu'on  leur 
donnoit  par  Icsdils  extraits,  et  cpiclques  antres  oii  on  n'avoit  pas 
même  roteiui  ses  teimes.  Ensuite  M.  Amyraut  lit  le  seuiblable  et  se 
plaignit  peu  après  dt^s  |)rucédurcs  de  MM.  du  Moulin  et  Rivet,  re- 
présenta (juchpies  contradielious  ({ui  se  truuvoienl  en  leurs  actions. 


I 

DE    MM.    TESTARD   ET    AMYRAUT.  53 

Que  M.  du  Moulin  s'estoit,  il  y  avoit  quelque  temps^  restreinct  à  trois 
points  sur  lesquels  luy  ayant  esté  satisfait,  il  s'estoit  desparti  de  cette 
proposition.  Que  M.  Rambot,  de  Sedan,  après  avoir  vu  les  délibéra- 
tions faites  au  synode  de  l'Isle-de-France,  avoit  témoigné  par  ses  lettres 
en  demeurer  très  content,  priant  Dieu  qu'un  pareil  esprit  fust  au 
national  et  adjousté  que  M.  du  Moulin  lui  avoit  témoigné  en  avoir 
satisfaction,  choses  qu'il  dit  contraires  aux  lettres  escrites  à  cetle 
compagnie  par  les  pasteurs  de  Sedan.  Représenta  aussi  diverses 
choses  pour  le  regard  de  M.  Rivet,  mesmement  des  mauvaises  affec- 
tions envers  M.  Cameron,  se  plaignit  des  attestations  par  luy  re- 
cueillies et  dont  il  avoit  envoyé  des  copies  par  lesquelles  luy,  Amy- 
raut,  estoit  condamné  conjme  arminien,  pélagien  et  socinien.  Après 
cela,  il  pria  M.  de  Langle  de  s'abstenir  du  jugement  de  son  affaire  et 
le  récusa  sur  une  lettre  qu'il  dit  que  ledit  sieur  de  Langle  avoit 
escrite  à  quelqu'un,  en  laquelle  il  disoit  qu'il  eust  esté  à  désirer 
qu'icelui  sieur  Amyraut  eust  eu  la  main  sèche  quand  il  s'estoit  mis 
à  escrire  de  ces  choses.  Ledit  sieur  de  Langle  dit  que  cela  n'estoit 
point  et  qu'il  n'avoit  jamais  escrit  cela  à  personne.  Sur  quoi  ledit 
sieur  Amyraut  répliqua  qu'il  l'avoit  escrit  et  qu'il  en  représenteroit 
la  lettre,  et  ledit  sieur  de  Langle  persista  à  dire  qu'il  n'estoit  pas  en 
sa  puissance.  Finalement  le  sieur  Amyraut  demanda  si  l'on  enten- 
doit  agir  contre  eux  sur  les  choses  qu'on  estimeroit  choquer  l'Escri- 
ture  même,  confession  de  foi  et  liturgie,  et  le  synode  de  Dordrecht 
seulement,  ou  bien  généralement  sur  toutes  autres,  et  aussi  bien  sur 
celles  qui  ne  choqueroient  point  les  règles  de  mesme  croyance, 
comme  sur  celles  qui  les  heurteroient.  Après  quoi  estant  sortis,  cette 
chose  mise  en  délibération,  ensemble  la  question  sur  quel  point  on 
commenceroit  à  les  ouïr,  il  fut  dit  qu'il  estoit  en  la  liberté  et  en  la 
puissance  de  la  compagnie  de  les  interroger  et  leur  demander  esclair- 
cissement  généralement  sur  tout  ce  qu'ils  avoient  escrit  et  qu'il  leur 
seroit  ordonné  de  venir  le  lendemain  matin  exposer  en  la  compagnie 
leur  sentiment  sur  l'ordre  des  décrets. 

Le  lendemain  matin  donc,  mercredy  17  juin,  lesdits  accusés  ayant 
esté  introduits  en  la  compagnie,  M.  Amyraut  représenta  une  lettre 
que  M.  de  Langle  reconnut  estre  escrite  et  signée  de  sa  main  et  qui 
estoit  sans  date,  en  laquelle  estoient  ces  paroles  qui  furent  leues  tout 
haut  en  la  compagnie  :  Je  ne  vous  sçaurois  exprimer  combien  de  mau- 
vaises conséquences  les  infirmes  tireront  de  la  doctrine  de  M.  Amyraut; 


54  LA   GRANDE    AFFAIRE 

■plust  à  Dieu  quil  eust  eu  la  main  sèche  quand  il  a  voulu  escrire  sur 
ces  matières  et  que  Dieu  l'eust  remise  en  vigueur  quand  il  l'eust  voulu 
employer  à  la  défense  de  sa  cause,  ce  qu'il  pouvait  foire  magnifique- 
ment. M.  de  Langle  se  trouva  un  peu  estonné  et  dit  qu'il  ne  se  sou- 
\  enoit  pas  d'avoir  escrit  cette  lettre  de  laquelle  toutefois  M.  Amyraut 
n'avoit  nul  sujet  de  s'offenser  et  que  les  dernières  paroles  le  dévoient 
satisfaire.  M.  Amyraut  persistant  nonobstant  en  sa  récusation,  il  fut 
ordonné  que  M.  de  Langle  denieureroit  et  que,  quand  il  s'agit  de  la 
doctrine^  nul  n'est  récusablo.  Après  cela  lesdits  sieurs  Testard  et 
Amyraut  furent  ouïs  en  leurs  sentimens  touchant  l'ordre  des  décrets 
et  leur  fut  donné  une  pleine  et  paisible  audience.  Après  qu'ils  eurent 
achevé  de  parler  et  qu'ils  furent  sortis,  on  mit  en  délibération  quel 
ordre  on  auroit  à  tenir  en  Texamen  et  jugement  qui  estoit  à  faire,  et 
fut  résolu  que  chacun  diroit  son  opinion  et  son  sentiment  sur  les 
choses  qui  avoient  esté  ouïes  (ce  qui  fut  qualifié  et  appelé  conversa- 
tion), et  qu'après  que  tous  auroient  proposé  leur  sentiment  et  que 
par  les  choses  mises  en  avant  par  ceux  de  la  compagnie,  en  disant 
les  advis,  un  chacun  auroit  eu  moyen  et  loisir  de  mieux  poser  toutes 
choses  et  former  son  opinion,  les  voix  seroient  prises  de  ce  qui  seroit 
à  conclure  et  prononcer.  Ainsi  finit  cette  séance,  à  l'issue  de  la- 
quelle on  dit  aux  accusés  qu'après  midi  ils  apporteroient  chacun  un 
escrit  contenant  sommairement  les  raisons  qu'ils  avoient  le  matin 
proposées,  afin  d'y  avoir  recours  si  besoin  estoit. 

A  la  séance  d'après  midi,  les  accusés  baillèrent  les  escrits  som- 
maires qui  leur  avoient  esté  demandés  le  matin,  lesquels  furent  leus 
en  leur  absence,  et  sur  l'instance  qui  fut  faite  par  M.  de  la  Place 
qu'il  lui  fust  permis  de  parler  aussi  pour  l'Académie  de  Saumur  qui 
l'avoit  député  et  envoyé,  fut  dit  que  quand  M.  Amyraut  auroit  parlé, 
s'il  avoit  quelque  chose  à  adjouter  qui  n'eust  pas  été  dit,  il  lui  seroit 
permis  de  parler  et  non  autrement. 

Après  cela  on  commença  à  converser  et  opiner  sur  ce  qui  avoit 
esté  dit  et  proposé  le  matin  par  \os  accusés,  et  (luand  M.  Coupé,  ad- 
joint, et  M.  Blondel,  secrétaire,  eurent  opine,  M.  de  Launay,  autre 
secrétaire,  estant  en  rang  de  j)arler,  dit  (iiir  l;i  (lis(M|iline  et  ensuite 
l'arrest  du  synode  de  Montpellier,  1598,  Nuuiuient  (|nf  les  points  de 
doctrine  fussent  jugés  et  décidés  par  les  voix  des  seuls  |)asteurs  et 
qu'ainsi  en  cette  alfaire  les  anciens  pouvoicnt  bien  pro[)oser  et  ob- 
jecter sur  chacune  question  ce  qui  leur  sembleroit  bon,  mais  que  les 


I 


DE   MM.   TESTARD   ET    AMTRATJT.  55 

seuls  pasteurs  dévoient  donner  voix  décisive,  que  de  plus  il  importoit 
à  Thonneur  et  à  la  validité  des  jugomens  que  la  compagnie  donne- 
roit  en  cette  affaire,  que  les  anciens  n'y  opinassent  pas  pour  ce  que 
si  lesdits  jugements  étoient  autres  que  les  accusés  ne  désireroient, 
ils  pourroient  s'efforcer  de  les  affaiblir  et  invalider,  disant  qu'ils 
avoient  passé  par  les  voix  des  anciens  qui  d'ordinaire  ne  sont  pas 
versés  en  ces  questions  les  plus  hautes  et  les  plus  hardues  de  la  théo- 
logie. Cette  proposition  ne  fut  pas  bien  receue  par  M.  Basnage,  ni  ne 


pleut  pas  à  quelques  autres  pasteurs  qui  voulurent  la  rejecter.  Elle 
fut  néanmoins  mise  en  délibération  et  fut  dit  que  les  seuls  pasteurs 
opineroient  lorsqu'on  viendroit  à  prendre  les  voix  p'ôïïnÊrdecision. 
A  quoi  M.  Basnage  eut  de  la  peine  à  acquiescer,  alléguant  qu'au 
synode  de  Dordrecht  les  anciens  y  avoient  opiné. 

Après  cela  on  continua  à  converser  et  opiner,  mais  comme  environ 
le  tiers  des  pasteurs  avoit  opiné  sur  divers  discours  qui  furent  tenus 
sur  cette  question,  il  fut  advisé  et  conclu  qu'auparavant  que  pouvoir 
bien  déterminer  ce  point,  il  estoit  entièrement  nécessaire  de  traiter 
de  la  matière  des  décrets  particuliers,  qu'icelle  décidée  il  seroit  plus 
facile  de  déterminer  l'ordre.  On  s'arresta  donc  là  et  ayant  fait  entrer 
les  accusés,  on  leur  dit  la  délibération  de  la  compagnie,  et  que  le 
lendemain  après  midi  (pour  ce  qu'on  ne  s'assembleroit  pas  le  matin), 
on  vouloit  les  ouïr  sur  l'envoi  de  Jésus-Christ  pour  tous  universelle- 
ment et  sur  les  décrets  conditionnels,  et  qu'on  désiroit  qu'en  fin  de 
leurs  discours  ils  en  baillassent  un  sommaire  par  escrit.  Il  leur  fut  dit 
de  plus,  à  la  réquisition  de  quelques-uns  (auxquels  M.  le  modérateur 
estoit  fort  complaisant),  et  sans  qu'il  en  eust  esté  délibéré,  qu'en 
leurs  divisions  et  en  leurs  sommaires,  ils  ne  nommassent  plus  M.  du 
Moulin,  mais  que  quand  ils  viendroient  à  proposer  ou  réfuter  ses  raisons 
et  ses  objections,  ils  le  fissent  dans  des  termes  indéfinis,  comme  on 
dit,  on  objecte,  et  termes  semblables.  Quelques-uns  tournèrent  cela 
au  désadvantage  de  M.  du  Moulin,  disant  que  par  cela  ceux  qui  por- 
toient  ses  intérêts  et  qui  avoient  prononcé  cette  défense  tesmoi- 
gnoient  reconnaître  ses  raisons  faibles  et  peu  dignes  de  son  nom. 

Le  jeudy  18  juin  estoit  l'octave  de  la  Fête-Dieu  qui  empescha  qu'on 
s'assemblast  le  matin. 

La  séance  d'après  midy  fut  toute  employée  à  ouïr  les  accusés  sur 
l'envoy  de  Jésus-Christ  pour  tous  universellement  et  à  peine  y  peut- 
elle  suffire.  N'ayant  donc  pas  eu  de  temps  en  cette  séance  pour  dire 


56  LA    GRANDE    AFFAIRE 

leurs  sentimens  sur  les  décrets  conditionnels,  on  voulut  avant  que 
passer  outre  qu'ils  les  expliquassent  et  qu'ils  les  proposassent  le  len- 
demain en  la  compagnie. 

lis  furent  donc  ouïs  sur  cela  le  lendemain  vendredi  19  juin  après 
midi  et  y  feut  toute  cette  séance  employée.  Plusieurs  estimoient 
qu'ensuite  on  travailleroit  le  lendemain,  au  jugement  de  tout  ce  que 
jusque-là  les  accusés  auroient  proposé  et  eux  aussi  s'y  attendoient 
et  le  requirent,  représentant  que  les  raisons  qu'ils  avoient  déduites 
se  pourroient  escouler  de  la  mémoire  de  la  compagnie.  Mais  M.  le 
modérateur,  sans  prendre  l'advis  de  la  compagnie,  leur  respoiidit 
que  les  escrits  qu'ils  bailloient  remédioient  à  cela  et  qu'il  estoit  plus 
à  propos  qu'ils  s'expliquassent  sur  l'universalité  et  suffisance  de  la 
grâce  présentée  à  tous.  Ils  demandèrent  donc  qu'on  leur  donnast  un 
peu  de  respit,  ce  qui  leur  fut  accordé  et  furent  remis  au  lundi 
suivant. 

Ils  demandèrent  aussi  que  si  quelques-uns  avoient  des  objections 
à  faire  contre  les  choses  qu'ils  avoient  déduites,  elles  leur  fussent 
communiquées  afin  d'y  satisfaire.  A  quoi  M.  le  modérateur  respondit 
que  cela  se  pourroit  faire  après  que  la  compagnie  auroit  concerté 
sur  tout  ce  qu'ils  avoient  dit,  mais  il  fit  puis  après  bien  paroître  qu'il 
n'avoit  nulle  inclination  en  cela. 

M.  Bochard,  de  Caen,  et  trois  autres  pasteurs  de  la  province  qui 
estoient  arrivés  le  jour  précédent  eurent  permission  d'entrer  au  sy- 
node pendant  que  les  susdits  sieurs  Testard  et  Amyraut  parloient. 

Le  samedi  20  juin,  on  travailla  aux  appellations. 

Le  lundi  22  juin  au  matin  les  accusés  furent  ouïs,  et  comme 
M.  Testard,  qui  parloit  toujours  le  jjremier,  approchoit  de  la  fin  de 
son  discours,  touchoit  V universalité  de  l'invitation  et  alléguoit  di- 
verses autliorités  pour  fortifier  ce  qu'il  avoit  dit,  M.  le  modérateur 
rinterrompit  et  lui  demanda  s'il  avoil  encore  beaucoup  d'authorités 
à  produire,  et  sur  cela  M.  de  Langlc  et  ensuite  de  lui  plusieurs  autres 
se  mirent  à  dire  qu'il  n'estoit  point  besoin  de  s'esteudre  tant  sur 
cette  question  de  l'invitation  et  vocation  universelle  et  qu'ils  en  con- 
venoient  tous,  mais  que  le  principal  point  estoit  de  la  suffisance 
d'icelle,  et  ainsi  lui  fit-on  mettre  fin  à  son  discours  et  requit-on 
M.  Amyraut,  au(jucl  cela  touchoit  principalement,  de  s'expliquer  sur 
cette  suffisance ,  lequel  ayant  dit  quelque  chose  sur  cette  universa- 
lité, remit  à  l'après-dîner  de  parler  de  la  suffisance  et  de  la  nécessité 


DE   MM.    TESTARD    ET    AMYRAUT.  57 

de  la  connaissance  distincte  de  Jésus-Christ,  pour  ce  que  l'heure  de 
finir  la  séance  s'en  alloit  passer. 

Après  midi,  ils  furent  ouïs  sur  cette  question  sur  laquelle  M.  Tes- 
tard  ne  s'estendit  pas  beaucoup  pour  ce  qu'il  n'en  avoit  point  parlé 
en  ses  thèses,  et  que  cela  appartenoit  à  M.  Amyraut  qui  la  traita 
bien  et  amplement. 

Ce  discours  fini,  on  les  interrogea  sur  le  péché  originel,  sur 
V impuissance  physique  et  morale,  spécialement  M.  Testard  sur  ce 
qu'il  avoit  dit  que  les  méchants  pouvaient  estre  sauvés  s'ils  voulaient. 
Et  M.  Amyraut  sur  ce  qu'il  avoit  dit  que  ce  qui  avoit  meu  Dieu  à 
créer  le  monde  estait  l'exercice  de  sa  bonté,  et  lui  objecta  le  4^  v.  du 
XVIech.  des  Prov.  L'un  et  l'autre  s'expliqua  fort  bien  sur-le-champ, 
spécialement  M.  Amyraut  sur  les  passages  des  Proverbes.  Ainsi  s'a- 
cheva cette  séance,  et  estoit  près  de  sept  heures.  M.  Bochard  de 
Caen,  et  les  trois  autres  pasteurs  qui  estoient  venus  avec  lui,  assis- 
tèrent encore  aux  deux  séances  de  ce  jour-là,  et  s'en  allèrent  le  len- 
demain. 

Cette  après-dînée-là,  M.  Amyraut  se  plaignit  de  ce  que  nonobstant 
qu'il  eust  esté  ordonné  que  l'escrit  de  M.  Rivet  leur  seroit  commu- 
qué,  ils  n'avoient  peu  l'avoir,  ni,  par  conséquent,  y  donner  de  leurs 
responses.  Sur  quoy,  M.  le  modérateur  lui  dit,  que  pourvu  qu'ils  sa- 
tisfissent à  ce  que  la  compagnie  leur  proposeroit,  ils  seroient  tenus 
snffisamment  justifiés.  Ainsi  ne  leur  fut-il  point  communiqué,  dont 
la  raison  fut,  comme  on  estimoit,  la  diversité  qui  estoit  entre  l'escrit 
lu  de  M.  du  Moulin,  et  celui-là  qui  estoit  beaucoup  plus  modéré  et 
équitable  que  celui  de  M.  du  Moulin  auquel  cela  eust  tourné  à  désad- 
vantage,  car  on  jugeoit  bien  que  les  accusés  s'en  fussent  prévalus,  et 
en  eussent  bien  sceu  faire  leur  profit. 

Le  mardy  au  matin,  23  juin,  on  commença  alors  les  sommaires  des 
accusés  sur  l'universalité  de  la  mort  de  Jésus-Christ,  etleut-on  si  len- 
tement qu'on  donnoit  loisir  et  commodité  à  quiconque  vouloit  de  cot- 
ter  et  d'escrire  ce  sur  quoi  il  vouloit  arrester  sa  pensée  et  faire  con- 
sidération; car,  il  sembla  toujours  au  traité  de  cette  afi"aire,  qu'on 
cherchoit  d'en  tirer  en  longueur  la  décision.  Après  qu'ont  eut  leu 
l'escrit  de  M.  Testard,  celui  de  M.  Amyraut  ne  se  trouvant  pas,  on 
ne  passa  pas  plus  outre  en  cette  affaire,  et  la  remit-on  à  la  séance 
d'après  midi. 

Après  midi,  l'escrit  de  M.  Amyraut  ayant  esté  apporté,  au  lieu  de 


58  LA    GRANDE    AFFAIRE 

procéder  à  la  ..cture  d'icelui,  M.  le  modérateur  se  mit  à  le  ques- 
tionner, et  lui  demanda  un  éclaircissement  spécial  du  mot  également 
en  ce  qu'il  avoit  dit  Christ  estre  mort  également  pour  tous  hommes. 
Puis  après,  de  ce  qu'il  avoit  dit  que  la  loi  morale  prise  précisément  ne 
promettoit  quune  vie  et  félicité  terrestre  en  la  (erre  de  Canaan,  quoique 
le  jour  précédent,  il  eust  esté  dit  qu'il  n'estoit  point  besoin  de  pren- 
dre esclaircissement  sur  cette  question.  M.  Amyraut  respondit  et 
satisfit,  il  fut  congédié.  Après  quoi,  M.  le  modérateur  mit  sur  le  bu- 
reau une  appellation  pour  la  faire  juger,  mais  sur  l'instance  faite  par 
un  des  secrétaires  qu'on  continuast  à  travailler  à  l'affaire  des  sieurs 
Testard  et  Amyraut  qui  traînoit  depuis  si  longtemps,  on  laissa  cette 
appellation  sous  le  prétexte  qu'il  ne  restoit  plus  guère  de  temps  de 
cette  séance.  M.  le  modérateur  revint  sur  l'appellation  dont  il  avoit 
parlé  à  l'entrée. 

Le  mercredi  matin,  24  juin,  il  y  eut  presche,  à  l'issue  duquel  quel- 
ques-uns se  dirent  lun  à  l'autre  qu'on  ne  parleroit  point  après  dîner 
de  MM.  Testard  et  Amyraut,  et  que  M.  le  modérateur  avoit  promis 
diverses  audiences. 

A  la  séance  d'après  dîner,  après  que  la  compagnie  fut  assemblée, 
quelqu'un  du  corps  d'icelle  demanda  permission  de  dire  un  mot,  et 
comme  un  des  secrétaires  eut  représenté  qu'il  avoit  este  résolu  que 
toutes  autres  choses  cessantes,  on  travailleroit  à  l'affaire  de  ces  Mes- 
sieurs, M.  de  Langle,  qui  a  toujours  esté  de  grande  intelligence  et 
confidence  avec  M.  le  modérateur,  s'esleva,  et  fit  qu'audience  fu^t 
donnée  à  celui  qui  l'avoit  demandée.  Cette  affaire,  en  laquelle  on 
avoit  dit  qu'il  n'y  avoit  qu'un  mot,  avoit  esté  concertée  avec  M.  le 
modérateur,  M.  l'adjoint  et  M.  de  Langle,  et  emporta  plus  de  deux 
heures  de  temps,  après  lesquelles  on  dit  (lu'il  estoit  trop  tard  pour 
entrer  en  l'affaire  de  ces  deux  Messieurs,  et  qu'il  la  falloit  remettre 
au  lendemain  matin. 

Le  jeudi  matin,  la  compagnie  estant  formée,  M.  le  modérateur, 
après  la  [)rière,  fit  un  petit  discours  exhortant  un  chacun  à  apporter 
à  la  discussion  et  décision  des  questions  es  (pielles  ou  alloit  entrer, 
l'attention,  la  tranquillité,  la  charité  et  la  sincérité  requises  pour  ter- 
miner cette  affaire  à  la  gloire  de  Dieu,  à  la  conservation  de  la  vérité, 
et  à  l'édification  et  à  la  consolation  de  son  Eglise. 

En  suite  de  ce  discours,  la  province  des  Cévennes  demanda  ([u'il 
lui  lut  permis  do  dire  quelque  chose  d'important,  ce  qui  ne  devoit 


DE   MM.    TESTARD    ET    AMYRAUT.  59 

pas  lui  estre  accordé,  vu  la  résolution  du  jour  précédent.  La  permis- 
sion lui  en  ayant  esté  néanmoins  donnée,  M.  de  Bony,  un  des  pas- 
teurs de  ladite  province,  dit  que,  puisque  c'estoit  chose  notoire  que 
le  sentiment  de  MM.  Testard  et  Amyraut  ne  leur  estoit  pas  particu- 
lier, mais  estoit  commun  à  plusieurs  et  mesme  à  quelques  provinces, 
ils  requéroient  pour  leur  province,  qu'enimitant  la  prudence  du  synode 
de  Dordrccht  où  il  y  avoit  des  pasteurs  de  divers  sentimens  qui  s'es- 
toient  supportés  les  uns  les  autres,  il  plust  à  la  compagnie  ne  se  point 
porter  à  une  décision  précise  des  choses  dont  on  estoit  en  dispute, 
mais  vouloir  les  pacifier  doucement,  et  pour  ce  faire  députer  deux  pas- 
teurs pour  chacune  des  deux  opinions,  et  y  en  adjouter  un  cinquième 
qui  ne  parust  point  attaché  à  l'un  ni  à  l'autre  des  deux  partis,  et 
que  ces  cinq  pasteurs  fussent  chargés  d'adviser  aux  moyens  qu'il  y 
auroit  d'apaiser  toutes  ces  contentions.  Cette  proposition  surprit  fort 
toute  la  compagnie  et  fut  trouvée  hors  temps.  Et  fut  résolu  tout  d'une 
voix  qu'on  viendroit  à  la  concertation  suivante,  ce  qui  avoit  esté  déli- 
béré au  jour  précédent,  et  qu'après  icelle,  on  verroit  quel  lieu  il  y 
auroit  à  la  proposition  de  ladite  province.  Cet  incident  emporta  une 
heure  et  demie  de  temps,  ensuite  duquel  quatre  opinèrent  sur  ce  qui 
avoit  esté  dit  par  lesdits  Testard  et  Amyraut,  et  pour  ce  qu'il  estoit 
près  de  douze  heures,  la  séance  se  termina  là. 

A  la  séance  d'après-midi,  six  opinèrent. 

Es  deux  séances  du  vendredi,  26  juin,  fut  achevée  cette  concerta- 
tion sur  l'universalité  de  la  mort  de  Christ  sous,  la  condition  de  la  foy, 
car  toutes  les  difficultés  et  toutes  les  raisons  qui  estoient  à  considérer 
sur  cette  matière  ayant  esté  touchées  et  déduites  amplement  par  les 
dix  premiers  opinants,  les  autres  qui  suivirent  furent  plus  succincts, 
plus  courts  en  leurs  opinions.  Cette  concertation  finie,  fut  mis  en  dé- 
libération si  onprocéderoit  au  jugement  de  ce  point-là,  ou  si  on  conti- 
nueroit  la  concertation  sur  les  autres  points  restans.  M.  le  modéra- 
teur, M.  de  Langle  et  plusieurs  autres  de  leurs  plus  affidés  désiroient 
fort  la  continuation;  mais  la  chose  passa  autrement;  car,  après  plu- 
sieurs discours  et  considérations,  il  fut  résolu  que,  par  billets,  on 
nommeroit  sept  commissaires  pour  conférer  ensemble,  tant  sur  les 
points  concertés,  que  sur  tous  les  autres,  ouïr  de  rechef  sur  iceux  les 
accusés  selon  qu'ils  le  trouvoient  à  propos,  et  adviser  ensuite  des 
moyens  de  conciliation,  et  terminer  ces  contentions,  afin  d'en  faire 
puis  après  rapport  à  la  compagnie  qui  en  jugeroit  et  détermineroit. 


60  LA    GRANDE    AFFAIRE 

Les  sept  commissaires  sur  lesquels  tomba  la  pluralité  des  voix,  furent 
MM.  de  Langle,  Charles,  de Montauban;  Le  Blanc,  de  Die;  Commaré, 
de  Saintonge;  de  Bons,  de  Bourgogne;  Petit,  de  Nîmes,  et  Daillé. 

Lesdits  commissaires  travaillèrent  à  cette  affaire  tout  le  samedi  27 
du  mois,  quelques  heures  du  dimanche  28,  tout  le  lundi  29,  et  le 
mardi  30  jusqu'au  soir.  Pendant  tout  ce  ten)ps,  la  compagnie  tra- 
vailla à  d'autres  affaires. 

Le  mercredi  matin,  le"- juillet,  il  y  eut  presche,  et  ne  s'assembla- 
on  point. 

La  séance  d'après  midi  se  commença  par  deux  petites  affaires,  les- 
quelles ayant  esté  vuidées,  M.  le  modérateur  mit  sur  le  bureau  une 
appellation  ;  mais  sur  l'instance  qui  fut  faite  par  quelques-uns  d'ouïr  les 
rapports  des  susdits  commissaires,  il  fut  résolu  qu'audience  leur  seroit 
donnée.  Ainsi,  ils  commencèrent  à  exposer  ce  qu'ils  avoient  fait,  et 
ensuite  à  mettre  es  mains  des  secrétaires  le  cahier  par  eux  dressé  sur 
ces  matières,  après  la  lecture  duquel  ils  dirent  qu'ils  n'avoient  point 
fait  d'articles  sur  le  point  de  la  fin  de  Dieu  en  la  création  du  monde, 
ni  sur  le  péché  originel,  pour  ce  qu'ils  avoient  creu  que  la  compagnie 
estoit  demeurée  satisfaite  des  esclaircissemens  donnés  en  icelle  par 
les  accusés. 

En  suite  de  cela  fut  mis  en  délibération  ce  qui  estoit  à  faire,  et  fut 
résolu  que  ledit  cahier  seroit  derechef  leu,  et  qu'après  la  lecture 
d'un  article,  la  compagnie  délibéreroit  sur  icclui  avant  que  passer  à 
la  lecture  du  subséquent.  Ainsi  furent  tous  les  articles  lus  et  conclus 
en  cette  séance  sans  que  changement  y  fût  apporté,  sinon  de  quel- 
(jues  mots  peu  importants. 

11  fut  résolu,  après  cela,  qu'on  feroit  quelques  règlements  pour 
l'advenir,  et  la  charge  de  les  dresser  fui  donnée  à  MM.  de  la  Table. 
Le  vendredi,  3  juillet  après  midi,  fut  présenté  et  leu  en  la  compa- 
gnie le  susdit  règlement. 

Le  samedi,  ^t  juillet  au  matin,  on  fit  entrer  MM.  Testard  et  Amy- 
raut,  et  leur  leut-on  les  articles  dressés  par  les  susdits  commissaires, 
conclus  et  arrestés  en  la  coni|)agnie,  auxquels  ils  acquiescèrent. 

On  vint  puis  après  à  leur  lire  le  règlement  susdit  auquel  M.  Tes- 
tard acquiesça.  M.  Amyraut  y  fit  difficulté,  et  pria  la  compagnie 
d'en  faire  rayer  ces  mots  :  Comme  est  celle  de  la  nature  de  la  béuli- 
ludr  j,roi)i>s(}c  par  /'nllia/ice  léijalc  considérée  précisémeitt,  et  de  la  suf- 
fisance du  coiicdirrs  dr  lu  /'rovideiice  pour  mentr  les  huviiiics  à  repen- 


DE    MM.    TESTARD    ET    AMïRAUT.  61 

tance  et  salut,  lesquels  mots  étoient  insérés  sur  le  commencement 
après  les  mots  de  questions  curieuses  et  qui  pouvoient  estre  en  achop- 
pement. Le  jour  précédent,  quand  ledit  règlement  fut  rapporté  etleu 
en  la  compagnie,  M.  Coupé  adjoint,  qui  n'a  jamais  favorisé  ni  incliné 
aux  sentimens  de  M.  Amyraut,  avoit  demandé  la  radiation  de  ces 
mêmes  mots,  et  quelque  autre  encore  de  la  compagnie  avec  lui  pour 
ce  qu'il  leur  sembloit  que  c'estoit  chose  trop  rigoureuse  de  défendre 
à  peine  de  suspension  de  parler  en  aucune  sorte  de  ces  choses,  et 
que  sans  cela  on  pourroit  dresser  des  pièges  autant  aux  uns  qu'aux 
autres,  à  ceux  qui  tenoient  la  négation  aussi  bien  qu'à  ceux  qui  te- 
noient  l'affirmative.  La  raison  que  M.  Amyraut  alléguoit  de  sa  de- 
mande fut  que  cela  le  notoit,  et  que  le  synode,  défendant  sur  peine 
de  déposition  de  traiter  de  ces  choses,  déclaroit  tacitement  qu'il  mé- 
ritoit  d'estre  déposé  pour  en  avoir  traité,  et  adjousta  enfin  que  si 
la  compagnie  n'agréoit  de  faire  faire  ladite  radiation,  il  lui  remettroit 
dès  l'heure  la  charge  de  professeur  en  théologie,  se  contentant  de 
celle  de  pasteur  en  l'Eglise  de  Saumur.  Sur  cela,  lui  et  M.  Testard 
sortirent,  et  fut  l'affaire  mise  en  délibération,  et  résolu  que  ladite  ra- 
diation seroit  faite;  mais  que  ledit  sieur  Amyraut,  s'obligeroit  par 
serment,  de  ne  traiter  ni  parler  de  ces  choses,  et  que  si  les  escho- 
liers  en  parloient  ou  le  vouloient  engager  à  en  parler,  il  leur  impose- 
roi  t  silence. 

M.  Amyraut  hésita  quand  cette  proposition  lui  fut  prononcée, 
estimant  qu'on  le  resserroit  par  trop,  et  dit  qu'il  ne  pouvoit  pas  se 
départir  d'une  opinion  qu'il  tenoit  véritable  et  orthodoxe,  et  laquelle 
il  estoit  prest  de  prouver  telle.  La  compagnie  lui  ayant  sur  cela  répliqué 
qu'on  lui  laissoit  la  liberté  de  sa  créance  sur  ces  choses  et  qu'on  re- 
quéroit  seulement  qu'il  se  tinst  en  silence  sur  icelles,  il  acquiesça  et 
fit  la  promesse  qu'on  désiroit,  avec  mescontentement  toutesfois  de  se 
voir  si  fort  pressé,  et  des  mots  à  peine  de  déposition  insérés  au  susdit 
règlement,  et  pour  tin  requit  qu'on  fist  que  les  estrangers  n'escri- 
vissent  point  sur  ces  matières  pour  ce  qu'en  ce  cas  il  ne  pourroit  pas 
se  taire. 

Le  jeudy,  9  juillet,  le  synode  ayant  mis  fin  à  toutes  les  affaires, 
on  fit  en  la  séance  d'après  midi  commencer  à  faire  faire  la  lecture 
publique  des  actes  dudit  synode,  afin  de  les  signer  ensuite  et  se  sépa- 
rer; et  comme  on  fut  veim  à  la  lecture  des  articles  concernant 
l'atTaire  de  MM.  Testard  et  Amyraut,  et  qu'on  leut  l'mjonction  à  eux 


62  LA    GRANDE   AFFAIRE    DE   MM.    TESTARD   ET   AMYRAUT. 

faite  par  la  compagnie  de  s'abstenir  à  l'advenir  des  termes  de  décret 
conditionnel  frustratoire  et  révocable,  M.  le  modérateur  dit  qu'on 
avoit  obmis  et  de  miséricorde  universelle,  et  qu'il  le  falloit  adjouster. 
A  quoi  fut  respondu  par  les  secrétaires  que  ces  mots-là  n'avoient 
point  esté  obmis,  et  qu'ils  n'estoient  point  es  articles  dressés  par  les 
commissaires,  rapportés,  leus  et  arrestés  en  la  compagnie,  sur  quoi 
s'estant  esmeue  contestation,  et  ledit  sieur  modérateur  avec  quelques 
autres  de  sa  confidence  maintenant  qu'ils  y  estoient,  fut  l'original 
desdits  articles  escritde  la  main  d'un  desdits  commissaires  représenté 
par  les  secrétaires,  où  lesdits  mots  ne  se  trouvèrent  pas.  Pour  cela, 
ledit  sieur  modérateur  et  les  siens  ne  se  voulurent  pas  rendre,  et 
dirent  que  s'il  n'y  avoit  esté  adjousté,  il  l'y  falloit  adjouster,  et  que 
la  compagnie  estoit  sur  ses  pieds  pour  l'y  faire  adjouster.  11  fut  res- 
pondu que  c'estoit  une  chose  jugée,  que  le  synode  estoit  sur  le  point 
de  sa  séparation,  et  que  mesmes  quelques-uns  estoient  partis  le  ma- 
tin, que,  puisque  Dieu  avoit  fait  la  grâce  à  la  compagnie  après  tant 
de  temps  et  de  travail  employés  à  cette  affaire  de  la  pacifier  et  ter- 
miner heureusement,  on  ne  devoit  point  chercher  subjet  ni  occasion 
de  renverser  ce  qu'on  avoit  eu  tant  de  peine  à  construire,  et  de  nous 
faire  rentrer  en  brouilleries  et  contestations  dont  Dieu  nous  avoit 
tirés  par  sa  miséricorde.  M.  le  modérateur,  nonobstant,  ne  laissa  pas 
de  faire  mettre  la  chose  en  délibération,  à  savoir  si  on  adjousteroit 
ou  non  les  mots  de  miséricorde  universelle.  Comme  donc  M.  l'adjoint 
qui,  en  cette  allaire,  a  toujours  suivi  les  mouvements  et  les  machi- 
nations de  M.  le  modérateur  commençoità  opiner,  un  des  secrétaires 
dit  qu'ayant  esté  la  chose  jugée  et  résolue  en  la  compagnie,  il  falloit 
avant  que  la  remettre  en  délibération,  délibérer  si  on  en  délibércroit  de 
nouveau,  et  sur  son  instance  cela  fut  mis  en  délibération.  La  plura- 
lité des  voix  estant  allée  à  en  opiner  de  rechef,  les  voix  furent  prises 
sur  cela,  et  conclu  par  la  pluralité  que  les  choses  demeureroient 
ainsi  qu'elles  estoient,  sans  ladite  addition.  M.  le  modérateur  ne  peut 
alors  se  contenir,  ni  déguiser  et  cacher  son  desplaisir,  et  protesta 
que  c'estoit  contre  son  assentiment,  et  qu'il  en  dcschargeoit  sa  con- 
science. Après  cela,  on  fit  entrer  MM.  Tcstard  etAmyraut,  auxquels 
on  fit  signer  les  articles  arrestés  sur  leur  affaire,  et  après  qu'ils 
eurent  reçu  de  MM.  de  la  Table  la  n)ain  de  paix  et  de  concorde  frater- 
nelle, ils  furent  renvoyés  en  l'exercice  de  leurs  charges,  et  ce  fut  la 
fin  de  la  séance. 


QUATRE    DÉPÊCHES   AU    SUJET    d'uN    BAPTÊME.  63 

Le  lendemain  matin^  vendredy  10  juillet,  fut  continuée  et  achevée 
la  lecture  desdits  articles,  en  fin  de  laquelle  les  actes  furent  signés, 
actions  de  grâce  rendues  à  Dieu  et  au  Roy,  et  la  compagnie  con- 


gédiée. 


On  sait,  d'après  le  procès-verbal  officiel,  comment  se  termina  cette  affaire. 
MM.  Testard  et  Amyraut  furent  renvoyés  honorablement  et  n'eurent  rien 
à  rétracter.  On  les  pria  seulement  d'user  de  prudence  et  ils  promirent  de 
s'abstenir  de  toute  façon  de  parler  qui  pourrait  soulever  des  clameurs.  En 
faisant  cette  promesse,  ils  déclarèrent  qu'ils  répondraient  s'ils  étaient 
attaqués. 

On  a  produit  tout  récemment,  comme  un  argument  contre  les  synodes 
actuels  ou  futurs,  une  boutade  dans  laquelle  Pierre  du  Moulin  dit  que  les 
synodes  <<  sont  devenus  lâches,  »  et  où  il  se  plaint  à  Samuel  de  Langle,  son 
neveu,  de  ce  qu'il  a  l'air  d'approuver  «  que  M.  Amyraut  puisse  l'appeler  «m 
orgueilleux  cherchant  sa  gloire  et  un  ennemi  juré  de  la  grâce  de  Dieu.  » 
{Le  Lien,  de  1864,  p.  6.)  S'il  y  avait  là  autre  chose  que  l'effet  d'un  moment 
de  mauvaise  humeur,  il  faudrait  y  voir  un  blâme  de  la  liberté  de  discussion 
et  une  critique  mordante  des  procédés  mis  en  usage  par  les  journaux. 

Qu'on  veuille  bien  se  rappeler  d'ailleurs  que  du  Moulin  était  l'adversaire 
le  plus  acharné  de  Testard  et  d' Amyraut.  S'il  ne  put  obtenir  leur  condam- 
nation, c'est  qu'il  est  dans  la  nature  des  assemblées  délibérantes  de  traiter 
avec  ménagement  des  hommes  instruits,  considérés  et  consciencieux.  Toutes 
les  clameurs  dont  nous  avons  parlé  vinrent  échouer  contre  la  sagesse  du 
synode  d'Alençon.  C'est  donc  à  ce  synode  qu'il  faut  attribuer  le  mérite 
d'avoir  calmé  cet  orage.  Ce  qui  inspirait  à  du  Moulin  son  mécontentement 
momentané  des  synodes,  <levrait,  à  notre  avis,  les  faire  désirer  par  ceux 
qui  les  repoussent  aujourd'hui.  Ph.  C. 

Montpellier,  janvier  1864. 


QUATRE  DÉPÊCHES  AU  SUJET  D'UN  BAPTÊRIE 

CÉLÉBRÉ  PAR   LE   PASTEUR  CLAUDE,   EN    SA  MAISON. 
1684. 

Ces  quatre  dépêches  sont  tirées  des  registres  du  secrétariat  de  la  maison 
du  roi  conservés  aux  Archives  de  l'empire. 


64-  QLATIIE    DÉPÊCHES    AU    SUJET    d'uN    BAPTEME. 

I.  A  Monsieur  Robert. 

A  Versailles,  le  ll«  juillet  1684. 

Monsieur,  mon  incommodité  m'a  empesché  de  rendre  compte  au 
Roy  de  ce  que  vous  m'avez  escrit  au  sujet  d'un  enfant  baptisé  dans 
la  maison  du  ministre  Claude.  Je  vous  feray  savoir  sur  cela  les  inten- 
tions de  Sa  Majesté  le  plus  tost  qu'il  me  sera  possible 

II.  A  Monsieur  le  Procureur  général. 

A  Versailles,  le  30«  juillet  1684. 
Monsieur,  un  des  lieutenans  civils  ayant  donné  la  permission  de 
baptiser  un  enfant  de  la  R.  P.  R.  dans  la  maison  de  sa  mère,  ses  pa- 
rens  ont  abusé  de  cette  permission,  et  l'ont  porté  chez  le  ministre 
Claude  où  il  a  esté  baptisé.  Sur  quoi,  le  Roy  m'ordonne  de  vous  es- 
crire,  afin  qu'il  vous  plaise  examiner  si,  dans  un  cas  pareil,  on  pour- 
roit  faire  quelques  poursuites  contre  ledit  Claude,  et  s'il  y  a  lieu  de  le 
poursuivre  au  parlement,  et  d'espérer  quelque  exemple  contre  luy. 
Je  m'acquitte  de  l'ordre  que  Sa  Majesté  m'a  donné  sur  ce  sujet,  et  je 
vous  prie  de  recevoir  les  assurances  de  la  continuation  de  l'estime  et 
de  la  sincérité  avec  laquelle  je  suis,  etc. 

III.  A  Monsieur  Le  Camus. 

Dudit  jour. 
Monsieur,  le  Roy  a  appris  que  le  ministre  Claude  ayant  baptisé 
chez  luy  un  enfant  de  la  R.  P.  R.,  et  ayant  esté  poursuivy  pour  ce 
fait  qui  n'est  point  du  tout  de  sa  compétence,  avoit  répondu  (ju'il 
avoit  obtenu  la  permission  d'un  de  Messieurs  les  lieutenans  civils. 
Et  comme  ces  sortes  de  permissions  sont  contraires  aux  intentions  de 
Sa  Majesté,  elle  m'ordonne  de  vous  cscnre  de  vous  abstenir  à  l'avenir 
d'en  donner  aucune,  estimant  niesnie  que  c'est  un  fait  qui  regarde  la 
police.  C'estcc  que  j'ay  ordre  exprès  de  vous  cx|)liquor  de  la  part  de 
Sa  Majesté.  Et  je  suis,  etc. 

\\ .  iMtMiic  (léïKM'Iic  à  M.  (Jir.irdin.  le  iiiriiic  jour. 


LA  JUSTICE  DES  l!iTEHOAMÎS  ENVERS  LES  NOUVEAUX  CONVERTIS. 

UN  MONTALBANAIS  CONDAMNÉ   QUAND  MÊME   A   l' AMENDE. 

Un  honorable  négociant  de  Montanban,  fidèle,  il  ne  s'en  cachait  pas,  à  la 
foi  de  ses  i)ères,  et  qualitié  en  cons^iuence  de  nouveau  converti  (c'est-à- 
dire  protestant  non  converti),  reçoit  la  lettre  suivante  d'un  de  ces  foniiion- 
naires  dont  les  genlillesses  épistolaires  sentent  toujours  plus  ou  moins  la 
contrainte  : 

A  Monsieur  Ezaïe  Lagravière,  négociant,  près  la  pince. 

A  Montauban,  le  15  novembre  1747. 
Monsieur, 
J'ai  reçu  des  orrlres  si  pressans  de  continuer  et  faire  le  recouvre- 
ment des  amendes  prononcées  contre  les  nouveaux  convertis,  qu'il 
ne  m'est  pas  permis  de  suspendre  davantage  entre  les  redevables  les 
poursuites  et  les  diligences  que  je  n'avois  pas  suivies  avec  la  célérité 
qui  m'avoit  d'abord  été  prescrite,  dans  l'intention  où  j'étois  de  vous 
épargner  des  frais  et  de  vous  procurer  d'ailleurs  la  facilité  d'ac- 
quitter votre  article.  Comme  je  ne  puis,  sous  aucun  prétexte,  vous 
accorder  d'autre  délai,  je  vous  prie  de  vouloir  bien,  à  la  réception 
du  présent  avis,  payer  le  montant  de  votre  taxe,  et  éviter  par  là 
la  peine  extrême  que  faurois  de  vous  en  faire  et  de  vous  voir  exposé 
à  des  frais,  ainsi  que  je  vous  l'ai  déjà  marqué  par  ma  précédente  du 
15  juin  dernier. 

J'ai  l'honneur  d'être  parfaitement.  Monsieur,  votre  très  humble  et 

très  obéissant  serviteur. 

Château. 

On  voit  que  c'était  tout  bonnement  un  deuxième  avertissement,  et  que 
le  correspondant  si  poli  de  M.  Lagravière  n'est  autre  que  celui  qui  précède 
toujours  M.  Loyal,  lequel,  à  défaut  de  réponse,  ne  manquera  pas  de  venu-, 
bientôt  après,  dire,  chapeau  bas  : 

Je  vous  viens,  cher  Monsieur,  avec  votre  licence, 

Signifier  l'exploit  de  certaine  ordonnance 

Car  pour  les  gens  de  bien  j'ai  de  grandes  tendresses. 

Et  ne  me  suis  vouhi,  Monsieur,  charger  des  pièces 

Que  pour  vous  obliger  et  vous  faire  plaisir, 

El  pour  ôler  par  là  le  moyen  d'en  choisir 

Qui,  n'a^fant  pas  pour  vous  le  zèle  qui  me  pousse, 

Anroienl  pu  procéder  d'une  façon  moins  douce. 

xiii.  —  5 


66         LA   JUSTICE    ADMINISTRATIVE    ENVERS    LES   NOUVEAUX    CONVERTIS. 

Mais  quel  était  donc  Varticle  de  M.  Lagravière?  C'était  une  taxe  de 
71  livres  5  sols,  qu'il  se  hâta  de  verser  à  la  caisse  de  M.  Château,  afin  de 
s'exécuter  d'abord,  sauf  à  réclamer  ensuite  pour  cause  d'erreur.  Voici  son 

P lacet  à  Monseigneur  de  Lescalopier,  intendant. 

MONSEIGNEUR  , 

Ezaïe  Lagravière,  marchand,  a  l'honneur  de  représenter  très  hum- 
blement à  Votre  Grandeur,  qu'il  a  été  compris  pour  la  somme  de 
71  livres  5  sols  dans  l'état  des  répartitions  arrêté  par  Votre  Gran- 
deur, des  amendes  prononcées  contre  les  nouveaux  convertis  de  l'ar- 
rondissement de  Montauban,  qu'il  a  payée,  comme  il  est  justifié  par 
la  quittance  cy  attachée,  et  comme  le  suppliant  a  été  informé  que, 
suivant  l'intention  du  roi,  il  n'y  a  que  ceux;  qui  ont  assisté  aux  as- 
semblées qui  se  sont  tenues  aux  environs  de  Montauban  qui  doivent 
participer  auxdites  amendes  et  que  le  suppliant  n'y  a  jamais  assisté, 
il  a  recours  à  Votre  Grandeur,  MONSEIGNEUR,  pour  la  supplier 
très  humblement  de  le  décharger  de  ladite  taxe  et  d'ordonner  que 
lesdites  71  livres  5  sols  qu'il  a  payées  lui  soient  renàboursées. 

A  ce  placet  était  jointe  la  quittance,  ainsi  conçue  : 

ARRONDISSEMENT  Amendes  des  uouveaux  convertis,  pro- 

DE  noncées  par  les  jugeniens  de  Monseigneur 

MONTAUBAN.  l'Intendant  des  3  mars  17i5  et  17  décem- 

bre 1746,  en  exécution  de  l'ordonnance 
du  roi  du  16  février  1745. 

ROLLE  du  26  Mai  Win.  Art.  485. 
J'ai  reçu  de  M.  Ezaye  Lagravière ,  négociant,  la  somme  de  soixante- 
onze  livres  cinq  sols,  du  montatit  de  l'article  ci-dessus. 

A  Montauban,  le  2  déc.  1747.  Château. 

La  question  de  droit  est  celle-ci  :  Ouund  une  amende  a  été,  plus  ou  moins 
justement,  peu  importe,  prononcée  contre  des  i;eus  (pii  ont  commis  tel  ou 
tel  acte,  assisté  à  tel  ou  tel  coiiciliahuie,  ceux  qui  se  sont  abstenus  de  cet 
acte,  de  ce  conciliabule,  doivent-ils  r;imendc  également?  Vous  croyez  peut- 
être  «lue  la  réi)ons(!  va  être  iiét;ative?  Erreur!  piolVuidc  erreur!  Ne  sa\ez- 
vous  donc  pas  (|ue  les  battants  duiveiil  toujours  être  renvoyés  de  la  plainte, 
et  que  c'est  aux  battus  à  pa.Ncr  l'amende?  Si  vous  eu  doutez,  ayez  un  pro- 
cès, et 

Les  jugements  de  cour  vous  le  feront  bien  voir. 


COURT    DE    GÉBELIN    ET    LE    MUSEE    DE   PARIS.  67 

Aussi  lisons-nous  au  dos  de  la  supplique  de  M.  Lagravière,  sur  le  repli,  ces 
huit  lignes  : 

Du  2e  déc.  1747.  Quittance  de  ce  que  fai  payé  à  M.  Château,  de 
ma  portion  de  taxe  des  amendes  des  nouveaux  convertis  de  l'arrondis- 
sement de  Montauban,  et  p lacet  rejeté  par  M.  l'intendant.  Payé  71  liv. 
5  sols. 

Nous  avons  sous  les  yeux  les  pièces  ci-dessus,  mais  nous  ne  savons  de 
quelle  part  elle  nous  ont  été  envoyées.  L'année  1745,  à  laquelle  elles  se 
rapportent,  a  été,  on  le  sait,  une  des  plus  mauvaises  de  l'existence  des 
Eglises  du  Désert,  «  la  sévérité  des  administrateurs  et  des  parlements  ayant 
redoublé,  et  des  maux  inouïs  ayant  alors  pesé  sur  les  provinces.  »  (Ch.  Co- 
querel,  t.  1,  p.  331.) 


COURT  DE  GEBELIH  ET  LE  MUSEE  DE  PARIS. 

DEUX  LETTRES  INÉDITES  DE  GÉBELIN  ET  DE  RABAUT  S AINT-ÉTIENNE . 

Avant-dernier  anniversaire  de  la  fête  de  Gébelin.  —  Sa  mort. 
—  Sort  de  ses  papiers. 

18*83- 1784:. 

Nous  tenons  de  M.  le  pasteur  Ladevèze,  de  Meaux,  la  communication  des 
deux  lettres  très  intéressantes  qu'on  va  lire. 

La  première,  de  Court  de  Gébelin,  nous  montre  cet  illustre  et  dévoué 
ami  des  Eglises  du  Désert,  ce  digne  fils  d'Ant.  Court,  sous  les  mêmes  traits 
que  nous  lui  connaissons  déjà.  (V.  Bull.,  H,  365, 571 ,  653  ;  III,  1 8,  608,  etc.) 

La  seconde,  de  Rabaut  Saint-Etienne,  donne  des  détails  circonstanciés 
et  très  précieux  sur  la  fin  de  Gébelin,  sur  les  soins  donnés  à  sa  mémoire 
par  de  pieux  amis,  et  sur  l'attention  dont  ses  papiers  furent  heureusement 
l'objet  de  leur  part.  (V.  Bull.,  I,  62;  II,  224,  225;  XI,  80.) 

I.  Court  de  Gébelin  au  pasteur  Gal-Ladevèze 

Du  8  janvier  1783. 

Monsieur  et  digne  a«ii,  certainement  je  suis  privé  depuis  bien  des 
années  de  nouvelles  de  votre  part,  et  je  ne  le  méritois  pas  par  mes 
sentiments  pour  vous  et  par  les  services  que  j'ai  toujours  tâché  de 
rendre  à  toutes  nos  Eglises,  au  détriment  de  mes  propres  affaires  et 
sans  presque  aucun  retour  de  leur  part.  C'est  tant  pis  pour  elles 
plutôt  que  pour  moi;  quelque  jour  elles  me  rendront  Sans  doute  plus 
de  justice,  mais  quand  il  ne  sera  plus  tems. 

Quoique  accablé  d'affaires,  je  n'ai  pas  voulu  vous  refuser  d'agir  pour 
celle  que  vous  m'avez  recommandée  :  c'eût  été  la  première  fois  que 


68  COLRT  DE  GÉBELIN  ET  LE  MUSEE  DE  PARIS. 

j'aurois  tenu  une  pareille  conduite.  J'ai  eu  la  visite  de  M.  Recolin, 
celle  de  son  procureur.  Celui-ci  a  choisi  pour  avocat  M.  Pajot;  moi, 
M.  de  Comeyras,  à  qui  j'en  ai  écrit,  ne  pouvant  sortir  depuis  deux 
mois  par  des  accidents  arrivés  coup  sur  coup  à  une  même  jambe. 
31.  de  Comeyras  ne  se  rappeloil  que  confusément  cette  aiïaire;  il  m'a 
demandé  de  consulter  avec  le  célèbre  M.  Target;  j'y  ai  consenti 
sans  peine,  cet  illustre  avocat  étant  très  habile  et  d'ailleurs  un  de 
mes  souscripteurs  les  plus  zélés.  Je  leur  ai  remis  le  mémoire  à  con- 
sulter. Je  dois  recevoir  leur  consultation  incessamment,  et  alors  je 
vous  en  rendrai  compte.  Je  sais  que  le  testament  est  inattaquable, 
c'est  déjà  un  article;  mais  j'ignore  ce  qui  concerne  la  seconde 
question. 

Je  sui?  charmé  des  homies  nouvelles  que  vous  me  donnez  de  votre 
santé  et  de  celle  de  Madame  votre  épouse;  je  vous  en  lelicite  et 
vous  souhaite  à  tous  deux  longue  et  heureuse  vie.  J'ai  qjielquefois 
la  visite  d'un  de  ses  cousms,  M.  Gervais  de  Ganges,  olficier  en  Hol- 
lande, actuellement  ici,  et  avec  qui  nous  avons  déjà  parlé  du  pays. 
11  vient  |)our  réclamer  quelque  bien.  11  passe  à  une  petite  réclama- 
tion particulière  qu'il  justilie  en  ces  termes:  «Vu  l'étroite  situation 
dans  hupielle  je  suis,  n'ayant  d'existence  que  par  mon  travail,  et 
chargé  cependant  d'une  sœur,  de  deux  nièces  et  d'un  petit  sciibe.  » 

Je  ne  SUIS  jdus  dans  la  rue  Poupée;  voici  ma  nom  elle  adresse  : 
M.  Court  de  Gébeliii,  censeur  royal,  au  Musée  de  Paris,  rue  Dau- 
phine.  Ce  Musée  est  une  Société  de  Sciences,  Lettres  et  Arts,  dont 
j'ai  été  le  premier  président  pendant  deux  ans  et  dont  je  viens  d'être 
établi  (irésidcnt  honoraire  perpétuel,  ayant  place  avant  les  vice-pré- 
sidents. On  a  voulu  aussi  que  mon  buste  fût  dans  les  salles  de  la 
Société.  Elle  est  nombreuse;  nous  y  avons  des  hommes  de  lettres  du 
premier  mérite,  et  des  seigneurs  aussi  distingués  par  leur  naissance 
et  par  leurs  places  que  par  leur  mérite.  J'y  compte  une  foule  de 
bons  amis;  c'est  une  satisfaction  pour  moi  (1). 

17  janvier. 

C'est  aujourd'hui  ma  fête.  Elle  me  fut  souhaitée  hier  au  soir  |)ar 
quarante  de  nos  messieurs,  ayant  à  leur  tête  une  brillante  musique. 
Nous  avions  eu  ce  jour-là  une  assemblée  publique  où  il  y  avoit  trois 
cents  daines  et  plus  de  huit  cents  personnes.  Les  lecturts  furent  de 
deux  heures  et  demie;  j'en  lis  une  sur  la  danse  oblique  des  anciens, 
cpi'on  trouva  savante  ei  curieuse.  Ces  lectures  furent  sunies  d'un 
brillant  concert  (lui  dura  prescpie  autant. 

Voilà  le  mémoire  consultatif  fait  par  M.  de  (Comeyras  cl  par  le 
célèiire  Target.  Il  coûte  deux  louis  et  ne  laisse  nulle  espérance  aux 
deux  tanns  au  delà  de  kurs  1,500  livres  chacune;  j'en  suis  fâché 
pour  elles,  mais  t(dle  est  la  loi. 

Mes  honneurs  aux  amis  communs;  recevez  mes  vœux  pour  le  coni- 
meiicemeiit  de  cette  année,  et  soyez  l)ien  convaincu  du  dé\oueinent 

(!)  No'is  possi'iluns  Ins  Uc'jlcincnt.-i  du  Musci:  de  Paris,  instilui! par  M.  Court  de 
Gr/jflin,  le  17  iiovcmbic  1780  (biocli.  do  ti3  pages  iii-8,  iiiipr.  ou  1785),  avec  lu 
liste  (Je  ses  inemljros.  —  C.  H. 


COURT   DE    GÉBELIN    ET    LE    MUSEE    DE    PARIS.  60 

avec  lequel  je  suis.  Monsieur  et  cher  frère,  votre  très  humble  et 
obéissant  serviteur. 

GÉBELIN. 


II.  Rabaut  Saint-Etienne  au  pasteur  Gal-Pomaret. 

Nîmes,  le  8  août  1784. 

Monsieur  et  vénéré  frère,  je  vous  remercie  infiniment  de  la  com- 
plaisance que  vous  avez  eue  de  lire  la  brochure  que  j'ai  eu  l'hon- 
neur de  vous  envoyer  (1),  et  du  bien  que  vous  avez  la  bonté  de  m'en 
dire.  Si  les  bornes  de  ces  sortes  d'écrits  ne  m'avoient  sièné ,  j'aurois 
tâché  de  rendre  intéressant  l'ouvrage  dont  j'ai  essayé  de  donner  une 
idée  claire.  Après  tout,  c'fist  le  travail  de  cuiq  ou  six  matinées,  et  la 
besogne  s'en  ressent;  d'autres  s'en  acquitteront  mieux  que  moi.  M.  le 
comte  d'Albon,  ami  de  M.  de  Gébelin,  travaille  à  son  éloge.  Quant  à 
moi,  ce  n'est  pas  un  éloge  que  j'ai  voulu  faire.  Ce  genre  d'ouvrage 
annonce  de  la  prétention;  il  exige  un  ton  noble,  souteim,  et  ne  con- 
vient pas  à  mes  circonstances.  J'ai  dû  taire  tout  ce  qu'a  fait  M.  de 
Gébelin  pour  une  classe  de  citoyens  intéressants  et  utiles,  parce  que 
ce  langage  eût  été  suspect  dans  ma  bouche  ,  et  qu'il  n'auroit  point 
passé  à  la  rigoureuse  censure  de  Paris.  Je  pense  même  que  ces  anec- 
dotes doivent  rester  dans  l'obscurité ,  comme  le  peuple  dédaigné 
qu'elles  ont  pour  objet.  Voilà,  Monsieur,  les  raisons  et  la  modestie 
de  mon  titre. 

M.  le  comte  d'Albon,  dont  je  vous  ai  parlé,  fait  élever  un  monu- 
ment à  la  gloire  de  M.  de  Gébelin,  entre  Guillaume  Tell  et  le  baron 
de  Haller.  Le  corps  de  notre  ami  a  été  embaumé  le  12  de  juillet,  et 
transporté  à  Franconville,  où  M.  le  comte  d'Albon  aune  campagne. 
On  dit  que  lorsqu'il  en  fit  demander  la  permission  au  roi,  celui-ci  ré- 
pondit que  M.  d'Albon  feroit  mieux  de  payer  les  dettes  de  M.  de  Gé- 
belin. En  conséquence,  il  a  pris  des  engagements  avec  le  Musée;  les 
dettes  se  portoient  à  36,000  livres,  dont  18  pour  les  ouvriers  qui 
avoient  travaillé  au  Musée.  On  est  convenu  à  peu  près  de  ceci,  c'est 
que  le  Musée  sera  chargé  des  livres  et  manuscrits  de  M.  de  Gébelin, 
qu'il  fera  continuer  l'ouvrage,  et  imprimer  les  manuscrits  à  son  pro- 
fit, qu'il  payera  les  dettes,  et  fera  une  pension  à  sa  sœur,  et  à  la 
nièce  du  défunt. 

Ces  arrangements  ne  pourroient  être  si  bien  pris,  qu'il  n'y  eût  à 
refaire.  M.  Bertin,  ministre  d'Etat,  a  ouvert  une  souscription,  qui 
commence  par  une  mise  de  400  francs,  et  il  en  fait  espérer  six  mille 
delà  Société.  On  sollicite  les  amis  du  défunt  d'y  entrer,  pour  empê- 
cher les  manuscrits  d'être  vendus.  Cependant  M.  de  Saint-Palerne, 
bibliothécaire  de  Saint-Victor,  et  le  major  Wallenecq,  secrétaire  de 

(1)  Sans  doute  sa  Lettre  sur  la  vie  et  les  écrits  de  Court  de  Gébelin  (Paris, 
1784, 111-4°) .  Gébelin  était  mort  le  10  mai.  —  Nous  possédons  une  broctiure  :  Séance 
du  Musée  de  Paris,  du  5  /eu.  1784  (in-8°  de  40  pages).  Gébelii:  avait  encore 
présidé  cette  séance,  qui  avait  eu  un  éclat  exceptionnel,  «  par  la  variété  des 
«  lectures,  par  la  beauté  du  concert,  et  surtout  parce  que,  pour  la  prernièn;  fois, 
«  on  y  avait  admis  des  dames  en  qualité  d'associées  honoraires.  »  Le  Musée  a 
été,  croyons-nous,  la  première  en  date  des  Sociétés  littéraires  libres.  —  C.  R. 


70  '  MÉLANGES. 

la  Société  des  antiques  de  Dublin,  ont  jeté  leur  dévolu  sur  ces  ma- 
nuscrits. Ce  dernier,  aidé  de  M.  Cuningham,  s'occupe  des  moyens  de 
se  procurer  l'argent  nécessaire,  et  dans  ce  cas  les  manuscrits  passe- 
roient  en  Irlande.  On  se  dispute,  après  sa  mort,  un  héritage  trop  peu 
apprécié  pendant  sa  vie.  Je  ne  doute  point,  que  si  on  avuit  suggéré 
au  roi  de  faire  cette  acquisition,  il  n'y  eût  souscrit.  On  m'écrit  qu'il 
y  a  17,000  livres  de  payées. 

Mon  frère,  quej'avois  eu  ici,  m'avoit  parlé  de  votre  lettre  insérée 
dans  la  feuille  de  Montpellier,  mais  je  l'ai  point  lue,  et  je  vous  re- 
mercie delà  bonté  que  vous  avez  eue  de  me  la  communiquer.  Votre 
concision  élégante  dit  tout.  11  était  juste  de  consacrer  dans  le  Journal 
du  Languedoc  le  nom  de  l'homme  de  génie  qui  honore  cette  pro- 
vince; j'en  ai  fait  autant  au  Journal  de  Paris.  Le  cœur  me  saignoit 
de  voir  que  taudis  que  tous  les  papiers  publics  déplorent  avec  em- 
phase la  perte  d'un  écrivain  obscur,  ou  d'un  simple  historien,  ils 
gardoient  un  silence  parfait  sur  le  premier  savant  du  siècle.  J'adres- 
sai une  lettre  à  ce  sujet  aux  journalistes  de  Paris,  qui  l'iuscrèient 
dans  leur  feuille  du  n"  187.  Elle  est  trop  longue  pour  la  transcrire  ici, 
et  je  présume  que  ce  journal  parvient  dans  vos  contrées.  Si  vous  ne 
pouvez  vous  le  procurer,  et  que  vous  soyez  curieux  d'avoir  cette  let- 
tre, j'aurai  l'honneur  de  vous  en  envoyer  une  copie. 

J'ai  l'honneur  d  être,  etc.  Saint-Etienne. 

P.  S.  M.  de  Beaulieu,  président  du  Musée,  travaillant  à  ranger  les 
papiers  de  M.  de  Gébelin,  a  mis  de  côté  ceux  des  pasteurs  du  royaume  ; 
ils  seront  adressés  à  M.  Moulinié  à  Lyon,  pour  les  distribuer;  sans 
cette  précaution,  ils  auroient  passé  dans  les  mains  du  ministère. 


MÉLANGES. 


»E    1,'ABJURATIOX  O'HEIVRI    IV 

ET    DE    l'influence    EXERCEE   PAR    CE    PRINCE    SUR    LES    DESTINEES    DE   LA 

RÉFORMATION    EN    FRANCE,    DEPUIS   LA    SAINT -BARTHELEMY    JUSQu'a 

LA    RÉVOCATION    DE   l'ÉDIT    DE   NANTES. 

Etude  historique,  par  Ernest  Si/KiiELm.  Bàle,  1856.  ln-8"  de  xxx-795  pages,  avec 
niie  dédicace  à  lu  S<iciété  de  l'Histoire  du  ProUstantisme  français,  et  une  lettre 
prclitiiinaire  au  Président  de  cette  Société  (1). 

L'importance  du  titre  de  cet  ouvrage  et  les  souvenirs  qu'i)  évoque  excitent 
une  curiosité  à  laquelle  il  est  difficile  de  résister,  malgré  la  perspective 
d'une  lecture  de  "(Ci  pages.  Le  livre  de  M.  Sla'hclin  coiilcnteia  l-il  tous 
les  lecteurs?  Non,  sans  doute,  el  nous  pouvons  le  dire,  sans  nous  associer 

(1)  !Dcr  Ucbertritt  Jtonin  .î>fiiirid)«  6c*  2)icrtcn  rcn  Sranfrcidi  jur  rïMnifdj;fatl)oIiidien  .ttirdio  ;c. 
Ctine  rcfotmûtit'u»iicirf,ul)tlu1)c  (StiiCic  l'on  (Svu|t  ®  tahcl  i  "  ,  ??aicl,  185tt. 

Ce  cuiiipti'.  rendu  avait  été  rédij^'é,  non  en  vue  de  l'impression,  mais  pour  la 
Coniniission  de  Littérature  théoiogique  (l'une  des  sections  permanentes  de  la 


MÉLANGES .  71 

par  là  h  ceux  qui  le  jugeront  défavorablement.  Les  catholiques  fervents  en 
répudieront  l'esprit;  les  hommes  politiques  verront  de  l'étroilesse  dans  les 
principes  religieux  de  l'écrivain  et  goûteront  peu  sa  manière  d'apprécier  un 
coup  d'Etat,  populaire  s'il  en  fût  jamais.  —  Par  contre,  les  protestants  sé- 
rieux, trouveront  là  non-seulement  une  étude  intéressante,  mais  un  beau 
travail.  Quoique  M.  Staehelin  n'ait  pas  eu  l'honneur  de  l'initiative  dans  son 
point  de  vue,  quoique  sa  méthode  soit  celle  de  l'investigateur  plutôt  que  de 
l'historien  complet,  son  livre  offre  un  ensemble  d'études  consciencieuses 
que  leur  richesse  rend  presque  original  et  qui  parvient  à  captiver  par  plus 
d'une  qualité  de  forme.  Si  l'exécution  laisse  quelquefois  à  désirer,  ce  n'est 
pas  le  talent  qui  fait  défaut  à  l'auteur;  c'est  plutôt  l'absence  de  prétention 
qui  l'a  empêché  de  voir  tout  le  parti  qu'il  pouvait  tirer  de  ses  ressources. 

M.  Stœhelin,  encouragé  à  l'étude  de  son  sujet  par  un  mémoire  de  M.  Ch. 
Read  {Henri  IV  et  le  ministre  Daniel  Charnier,  Paris,  '1854),  s'est  pro- 
posé dé  le  reprendre  en  sous-œuvre  en  rattachant  le  fait  spécial  de  l'abjura- 
tion d'Henri  IV  à  l'histoire  de  tous  les  événements  qui  en  ont  été  respec- 
tivement la  préparation,  l'occasion,  l'obstacle  la  cause  ou  la  conséquence. 
Correspondances  diplomatiques,  édits  de  parlement,  documents  ecclésias- 
tiques, libelles  oubliés,  tout  a  été  exploré  avec  soin.  Il  en  est  résulté  une 
histoire  de  l'époque,  nouvelle  pour  le  public  allemand,  et  instructive  pour 
nous,  par  l'abondance  des  pièces  justificatives,  par  le  développement 
donné  à  des  détails  peu  connus,  par  l'alliance  d'une  ferme  conviction  re- 
ligieuse avec  une  haute  sagacité.  Mais  quels  que  soient  les  mérites  de  ce 
travail,  il  n'a  pas  celui  de  se  prêter  à  une  courte  analyse.  Les  sximma  ca- 
pita  ne  nous  donneraient  qu'une  chronologie.  Des  fragments  détachés  ne 
nous  feraient  pas  connaître  le  mérite  de  coordination  qui  distingue  l'étude 
de  M.  Stsehelin.  Enfin,  choisir  un  milieu  entre  ces  deux  voies  ingrates  nous 
exposerait  à  en  rencontrer  tous  les  écueils.  C'est  pourtant  à  ce  parti  que 
nous  devons  nous  résoudre.  iSlous  essayerons  d'en  diminuer  les  inconvé- 
nients, en  indiquant  ce  qu'il  y  a  de  plus  individuel  dans  les  vues  du  jeune 
savant  bàlois. 

Le  trait  caractéristique,  la  pensée  mère  de  tout  le  travail,  c'est  l'abjuration 
du  roi  Henri  IV,  étudiée  et  jugée  comme  fait  du  domaine  moral  et  reli- 
gieux. Tout  en  débutant  par  une  discussion  sur  le  système  Hegel  ap[>liqué 
à  l'histoire,  M.  Stœhelin  dépose  hardiment  tout  respect  humain,  et  prend 
son  point  de  départ  comme  penseur,  dans  la  foi  évangélique  la  plus  simple. 

Compagnie  des  Pasteurs  de  Genève),  à  laquelle  il  a  été  présenté,  et  il  a  subi  peu 
de  modifi'îations.  Nous  remercions  son  auteur  d'avoir  bien  voulu,  à,  notre  de- 
mamie,  nous  le  communiquer.  Ce  travail  tiendra  ta  place  de  celui  que  M.  Eug. 
Haag  s'était  proposé  de  faire  tui-mème  pour  le  Bulletin,  sur  le  livre  de  M.  Stœ- 
heliu,  et  que  la  multiplicité  de  ses  occupations  l'avait,  à  son  grand  regret,  em- 
pêctié  de  nous  donner  jusqu'à  ce  jour. 


72  MÉLANGES. 

Le  devoir  religieux  règle  des  actions  humaines,  la  Providence  maîtresse 
des  événements,  voilà  toujours  pour  l'auteur  le  double  principe  de  la  plii- 
losopliie  de  l'histoire.  Si  l'un  paraît  étroit,  l'autre  demeure  assez  large 
pour  qu'un  juge  éclairé  se  trouve  toujours  à  l'aise  dans  ses  appréciations. 
Quel  protestant  convaincu  pourrait  ne  pas  accepter  le  terrain  sur  lequel 
l'auteur  se  place  ?  S'il  est  un  cas  où  les  grands  principes  religieux  trouvent 
leur  application  immédiate  et  naturelle  dans  l'histoire  générale,  c'est  lors- 
qu'il s'agit  d'Henri  IV.  il  est  impossible  de  juger  de  ce  caractère  sans  l'élé- 
ment chrétien.  La  religion,  qui  avait  présidé  à  son  éducation,  entre  comme 
facteur  dans  tout  ce  qui  le  concerne,  à  titre  d'iniluence  subie  ou  repoussée, 
mais  toujours  agissante.  Sa  vie  appartient  à  l'histoire  religieuse,  comme  celle 
des  rois  de  Juda,  tidèles,  partagés  ou  intidèles.  Ce  qu'il  fut  quant  à  son 
ancienne  foi  réagit  toujours  sur  ce  qu'il  est  dans  ses  mœurs  et  sa  politique. 
Ne  voir  en  lui,  avec  une  certaine  école,  que  le  grand  homme  placé  au-dessus 
des  débats  confessionnels,  protestant  ou  catholique  par  accident,  ce  n'est  pas 
seulement  payer  soi-même  un  tribut  au  scepticisme,  c'est  pécher  contre  la 
psychologie,  c'est  ne  pas  comprendre  une  grande  figure.  On  ne  tombera  pas 
dans  cet  écueil  après  avoir  lu  l'étude  de  M.  Stiehelin  sur  renl'ance  et  la 
jeunesse  du  Béarnais  (p.  111-'I34).  Pour  lui,  Henri  de  Navarre  est  l'un  des 
types  les  plus  caractéristiques  de  la  grande  qualité  qui  est  au  fond  de  toute 
âme  humaine.  Nature  noble,  spirituelle,  accessible  aux  saintes  inlhiences, 
héritage  d'une  héroïque  et  pieuse  mère,  —  nature  sensuelle,  vulgaire, 
égo'iste,  vile  au  besoin,  héritage  d'Antoine  de  Bourbon,  voilà  la  clef  de  bien 
des  contrastes  dans  la  vie  du  grand  roi,  un  trait  de  lumière   peut-être 
pour  la  biographie  de  plus  d'un  prince  de  sa  race.  Le  bon  élément  semblait 
devoir  prendre  le  dessus,  pendant  cette  adolescence  chevaleiesque,  saluée 
avec  espoir  par  les  hommes  les  plus  éminenis  de  la  Béforme.  Il  prend  le. 
dessous,  à  la  mort  de  Jeanne  d'Albert,  (^ette  grande  duite  religieuse,  celte 
première  défaite  morale,  dont  Henri  ne  se  releva  jamais  véritablemeni,  et 
dont  M.  Sla-lielin  nous  fait  connaître  les  détails,  c'est  la  première  abjura- 
tion du  prince  après  la  Saiui-Barlhélemy.  On  n'a  pas  résume  l'appreciatiun 
morale  de  ce  fait  en  parlant  de  terreur  et  de  nécessité.  Toutes  les  faiblesses 
(lu  renégat  se  montrent  dans  cet  épisode  trop  négligé.  Lettre  rampante  au 
pape,  haine  contre  les  réformés  fidèles,  bigoterie  absurde,  ellnrls  pour 
entraîner  les  faibles  (p.  1:M)),  et  par  une  coïncidence  souveni  icniarquée 
dans  des  cas  analogues,  abandon  de  l'ame   aux  désordres  de  la  chair, 
M.  Staîhelin  nous  montre  luus  ces  signes  de  l'apostasie  spirituelle,  en 
restant  fidèle  historien  et  sans  se  livrer  à  aucune  déelaniation.  Henri  de- 
meura quatre  ans  dans  cet  état,  et  il  s'y  oublia  au  i)oint  dt;  dilVéïer  sa  ren- 
trée dans  l'Kglise  réformée  jusipi'à  une  époipuï  assez  postérieure  à  sa  re- 
conciliatinii  avec  le  p:irti  luiguenol  l'p.  ■I3i-1.i9). 


MÉLANGES.  73 

Le  retour  du  Béarnais  à  la  foi  réformée  fut-il  sincère?  Oui,  parce  que  sa 
conscience  était  protestante  (plus  d'un  catholique  pieux  ne  nous  contre- 
dira pas).  Ce  retour  fut-il  sérieux?  Il  est  permis  d'en  douter  quand  on  suit 
avec  notre  auteur  l'attitude  d'Henri  devant  les  nombreuses  propositions 
de  nouvelles  abjurations  qui  lui  furent  faites.  Nous  ne  pouvons  poser  ici  que 
quelques  jalons;  mais  M.  Staehelin  nous  montre  abondamment  que  l'événe- 
ment de  1593  se  préparait  de  longue  main.  Son  étude  complète  ici  l'histoire 
politique  qui  nous  montre  seulement  le  drame  extérieur  des  vicissitudes 
par  lesquelles  la  seconde  abjuration  devait  être  accélérée  ou  retardée. 
Aux  instances  de  la  cour,  Henri  opposait,  il  est  vrai,  des  arguments  pour 
rester  dans  sa  croyance,  mais  des  arguments  d'utilité  qui  n'eussent  pas  été 
désavoués  par  Machiavel  (p.  101).  D'autres  fois,  il  se  ménageait  nettement 
une  porte  ouverte.  En  1577,  il  répondait  aux  Etats  de  Blois  que  tout 
en  tenant  à  sa  religion,  il  serait  prêt  à  la  quitter  si  on  lui  en  monlrait 
une  meilleure  :  parole  que  l'on  ne  peut  regarder  comme  une  simple 
saillie.  Les  ecclésiastiques  de  sa  suite  ayant  bitîé  ce  passage  sur  la  pièce 
qu'on  leur  avait  communiquée,  il  le  rétablit  de  sa  propre  main.  Celte  pa- 
role revint  souvent  sur  ses  lèvres;  et,  malgré  les  protestations  de  fidélité 
qu'il  faisait  aux  réformés,  il  ne  leur  cachait  pas  toujours  qu'il  pouvait  se 
séparer  d'eux  :  «  Je  ne  vois,  disait-il,  ny  ordre  ny  dévotion  en  ceste  reli- 
«  gion  ;  elle  ne  gist  qu'en  un  presche  qui  n'est  autre  chose  qu'une  langue 
«  qui  parle  bien  français.  »  —  Qu'un  besoin  religieux  se  trouve  souvent 
au  fond  de  cette  objection  rebattue,  nous  n'en  disconviendrons  pas.  Quand 
on  se  rappelle  cependant  en  quoi  la  discipline  réformée  heurtait  le  roi  de 
Navarre,  on  apprécie  à  sa  juste  valeur  une  telle  récriminalion. 

Les  années  écoulées  de  4  579  à  -1584  marquent  dans  la  vie  d'Henri  une 
époque  d'attachement  énergique  à  la  cause  réformée.  Là  se  placent  des  traits 
souvent  cités  de  respect  pour  la  discipline  religieuse,  des  élans  de  pieuse 
gratitude,  des  paroles  qui  attestent  le  sentiment  de  la  protection  de  Dieu, 
du  besoin  de  sa  bénédiction  et  de  la  nécessité  des  conditions  morales  (jui 
devaient  l'assurer  à  l'armée  huguenote  (p.  \^^).  C'était  un  reste  de  la  piété 
d'autrefois;  c'était  aussi  l'influence  d'hommes  tels  que  Duplessis-iMornay 
et  Agrippa  d'Aubigné.  Les  épanchements  iniimes  d'Henri  avec  ces  pieux 
représentants  de  la  cause  réformée,  ont  été  souvent  lappelés  dans  des 
études  récentes.  Qu'il  nous  suffise  ici  de  cette  allusion  sans  développement 
pour  justifier  les  vues  de  l'auteur  sur  l'arrière-fond  chrétien  de  l'ànie  du 
grand  roi.  —  Mais  à  partir  de  1584,  on  peut  en  suivant  le  fil  de  l'histoire, 
voir  se  presser  des  dates  qui  indiquent  autant  de  pas  nouveaux  dans  l'infi- 
délité. C'est  l'année  de  la  conférence  de  Pamiers,  où  Henri  ne  résista  que 
faiblement  aux  instances  de  d'Epernon,  et  où  l'énergie  du  ministre  Marmet 
lui  épargna  la  honte  d'une  réponse  indécise,  le  moment  où  il  fallut  un  mé- 


74 


MELANGES. 


moire  de  Duplessis  pour  rassurer  les  huguenots  sur  la  foi  tle  leur  prince, 
le  moment  où  se  placent  ces  paroles  de  Bèze  :  Ego  optima  quœqnx  spero 
(le  ipsius  consfnntia:  sed  homo  est  et  quidem  jurenls^  d e nique  vanis- 
simi  patris  fi/lus.  Itaque  precibus  hic  nobis  opus  est,  si  unquam  alias. 
Nam  Satan  omnia  molitur  ut  eum  aut  blanditiis  ad  se  7'evocet,  aut 
minis  deiurbet,  aut  vi  apert a  prosternât. 

Ce  que  nous  avons  signale  jusqu'ici  et  ce  que  nous  signalerons  encore 
concerne  principalement  le  rôle  personnel  d'Henri  iV  dans  la  question  de 
son  abjuration.  Ce  n'est  point,  toutefois,  au  côté  biographique  que  se  limi- 
tent les  éludes  du  pieux  et  savant  auteur.  Les  négociations  poursuivies  à 
Rome,  les  obstacles  rencontrés  dans  la  politique  espagnole  et  la  résistance 
de  la  Ligue,  le  rôle  des  partis  de  toutes  les  nuances,  tout  ce  grand  labyrinthe 
où  de  grands  maîtres  ont  porté  tant  de  lumière  en  y  laissant  encore  tant 
d'obscnrilé,  est  exploré  patiemment  par  M.  Staehelin.  Nous  n'empruntons 
ici  à  son  volumineux  mémoire  que  quelques  faits  formant  série  et  laissés 
de  côté  cependant  par  la  plupart  des  historiens  connus  du  grand  public. 

En  héritant  de  la  couronne  en  1589,  Henri  avait  annoncé  par  la  décla- 
ration de  Saint-Cloud  :  -IQ  le  maintien  de  l'Eglise  catholique  dans  tous  ses 
droits  ;  1°  la  convocation  prochaine  d'un  concile  •.  3"  la-  promesse  de  se 
faire  instruire  par  ce  concile  ;  4°  celle  de  restreindre  le  culte  réformé  aux 
lieux  où  il  était  alors  célébré.  Rien  de  plus  habile  que  cette  connexiié 
établie  par  le  roi  entre  son  instruction  prochaine  et  ce  concile.  Pour  un 
grand  nombre  do  protestants,  le  concile  signiliait,  en  effet,  rétablissement 
d'un  gallicanisme  dont  l'élasticité  pouvait  aller  jusqu'ù  l'indépendance  ef- 
fective de  l'Eglise  de  France,  ou  à  une  alliance  des  confessions  sur  une  base 
large.  Des  consistoriaux  rigides  se  prêtaient  à  ce  concile  pourvu  ijuil  fût 
national.  Mais  Henri  ne  lit  rien  pour  celte  convocation,  dont  M.  Sla'helin 
exagère  d'ailleurs,  selon  nous,  le  succès  possible  (p.  377  3^6)  en  y  voyant 
une  planche  de  sûreté  qui  seule  eût,  humainement  parlant,  sauvé  la  situaiion. 
Le  nouveau  roi  se  maintint  autant  que  possible  dans  une  situation  expec- 
tanle  qui  lui  convenait,  mais  qui  plaçait  les  protestants  dans  une  situaiion 
otliciellement  pire  que  celle  de  l'ancien  règne.  Ils  n'avaient,  en  eflel,  ni 
protecteur,  ni  chambres,  ni  autres  éléments  d'autonomie  précédemment 
reconnus.  Les  intérêts  matériels  de  leurs  Eglises  étaient  négligés.  Des  édits 
funestes  continuaient  à  les  régir  d'autre  pari,  et  Henri  ne  se  pressait  nulle- 
ment de  les  révoquer.  Les  huguenots  étaient  soumis  à  un  roi  il  moitié  ca- 
llioliqiie,  qui,  dans  une  formule  célèbre  (1"  207:  «que  Dieu  absolve,  ») 
avait  donné  des  gages  ù  i\(jme  en  recommandant  à  Dieu  l'àme  de  son 
prédécesseur  défunt,  et  qui,  favorisant  toujours  plus  ceux  qu'il  avait  com- 
batlus  naguère,  ne  permettait  pas  aux  vainqiu'urs  d'ivry  de  célébrer  avec 
éclat  leur  triomphe.  Heiui  se  serait  accommodé  de  cette  position  ambiguë  si 


MÉLANGES.  75 

les  nobles  catholiques  royalistes  ne  se  fussent  chargés  du  soin  de  sa  récon- 
ciliation avec  le  saint-siége.  Ces  hommes  qui  avaient  bravé  pour  lui  la  Ligue, 
la  Sorbonne  et  le  Parlement  de  Paris,  qui  ne  voulaient  pas  d'un  relaps,  récla- 
maient hautement  l'accomplissement  de  la  promesse  qui  leur  avait  été  faite 
quelques  années  auparavant.  Les  rapports  d'Henri  avec  ce  parti  sont  l'un 
des  points  les  mieux  élucidés  dans  l'ouvrage  du  pasteur  bcàlois,  et  la  tâche 
n'était  pas  aisée,  car  ici  tout  est  ténébreux.  Tandis  que  tout  cheminait 
lentement  en  France  et  qu'Henri  laissait  échouer  les  négociations  entre 
Villeroy  et  Duplessis  aux  premiers  obstacles  que  rencontrait  la  conscience 
du  diplomate  réformé,  tandis  que  les  conférences  entre  le  roi  et  les  dé- 
putés de  Paris  assiégé  n'aboutissaient  qu'à  des  promesses  vagues  (p.  245j, 
les  envoyés  de  la  noblesse  catholique  à  Rome  étaient  encouragés  secrète- 
ment par  le  roi  et  reconnus  au  besoin  comme  ambassadeurs  auprès  des 
cours  d'Italie.  Le  duc  de  Toscane,  qui  favorisait  leur  mission  pour  contre- 
carrer les  desseins  de  l'Espagne,  offrait  à  Duplessis  une  pension  de  vingt 
mille  écus  s'il  voulait  hâter  les  affaires  (p.  250).  L'indignation  de  Duplessis 
ne  fut  point  partagée  par  le  roi  de  France.  Toutefois,  Henri  sachant  que 
le  moment  n'était  pas  encore  venu,  rassurait  les  huguenots  sur  sa  re- 
ligion. 

L'histoire  générale  a  fait  connaître  dans  ses  grands  traits  l'attitude  que 
prenait  la  cour  de  Rome  devant  la  double  question  de  l'abjuration  à  recevoir 
et  de  l'absolution  à  donner.  Balancée  entre  les  intérêts  temporels  du  catholi- 
cisme et  ses  principes  disciplinaires  les  plus  rigides,  favorable  à  l'esprit  de  la 
politique  espagnole  mais  ne  voulant  pas  la  suivre  avec  serviliié,  elle  pencha 
tour  à  tour  pour  la  Ligue  et  pour  les  catholiques  royalistes.  Sixte  V  inaugura 
ce  système,  un  jour  excomuniant  les  Bourbons  et  les  déclarant  impropres  à 
régner,  un  autre  jour  frayant  les  voies  à  un  rapprochement  par  un  bref 
qui  précéda  de  peu  sa  mort.  Urbain  VII,  Grégoire  XIV  et  Innocent  IX  eu- 
rent des  [lontificats  éphémères.  Clément  VIII  fut  favorable  aux  desseins  de 
la  noblesse  royaliste,  mais  procéda  avec  lenteur.  Henri  était  pressé  d'en 
finir.  Il  était  effrayé  des  progrès  que  faisait  la  faction  du  second  cardinal  de 
Bourbon,  tiers  parti  national,  placé  entre  la  Ligue  et  les  catholiques  roya- 
listes, et  dont  des  recherches  récentes  ont  fait  connaître  l'importance.  Aussi 
s'empressa-t-il  de  profiter  de  l'issue  que  lui  ménageait  une  grande  partie  du 
clergé  français.  De  là  le  caractère  gallican  que  prit  bientôt  la  question  de 
l'abjuration  et  qui  contribua  à  lui  donner  son  côté  libéral  et  populaire. 
M.  Stsehelin  donne  de  consciencieuses  analyses  de  publi(-ations  longtemps 
oubliées,  qui  parurent  à  cette  époque  pour  agir  sur  l'opinion  publique  et 
sur  la  conscience  du  monarque,  manifestes  inspirés  en  général  par  un  ca- 
tholicisme à  gros  grains  que  nous  serions  tentés  de  prendre  pour  un  pro- 
duit plus  récent  de  l'indiÊFérentisme,  n'était  l'authenticité  des  documents. 


76  MÉLANGES. 

On  faisait  aux  réformés  les  concessions  les  plus  capitales  sur  le  dogme, 
tout  en  les  engageant  au  nom  du  latitudinarisme  à  se  montrer  conserva- 
teurs. La  Remontrance  d'Angers  est  le  plus  remarquable  de  ces  mani- 
festes. Mais  ce  qui  nous  fait  mieux  connaître  encore  l'alliance  du  scepticisme 
et  de  l'intérêt  contre  la  cause  réformée,  c'est  le  portrait  que  nous  donne 
M.  Staehelin,  du  prélat  qui  eut  alors  la  plus  grande  influence  sur  l'esprit 
d'Henri  IV,  On  a  raconté  l'iiisioire  d'un  prêtre  qui,  après  avoir  gagné  les 
bonnes  grâces  du  voluptueux  Henri  HI  par  une  gracieuse  démonstration  de 
l'existence  de  Dieu,  les  perdit  bientôt  par  la  vanité  qu'il  mit  à  vouloir  mon- 
trer son  talent  par  la  défense  de  la  thèse  contraire.  Ce  prêtre  n'était  autre 
que  Duperron,  renégat  de  la  Réforme,  plus  tard  évêque  d'Evreux  et  cardi- 
nal. Heiu'i  IV,  plus  frivole  et  plus  profane  que  son  prédécesseur,  avait  ré- 
paré celte  disgrâce.  Duperron  avait  trouvé  une  place  d'honneur  auprès  de 
lui,  et  soit  comme  tiers  entre  le  Béarnais  et  Gabrielle  d'Estrées,  soit  aidé 
de  théologiens,  il  s'exerçait  tour  à  tour  par  la  science  et  la  bouffonnerie,  à 
forcer  les  derniers  retranchements  d'une  conscience  à  peu  près  vaincue, 
mais  voulant  lutter  pour  qu'il  fût  dit.  Les  simulacres  de  discussions  qui 
eurent  lieu  en  présence  d'Henri  IV,  entre  Duperron  et  quelques  ministres 
réformés,  sont  une  des  pages  les  plus  honteuses  de  cette  histoire  (p.  435- 
440).  Ce  qui  révolte  ici,  ce  n'est  pas  la  légèreté  et  la  mauvaise  foi  du  pro- 
sélyte (on  y  est  accoutumé),  c'est  le  scandale  donné  par  l'ineptie,  la  frivo- 
lité et  peut-être  la  complicité  de  quelques  ministres  courtisans  qui  lais- 
sèrent sans  pudeur  le  dernier  mot  à  leurs  adversaires.  L'un  d'eux,  dit-on, 
avoua  plus  tard  son  consentement  préalable. 

Quoique  les  scènes-de  cette  période  indiquent  déjà  le  coup  funeste  irré- 
médiablement porté  à  la  conscience  du  monarque,  il  y  a  encore  de  longues 
péripéties;!  traverser.  M.  Stailielin  se  surpasse  dans  des  pages  émouvantes 
où  il  décrit  l'espèce  de  fatalité,  la  tragédie,  comme  il  l'appelle,  qui  fit  de 
Duplessis-Moruay  trompé  le  complice  involontaire  des  transactimis  déci- 
sives. La  douleur  de  cette  grande  Suie  désillusionnée,  ses  derniers  elforis 
pour  parer  un  coup  inévitable  sont  décrits,  avec  un  pal liélique  d'autant  plus 
puissant  qu'il  n'est  emprunté  (|u'à  la  sobre  exposition  de  la  vérité.  A  partir 
de  ce  moment,  les  huL;u('n()ts  (int  terminé  leur  grand  rùle  politique.  Le 
drame  est  achevé.  Il  ne  reste  |)lus  ù  l'Iiistorii'ii  (pi'à  enregistrer  la  lente 
légalisation  d'un  fait  moralement  aecouqili. 

Deux  événements  caraclérisliiiues  dominent  ces  scènes  de  clôture.  \a\ 
premier  c'est  la  conférence  de  Suresne  (p.  522),  tenue  entre  des  notabilités 
caiholicpies  de  tous  les  partis,  pour  s'entendre  sur  la  question  de  principe 
qu'il  fallait  résoudre,  la  possibilité  de  recoruiaîlre  comme  roi  un  excom- 
munié de  Sixte-Quint,  un  relaps.  Les  opinions  extrêmes  avaient  respective- 
ment  pour  représentants  i)rineipnMX,   ranlievèque  de  Lyon  et  celui  de 


MÉLANGES.  77 

Bordeaux,  le  premier  ultramoiUain  et  ligueur,  le  second  royaliste  et  gal- 
lican. Les  ligueurs  en  appelaient  à  tous  les  exemples  bibliques,  montrant 
la  révolte  bénie  par  le  succès  ou  seulement  racontée  sans  blâme.  Amal- 
game bizarre  de  citations,  où  le  meurtre  d'Amasias  figure  à  côté  de  l'his- 
toire d'Athalie,  l'insurrection  des  Iduméens  contre  Joram  à  côté  des  exploits 
des  Jlacchabées.  L'érudition  des  royalistes  était  plus  heureuse  en  rappelant 
Jérémie  prêchant  la  fidélité  envers  Nébucadnetzar,  Elle  soumis  à  Achab, 
les  apôtres  souffrant  le  martyre,  Jésus  portant  sa  croix.  Les  ligueurs,  voyant 
leur  cause  près  d'être  perdue  en  France,  se  bornaient,  il  est  vrai,  à  vou- 
loir remettre  l'affaire  au  pape.  Les  royalistes  n'admettaient  ni  les  effets 
temporels  de  l'excommunication,  ni  la  validité  des  monitoires.  Ils  regar- 
daient la  question  comme  toute  française.  La  conférence  n'aboutissant  pas, 
Henri  convoqua  une  assemblée  d'ecclésiastiques  catholiques  à  Mantes,  ré- 
solu de  se  faire  instruire  sans  plus  de  délais.  Soit  pour  sauver  les  appa- 
rences, soit  pour  se  donner  la  satisfaction  d'avoir,  en  bonne  forme,  pris 
congé  des  protestants,  il  convoqua  aussi  des  représentants  de  leur  religion. 
Duplessis  vit  ce  qu'il  y  avait  là  de  dérisoire.  Sully  se  rendit  à  l'appel  avec 
quelques  gentilshommes  insignifiants. 

Ct'tte  instruction,  le  second  des  faits  que  nous  avons  en  vue,  nous  est 
connue  par  quelques  traits  anecdotiques  épars  dans  l'histoire,  rassemblés 
avec  méthode  par  M.  Siaehelin  (p.  595-607).  Nous  n'en  parlerons  qu'en  peu 
de  mots.  On  n'avait  pas  même  choisi  des  théologiens  capables  de  ré|)ondre 
aux  objections  du  monarque,  et  pourtant,  malgré  ses  boutades,  quel  caté- 
chumène fut  jamais  plus  désireux  d'être  convaincu?  L'enseignement  sem- 
blait fait  exprès  pour  rappeler  à  Henri  qu'il  quittait  la  vérité  pour  l'illusion 
volontaire.  Jamais  plus  singulier  mélange  de  subtilité  scolastique  et  de 
théologie  de  capucin.  La  transsubstantiation  prouvée  par  l'autorité  de  Sa- 
tan invitant  le  Christ  à  changer  les  pierres  en  pain,  et  par  la  nécessité  de 
donner  de  l'autorité  au  sacerdoce;  le  même  dogme  découvert  dans  ces  pa- 
roles :  «  C'est  l'esprit  qui  vivifie,  la  chair  ne  sert  de  rien  ;  »  la  permission 
donnée  à  Henri  d'adorer  tous  les  saints  in  globo^  pour  ne  pas  se  fatiguer 
à  les  adorer  un  à  un  ;  celle  de  ne  pas  croire  au  purgatoire  comme  article 
de  foi,  mais  comme  une  chose  à  laquelle  tenait  l'Eglise  dont  le  roi  voulait 
être  membre,  voilà  quelques-uns  des  traits  cités  par  l'auteur.  La  clôture  de 
cette  instruction  n'est  pas  moins  ridicule.  Elle  fut  abrégée  parce  que  le  roi 
voulait  en  finir.  11  y  eut  toutefois  au  milieu  de  tout  cela  une  dernière  protes- 
tation de  la  conscience,  dans  l'àme  du  renégat.  Il  sentit  le  besoin  de  se  la- 
ver les  mains,  comme  un  personnage  de  sinistre  mémoire.  «  Voici,  dit-il 
à  ses  catéchistes,  je  mets  aujourd'hui  mon  âme  entre  vos  mains.  Je  vous 
prie,  prenez  y  garde;  car  là  où  me  faites  entrer,  je  ne  sortirai  que  par  la 
mori,  et  de  tout  cela  je  vous  le  jure  et  proteste.  »  —  Il  paya  encore  un 


78  MÉLANGES. 

tribut  à  ses  convictions  véritables.  Quand  on  lui  présenta  la  formule  d'ab- 
juration, il  ne  put  se  résoudre  à  signer  les  anathèmes  contre  ceux  qui  re- 
jetaient maint  et  maint  article  (p.  608).  On  dut  se  contenter  d'une  formule 
mitigée  qui  impliquait  cependant  l'adhésion  à  la  foi  catholique  dans  son 
ensemble. 

La  cérémonie  de  l'abjuration,  la  rentrée  à  Paris,  le  découragement  des  pro- 
testants, leur  mépris  partagé  par  des  catholiques  consciencieux,  même  par 
un  évoque  (p.  616),  tous  ces  faits,  bien  que  racontés  en  détail  par  M.  Stiehe- 
lin,  ne  sauraient  trouver  place  dans  notre  analyse.  Nous  nous  bornons  à 
recommander  la  lecture  de  son  ouvrage  pour  tout  ce  qui  tient  à  un  point 
capital,  les  conséquences  de  cette  abjuration.  On  y  trouvera  la  rectilication 
de  bien  des  idées  erronées  admises  comme  lieux  communs  dans  l'histoire. 
Surtout,  après  celte  lecture,  on  se  gardera  de  se  laisser  éblouir  par  la  jus- 
titication  que  donne  le  succès.  L'auteur  n'admet  pas,  il  est  vrai,  les  idées 
courageusement  avancées  et  savamment  soutenues  par  M.  Ch.Read,  sur  la 
superfluilé  de  l'abjuration  au  point  de  vue  de  la  victoire.  Politiquement  par- 
lant, il  se  range  aux  idées  reçues.  Mais  on  a  souvent  réclamé  pour  le  grand 
roi  un  autre  honneur  que  celui  d'avoir  sauvé  l'unité  de  la  France.  On  a  re- 
gardé son  abjuration  comme  un  bienfait  pour  les  huguenots,  comme  le 
salut  temporel  de  leur  Eglise;  et  c'est  contre  cette  idée  courante  que 
M.  Slyehelin  proteste  avec  autant  d'éloquence  que  d'érudition.  Son  opi- 
nion, nous  n'en  doutons  pas,  aura  pour  elle  l'appui  de  tous  les  hommes 
compétents  qui  ont  étudié  cette  époque.  On  peut  sans  doute,  à  un  point  de 
vue  très  matériel,  vanter  la  sécurité  que  ks  protestants  trouvèrent  après 
l'abjuration,  quand,  à  travers  les  grandes  perspectives  de  l'histoire,  on  en- 
visage le  temps  écoulé  entre  l'Edit  de  Nantes  et  le  ministère  de  Richelieu. 
Mais  nous  ne  parlons  pas  ici  de  l'Edit  de  Nantes,  concession  arrachée  par 
l'énergie  ei  les  menaces  des  huguenots,  cinq  ans  après  l'abjuration,  et  sur 
la  valeur  de  laquelle  des  travaux  récents  nous  ont  appris  beaucoup  de 
choses.  Nous  parlons  des  années  qui  suivirent  immédialenuMit  l'abjuration, 
années  lugubres  (jui  n'ont  eu  leur  répétition  que  sous  Louis  XIV.  On  avait 
espéré  que  l'abjuration  serait  une  transaction.  Ce  fut  un  de  ces  compro- 
mis avec  le  mal,  qui  entraînent  de  nouvelles  concessions  au  mal.  Après 
l'abjuration  avec  réserve,  vient  le  sacre  de  Chartres  et  le  célèbre  ser- 
ment des  rois  français  pour  l'extirpation  de  l'hérésie,  répété  par  Henri 
le  jour  même  où  les  protestants  de  Languedoc  juraient  de  lui  être  lidèles; 
après  l'absolution  gallicane,  l'absolution  ullramonlaine  et  la  cassation  de 
ce  qui  s'était  fait  jus(pi'alors;  les  jésuites  reconnus,  des  caisses  instituées 
pour  la  conversion  des  réformés,  des  altrouix'uicnts,  des  violences,  des 
interdictions  de  culte,  des  exhunialiiuis,  des  pio(  es  ilans  le  genre;  de  l'af- 
faire Calas,  voila  la  période  dite  di;  tolérance,  vantée  par  tant  d'historiens. 


MELANGES. 


79 


et  que  M.  Stœhelin  fait  connaître  par  des  détails  puisés  à  des  sources  di- 
gnes de  foi  (1). 

Le  roi  n'ignorait  pas  les  plaintes  de  ses  anciens  coreligionnaires.  11  y 
répondait  tantôt  par  des  protestations  de  fidélité  secrète  à  la  Réforme,  tan- 
tôt par  d'amères  ironies.  Comparant  les  réformés  à  l'enfant  prodigue,  il 
leur  conseillait  de  revenir  à  la  maison  paternelle,  à  côté  du  frère  aîné,  pour 
qu'on  leur  tuât  le  veau  gras.  N'en  soyons  pas  surpris.  Le  pas  décisif  qu'il 
avait  fait  dans  le  mensonge  avait  marqué  la  transition  à  l'époque  la  plus 
honteuse  de  sa  vie.  Il  était  livré  à  tous  les  excès;  il  révoltait  même  la  pu- 
deur d'une  de  ses  maîtresses.  Et  cependant  de  lugubres  traits  remis  récem- 
ment en  lumière  montrent  que  la  conscience  parlait  encore  par  moments. 
Au  fort  d'une  maladie,  effrayé  par  de  sinistres  pensées,  il  demanda  à  d'Au- 
bigné  s'il  n'avait  point,  par  son  abjuration,  commis  le  péché  contre  le  Saint- 
Esprit.  D'Aubigné  lui  répondit  qu'un  militaire  n'était  pas  bon  juge  dans 
une  question  pareille,  que  le  roi  devait  s'adressera  Dieu  (p.  681).  On  le  vit 
prier  avec  angoisse.  Le  sujet  de  cet  entretien  ne  fut  pas  remis  sur  le  tapis 
après  la  guérison.  Il  se  présentait  toutefois  au  monarque  avec  terreur. 
L'ouvrage  de  M.  Staehelin  mentionne  encore  la  promesse  qu'Henri  avait  faite 
au  landgrave  de  Hesse,  de  redevenir  protestant  pour  pouvoir  mourir  en 
paix. 

Les  derniers  appels  ne  lui  manquèrent  pas.  Blessé  à  la  lèvre  lors  de  l'at- 
tentat de  Jean  Chàtel,  il  reçut,  après  les  compliments  de  ses  courtisans,  cet 
avertissement  de  d'Aubigné  :  «  Sire,  Dieu  vous  a  frappé  à  la  lèvre,  parce 
que  vous  ne  l'avez  renié,  que  des  lèvres.  Si  vous  le  reniez  du  cœur,  prenez 
garde  que  vous  ne  soyez  frappé  au  cœur.  »  Le  poignard  de  Ravaillac  a-t-il 
justifié  le  jugement  de  d'Aubigné  comme  il  a  accompli  sa  prophétie?  Dieu 
seul  le  sait. 

Tels  sont  les  principaux  faits  sur  lesquels  le  livre  de  M.  Stœhelin  jette  du 
jour.  Nous  n'oserions  émettre  le  vœu  de  voir  paraître  parmi  nous  une  tra- 
duction de  ce  remarquable  travail.  Il  y  a  dans  les  meilleures  productions 
de  la  science  germanique  quelque  chose  qui  se  refuse  à  l'implajilation  sur 
le  sol  français.  Toutefois,  si  quelque  ami  de  nos  Eglises  entreprenait  cette 
tâche,  il  serait  sur  de  rendre  un  service  à  la  littérature  protestante,  au  pro- 
testantisme lui-même.  Il  contribuerait  pour  sa  part  à  préparer  le  jour  oii  le 
point  de  vue  de  la  Réformalion  sera  regardé  comme  celui  de  la  vérité  en 

histoire  comme  en  religion.  J--J.  Dufour. 

Dardagny,  canton  de  Genève. 

(1)  Voyez  tout  le  chapitre  V. 


80  MÉLANGES. 

UT1L.ITÉ  DKS  €iK.^ÉAI.O«IEi»  POUR  I.'Hi«TOinE  (1). 

Les  sciences  auxiliaires  de  l'histoire  sont  nombreuses,  mais  aucune  peut- 
être  ne  lui  rend  de  plus  miles  services  que  celle  des  généalogies.  C'est  ce 
que  reconnaissait  Rapin-Tlioyras ,  l'écrivain  protestant  du  XYIII*^  siècle, 
lorsqu'il  disait  dans  son  Histoire  d' .Angleterre,  que  «  si  pour  bien  entendre 
une  histoire,  il  est  nécessaire  de  savoir,  par  le  moyen  de  la  géographie,  les 
lieux  où  les  aclions  ont  élé  laites,  et  par  la  chronologie  les  temps  où  elles 
sont  arrivées,  il  n'est  pas  moins  nécessaire  de  bien  connaître  les  personnes 
qui  les  ont  faites  ou  qui  y  ont  pris  pari,  parle  moyen  des  généalogies,  (jui 
font  même  très  souvent' connaître  les  causes  dfs  actions  dont  l'histoire 
parle.  »  Pour  peu  que  l'on  se  soit  occupé  de  recherches  historiques,  on 
conviendra  de  la  justesse  de  cette  réflexion,  mais  on  avouera  en  même  temps 
que  rien  n'est  plus  difficile  que  de  dresser  des  généalogies  parfaitement 
exactes,  même  des  maisons  souveraines.  Ce  travail  exige  dans  celui  ipii 
l'entreprend,  non-seulement  une  patience  infatigable  et  une  sagacité  qui 
n'est  le  partage  que  d'un  petit  nombre,  mais  des  ressources  matérielles 
auxquelles  ces' deux  qualités  si  rares  ne  sautaient  suppléer.  Personne,  à  ce 
double  point  de  vue,  n'était  mieux  qualifié  que  M.  Ed.  Gantier  pour  dresser, 
ou,  si  l'on  veut,  pour  rectiher  les  généalogies  déjà  dressées  par  le  père 
Anselme  et  par  d'autres,  des  rois  de  France  et  des  grands  feudataires  de  la 
couronne. 

Ces  tableaux,  au  nombre  de  LIX,  nous  offrent  la  filiation,  aussi  complète 
que  possible,  des  (piatre  dynasties  qui  ont  successivement  gouverné  la 
France  depuis  l'invasion  des  Gaules  par  les  Fraiiks  jusqu'à  nos  jours,  et, 
en  même  temps,  les  généalogies  des  puissants  barons  t\'0ii;itix  (jui,  sous  le 
nom  (le  comtes  ou  de  ducs  d'Alençou,  d'Anjou,  d'Armagnac,  d'Auvergne, 
de  Botirbonuais,  de  Bourgogne,  de  Bretagne,  de  Champagne,  de  Flandres, 
de  Gnienne,  de  Lorraine,  de  Navarre,  de  Noriuaiidie,  de  Provence,  de 
Savoie,  etc.,  ont  tenu  en  échec,  pendant  des  siècles,  l'autorité  royale,  jus- 
qu'à ce  que  la  puissance  plus  ou  moins  légitime  de  ces  lurbuleiUs  vassaux 
ait  été  absorbée  entièrement  par  celle  de  leur  suzerain.  En  tète  de  ces  ta- 
bleaux, l'auteur  a  mis  une  Introduction  intéressante,  offrant  itn  tableau 
rapide  des  luttes  (pi'a  eues  à  sotttenir  la  moitarchie  française  pour  s'élever 
du  morcellement  féodal  établi  par  la  conquête  à  l'importante  unité  politique 
de  la  France  de  nos  jours. 

Le  volume  qtie  nous  annonçons  ne  contient  guère  que  des  noms  et  des 
dates,  et  il  échappe  par  consé(iuent  à  toute  analyse.  Nous  n'avons  donc 
d'autre  chose  à  faire,  en  notre  (|ualité  de  critique,  que  d'attester  le  soiu 
mitiiilieux  apporté  par  >l.  Garuier  dans  ses  rrcherches.  Il  a  relevé  tin  grand 
nombre  d'iuexaclitudes,  et  uiêiiu>  d'erreurs,  dans  VJIisloîre  (lénéalogique 
de  la  viai.son  de  France,  et  en  ranuMiaiil  toutes  les  dates  de  ce  vaste  re- 
cueil au  nouveau  style,  il  a  rendu  un  service  dont  nos  futurs  historiens  lui 
sauront  un  gré  infini.  Ek;.  H. 


(1)  Tableaux  r/énéalogique.i  des  souverains  de  la  France  et  de  ses  grands  feuda- 
taires, \):iv  1':d.  Gahmer,  archiviste  aux  Arcliivos  de  l'tiinpire.  Paris,  A.-L.  Ilérolil, 
1863.  ln-4". 


SOCIÉTÉ  DE  L^HISTOIRE 


PROTESTANTISME   FRANÇAIS. 


AfeSESitlBB^KE  CiÉXËRAt-E  DE   IvA  ?<iOCIÊTÉ 
tenue  le  5  avril  1864 

sons   LA   PRÉSIDENCE  DE  M.   CHARLES  READ ,   PRÉSIDENT  (1). 

La  douzième  Assemblée  générale  annuelle  a  eu  lieu^  le  mardi  5  avril  186 'i, 
dans  le  temple  de  l'Oratoire,  à  trois  heures,  sous  la  présidence  de  M.  Charles 
Read,  qui,  après  une  invocation  prononcée  par  M.  le  pasteur  Casalis,  a  ouvert 
la  séance  en  ces  termes  ; 

Messieurs , 

Notre  tâche,  comme  président  de  cette  Société,  est  pénible  et  monotone. 

Non  pas  (car  elle  est  double)  celle  qui  consiste  à  remplir  le  but  intellec- 
tuel et  moral  de  notre  association,  c'est-à-dire  à  rechercher,  recueillir  et 
faire  connaître  les  documents  propres  à  éclairer  l'histoire  de  nos  Eglises 
et  le  passé  du  protestantisme;  à  mettre  au  jour  la  publication  périodique 
par  laquelle  se  manifestent  nos  travaux.  —  Cette  partie  de  noire  mission 


(1)  iiV  MEMÛHIAM! 

En  tête  de  ce  compte  rendu  de  notre  assemblée  annuelle,  nous  avons  à  cœur  de 
mentionner  un  fait  qui,  s'il  avait  pu  être  porté  plus  tôt  à  notre  connaissance,  au- 
rait donné  lieu  à  une  communication  spéciale  dans  la  séance  même.  M.  Théodore 
Monod  nous  écrit,  à  la  date  du  15  avril  : 

«  Je  viens  de  retrouver  parmi  les  papiers  de  mon  père  une  feuille  cherchée  en 
«  vain  depuis  longtemps,  et  qui  contient  la  liste  [écriie  de  sa  main,  peu  de  jours 
«  avant  sa  mort)  de  plusieurs  petites  sommes  qu'il  nous  priait  d'envoyer  en 
«  souvenir  de  lui  à  diverses  œuvres  chrétiennes.  La  Société  de  VEistoire  du 
«  Protestantisme  français  s'y  trouve  inscrite  pour  10  francs...  Cette  petite  somme 
«  devra  être  mentionnée  sous  la  désignation  suivante,  indiquée  par  le  donateur 
«  lui-même  :  En  souvenir  de  Frédéric  Monod. 
«  Avec  l'expression  de  mes  regrets  pour  un  retard  involontaire,  agréez,  etc. 

«  Th.  Monod.  » 

Le  Comité,  à  qui  nous  avons  fait  part  de  cette  lettre,  dans  sa  séance  du  19 
avril,  a  exprimé  combien  il  était  touché  de  ce  précieux  souvenir  d'un  ami  qui 
a  toujours  témoigné  pour  l'œuvre  historique  la  plus  vive  sympathie.  Ce  don  de 
sa  part  a  pour  nous  une  valeur  d'autant  plus  grande,  qu'il  est  le  premier  legs 
qu'ait  reçu  jusqu'ici  la  Société.  Puisse  cette  dernière  pensée  de  ce  digne  descen- 
dant des  huguenots  recommander  efficacement  nos  travaux  à  beaucoup  de  ceux 
qui  n'en  sentent  pas  assez  tout  le  prix  ! 

1864.  Avril.  N°  /(.  \HI.    —   6 


82  ALLOCUTION    DU    l'IlÉSIDENT. 

est  laborieuse,  mais,  secondée  ou  non,  elle  ne  craint  point  de  chùnier,  elle 
se  suffit  assez  bien  à  elle-même;  si  elle  a  ses  fatigues,  elle  a  aussi  ses  com- 
pensations, ses  intimes  jouissances.  Nous  sommes  loin  de  nous  en  plaindre, 
pour  notre  compte  personnel,  et  nous  pouvons  tenir  le  même  langage  au 
nom  de  nos  collaborateurs. 

Mais  là  où  notre  rôle  est  uniforme  et  réellement  ingrat,  c'est  lorscjuil 
nous  faut  jeter  chaque  année  un  coup  d'œil  sur  les  cadres  de  la  Société,  sur 
la  liste  de  ses  membres,  pour  en  compter  le  nombre,  pour  vous  dire  jusqu'à 
(luel  point  nos  coreligionnaires  ont  l'intelligence  de  leur  situation,  le  culte 
(le  la  famille  historique,  nous  allions  dire  le  respect  même  de  leurs  ancê- 
tres. Et  pourquoi  ne  le  dirions-nous  pas,  puisque  notre  devoir  est  de  ne 
point  taire  la  vérité,  et  qu'aussi  bien  il  ne  servirait  de  rien  de  la  pallier? 
N'est-ce  pas  méconnaître  notre  belle  devise  :  Fos  pères,  ou  sont-ils? 
N'est-ce  pas  fermer  les  yeux  à  la  lumière,  rester  sourds  à  la  voix  de  cet 
enseignement  de  l'histoire,  qui  est  celui  même  de  l'expérience,  et  qu'à  ce 
titre  on  ne  saurait  priser  trop  haut  ?  N'est  ce  pas  se  montrer  à  la  fois  bien 
ignorants  et  bien  inintelligents,  —  ignorants  de  tout  ce  que  le  protes- 
tantisme a  déjà  gagné  à  faire  connaître  au  dehors  ses  véritables  annales, 
—  inintelligents  de  tout  ce  qu'il  aura  toujours  à  gagner  à  se  faire  mieux 
connaître  et  apprécier? 

C'est  pourtant,  3Iessieurs,  à  cette  tiédeur,  à  cette  indifférence  bien  regret- 
tables que  nous  avons  toujours  affaire;  c'est  contre  cet  oubli  de  soi-même, 
contre  cet  abandon  do  sa  propre  cause,  que  nous  avons  à  lutter  toujours! 
Sans  entrer,  sur  ce  triste  sujet,  dans  de  longs  détails,  nous  nous  bornons 
à  vous  répéter  ce  que  nous  vous  disions  en  commençant,  que  celte  partie 
de  notre  lâche  est  lourde,  qu'il  est  dur  et  amer,  en  présence  de  tout  le  bien 
qui  pourrait  se  faire,  de  calculer  celui  ([ui  ne  se  fait  pas,  de  tenter  de  réunir 
nos  amis,  nos  coreligionnaires,  sur  le  terrain  qui  les  éditerait  peut-être 
le  plus,  et  qui  à  coup  sûr  les  diviserait  le  moins,  de  les  y  convier,  de  les  y 
solliciter,  et  de  faire  tout  cela  vainement,  par  la  raison  que  les  uns  et  les 
autres  sont  ou  distraits  ou  absorbés  ailleurs  ! 

Si  encore  nous  pouvions  nous  consoler  un  momenl  avec  ce  mot  du  3la- 
zarin  :  «  Le  petit  troupeau  broute  en  paix  (...  ses  mauvaises  herbes^ 
ajoutait  le  cardinal)  e^  ne  s'écarte  point!...  »  i\Iais,  —  disons-le  tout  bas,  au 
risque  de  n'être  parlitulièroment  agréable  ni  aux  uns  ni  aux  autres  (si  tant 
est  qu'on  nous  écoute),  —  nous  avons  grand'|)t'ur  k\\\"\\s\\o. s  écartent,  à  leur 
insu  et  bien  inutilement,  tous  ceux  qui,  ainsi  absorbés  ailleurs  ou  distraits, 
se  tiennent  en  délinitive  à  l'écart  de  nos  paisibles  et  instructifs  travaux, 
faute  de  temps  ou  de  forces  qu'ils  consument  en  d'autres  soins.  Nous  avons 
grand'peur,  qu'au  lieu  d'une  œuvre  qui  répondrait  à  leur  peine,  ils  n'en 
fassent  \x\w.  qui  les  trompe.  Nous  avons  grand'pcur  qu'ils  ne  mettent  en 


ALLOCUTION    DU    rRESIDENl".  H3 

oubli  le-  leçons  du  passé  pour  recommencer  les  fautes  tant  de  fois  com- 
mises, et  que  les  sincères  amis  de  nos  Eglises  leur  ont  tant  de  fois  re- 
prochées. 

Veut-on  que  nous  en  citions  quatre  témoignages  seulement,  pris  à  di 
verses  époques  ? 

C'est  Daniel  Charnier,—  le  "  docte  ^  Chamier,  le  "  grand  ^  Cliamier,  «  non 
moins  ministre  d'Etal  que  ministre  d'Eglise  ^  (comme  le  qualifient  Ancillon, 
Saurin,  Bayle.)  —  c'est  Chamier.  député  par  l'assemblée  de  Cbàtellerault  au 
synode  de  Montpellier,  en  juin  1598,  pour  y  porter  l'Edit  de  Nantes  que  le 
roi  venait  d'accorder,  et  faisant  entendre  à  ce  synode  (jue,  "  faute  d'une 
"  bonne  union  et  intelligence,  ils  n'avaient  pas  obtenu  tout  ce  qui  leur  était 
"  nécessaire.  11  est  vrai  de  dire  que  le  synode,  ayant  reconnu  ce  défaut 
.'  (mais  un  peu  tard,  ajouterons-nous),  protesta  de  vouloir  étroitement,  et 
X  mieux  que  ci-devant,  observer  l'union  jurée...  » 

C'est  Henri  de  Roban,  —  !e  grand  Rohan,  —  un  des  chefs  les  plus  émi- 
nents  et  les  plus  dévoués  qu'aient  eus  les  protestants  de  France,  tenant  à 
ceux  qu'il  avait  vaillamment  servis,  comme  pas  un,  ce  mâle  langage,  si  sé- 
vère et  si  mérité  : 

" ..  .Nous  sommes  toujours  allés  en  empirant.  Aux  deux  premières  guerres, 
i<  les  divisions  ont  paru  en  quelques  endroits  parmi  nous;  en  la  dernière, 
'<  elles  ont  éclaté  partout...  Nos  pères  eussent  écrasé  leurs  enfants  dès  le 
'<  berceau,  s'ils  les  eussent  crus  être  les  instruments  de  la  ruine  de  ces 
"  Eglises  qu'ils  avaient  plantées  à  la  lumière  des  bi^ichers  et  accrues  malgré 
«  les  supplices,  et  qui,  par  leur  persévérance  et  leur  travail,  leur  avoient 
"  laissé  la  jouissance  d'un  repos  glorieux!  » 

C'est  Court  de  Gébelin,  le  digne  fds  de  celui  qui  releva  les  Eglises  abat- 
tues, —  c'est  Paul  Habaut,  le  second  apùtre  du  Désert,  qui  continua,  comme 
lui,  avec  tant  de  dévouement,  cette  œuvre  de  résurrection,  —  tous  deux  se 
plaignant  sans  cesse  des  obstacles  qu'on  leur  suscitait,  du  peu  de  reconnais- 
sance, de  justice  même;  qu'on  leur  témoignait.  —  Court  de  Gébelin,  qui, 
"  ne  perdant  jamais  de  vue  la  douleur  de  Sion,  »  .sacrifiait  à  la  cause  bien- 
aimée  de  ses  coreligionnaires  «  fortune,  crédit,  gloire,  situations  litté- 
raires ou  scientifiques  »  (sacrifices  d'autant  plus  méritoires  qu'il  les  seniail 
davantage),  et  que  pourtant  on  laissait  ><  sans  secours  »  (1)  ;  Court  de  Gé- 
belin, qui,  un  an  avant  sa  mort,  pouvait  écrire  à  un  pasteur  :  «  Je  suis 
"  privé  depuis  bien  des  années  de  nouvelles  de  votre  part,  et  je  ne  le  mé- 
«  ritais  pas  par  mes  sentiments  pour  vous  et  par  les  services  que  j'ai  tou- 
«  jours  tâché  de  rendre  à  toutes  nos  Eglises,  au  détriment  de  mes  propres 
^<  affaires  et  sans  presque  aucun  retour  de  leur  part...  Quelque  jour  elles 

(1)   Voir  RulL,  IL  S7â,  573,  574,  578. 


84.  ALLdCCTÏON    DU    PRESIDENT. 

"  me  rendront  sans  doute  plus  de  justice,  mais  quand  il  ne  sera  i)lus 
•<  temps!  »  (1)  —  Et  Paul  Rabaut,  écrivant  à  Gébelin  lui-même  :  <■  Vous 
n  avez  bien  raison  de  dire  qu'il  y  a  de  la  peine  à  l'aire  le  bien'.  Je  me 
«  suis  aperçu  que  la  plupart  de  mes  confrères  sont  jaloux  de  notre  corres- 
«  pondance...  Que  les  hommes  sont  petits  et  qu'on  a  besoin  d'êlre  animés 
«  de  motifs  supérieurs  pour  leur  être  utiles  en  quelque  sorte  malgré 
««  eux!  »  (2) 

En  un  mot,  ce  sont  tous  les  clairvoyants  rappelant  à  tous  les  aveugles 
que  la  désunion  affaiblit,  qu'elle  livre  ceux  qui  s'aflaiblissent  à  l'ennemi 
commun,  et  leur  appliquant  la  plus  émouvante  des  apostrophes  :  «  Jérusa- 
u  lem,  Jérusalem!  combien  de  fois  j'ai  voulu  rassembler  les  petits  sous 
«  mon  aile,  et  vous  ne  l'avez  pas  voulu  !  i» 

Tout  cela,  Messieurs,  c'est  l'histoire  qui  nous  le  met  sous  les  yeux,  c'est 
le  passé,  trop  souvent,  hélas!  miroir  du  présent  et  de  l'avenir.  Pourquoi? 
Parce  que  précisément  on  néglige  de  le  consulter,  d'y  rechercher  la  règle 
de  conduite  et  les  salutaires  avertissements  qu'on  y  trouverait  toujours  :  les 
précédents  à  éviter,  les  précédents  à  suivre ,  la  logique  des  faits  ,  la 
sagesse  des  nations. 

Nous  ne  nous  laissons  donc  pas  entraîner  ici  hors  de  notre  sphère, 
lorsque  nous  nous  en  tenons  à  d'utiles  généralités,  à  des  vérités  de  bon  sens, 
dont  chacun,  qu'on  ne  s'y  trompe  pas,  peut  incontestablement  prendre  sa 
part,  mais  que  nous  n'imposons  en  définitive  à  personne,  -  n'ayant  aucune 
prétention,  Dieu  merci,  au  titre  de  docteur  ou  de  régent,  —  mais  souhaitant 
vivement  que  le  zèle  pieux  de  la  maison  paternelle  anime  et  attire  davantagi' 
vers  nos  études  les  enfants  de  la  Réforme,  pour  les  faire  protiler  de  la  leçon 
des  siècles. 

Dans  ce  but,  aliii  d'aciiver  les  (ra\aux  de  la  Société,  atin  de  lui  rallier  tic 
nouveaux  amis  et  de  lui  procurer  de  proche  en  proche  des  moyens  d'action 
plus  ellicaces,  le  (iumilé  a  résolu  de  s'adjoindre  quelques  membres  nou 
veaux.  Nous  avons  la  satisfaction  de  vous  annoncer  que,  sur  la  demande 
(pii  leur  (îu  a  été  faite,  MM.  Ilenri  Rordier,  Jules  Dclaborde,  J.  Gaufrés, 
(iiiillaunic  (iuizol,  Fernand  Schickler,  ont  bien  voulu  accoptcu'  de  nous  se- 
conder et  nous  promettre  leur  précieux  concours;  nous  en  attendons 
d'heureux  fruits,  cl  nous  espérons  que  d'autres  amis  ne  tarderont  pas  à  se 
joindre  a  eux. 

Nous  voulons,  Messieurs,  nous  borner  à  ce  peu  de  mots,  alin  de  laisser 
à  la  séance  son  véritable,  intérêt,  celui  des  lectures  (jue  vous  êtes  appelés  à 

(1)  Voir  ci-dessus,  p.  07. 

(2)  Lettre  de  1778,  citée  par  Cti.  Coquerel,  llist.  des  Eglises  du  Désert. 


ALLOCUTION    DU    PRESIDENT.  85 

entendre,  et  pour  l'une  desquelles  nous  aurons  à  reprendre  la  parole.  Nous 
vous  dirons  dès  à  présent  quel  en  est  l'objet. 

L'histoire  accomplit  de  nos  jours  un  grand  travail,  comparable  en  quel- 
que façon  à  celui  qui  se  poursuit  sous  nos  regards,  dans  cette  grande  cité, 
par  les  soins  de  l'édilité  parisienne.  Elle  démolit  d'une  main,  elle  recon- 
struit de  l'autre,  ou  elle  fait  place  vide  et  prépare  les  matériaux  qui  servi- 
ront à  reconstruire  peu  à  peu  ce  qu'elle  aura  mis  à  bas.  Est-ce  pour  son 
plaisir  que  l'histoire  démolit  ainsi?  Est-ce  par  esprit  de  contradiction  et 
par  sophisme?  Nous  ne  le  croyons  pas,  quoi  qu'en  disent  quelques  critiques, 
qui  nous  semblent  eux-mêmes  quelque  peu  suspects  de  n'être  pas  trop  amis 
de  la  lumière,  et  d'éprouver  un  peu  de  dépit  en  voyant  partout  la  vérité  re- 
mettre hommes  et  choses  à  leur  place.  Quant  à  nous,  qui  nous  sommes  asso- 
ciés à  cette  œuvre  de  notre  siècle,  et  qui  en  avons  pris  une  part  jusque-là 
trop  négligée,  nous  pouvons  dire  hautement  que  nous  n'y  apportons  aucun 
autre  esprit  que  celui  de  conscience  et  de  justice.  Ce  n'est  pas  notre  faute 
si  le  résultat  de  nos  patientes  investigations  est  de  faire  cesser  les  traves- 
tissements historiques,  de  lever  les  voiles  coniplaisamment  jetés  sur  tant 
de  fautes  et  tant  de  crimes,  commis  à  rencontre  d'une  minorité  longtemps 
opprimée,  et  si  la  justification  des  innocents  entraîne  la  condamnation  des 
coupables.  Ce  n'est  pas  notre  faute  si  bien  des  mensonges  officiels  sont 
pris  par  nous  sur  le  fait,  si  bien  des  gloires  factices  s'évanouissent  en  pré- 
sence de  la  réalité,  si  des  personnages  trop  grandis  à  certains  égards  se 
trouvent  malheureusement  bien  rapetisses,  étant  ramenés  à  leurs  vraies  pro- 
portions. —  Pour  ne  citer  que  deux  noms  qui  reviennent  souvent  dans  nos 
publications,  ce  n'est  pas  notre  faute  si  des  majestés  telles  que  Louis  XIV,  le 
roi-soleil,  et  Bossuet,  l'aigle  de  Meaux,  nous  apparaissent  dépouillés  de 
cette  auréole  que  l'on  s'est  habitué  à  voir  entourer  leurs  têtes  transfigurées,  et 
réduits  au  triste  rôle  que  leur  humanité  a  trop  souvent  joué  sur  cette  terre. 
Qu'on  ne  nous  accuse  donc  pas  de  dénigrement,  si,  sur  ce  monarque  et  sur 
ce  prélat,  dont  nous  admirons  autant  que  qui  que  ce  soit  les  beaux  côtés  et 
les  talents  extraordinaires,  nous  avons  contribué  à  faire  connaître  de  fâ- 
cheuses mais  irréfragables  vérités. 

On  se  rappelle  ce  qu'a  écrit  le  cardinal  de  Beausset  dans  sa  biographie, 
remarquable  d'ailleurs,  de  l'évêque  de  Meaux.  Il  y  blâme  «  beaucoup  de  pro- 
«  testants  d'avoir  conservé  de  fortes  préventions  contre  Bossuet,  parce  qu'ils 
«  négligent  de  s'instruire  de  ce  qu'il  pensoit,  de  ce  qu'il  sentoit,  de  ce  qu'il 
u  l'aisoit  pour  eux,  en  même  temps  qu'il  combattoit  leur  doctrine.  »  Nous 
«  pensons  avec  sincérité,  dit-il,  que  Bossuet  a  de  justes  droits  à /'es^me  et 
«  à  la  reconnaissance  des  protestants.  Il  a  combattu  leur  doctrine  et  point 
«  leurs  erreurs.  Il  a  adouci  leurs  souffrances,  réclamé  contre  les  lois  qui 


86  ALLOCUTION    DU    PRESIDENT. 

»  les  opprimaient;  il  n'en  a  jamais  persécuté  un  seul;  il  a  été  l'appui,  la 
■(  consolation,  et  le  hienfaileur  de  tousceuxqui  ont  invtxjué  son  nom,  son 
"  génie,  ses  vertus.  »  Il  ajoute  :  «  Nous  avons  sous  les  yeux  tous  ses  pa- 
«  piers...  11  n'existe  pas  même  un  indice  qui  annonce  qu'il  ait  eu  part  à  ce 
'(  qui  précéda,  ou  à  ce  qui  suivit  immédiatement  la  révocation  de  l'Edit  de 
«  Nantes.  " 

Voilà  quel  était,  il  n'y  pas  longtemps  encore,  le  langage  de  l'histoire. 
Oui  n'en  aurait  cru  une  déclaration  aussi  affirmative,  aussi  sincère,  ad- 
meltnns-le,  malgré  le  commencement  de  preuve  contraire  déjà  fourni 
par  Bossuet  lui-même  dans  cetle  fameuse  tirade  de  l'Oraison  funèbre  du 
chancelier  Le  Tellier,  si  peu  faite  pour  lui  mériter  la  reconnaissance  des 
victimes  de  la  Révocation? 

On  sait  combien  d'autres  preuves  nous  avons  successivement  adminis- 
trées, en  les  tirant  surtout  des  registres  et  des  dossiers  mêmes  du  grand 
règne,  —  moins  bien  triés  et  expurgés  apparemment  que  les  papiers  de 
l'évêque,  —  preuves  établissant  incontestablement  que  le  père  La  Rue  avait 
raison  de  lui  écrire  en  i70l  que  c'était  lui  (jui  avait  «  commencé  cette 
sainte  résolution,  »  —  (ju'elle  était  «  son  ouvrage,  »  qu'elle  était  due  en 
majeure  partie  à  «  son  ardeur  et  à  son  crédit  »  (1).  — ■  On  sait  aussi  quel 
profit  la  critique  a  tiré  de  ces  documents  il  y  a  quelques  années,  pour  faire 
enlin  briller  la  vérité  aux  youx  du  public,  lorsciue  furent  enfin  publiés  les 
Mémoires  et  Journal  de  l'abbé  Le  Dieu,  le  secrétaire  de  Bossuet.  {Bull., 
IX,  350.) 

La  lumière  était  donc  faite.  Cependant  un  certain  imprimé,  dont  l'existence 
était  signalée,  avait  échappé  à  nos  recherches.  Il  semblait  avoir  disparu  de 
toutes  les  archives,  comme  ces  pièces  soigneusement  éliminées  des  papiers 
de  l'évêque  de  Meaux  et  dont  l'absence  avait  donné  le  change  à  l'histoire. 
C'était  une  lettre  bien  importante  au  procès,  car  il  ne  s'agissait  de  rien 
moins  que  d'un  prêtre  du  diocèse  de  Meaux,  qui,  témoin  de  la  conduite  de 
son  chef,  témoin  de  tous  les  faits  dont  nous  avons  exhumé  la  révélation, 
avait  quille  son  église  et,  converti  par  les  convertisseurs,  passant  du  côté 
des  martyrs,  s'était  fait  protestant  lui-même,  en  voyant  comment  Bossuet 
liaitail  les  protestants.  Certes,  la  pièce  valait  la  peine  d'être  retrouvée.  Elle 
l'est  aujourd'hui.  C'est  dans  la  collection  iueslimable  des  papiers  de  Court 
qu'elle  était  enfouie.  Nous  l'y  avons  été  chercher,  et  un  ami  deC.enève  nous 
en  a  fait  lui-même  une  lidèle  copie.  Nous  avons  pensé  que  vous  écouteriez 
avec  intérêt  la  lecture  de  ce  monument  (ixceptioiuiel  et  (lui  résiune,  à  hii 
tout  seul,  d'une  manière  éclatante,  une  question  capitale. 

En  premier  lieu,  vous  allez  entendre  une  ((immunicalion  qui,  en  toute 

11^  Kull.,  IV.  \\Z,  213.223;  IX.  62;  X,  50. 


ALLOCUTION    DU    PRKSIDENT.  87 

circonstance,  aurait  eu  un  grand  attrait  pour  nous,  et  qui  emprunte  un 
intérêt  tout  particulier  du  solennel  anniversaire  que  célèbrent  cette  année 
les  Eglises  réformées  de  langue  française. 

Nous  vous  le  rappelions  l'an  dernier  :  il  y  a  trois  cents  ans,  le  27  mai 
prochain,  que  l'Eglise  de  Genève  voyait  mourir  à  la  tâche,  et  «  aller  à 
Dieu,  »  —  comme  parle  le  registre  du  consistoire  (27  mai  1564),  —  dans 
la  cinquante-quatrième  année  de  son  âge,  ce  Français  [Iste  Gallus),  — 
comme  parlait  le  registre  du  conseil  d'Etat  (5  septembre  1536),  —  qui, 
reçu  par  elle,  puis  repoussé,  puis  réadmis,  rappelé  dans  son  sein,  était  de- 
venu ,  par  l'ascendant  de  sa  foi  et  de  son  intelligence,  le  premier  de  ses  ci- 
toyens, et  qui  avait  fait  de  cette  Eglise  comme  une  lumière  et  un  foyer  pour 
la  France  elle-même,  en  la  constituant  de  telle  manière  qu'elle  demeurât,  au 
temporel  et  au  spirituel,  la  plus  grande  et  la  première  des  petites  villes  de 
l'Europe.  Nous  avons  nommé  Calvin,  et  ce  nom  vous  en  dit  beaucoup,  — 
trop  peut-être,  car  c'est  celui  d'un  homme  bien  illustre,  mais  en  même 
temps  d'un  grand  inconnu,  ou  pour  mieux  rendre  notre  pensée,  d'un  grand 
méconnu  ùe  ce  temps-ci,  parce  que  sa  physionomie  est  austère  et  qu'elle 
éloigne  plutôt  qu'elle  n'attire,  si  on  ne  l'a  pas  étudiée  de  près  et  si  on  ne 
la  regarde  pas  dans  son  cadre.  —  C'est  ce  que  va  vous  faire  faire  BI.  Jules 
Bonnet,  en  vous  racontant  les  Amitiés  de  Calvi?i  et  en  groupant  autour 
de  lui  ses  compagnons  d'œuvre,  Farel,  Viret,  Théodore  de  Bèze,  qui  ont  pu, 
eux,  l'apprécier  dans  l'intimité  de  la  vie,  qui  l'ont  si  tendrement  aimé, 
ainsi  qu'il  mérita  de  l'être,  nous  pouvons  les  en  croire.  M.  Jules  Bonnet 
complétera  de  la  sorte,  ainsi  qu'il  lui  appartenait  de  le  faire,  ce  por- 
trait du  grand  homme  qu'il  avait  déjà  commencé,  il  y  a  quelques  années, 
lorsqu'il  nous  lut  cette  touchante  esquisse  d'idelelte  de  Bure,  la  douce  com- 
pagne du  réformateur.  L'éditeur  ùes Lettres  françaises  de  Calvin  achèvera 
de  nous  mettre  à  même  de  juger  et  d'aimer,  d'après  ses  amis,  celui  qu'il 
nous  a  déjà  fait  juger  et  aimer  d'après  sa  correspondance. 

Mais  avant  cela ,  qu'il  nous  soit  permis  de  vous  rapporter  d'après  les 
Adieux  de  Calvin,  recueillis  par  le  secrétaire  de  la  République  de  Ge- 
nève, tels  que  les  a  publiés  M.  Bonnet,  quelques-unes  des  dernières  paroles 
adressées  par  lui  à  ceux  qui  l'entouraient  un  mois  avant  sa  mort.  Ce  sont 
les  Novissima  verba  du  grand  Fiéformateur,  et  nous  vous  les  redisons  ici 
pour  honorer  sa  mémoire  : 

//  n'y  a  supériorité  que  de  Dieu,  qui  est  Roy  des  roys  et  Seigneur  des 
seigneurs. 

Cecy  est  dit  afin  que  nous  le  servions  purement  selon  sa  parole  et  y 
pensions  mieux  que  jamais.  Car  il  s'en  faut  beaucouj)  que  nous  nous 
acquittions  pleinement  et  en  telle  intégrité,  comme  nous  devrions. 


88  ALLOCUTION    DU    PRESIDENT, 

Au  surplus  il  a  dit  avoir  connu  en  partie  toutes  nos  viœurs  et  façons 
de  faire,  tellement  que  nous  avons  besoin  d'être  exhortés. 

Chacun  a  ses  imperfections.  C'est  à  nous  de  les  considérer.  Partant 
que  chacîin  regarde  a  soy  et  les  combatte. 

Les  uns  sont  froids,  adonnés  à  leurs  négoces,  ne  se  souciant  guère  du 
public.  —  Les  autres  sont  adonnés  et  leurs  passions.  —  Les  autres, 
quand  Dieu  leur  aura  donné  esprit  de  prudence,  ne  l' emploieront  pas.  — 
Les  axdres  sont  adonnés  à  leurs  opinions,  voulans  estre  crus,  paroistre 
et  estre  en  crédit  et  réputation. 

Que  les  vieux  ne  portent  jjoint  envie  aux  jeunes  des  grâces  qu'ils 
auront  rerues,  mais  qu'ils  en  soient  aises  et  louent  Dieu  qui  les  y  a 
mises. 

Que  les  jeunes  se  contiennent  en  modestie  sans  se  voidoir  trop  avan- 
cer ;  car  il  y  a  toujours  de  la  vanter ie  en  jeunesse,  qui  ne  se  peut  tenir 
et  s' avarice  en  méprisant  les  autres. 

Qiion  ne  se  décourage  point,  et  qu'on  ne  s'empêche  point  les  uns  les 
autres,  et  qu'on  ne  se  rende  point  odieux.  Car  quand  on  est  piqué,  on 
se  débauche..  Et  que  pour  éviter  les  inconvénients,  chacun  chemine  selon 
son  degré,  et  qu'il  emploie  fidèlement  ce  que  Dieu  luy  a  donné  pour 
maintenir  cette  république... 

Finalement,  après  avoir  dereciief  prié  d'être  tenu  pour  excusé  et  sup- 
porté en  ses  infirmités,  lesquelles  il  ne  veut  pas  nier  {car  puisque  Dieu 
et  les  anges  les  sçavent,  il  ne  veut  pas  les  nier  devant  les  hommes), 
prenant  en  gré  son  petit  labeur,  il  a  prié  ce  bon  Dieu  qu'il  nous  con- 
duise et  gouverne  toujours,  et  augmente  ses  grâces  sur  nous,  et  les 
fasse  valoir  a  notre  salut  et  de  tout  ce  pauvre  peuple. 

«  Sur  cela  (dit  Théodore  de  Bczc  qui  était  présent),  ayant  prié  les  sei- 
gneurs syndics  et  membres  du  Conseil,  luy  pardonner  tous  ses  défauts, 
lesquels  nul  n'a  jamais  trouvés  si  grands  que  luy,  il  leur  tendit  la  main.  Je 
ne  sçais  s'il  eût  pu  advenir  un  plus  triste  spectacle  à  ces  seigneurs  qui  ie 
tenoient  tous  et  à  bon  droit,  quant  à  sa  charge,  comme  la  bouche  du  Sei- 
gneur, et,  quant  à  l'affection,  comme  leur  propre  père;  comme  aussi  il  en 
avoit  connu  et  dressé  une  partie  dès  leur  jeunesse  »  (1). 

Telles  sont  les  paroles  prononcées  par  Calvin  dans  cette  mémorable  scène 
que,  de  nos  jours,  l'habile  pinceau  du  peintre  genevois  Hornunga  consacrée 
et  rendue  présente  aux  yeux,  à  la  pensée  de  tous.  Et  «  le  samedy  27''  jour 
de  may,  sur  le  soir,  environ  huit  heures,  »  le  grand  Réformaleur  «  ren- 
doit  l'esprit  si  paisiblement,  qaW  scmbloit  plulust  cndoinii  ([uc  mort.  » 

Au  il  mai  prochain,  la  célébration  du  trois  centième  anniversaire  de  ce 
trépas  (jui  rendit  veuves  et  la  cité  de  Genève  et  les  Eglises  réformées  de 
France  ! 


(1)  Voir  la  nouvelle  et  jolie  ('■dition  de  la   Vie  de  J.  Calvin,  •par  Théodore  de 
lièze,  que  vient  de  donner  M.  Alfred  Franklin,  de  la  l)ibliothèque  Mazarine. 


LES  AWITIÉS  OE  CUVIM. 

[Exlrail.) 

I.    GUILLAUME   FAREL.    —  II.   PIERRE   VIRET. 

1336-1564. 

L'artiste  éminent  auquel  semble  dévolue  la  tâche  de  graver  sur 
l'airain  les  grands  anniversaires  du  protestantisme  français,  réunis- 
sait en  1835  sur  la  médaille  frappée  en  l'honneur  du  troisième  jubilé 
séculaire  de  la  Réforme  à  Genève,  l'effigie  des  quatre  réformateurs 
que  cette  fête  rappelait  à  la  mémoire  (1) .  On  ne  peut  contempler  cette 
médaille  où  revivent  avec  les  traits  distinctifs  de  leur  physionomie, 
l'austère  Calvin,  le  bouillant  Farel,  le  sage  Viret,  le  spirituel  Théo- 
dore de  Bèze,  sans  faire  un  retour  sur  la  destinée  de  ces  hommes  qui 
portèrent  dans  l'œuvre  de  leur  temps  une  telle  diversité  de  caractère 
avec  tant  d'unité  d'esprit,  sans  se  rappeler  les  circonstances  qui  les 
rapprochèrent,  les  amitiés  qui  les  unirent,  et  cette  belle  harmonie 
de  pensées  et  de  sentiments  dont  ils  donnèrent  le  spectacle  au  monde. 
C'est  là  un  exemple  utile  à  signaler  en  tout  temps,  et  que  l'on  peut 
à  bon  droit  opposer  aux  détracteurs  de  la  Réforme.  Si  l'Allemagne 
nous  offre  le  tableau  si  pur  des  relations  qui  unirent  Luther  et  Mé- 
lanchthon,  et  dont  l'idéal  nous  ramène  aux  premiers  jours  du  chris- 
tianisme, sur  les  traces  du  disciple  que  Jésus  aimait,  le  protestan- 
tisme français  n'est  pas  déshérité  de  ce  privilège,  et  peut  invoquer 
aussi  de  touchants  souvenirs.  Le  réformateur  auquel  on  dénie  sans 
cesse  les  dons  du  cœur  et  les  jouissances  de  l'amitié,  n'a-t-il  pas  ré- 
pondu d'avance  à  cette  accusation  trop  facilement  accueillie,  quand 
il  s'exprimait  ainsi  dans  la  préface  d'un  de  ses  Commentaires  dédié 
à  Farel  et  à  Viret  :  «  Je  ne  pense  pas  qu'il  y  ail  eu  jamais  une  paire 
d'amis  qui  aient  vescu  en  si  grande  amitié  dans  la  commune  conver- 
sation de  ce  monde,  comme  nous  avons  fait  ensemble  dans  nostre  mi- 
nistère. J'ay  fait  icy  office  de  pasteur  avec  vous  deux  :  tant  s'en  faut 
qu'il  y  eût  aucune  apparence  d'envie  qu'il  me  sembloit  que  nous 
n'estions  qu'un  cœur  et  qu'une  àme.  Nous  avons  esté  puis  après  sé- 
parés de  lieux  ;  car  quant  à  vous,  maistre  Guillaume,  l'Eglise  de 
Neufchastel  laquelle  vous  avez  délivrée  de  la  tyrannie  de  la  papauté, 
vous  a  appelé  comme  pasteur,  et  quant  à  vous,  maistre  Pierre,  l'E- 
glise de  Lausanne  vous  tient  à  semblable  condition.  Mais  cependant 
chacun  de  nous  garde  si  bien  la  place  qui  lui  est  commise  que  par 
nostre  union  les  enfants  de  Dieu  s'assemblent  au  troupeau  de  Jésus- 
Christ,  voire  mesme  sont  unis  en  son  corps  »  (2).  Qui  n'a  reconnu  à 
ce  langage  l'accent  du  cœur,  et  la  révélation  d'une  de  ces  amitiés 
austères  et  douces  dont  le  culte  se  confond  avec  le  devoir.  La  corres- 

(1)  On  sait  que  l'auteur  de  cette  magnifique  médaille  est  M.  Antoine  Bovy, 
qui  a  aussi  gravé  celle  du  troisième  jubilé  séculaire  des  Eglises  réformées  en 
1859  {Bull.,  VllI,  lie). 

(2)  Commentaire  sur  VEpitrede  saint  Paul  à  Tite.  Dédicace  du  24  nov.  15A9. 


90  LES    AMITIÉS    DE    CALVIN. 

pondance  de  Calvin  fournit  de  nombreuses  preuves  de  la  sensibilité 
de  son  âme.  Il  suffit  de  la  lire,  même  au  basard ,  pour  y  faire  de  pi- 
quantes découvertes  sur  le  réformateur,  tt  trouver  dans  ses  relations 
avec  Farel,  Viret^  Théodore  de  Bèze,  la  justification  de  son  sceau, 
une  main  tenant  un  cœur,  avec  cette  devise  :  prompte  et  sincère. 


I 

Ce  fut  au  mois  d'août  153G  que  Calvin  rencontra  pour  la  première 
fois  Farel  à  Genève,  et  que  vaincu  par  ses  instances,  il  devint  son 
coopérateur  dans  la  rude  tâche  de  clore  une  révolution,  et  de  créer 
un  peuple  nouveau.  Bannis  tous  deux  par  sentence  populaire,  le 
23  avril  1538,  ils  durent  quitter  la  ville  dans  un  délai  de  trois  jours, 
et  ils  se  retirèrent  à  Bâie  :  «  Nous  sommes  arrivés  ici,  écrivaient-ils, 
trempés  de  pluie  et  à  demi  morts  de  fatigue,  après  un  voyage  qui 
n'a  pas  été  sans  péril,  car  l'un  de  nous  a  failli  périr  au  passage  d'un 
fleuve  grossi  par  les  neiges.  Mais  nous  avons  éprouvé  qu'il  y  a  plus 
de  clémence  dans  les  éléments  en  furie  qtiedans  une  population  mu- 
tinée, et  l'inhumanité  de  nos  concitoyens  qui  nous  avaient  refusé 
des  chevaux  pour  un  si  long  trajet,  est  devenue,  par  un  effet  de  la 
miséricorde  divine,  la  cause  de  notre  salut.  Bien  n'est  encore  décidé 
quant  à  notre  avenir  »  (t).  Cette  incertitude  fut  bientôt  dissipée  par 
la  vocation  de  Farel  à  Neuchâtel  et  celle  de  Calvin  à  Strasbourg, 
suivie  deux  ans  après  de  son  rappel  à  Cenève. 

Alors  commence  entre  les  deux  réformateurs  une  correspondance 
qui  nous  initie  aux  moindres  particularités  de  leur  ministère  et  de 
leur  vie.  C'est  dans  le  cœur  de  Farel  que  Calvin  épanche  ses  joies  et 
ses  tristesses,  ses  ardeurs  et  ses  découragements,  au  milieu  des  pé- 
ripéties de  la  lutte  q\n  doit  aboutir  au  triomphe  des  institutions  réfor- 
mées. Dans  ces  relations  familières  entre  deux  hommes,  dont  l'un 
touche  presque  à  la  vieillesse,  mais  saura  conserver  jusque  sous  les 
cheveux  blancs  tout  le  feu  des  ])rcniièrcs  années,  tandis  que  l'autre 
est  parvenu  à  la  maturité  bien  avant  l'âge  mûr,  l'autoriic  appartient 
au  plus  jeune  par  le  droit  du  génie.  Voué  aux  labeurs  d'un  apostolat 
qui  n'est  pas  sans  orages,  dans  une  cité  docile  à  la  foi  nouvelle,  mais 
rebelle  à  sa  discipline,  Farel  invoque  sans  cesse  les  conseils  de  Cal- 
vin, et  il  y  a  quelque  chose  de  touchant  dans  la  déférence  avec  la- 
quelle ce  "vétéran  de  la  Réforme,  éprouvé  par  tant  de  combats,  s'in- 
cline devant  le  jeune  collègue  dont  il  a  pressenti  la  grandeur,  et  qui 
ne  lui  épargne  ni  avis,  ni  leçons  dictées  par  une  franchise  amicale, 
mais  sévère.  Ou  serait  presque  tenié  de  rappeler  ici  le  mol  de  saint 
Jean-Baptiste  :  «  Il  faut  qu'il  croisse  et  que  je  diuiiuue;  »  si  l'on  osait 
appliquer  à  un  simple  homme  cet  hommage  du  Précurseur  au  Désiré 
des  nations  ! 

Avec  la  rudesse  d'un  Klie,  et  la  ferveur  d'un  saint  Paul,  Farel 
ignorait  l'art  des  ménagements  que  réclame  la   direction  des  âmes, 

'Il  Calviniis  Vireto  (mai  1588).  Msr.  ifp  Gptirve. 


LIS   AMITIÉS    DE    CALVIN.  91 

et  l'esprit  de  conciliation  lui  semblait  moins  une  vertu  qu'une  fai- 
blesse. Calvin  n'est  préoccupé  que  de  l'adoucir,  de  le  modérer,  de  le 
mettre  en  garde  contre  les  excès  d'un  zèle  impétueux  plus  propre  à 
conquérir  qu'à  conserver  :  «  La  bonne  cause,  lui  écrit-il  excellem- 
ment, doit  être  bien  soutenue,  et  nous  ne  devons  pas  montrer  une 
telle  indulgence  pour  nos  défauts  que  les  hommes  de  bien  puissent  à 
bon  droit  nous  blâmer.  Il  n'est  pas  besoin,  je  le  sais,  de  t'exhorter  à 
garder  une  conscience  pure  et  sans  reproche;  ce  soin  est  superflu. 
Je  désire  seulement  que,  dans  la  mesure  du  devoir,  tu  t'accommodes 
aux  infirmités  d'autrui.  Il  y  a  deux  espèces  de  popularité  :  l'une  qui 
n'est  que  l'ambition  déguisée,  cherche  à  gagner  par  la  flatterie  la 
faveur  des  hommes.  L'autre  ne  veut  obtenir  leurs  suffrages  que  par 
la  modération  et  la  justice.  Pardonne,  mon  cher  Farel,  si  j'ose  te 
dire  que  les  fidèles  ne  te  trouvent  pas  absolument  sans  reproche  à 
cet  égard.  C'est  déjà  un  tort  que  de  ne  les  satisfaire  qu'à  demi,  puis- 
que Dieu  nous  a  constitués  leurs  débiteurs.  Tu  sais  mon  amitié,  ma 
vénéraiion  pour  toi.  C'est  dansées  sentiments  que  je  puise  la  force 
de  te  critiquer  peut-être  plus  sévèrement  qu'il  ne  convient,  afin  que 
les  beaux  dons  que  tu  as  reçus  de  Dieu  ne  soient  obscurcis  d'aucune 
ombre,  et  que  les  malveillants,  qui  ne  cherchent  qu'un  prétexte  à  la 
calomnie,  soient  réduits  au  silence  »  (1). 

C'est  la  même  franchise  que  l'on  voit  présider,  en  toutes  rencon- 
tres, aux  relations  fraternelles  des  deux  réformateurs,  également 
exempts  de  jalousie  et  de  vanité.  Farel  veut-il  publier  un  livre,  il  le 
soumet  à  Calvin  qui  lui  répond  avec  candeur  :  «  Je  ne  t'ai  rien  écrit 
au  sujet  de  ton  ouvrage  parce  que  j'en  avais  laissé  le  soin  à  Viret,  et 
que  je  me  défiais  de  mon  propre  jugement,  en  raison  de  la  diversité 
de  nos  esprits.  Tu  sais  mon  admiration  pour  Augustin,  dont  je  goûte 
peu  cependant  la  prolixité.  11  est  vrai  que  je  tombe  peut-être  dans 
l'excès  contraire,  et  ce  n'est  pas  à  moi  de  dire  quel  genre  est  le  meil- 
leur, de  peur  qu'en  suivant  mon  propre  naturel,  je  ne  paraisse  trop 
indulgent  pour  moi-même,  trop  sévère  pour  autrui...  Je  reconnais 
dans  ton  ouvrage  d'éclatantes  vérités,  voilées  peut-être  par  l'obscu- 
rité du  langage  et  la  longueur  des  développements.  Il  est  des  hom- 
mes dont  on  ne  peut  rien  attendre  que  d'excellent  :  tu  es  de  ce 
nombre,  et  ton  livre  justitle  à  bien  des  égards  cette  présomption  fa- 
vorable. Mais  comme  les  oreilles  de  nos  contemporains  sont  devenues 
si  délicates,  tandis  que  leur  pénétration  est  médiocre,  je  voudrais 
que  ton  style  leur  plût  par  sa  simplicité  même,  et  que  l'érudition 
dont  tu  fais  preuve  parût  dans  tout  son  jour.  Voilà  mon  jugement 
sans  réserve  et  sans  fard  »  (2).  Dans  une  autre  circonstance,  Calvin 
n'hésite  pas  à  présenter  quelques  observations  à  son  ami  sur  un  sujet 
délicat  où  la  susceptibité  peut  être  si  facilement  émue.  Doué,  comme 
prédicateur,  d'une  rare  puissance,  Farel  ne  savait  pas  toujours  finir 
à  propos,  «il  est  une  chose,  lui  écrit  Calvin,  dont  je  dois  t'avertir, 
c'est  qu'on  murmure,  à  ce  que  j'apprends,  de  la  longueur  de  tes  ser- 
mons. Fais  en  sorte,  je  t'en  supplie,  que  ces  plaintes  ne  dégénèrent 

(1)  Galvinus  Farello  (16  septembre  1543). 

(2)  «  Habes  absque  fuco  meum  judiciurn.  »  (Gai.  sept.  1549.)  M.ic.  de  Gemvf. 


92  LES    AMITIES    IJE    CALVIN. 

en  séditieuses  clameurs,  et  ne  fournissent  aux  adversaires  un  sujet 
de  médisance  dont  ils  n^abusent  que  trop.  Nous  ne  devons  pas  mon- 
ter en  chaire  pour  nous  écouter  nous-mêmes,  mais  pour  parler  aux 
âmes,  et  nous  devons  tempérer  nos  enseignements  de  telle  façon  que 
la  fatigue  et  l'ennui  n'engendrent  pas  chez  nos  auditeurs  le  mépris 
de  la  sainte  parole.  Les  prières  que  nous  prononçons  en  public,  doi- 
vent aussi  être  plus  courtes  que  celles  que  nous  faisons  dans  le  secret 
du  cabinet,  et  tu  te  tromperais  étrangement  en  exigeant  de  tous  une 
ardeur  égale  à  la  tienne  (1).  Tels  sont  les  conseils  que  je  dicte  pour 
toi  de  mon  lit  de  souffrance.  Adieu,  bon  et  cher  frère,  Dieu  te  dirige 
par  son  esprit,  et  donne  efficace  à  tes  pieux  labeurs!  »  La  sincérité 
de  ce  langage  n'est  plus  de  notre  temps.  Les  amitiés  dont  s'honorent 
l'Eglise  ou  le  monde,  ne  sont  plus  à  l'épreuve  de  ces  hbres  effu- 
sions qui  ne  troublaient  pas  l'harmonie  des  pures  et  saintes  amitiés 
d'autrefois. 

La  lettre  suivante  montre  pour  ainsi  dire  à  nu  le  cœur  de  Calvin 
dans  l'austérité  de  ses  affections  toujours  subordonnées  au  devoir. 
Farel  tomba  gravement  malade,  au  mois  d'avril  1553,  et  l'on  déses- 
péra de  sa  guérison.  Calvin  accourut  à  Neuchàtel  pour  visiter  son 
ami,  et  recevoir,  il  le  croyait  du  moins,  son  suprême  adieu.  Il  reve- 
nait à  Genève,  le  cœur  brisé.  Quelle  ne  fut  pas  sa  joie  en  apprenant 
au  retour  la  convalescence  de  celui  dont  il  pleurait  déjà  la  mort  ! 
«  Quand  après  m'être  acquitté  des  derniers  devoirs  de  l'amitié,  je 
quittais  Neuchàtel  pour  m'éparger  de  cruels  déchirements,  j'ai  été 
puni,  comme  je  le  méritais,  de  ce  départ  précipité.  Plût  à  Dieu  que 
j'eusse  été  seul  puni  et  que  d'excellents  frères,  en  trop  grand  nom- 
bre, n'eussent  pas  été  induits  en  erreur,  et  enveloppés  dans  mon 
deuil  !  Maintenant  que  la  nouvelle  de  ton  retour  inespéré  à  la  vie 
m'est  parvenue,  je  n'ai  plus  qu'à  goûter  un  bonheur  sans  mélange. 
Dieu  veuille  qu'ainsi  que  je  t'ai  enseveli  avant  le  temps,  tu  me  sur- 
vives de  longues  années  !  (2)  Ce  vœu  concilie  à  la  fois  l'intérêt  de 
l'Eglise  et  le  mien,  puisque  ainsi  ma  carrière  sera  plus  courte,  et  je 
n'aurai  pas  à  pleurer  ta  perte.  Je  ne  refuse  pas  toutefois  de  te  con- 
céder, s'il  plaît  à  Dieu,  d'assez  longs  jours,  pour  que  j'aie  au  moins 
dix  ans  à  consacrer  au  service  de  notre  commun  maître.  Quel  que 
soit  l'avenir,  vivons  en  Jésus-Christ,  pour  mourir  avec  lui.  Et  main- 
tenant, bien-aimé  frère,  soigne-toi  pour  accélérer  ta  guérison.  »  On 
sait  comment  se  réalisa,  onze  ans  plus  tard ,  le  vœu,  ou  plutôt  le 
pressentiment  exprimé  avec  tant  d'abnégation  par  C;ilvin.  Rassasié 
de  travaux,  mais  non  de  jours,  il  fut  rappelé  le  premier,  et  Farel 
chancelant  sous  le  poids  des  années,  put  encore  visiter  son  ami  qui 
mourait  jeune  mais  grand,  et  lui  rendre  ce  bel  hommage  :  «  Oh  !  ciue 
n'ai-je  été  retiré  à  sa  place!  Dieu  soit  béni  toutefois  de  me  lavoir 
fait  trouver  ou  je  ne  le  cherchais  point,  et  de  s'être  servi  de  lui  plus 
qu'on  ne  peut  dire  en  des  combats  plus  durs  que  la  mort!  Il  a  plus 

(1)  «Falleris  onim  si  arilorciu  tun  parem  ab  omnibus  oxigis...»  (Lettre  du 
27  janv.  1552.) 

(2)  u  Faxil  Dûtninus  quando  te  ante  tcrapus  sepelivi,  ut  te  iiiihi  superstitem 
videat  ecclesia!  »  [(>  Cal.  aprilis  15b3.) 


LES    AMlilKS    UE    C\LVIN.  93 

lait  que  personne,  et  il  s'est  surpassé  lui-même  en  surpassant  tous  les 
autres.  Oh!  la  belle  course  qu'il  a  heureusement  courue!  Puis- 
sions-nous, avec  l'aide  de  Dieu,  marcher  dignement  sur  ses  tra- 
ces !  »  (1) 

II 

Le  nom  de  Viret  est  inséparablement  uni  à  celui  de  Farel  dans  les 
amitiés  de  Calvin.  Originaire  de  la  petite  ville  d'Orbe  au  pays  de 
Vaud,  qui  lui  érige  à  cette  heure  un  moment,  ce  personnage  grave 
et  docte  qui  fut  presque  martyr  de  la  Réforme  à  Genève  avant  d'aller 
la  prêcher  à  Lausanne,  était  un  orateur  disert,  un  moraliste  ingé- 
nieux, un  observateur  pénétrant.  Il  inspira  un  profond  attachement 
à  Calvin,  et  parut  seul  capable  de  le  remplacer  pendant  son  exil. 
Celui-ci  ne  pouvant,  à  son  retovn-,  l'obtenir  pour  collègue,  entretint 
avec  lui  les  plus  douces  relations  épistolaires.  Durant  presque  vingt 
années,  ce  ne  sont  que  continuels  messages  de  Genève  à  Lausanne. 
Nouvelles  du  jour,  événements  qui  intéressent  l'Eglise  ou  l'Etat, 
épreuves  domestiques,  souvenirs,  projets,  confidences,  on  trouve 
tout  dans  cette  correspondance  qui  n'est  qu'une  causerie,  et  qui  sans 
jamais  rouler  sur  un  objet  de  sentiment,  est  remplie  des  témoignages 
de  la  plus  vraie  affection.  Les  deux  amis  ne  posent  la  plume  que 
pour  se  visiter  mutuellement,  et  quelle  fête  de  se  revoir!  «  On  m'an- 
nonce, écrit  Calvin,  que  tu  te  disposes  à  venir  à  Genève.  J'ai  saisi 
cette  espérance  avec  autant  d'ardeur  que  si  je  te  possédais  déjà  en 
réalité.  Si  telle  est  en  effet  ton  intention,  viens  samedi.  Tu  ne 
pourrais  jamais  arriver  plus  à  propos.  Tu  prêcheras  pour  moi  di- 
manche matin  en  ville,  tandis  que  j'irai  prêcher  à  Jussy.  Tu  me  re- 
joindras après  dîner.  Nous  ferons  une  visite  à  M.  de  Falais  ;  puis, 
traversant  le  lac,  nous  goûterons  jusqu'à  jeudi  les  plaisirs  de  la  cam- 
pagne chez  nos  amis  Pommier  et  Delisle  (2).  Le  lendemain,  si  tu 
désires  aller  à  Tournay  ou  à  Bellerive,  je  serai  ton  compagnon.  Tu 
peux  compter  partout  sur  le  meilleur  accueil.  »  Calvin  n'est  pas 
moins  bien  reçu  quand  il  se  rend  à  Lausande,  en  visitant  àThonon  le 
ministre  Christophe  Fabri,  ou  sur  la  rive  opposée  le  préfet  de  Nyon, 
Nicolas  Zerkinden,  l'un  des  membres  les  plus  éclairés  de  l'aristocra- 
tie bernoise. 

Poli,  prévenant  dans  les  circonstances  ordinaires  de  la  vie,  Calvin 
sait  trouver,  aux  jours  d'adversité,  des  paroles  consolantes,  des  at- 
tentions délicates  pour  ses  amis.  En  1546,  Yiret  éprouva  un  grand 
deuil.  H  perdit  une  femme  chérie,  la  compagne  des  travaux  et  des 
épreuves  de  sa  jeunesse.  Rien  de  plus  touchant  que  sa  plainte  :  «J'é- 
tais, dit-il,  tellement  accablé  de  ce  coup  que  le  monde  me  semblait 
un  désert!  Rien  ne  pouvait  plus  désormais  me  plaire  sous  le  ciel.  Je 
m'accusais  moi-même  de  ne  pas  supporter  mon  malheur,  je  ne  dirai 
pas  comme  il  convient  à  un  ministre  de  Jésus-Christ,  mais  à  un 

(1)  Lettre  de  Farel  à  Fabri  (6  juin  1564.) 

(2)  «  Rusticabimur  usque  ad  diem  Jovis.  »  (10  Cal.  Augusti  ISaO.)  Msc.  de 
Genève. 


04  LES    AMITIÉS    DE    CALVIN. 

homme  qui  commence  a  connaître  les  vérités  de  la  religion.  Moi  qui 
professais  d'être  non-seulement  un  disciple,  mais  un  prédicateur  de 
la  sagesse  chrétienne,  je  ne  savais  pas  user,  dans  l'excès  de  ma  dou- 
leur, des  remèdes  que  je  conseillais  à  autrui.  »  Avec  quelle  gravité 
douce,  quel  accent  persuasif  et  tendre  ne  s'élève  pas  alors  la  voix  de 
Calvin!  «  Que  ne  puis-je  voler  à  Lausanne  pour  adoucir  ta  douleur, 
ou  du  moins  pleurer  avec  toi  !  Viens  ici,  bien-aimé  frère,  pour  cher- 
cher un  soulagement  à  tes  maux,  et  fuir  tout  souci.  Ne  crains  pas 
que  je  te  charge  du  moindre  fardeau.  Tu  te  reposeras  tant  que  tu 
voudras.  Si  quelque  importun  se  présente,  je  serai  là  pour  l'écarter. 
Tous  nos  frères,  tous  nos  concitoyens  prennent  le  même  engagement 
à  ton  égard...  Hàte-toi  de  venir,  pour  reprendre  force  et  courage. 
Tous  ceux  qui  arrivent  de  Lausanne  te  représentent  comme  à  demi 
mort  de  chagrin.  Si  tu  résistes  à  ma  prière  ,  je  ne  t'écrirai  plus... 
Dieu  t'amène  bientôt  près  de  moi!  C'est  tout  mon  désir  »  (1).  Viret 
ne  pouvait  que  céder  à  de  telles  instances.  Il  partit  pour  Genève  en 
compagnie  deFarel.  et  les  prières  de  l'Eglise,  les  sympathies  res- 
pectueuses des  magistrats,  les  consolations  de  l'amitié  furent  un 
baume  à  sa  douleur  (2). 

C'est  une  des  infirmités  du  cœur  de  l'homme  de  ne  pouvoir  s'ab- 
sorber dans  un  unique  sentiment,  et  l'excès  de  son  chagrin  en 
abrège  la  durée.  Quelques  mois  sont  à  peine  révolus,  et  les  collè- 
gues de  Viret.  désireux  de  combler  un  vide  douloureux  dans  sa  vie, 
de  rendre  une  mère  à  ses  enfants ,  songent  à  le  remarier.  L'austère 
Calvin,  qui  ne  connut  jamais  l'humaine  faiblesse,  sait  compatira 
celle  d'autrui.  11  écrit  à  M.  de  Faiais  :  «  Je  me  suis  avisé  de  vous 
faire  une  requeste.  Vous  savez  que  nostre  frère  Viret  est  à  marier; 
j'en  suis  en  aussy  grand  soin  que  lui-mesme.  Nous  trouvons  assez  de 
femmes  icy,  à  Orbe,  à  Lausanne;  mais  il  n'y  en  a  point  encore  ap- 
paru de  laquelle  je  me  contentasse  du  tout.  Vous  me  pourrez  alléguer 
que  je  en  connois  jiour  le  moins  quelqu'une  (par  delà).  Mais  je  n'o- 
serois  sonner  mot  devant  qu'en  avoir  vostre  jugement...  Je  tiendray 
voslre  silence  i)Our  un  :  non  placet  »  (3).  Cette  ouverture,  en  termes 
si  discrets,  concernant  une  sœur  de  M.  de  Faiais,  ne  semble  pas  avoir 
été  fa\orablement  accueillie.  Les  regards  de  Calvin  se  portent  ail- 
leurs, et  rien  de  plus  piquant  (jue  l'enquête  matrimoniale  poursuivie, 
à  travers  mille  incidents,  par  le  réformateur  (jue  les  plus  graves 
aflaires  de  l'Fglisc  et  de  l'Ftat  ne  peuvent  distraire  du  soin  de  marier 
son  ami.  Qu'on  en  juge  par  ces  fragments  : 

«  Nous  sommes  invités  à  dîner  chez  le  syndic  Corna.  Je  puis 
ajouiner  l'invitation  sous  \n\  prétexte  honnête.  Le  mieux  serait  ([ue 
tu  me  pern\isses  de  demander  la  main  de  sa  Mlle.  Je  l'ai  vue  deux 
fois;  c'est  une  personne  très  modeste,  d'un  visage  chai inant,  d'un 


(1)  «  Denniicio  tibi  iiiiHaiii  iitcram  liai)ilnriui)  doiii.'i'  voiieris.  Cilo  igilur...  » 
(Ifhis  iMarlii  lîi'iG.) 

(2)  Grand  accueil  l'ail  à  MM.  Farci  el  Viret,  le>qiicls  sont  venus  faire  un  voyage 
à  Genève.  Registre  des  Conseils,  2  avril  1546. 

(3)  Lettres  françaises,  t.  I,  p.  157  et  suivantes. 


LES   AMIlliis    DE    CALVliN,  96 

extérieur  des  plus  agréables  (1).  On  loue  partout  ses  qualités,  et 
Jean  Parvi  m'avouait  tout  dernièrement  qu'il  en  était  amoureux. 
Dieu  te  guide  dans  le  choix  si  important  que  tu  es  appelé  à  faire  ! 

((Le  dîner  en  question  s'est  lait  il  y  a  trois  jours;  on  a  parlé  ma 
riage...  Dominique  Ârlot  a  mis  en  avant  la  fille  de  Rameau  dont  il 
a  fait  le  plus  grand  éloge.  Je  n'ai  eu  garde  de  le  contredire,  tout  en 
maintenant  notre  premier  projet.  Vois  maintenant  s'il  ne  te  convient 
pas  de  venir,  avant  de  prendre  un  engagement.  Tu  sais  combien  il 
est  dangereux  d'engager  sa  foi  sans  savoir  à  qui  on  la  donne.  Je  ne 
suis  pas  peu  embarrassé.  Veux-tu  que  je  fasse  la  demande  en  ton 
nom,  avec  cette  réserve  qu'avant  les  fiançailles  tu  verras  toi-même 
la  jeune  fille?  Tout  ce  que  l'on  en  dit  est  des  plus  favorables  (2).  Les 
parents  eux-mêmes  ne  laissent  rien  à  désirer.  Il  y  a  certaines  choses 
qui  me  plaisent  moins  dans  la  fille  de  Rameau.  Cela  te  regarde;  tu 
en  jugeras.  Crois  cependant  qu'il  n'est  pas  un  homme  qui  désire  plus 
te  voir  heureux  que  moi  ! 

«  Dis  un  mot  et  la  chose  est  faite  !  (3)  Je  serais  moins  pressant  si 
je  ne  trouvais  tant  de  témoignages  réunis  en  faveur  de  celle  que  je 
te  propose.  Et  puis  il  faut  rompre  les  filets  perfides  que  tu  sais. 
Adieu  !  » 

Malgré  l'assurance  empreinte  dans  ce  dernier  message,  Calvin 
avait,  à  ce  qu'il  paraît,  trop  présumé  de  son  crédit;  ou  plutôt  il  avait 
compté  sans  un  de  ces  caprices  imprévus,  un  de  ces  retours  d'égoïsme 
paternel  qui  déroutent  en  un  instant  la  plus  fine  diplomatie.  Ecou- 
tons-le raconter  lui-même  sa  déconvenue  :  «  Au  reçu  de  ta  lettre, 
écrit-il  à  Viret,  je  me  suis  rendu  chez  les  parents,  ne  doutant  pas  du 
succès.  Mais  à  peine  avais-je  prononcé  le  mot  de  séparation  que  le 
père  a  répondu  qu'on  lui  avait  promis  tout  autre  chose.  J'ai  déclaré 
que  c'était  à  notre  insu,  que  je  m'étais  toujours  abstenu  de  recourir 
à  de  fallacieuses  promesses.  J'ai  montré  combien  il  serait  peu  séant 
à  un  ministre  d'abandonner  son  Eglise  pour  suivre  sa  femme,  qu'un 
mariage  conclu  sons  de  tels  auspices  ne  saurait  être  heureux,  que  tu 
ne  consentirais  jamais  à  donner  un  pareil  exemple.  «  Lausanne,  ai-je 
«  dit  encore,  n'est  pas  si  loin  de  Genève,  que  vous  ne  puissiez  espérer 
«  de  voir  votre  fille  tant  qu'il  vous  plaira.  Ne  vaut-il  pas  mieux  pour 
a  vous  en  être  ainsi  séparé,  que  de  la  voir  et  l'entendre  seplaindre  sans 
«  cesse  des  ennuis  du  ménage,  comme  font  tant  d'autres  femmes?» 
Le  père  a  demandé  du  temps  pour  réfléchir,  et  le  troisième  jour,  il  a 
déclaré  qu'il  ne  pouvait  donner  son  consentement.  J'ai  dissimulé  mon 
dépit  du  mieux  que  j'ai  pu.  Je  n'ai  pas  besoin  d'excuse  à  tes  yeux, 
puisque  aussi  bien  je  suis  sans  reproches.  Il  faut  donc  chercher  ail- 
leurs. Fabri  m'a  parlé  d'une  veuve,  qui,  dit-il,  a  su  te  plaire.  S'il  en 
est  ainsi,  je  n'ai  plus  qu'à  me  tenir  en  repos.  »  (4)  Fabri  avait-il  dit 

(1)  «  Modestissima  est,  vultu  et  toto  corporis  habitu  mire  decoro...»  (13  Julii 
1546.)  Msc.  de  Genève. 

(2)  «  De  puella  niliil  audimus  quod  non  mire  arrideat...  In  Ramœa  sunt  aliqua 
quae  meluo.  »  (15  Julii  1546.)  Msc.  de  Genève. 

(3)  «  Die  modo  verbum,  confecta  est  res.  »  {Ibid.) 

(4)  «  Christophorus  mecum  de  quaiiam  vidua  locutus  est  quara  tibi  asserit 
mire  placere.  Si  ita  est,  quiesco.  »  (25  Julii  1546.)  Msc.  de  Genève. 


96  LKS    A.Hll'lÉS    t)E    CALVIN. 

vrai  ?  on  l'ignore.  Ce  que  l'on  sait,  c'est  que  peu  de  mois  après, 
Viret  épousa  la  fille  d'un  réfugié  français.  Elisabeth  de  La  Harpe.  La 
bénédiction  nuptiale  fut  prononcée  par  Calvin  lui-même. 

Le  mariage  de  Viret  nous  a  montré  le  réformateur  sous  un  aspect 
familier,  qui  contraste  avec  les  traits  sévèrement  accentués  de  sa 
physionomie  historique.  On  le  retrouve  tout  entier  dans  les  fortes 
exhortations  qu'il  adressait  à  son  ami,  quelque  temps  avant  la  révo- 
lution qui  déchira  en  1559  l'Eglise  de  Lausanne,  et  conduisit  ses 
plus  éniinents  pasteurs  à  Genève.  Imbu  des  mêmes  principes  ecclé- 
siastiques que  Calvin,  Viret  ne  cessait  de  réclamer  le  droit  d'excom- 
munication, que  Messieurs  de  Berne  ne  croyaient  pouvoir  accorder 
au  clergé  sans  abdiquer  la  souveraineté  dont  ils  étaient  si  jaloux.  La 
lutte  ne  pouvait  aboutir  qu'à  une  rupture.  Elle  parut  imminente  en 
1558.  Aussi  ferme  dans  ses  convictions  que  conciliant  dans  son  lan- 
gage, Viret  voyait  approcher  avec  douleur  une  crise  qu'il  ne  pouvait 
conjurer  sans  faiblesse.  Plusieurs  ministres  avaient  déjà  été  révoqués. 
Devait-il  attendre  une  destitution,  ou  la  prévenir  par  un  acte  hardi, 
par  une  de  ces  démissions  volontaires  qui  sont  un  dernier  hommage 
au  droit  méconnu?  Calvin  conseillait  le  dernier  parti  :  «  Le  moment 
est  venu  de  faire  acte  de  virile  énergie...  Tes  collègues  demeurent 
immobiles,  les  uns  par  ignorance,  les  autres  par  apathie.   Prends 
hardiment  le  drapeau,  la  majorité  te  suivra  !  Tu  te  demandes  avec 
angoisse  ce  que  deviendra  ton  Eglise;  Dieu  y  pourvoira.  En  aban- 
donnant un  poste  où  tu  ne  peux  honorablement  rester,  tu  viendras 
en  occuper  un  meilleur  ici.  Genève,  dis-tu,  ne  pourra  contenir  tant 
d'exilés.  Ah!  crois-moi,  les  murs  de  la  ville  s'élargiront  d'eux-mêmes 
plutôt  que  de  laisser  sans  abri  des  enfants  de  Dieu!  (1)  Une  cité  nou- 
velle édifiée  à  grands  frais,  ne  vaut-elle  pas  mieux  que  la  tente  d'Is- 
raël dressée  pendant  quarante  ans  au  désert  ?  Ta  retraite  sera  un 
coup  de  foudre  pour  les  hommes  aveugles  qui  foulent  aux  pieds  la 
saine  doctrine.  Elle  fera  honte  à  ceux  de  nos  frères  qui  restent  pa- 
resseusement assis  au  seuil  de  leur  presbytère,  et  s'oublient  dans  un 
lâche  repos.  Pour  toi,  n'hésite  pas  à  marcher  en  avant  où  la  nécessité 
t'appelle.  Quel  bien  est  à  comparer  au  témoignage  d'une  bonne  con- 
science, et  a  la  satisfaction  du  devoir  accompli?  »  Moins  stoïque  que 
Calvin,  Viret  n'envisageait  pas  sans  trouble  la  rupture  des  liens  qui 
l'attachaient  à  une  Eglise  aimée.  11  hésitait  devant  la  grave  question 
si  résolument  tranchée  de  nos  jours  par  un  Vinet  et  un  Chalmers. 
Lue  brutale  sentence  des  seigneurs  de  lîerne  coupa  court  à  ses  incer- 
titudes, en  le  congédiant  avec  quarante  de  ses  collègues,  l'élite  du 
clergé  vaudois,  qui  devinrent  l'ornement  de  la  naissante  académie 
de  Genève.  On  remarquait  parmi  eux  Théodore  de  Bèzc. 


Il)  «PoUus,  ni  contido,  dilalabilur  circuitus  imirorum  quain  ut  (ilii  IJei  exclu- 
ildiitur.  »  (Ui  Marlii  1558.)  Msc.  de  Genève. 


BOSSUëT.  EVËQUE  de  niE&UX,  DEVOILE 

PAR  TIN   PRÊTRE   DE   SON   DIOCÈSE. 
1690. 

LE^-    MOTIFS    DE    LA  CONVERSION    DE   PIERRE    FROTTE 

Cy-devant  chanoine  régulier  de  l'aljbaye  royale  de  Sainte-Geneviève  de  Paris, 
prieur-curé  de  la  paroisse  de  Souilly,  au  diocèse  de  Meaux, 

Adressés  à  Messire  Jacques-Bénigne  Bossuet,  évéque  de  Meaux,  premier  aumônier 
de  Madame  la  Dauphine,  cy-dovant  précepteur  de  Monseigneur  le  Dauphin. 

Monsieur, 
J'ai  demeuré  trop  long-tems  dans  votre  Eglise,  j'ai  été  trop  iong- 
tenis  témoin  de  ses  violences  et  de  ses  cruautés  contre  ceux  qu'elle 
nomme  injustement  hérétiques,  pour  ne  pas  comprendre  à  quel 
excès  de  fureur  elle  se  seroit  portée  conlre  moi,  si,  après  avoir 
abandonné  sa  communion,  j'avois  été  assez  malheureux  pour  retom- 
ber sous  sa  puissance.  C'est,  Monsieui-,  ce  qui  m'a  obligé  de  quitter 
tout  ce  que  j'avois  en  France,  pour  venir  donner  gloire  à  Dieu  dans 
des  pays  où  les  âmes,  étant  en  liberté,  peuvent  le  servir  selon  la 
pureté  de  l'Evangile.  Je  n'ignore  pas  non  plus  de  quelles  calomnies 
votre  même  Eglise  a  accoutumé  de  charger  ceux  qui  se  séparent 
d'avec  elle,  et  surtout  quand  ils  sont  de  mon  caractère.  Je  sçais 
qu'elle  n'oublie  rien  pour  tâcher  de  les  décrier,  et  de  les  noircir. 
C'est  aussi  cette  raison  qui  m'a  engagé  à  donner  au  public  les  motifs 
véritables  de  ma  conversion,  de  vous  les  addresser,  et  de  vous  écrire 
cette  lettre,  afin  de  faire  cognoître  à  tout  le  monde  ce  que  l'on  doit 
attendre  des  simples  prêtres  et  des  moines,  quand  on  verra  qu'un 
grand  prélat,  qui  m'avoit  honoré  si  long-tems  de  son  estime  et  de  sa 
protection,  est  devenu  l'un  de  mes  plus  grands  ennemis,  et  s'est  em- 
porté contre  moi  à  des  invectives  et  à  des  outrages,  d'une  manière 
indigne  de  son  caractère,  dès  qu'il  a  pu  entrevoir  que  j'étois  dans  le 
dessein  de  sortir  de  son  Eglise. 

11  est  vrai,  Monsieur,  et  je  suis  obligé  de  le  recognoître,  que  vous 
m'avez  donné  mille  marques  de  votre  bonté.  Je  dois  à  vos  recomman- 
dations le  favorable  accès  que  j'ai  trouvé  chez  M.  Le  Pelletier,  con- 
troUeur  général  des  finances,  et  la  protection  dont  m'a  particulière- 

xiii.  —  7 


98  BOSSUET,  ÉvênrE  DE  UEAUX,  DÉVOILf' 

ment  honoré  M.  de  Ménars,  intendant  de  Paris.  Quoique  ma  famille 
eût  l'honneur  d'être  connue  et  même  un  peu  considérée  de  31.  le 
chancelier,  votre  crédit  ne  m'a  pas  été  inutile  auprès  de  lui,  pour 
mettre  à  la  raison  les  habitans  de  Souilly,  que  je  n'avois  poursuivis 
que  par  vos  ordres. 

Vous  m'avez  fait  prêcher  le  jour  le  plus  solennel  de  Tannée  dans 
votre  cathédrale,  et  en  votre  présence,  mon  action  fut  honorée  de 
votre  approbation,  et,  si  je  l'ose  dire,  de  votre  applaudissement. 
Vous  me  faisiez  la  grâce  de  me  donner  un  libre  accès  dans  votre 
maison,  et  de  me  recevoir  à  votre  table  et  dans  votre  carosse,  tout 
me  rioit  agréablement  à  votre  cour,  et  vos  bontés  m'attiroient  la 
jalousie  de  beaucoup  d'honnêtes  gens.  Enfin,  je  puis  dire  que  vous 
étiez  si  prévenu  en  ma  faveur,  que  vous  ne  voulûtes  jamais  croire  ce 
que  diverses  personnes  vous  raportoient,  «  que  je  ne  disais  plus  la 
«  messe,  que  je  ne  preschois  plus,  que  j'étois  sans  cesse  avec  les  gens 
«  de  la  Religion,  que  je  ne  les  pi-essois  pas  d'obéir  à  vos  volontés,  que 
a  je  n'attendois  que  l'arrivée  du  prince  d'Orange  en  France,  pour  ré- 
a  former  mon  Eglise,  et  qu'enfin  je  détruisais  par  maconduitte^  dans 
«  le  pays,  tout  ce  que  votre  zèle  ardent  sefforçoit  d'y  établir.  » 

iMes  parents,  qui  craignoient  mon  changement  pour  plus  d'une 
raison,  vous  en  ont  informé.  Mon  frère  de  Lignières,  colonel,  qui  a 
été  trois  semaines  avec  son  régiment  dans  votre  ville  de  Meaux,  ne 
vous  entretenoit  d'autre  chose;  si,  par  une  permission  divine,  vous 
n'aviez  été  prévenu  contre  tous  ces  raports,  qui  étoient,  comme  vous 
pouvez  voir  maintenant,  assez  bien  fondés,  ce  frère  dénaturé,  qui 
ne  me  vouloit  du  mal  que  parce  que  je  l'ay  repris  sévèrement  de 
son  libertinage,  m'eût  bien-tôt  envoyé  une  brigade  de  ses  soldats 
pour  m'enlevcr,  et  ne  m'auroit  pas  plus  épargné  qu'il  a  fait  les  pau- 
vres réformés  du  Daufmé,  lorsqu'il  y  fut  prêcher  si  efficacement, 
par  une  mission  extraordinaire  en  qualité  de  capitaine  de  dragons. 

Il  faut.  Monsieur,  que  j'adore  ici  profondément  la  providence  de 
Dieu,  qui  me  conservoit  au  milieu  de  ces  dangers,  et  qui  ne  me  don- 
nant pas  encore  toutes  les  lumières  nécessaires,  ni  assez  de  courage 
pour  pouvoir  rompre  avec  vous,  me  donnoit  ncantmoins  l'assurance 
de  rester  au  milieu  de  tant  d'ennemis,  la  plupart  animés  depuis 
long-tems  contre  moy.  Car  il  y  a  plusieurs  années  que  mes  parens  et 
les  chanoines  de  Sainte  Geneviève,  apprenant  de  tous  côtés  la  liberté 
avec  laquelle  je  parlois  en  particulier  et  prèchois  même  quelquefois 


l'AK    IN    riiiïRE    DE    SON    DIOCESE.  99 

en  publiCj  contre  les  abus  de  la  puissance  ecclésiastique,  les  cultes 
superstitieux,  les  hypocrisies  pharisaïques  des  moines  et  des  prêtres, 
la  politique  dangereuse  de  tout  le  clergé,  avoient  souvent  concerté 
de  me  faire  déclarer  iou,  et  de  me  traitter  comme  tel. 

Que  l'on  est  heureux,  Monsieur,  de  passer  pour  insensé  dans  l'es- 
prit des  mondains,  puisque,  selon  saint  Paul,  cette  folie  est  une  sa- 
gesse aux  yeux  de  Dieu  !  Ce  dessein,  dis-je,  si  digne  de  votre  religion, 
ne  m'étoit  pas  caché,  car  plusieurs  m'en  avoient  menacé,  d'autres 
m'en  avoient  averti. 

Cependant,  comme  je  n'étois  pas  assez  convaincu  de  toute  la 
vérité  que  je  cherchois,  et  que  je  tenois  encore  par  quelque  endroit  à 
l'erreur,  je  demeurois,  comme  endormi,  au  milieu  de  ceux  qui  médi- 
toient  ma  perte,  et  sur  le  bord  d'un  précipice  :  mais  j'étois  sous  la 
protection  du  Dieu  du  ciel,  qui  sçavoit  seul  le  jour,  et  l'heure  qu'il 
avoit  destinée  à  mon  salut.  Il  vous  a  fermé  les  yeux,  Monsieur,  et 
vous  a  bouché  les  oreilles  en  ma  faveur,  en  sorte  que  tout  ce  que  mes 
parens,  tout  ce  que  nos  chanoines  de  Sainte-Geneviève  et  mes  parois- 
siens vous  ont  représenté,  pour  vous  animer  à  ma  perte,  n'a  point 
empêché  que  quinze  jours  avant  mon  évasion,  vous  ne  m'ayez  rendu 
un  témoignage,  d'autant  plus  avantageux,  que  vous  l'avez  rendu  en 
présence  de  personnes  illustres. 

Le  15  du  uiois  de  juillet  dernier,  vous  dîtes  en  présence  de  M.  le  duc 
de  Montausier,  de  Madame  la  duchesse d'Uzès  sa  fille,  etdeplusieurs 
autres  personnes  de  qualité,  «  que  j'étois  très  honnête  homme,  et  que 
«  vous  ne  trouviez  rien  à  redire  à  rnes  mœurs.  »  M.  de  Sanlecque, 
prieur  deGarnai,  très  homme  de  bien,  qui  étoit  présent,  me  l'a  rap- 
porté en  amy.  Ne  soyez  pas,  Monsieur,  en  colère  pour  ce  sujet  contre 
lui,  car  je  vous  proteste  que  je  ne  lui  ai  jamais  communiqué  mon 
dessein.  Vous  en  avez  dit  autant  à  M.  de  Ménars,  intendant  de  Paris  ; 
lui-même  m'a  fait  la  grâce  de  me  le  dire,  et  m'a  conseillé  de  ne  pas 
sortir  de  votre  diocèse,  parce  que  vous  aviez  de  l'afToction  pour  moi. 
Je  vous  remercie  donc  de  ce  que,  me  cognoissant  comme  vous  fai- 
siez, vous  m'avez  rendu  justice,  et  de  ce  que  vous  ayez  encore  ajouté 
plusieurs  honnêtetés  que  je  ne  méritois  pas. 

Cependant,  je  vous  l'avouerai,  vos  faveurs  m'étoient  dangereuses: 
cette  bienveillance,  venant  d'une  personne  qui,  étant  de  mérite,  im- 
posoit  à  mon  cœur,  et  faisoit  illusion  à  mon  esprit,  et  je  ne  sçai  si  la 
crainte  de  paraître  ingrat  envers  vous  et  de  vous  déplaire,  n'a  point 


100  BOSSUET,    KVKULf:    1>K    MKALXj    DEVOll-É 

diminue  les  ditficultés  que  j"a\ois  eontre  votre  religiou,  et  si  elle  ne 
m'a  pas  fait  différer^  uu  peu  de  temps,  de  vendre  à  Dieu  ce  que  je  lui 
devois. 

Mais,  tandis  que  %ous  me  défendiez  au  dehors  contre  les  hommes. 
Dieu  m'attaquoit  heureusement  au  dedans,  et  minoit,  par  sa  grâce, 
tous  les  obstacles  que  je  formois  moi-même  à  mon  salut.  H  m'inspi- 
roit  avec  efficace,  de  quitter  une  Eglise  dans  laquelle  mon  cœur  n'a 
jamais  été  content,  et  dans  laquelle  ma  conscience  a  toujours  été  en 
peine,  tantôt  sur  un  article  de  foi,  tantôt  sur  l'autre,  et  quelquefois 
sur  tous  les  points  de  controverse. 

Enfin  cet  heureux  moment  vint,  auquel  je  me  sentis  assez  de  lu- 
mière et  de  résolution  pour  exécuter  le  dessein,  que  jeméditois  depuis 
plusieurs  années,  de  renoncer  à  une  religion  qui  me  paraissoit  tenir 
du  judaïsme  et  du  paganisme.  Je  lis  aussitôt  transporter  à  Paris  mes 
meubles,  pour  les  vendre  et  tâcher  d'avoir  de  quoi  faire  un  pèleri- 
nage, semblable  à  celui  d'Abraham,  lorsqu'il  quitta  sa  patrie,  pour 
ne  plus  communiquer  avec  les  idolâtres  qui  l'habitoient. 

Ce  transport  de  meubles  fut  remarqué  par  plusieurs  peisonnes.  On 
ne  douta  plus  de  mon  dessein,  et  vous-même  en  étant  convaincu, 
vous  vous  joignîtes  à  mes  ennemis,  et  vous  fîtes  un  complot  contre 
moy,  vous,  l'abbé  de  Sainte-Geneviève,  et  quelques-uns  de  mes  pa- 
rens,  par  lequel  il  fut  conclud,  que  l'on  me  feroit  signifier  prompte- 
ment  certains  arrêts,  que  les  évêques  de  France,  joints  au  supérieur 
général  des  chanoines  réguliers,  ont  surpris  sur  simple  requête  définis 
dix  ans,  pour  dominer  plus  absolument  sur  les  bénéficiers  réguliers, 
et  appesantir  leur  joug,  qui  était  déjà  insupportable. 

Ces  arrêts,  comme  vous  le  sçavez,  Monsieur,  leur  permettent  de 
révoquer,  quand  il  leur  plaît,  les  pasteurs  de  leurs  paroisses,  et  de 
les  priver  de  leurs  bénéfices,  «  sans  leur  en  dire  aucune  7'aisu7i,  »  ce 
([ui  est  une  extrême  tyrannie;  ensuite  de  quoi,  le  supérieur  général 
croit  qu'il  lui  est  permis,  en  conscience,  de  faire  piller  la  maison  du 
bénéficier  et  de  se  saisir,  s'il  peut,  du  bénéficier  même,  parce  qu'il 
lui  a  été  vcmlu  dans  sa  jeunesse  par  ses  parens;  le  tout,  par  une 
permission  de  plu^ieurs  papes  anciens,  renouvellée  par  les  derniers, 
(•onlirméf  par  les  décrets  du  concile  de  Trente,  autorisée  par  une 
coutume  immémoriale  de  l'Eglise  ron)aine. 

L'avarice  et  l'ambition,  (}ui  sont  les  deux  sources  de  cette  belle 
jurisprudence,  trou\enl  leur  compte  à  ce  brigandage,  et  le  bénélicier 


PAR    L'K    PRETRE   DE    SON    DIOCESE.  101 

y  éprouve  une  extrême  barbarie.  Je  sçais  ce  que  c'est  que  cette  per- 
sécution, par  ma  propre  expérience,  et  je  puis  parler  à  fond  d'une 
tyrannie  que  Ton  a  exercée  sur  moy,  dans  toute  son  étendue.  Le 
pape  m'avoit  revêtu  d'un  très  beau  bénéfice  dans  le  diocèze  de 
Reims  il  y  a  dix  ans  ;  mais  parce  que  j'avois  quelque  commerce 
avec  un  ministre  de  la  religion  réformée,  dont  le  temple,  nommé 
Primas,  étoit  voisin  de  ma  paroisse,  on  me  fit  éprouver  la  rigueur  de 
ces  injustes  et  cruels  arrêts.  Et  comme  je  fis  quelques  démarches 
pour  me  pourvoir  au  conseil,  M.  l'archevêque  de  Reims  me  fit  dire 
par  M.  de  Termes,  alors  lieutenant  du  roi  de  Sedan,  que  si  je  résis- 
tois,  il  m'alloit  traitter,  comme  beaucoup  d'autres  ecclésiastiques 
qu'il  avoit  fait  enlever  par  des  dragons. 

Je  résolus  donc  de  plier,  non-seulement  à  cause  des  menaces  d'un 
si  puissant  et  si  terrible  prélat,  mais  aussi  par  considération  pour 
mes  parens,  sur  lesquels  je  craignis  d'attirer  quelques  disgrâces  de 
la  part  de  M.  de  Reims  et  de  M.  de  Louvois,  et  je  souffris  pendant 
quatre  ans  la  privation  de  mon  bénéfice,  jusqu'à  ce  que  mes  propres 
ennemis,  vaincus  par  ma  patience,  me  firent  obtenir  en  cour  de 
Rome,  le  prieuré  de  Souilly,  dont  vous  prétendiez.  Monsieur,  à  l'i- 
mitation de  votre  amy,  M.  de  Reims,  et  pour  des  raisons  semblables, 
me  déposséder,  pour  me  faire  retomber  entre  les  mains  de  mes  an- 
ciens ennemis,  aigris  et  animés  de  nouveau  contre  moy,  parce  que 
ma  franchise  et  l'amour  que  j'ay  toujours  eu  pour  la  vérité,  n'a  pu 
s'empêcher  de  démasquer  souvent  leur  hypocrisie. 

Pour  me  terracer  plus  facilement,  par  votre  signification  d'arrêt 
vous  joignîtes  à  votre  nom  celui  de  M.  de  Reims,  qui  m'avoit  déjà 
été  si  fatal.  Vous  fîtes  dire  dans  le  pais  que  c'étoit  avec  bien  de  la 
justice  que  ce  prélat  m'avoit  autrefois  chassé  de  son  diocèse;  ce  qui 
pouvoit  servir  non-seulement  à  m'épouvanter,  mais  aussi  à  détruire 
la  bonne  opinion  que  vous  aviez  donnée  vous-même  de  moy,  par  des 
témoignages  publics. 

Je  formay  pourtant  mon  opposition,  que  je  vous  fis  signifier  comme 
aussi  à  l'abbé  de  Sainte-Geneviève,  non  pas  que  je  prétendisse  sou- 
tenir ce  procès  tout  au  long,  mais  je  pensois  seulement  gagner  du 
tems,  pour  me  retirer  plus  facilement  et  plus  seurement,  comme 
j'ai  fait. 

Rappelez  en  votre  mémoire.  Monsieur,  le  dépit  que  vous  causa 
mon  opposition  et  votre  terrible  changement  à  mon  égard  qui  m'o- 


102  BOSSLET,    ÉVÊQUE    DE    MEAUX_,    DÉVOILK 

blige  aussi,  malgré  moi,  de  changer  au  vôtre  et  de  répondre  à  vos 
emportemens,  comme  la  chose  le  mérite.  Quoi  donc?  Monsieur,  le 
iÔ  de  juillet  vous  dittes  de  moi  des  merveilles,  vous  assurez  devant 
des  témoins  illustres  etirréprochables,  que  je  suis  un  honnête  homme, 
et  le  premier  jour  du  mois  suivant,  vous  faites  débiter  dans  ma  pa- 
roisse, dans  Claye,  dans  Lagny  et  dans  Meaux,  «  que  je  ne  me  plais 
«  qu'à  monter  à  cheval,  que  je  si/is  plus  propre  à  la  guerre  qu'à  l'E- 
«  ylise,  que  je  suis  la  honte  de  ma  famille,  que  depuis  long-tems  je 
«  n'ai  dit  la  messe  que  par  manière  d'acquit,  que  je  suis  un  prophane 
«  et  un  hérétique,  un  fripon  et  un  bandit.  » 

Quelle  étrange  palinodie  !  Suis-je  donc  métamorphosé  en  quinze 
jours?  Non,  Monsieur,  je  ne  suis  pas  autre  que  j'étois,  si  vous  exceptez 
le  changement  d'une  religion  très  corrompue  eu  une  très  sainte,  je 
suis  toujours  le  même,  et  pour  vous  faire  voir  que  vous  n'avez  pas 
sujet  de  vous  rétracter,  mais  que  je  suis  toujours  honnête  homme 
comme  vous  Pavez  si  souvent  reconnu,  c'est  que  vous  ne  pouvez  pas 
ignorer  que  je  n'eusse  pu  vendre  bien  cher  mon  bénéfice,  surtout 
dans  l'état  où  il  vous  a  plu  de  le  mettre,  plusieurs  personnes  m'en 
ont  offert  une  bonne  somme  d'argent;  mais  je  n'ai  point  voulu  vendre 
le  ministère,  la  preuve  en  sera  évidente,  car  celui  à  qui  vous  aurez 
fait  donner  ma  place  ne  sera  point  troublé  dans  sa  possession. 

J'ai  voulu.  Monsieur,  vous  donner,  en  vous  quittant,  cette  dernière 
preuve  de  ma  bonne  conscience  et  de  mon  honneur.  Je  ne  m'en  re- 
pens  pas,  quoique  je  l'aye  fait  peut-être  trop  scrupuleusement  ;  car 
enfin,  n'aurois-je  pas  été  excusable,  en  sortant  de  la  captivité  d'E- 
gypte, d'enlever  quelques  dépouilles  aux  ennemis  de  Dieu,  depuis  si 
long-tems  persécuteurs  cruels  de  son  Israël  ?  D'autant  plus  qu'ils 
m'ont  autrefois  dépouillé  de  mes  biens,  et  qu'ils  ont  plus  d'une  fois 
trafiqué  indignement  de  mon  |)atrimoine,  de  ma  liberté,  et  de  mon 
talut? 

Mais  si  je  suis  toujours  le  même  du  côté  de  l'honneur,  que  vous 
êtes  changé  sur  ce  chapitre,  Monsieur  !  De  doux,  d'affable,  d'hon- 
nête qui;  vous  étiez  à  mon  égard,  vous  êtes  devenu  chagrin,  em- 
porté, ne  pourois-je  pasdire  aussi,  furieux? Car  vous  ne  vous  contentez 
pas  de  me  déclarer  la  guerre  par  un  procès  et  par  des  mjures  atroces, 
vous  en  venez  aux  mains;  vous  laites  chasser  de  ma  maison  mon 
vicaire  que  vous  aviez  approuvé  vous-mesme;  vous  ordonnez  que 
l'on  fasse  une  irruption  chez  »noy,  et  (pic  l'on  pille  le  reste  iW  mes 


PAR    UN    PRÊTRE   DE    SON    DIOCESE,.  0)^ 

meubles  que  je  n'avois  pas  encore  fait  enlever.  Ce  n'est  pas  seule- 
ment à  ma  réputation  et  à  mes  biens  que  vous  en  voulez,  c'est  à  ma 
liberté  et  à  ma  vie.  Vous  permettez  à  M.  de  Bellou,  mon  beau-frère, 
de  ni'envoyer  attaquer,  premièrement,  par  une  trouppe  de  sergens, 
ensuitte,  par  un  prévôt  des  maréchaux  et  une  escouade  d'archers, 
armés  de  votre  charité  épiscopale  et  de  votre  zèle  apostolique. 

Maisentin.  puisqu'il  a  plu  à  Dieu  de  me  tirer  de  vos  mains,  et  qu'il 
m'a  conduit  en  des  lieux  inaccessibles  à  vos  satellites,  n'espérez  plus 
que  je  retombe  sous  votre  tyrannie. 

Je  suis  pourtant  bien  aise  de  recognoître  encore  une  fois  votre 
domination,  et  pour  luy  rendre  mes  derniers  hommages,  je  suis  ré- 
solu de  vous  exposer  icy  les  raisons  du  changement  qu'il  a  plu  à  Dieu 
d'opérer  en  moy.  Vous  en  verrez  plusieurs  motifs  dans  le  discours 
que  je  vous  adresse,  après  l'avoir  prononcé  publiquement,  mais  j'en 
ay  réservé  quelques-uns,  que  je  veux  vous  dire  icy  en  particulier. 

Vous  avez  beaucoup  contribué.  Monsieur,  à  ma  conversion,  par 
votre  conduitte.  Je  ne  puis  le  dissimuler,  vous  m'avez  édifié  par 
vos  scandales,  votre  Exposition  de  la  foy  catholique  vous  donne  tout 
l'air  d'un  homme  qui  ne  croit  pas  ce  qu'il  prêche,  et  qui  retient  la 
vérité  en  injustice.  Ce  livre  m'avoit  depuis  long-tems  donné  une  fort 
mauvaise  impression  de  votre  doctrine;  je  n'ay  pu  voir  vos  excez 
contre  les  réformés  de  votre  diocèse,  sans  avoir  pitié  d'eux,  et  con- 
cevoir de  l'indignation  contre  vous.  Je  n'ay  pu  comparer  votre  ma- 
nière de  faire  des  missions  avec  votre  Lettre  pastorale,  en  date  du 
24  de  mars  1686,  sans  dire  en  moy-même,  comme  plusieurs  autres, 
que  vous  n'êtes  pas  sincère  ;  vous  vous  vantez  dans  cette  lettre 
qu'aucun  de  vos  prétendus  nouveaux  catholiques  «  n'a  souffert  de 
«  violence,  ny  dans  sa  personne,  ny  dans  ses  biens...,  et  qu'ils  sont  re- 
«  venus  paisiblement  à  vous,  vous  les  en  prenez  à  témoin  :  vous  le 
a  sçavez,  »  dites-vous.  Oh  !  Monsieur,  comment  pouvez-vousdire  cela? 
n'ay-je  pas  vu,  de  mes  yeux,  la  violence  que  vous  avez  exercée 
vous-même,  en  personne,  contre  toutes  cesgens;  car  si  l'on  en  excepte 
une  femme  de  mauvaise  vie,  de  Lizy  (que  la  charité  m'empêche  de 
nommer),  que  vous  avez  appellée  votre  conqueste  par  excellence,  et 
que  vous  avez  menée  dans  votre  caresse,  comme  en  triomphe,  pour 
vous  en  servir  d'appât  propre  à  attirer  les  autres;  si  l'on  en  excepte, 
dis-je,  celte  femme  notée  qui  a  peut-être  abjuré  volontairement,  tous 
lès  autres  ne  l'ont  fait  que  par  la  crainte  des  gens  de  guerre  que  vous 


lO'l'  BOSSIT.T,    KVKQUE    DE    MEAi;X,    DÉVOILÉ 

avez  fait  passer  et  repasser  dans  votre  diocèse,  au  temps  de  vos  mis- 
sions, et  par  des  menaces  continuelles  que  vous  leur  avez  faites, 
même  dans  les  sermons  que  vous  avez  faits  à  Claye,  en  présence  de 
M.  l'intendant,  que  vous  disiez  en  chaire  estre  votre  second  dans 
cette  expédition. 

N'ay-je  pas  vu.  Monsieur,  l'efficace  de  votre  prédication,  et  com- 
ment vous  sçavez  honorer  le  ministère,  lorsqu'on  amenoit  par  force 
en  notre  présence,  dans  votre  palais  épiscopal,  tous  les  protestans 
des  villages  de  Nanteuil,  de  Quincy,  deCondé,  etc.?  Il  est  vray  qu'en 
moins  de  deux  heures  vous  les  persuadiez  de  tous  les  mystères  de 
l'Eglise  romaine;  mais  tout  ce  prompt  succès  venoit  de  ce  qu'ils  se 
voyoientsans  ministres  qui  les  soutmssent  dans  cette  controverse,  de 
ce  grand  éclat,  de  cette  pompe  épiscopale  et  mondaine  qui  les 
éblouissoit,  mais  beaucoup  davantage  de  ce  qu'ils  voyoient  toujours 
à  votre  côté  quelque  officier  de  guerre  qui,  par  sa  fière  présence,  ré- 
pandoit  sur  tous  vos  discours  je  ne  sçay  quoi  d'énergique  et  de  pa- 
thétique, qui  les  entraînoit  tout  d'un  coup  dans  vos  sentimens.  Vous 
leur  donniez  aussitost  votre  bénédiction,  avec  plein  pouvoir  de 
communier  à  la  romaine.  Vous  les  enchantiez  ainsi,  mais  votre 
charme  ne  duroit  qu'un  moment.  Car  tout  le  monde  sçait,  qu'au  sortir 
de  votre  palais,  ces  bonnes  gens  détestoient  votre  violence;  nous 
les  entendions  rétracter  publiq\iement  ce  que  vous  leur  aviez  fait 
signer  dans  votre  chambre. 

Us  témoignèrent  assez,  ce  me  semble,  leur  repentir,  puisque,  peu 
de  tems  après,  ils  s'assemblèrent  vers  Nanteuil  pour  y  prier  Dieu  et 
luy  demander  en  public  pardon  de  la  faute  qu'ils  avoient  faite  et  du 
scandale  qu'ils  s'étoient  donné  les  uns  aux  autres,  en  succombant  à 
votre  tentation.  Mais  cette  occasion  montre  aussi  que  vous  n'avez 
pas  sujet  de  vous  vanter  de  votre  douceur,  puisque  votre  colère 
vous  poussa  à  en  faiie  condamner  plusieurs  à  la  mort.  Il  est  vray 
que  vous  disant  imitateur  de  saint  Augustin,  qui  retiroit  les  criminels 
d'entre  les  mains  des  juges  ou  qui  faisoit  modérer  leur  peine,  vous 
fîtes  en  suitte  commuer  la  peine  de  mort  en  celle  des  galères,  mais 
vous  étiez  bien  éloigné  de  la  charité  de  ce  saint  homme.  Il  ne  se  con- 
tentoit  pas  de  demander  au  magistrat  pour  les  criminels  une  simple 
modération  de  peine  lorsqu'il  pouvoit  leur  en  obtenir  une  pleine  et 
entière  décharge.  Vous  au  contraire,  qui  faisiez  vous-même  les  ju- 
gemens,  M.  l'intendant  ayant  ordre  de  suivre  ce  que  vous  juge- 


PAK    IN    PUETKK    DE    SON    DIOCKSE.  105 

riez  à  propos,  au  lieu  de  faire  descharger  entièrement  ces  innocens, 
vous  faisiez  changer  leur  peine  en  une  autre  plus  insupportable,  car 
la  peine  des  galères  est  pire  que  la  mort.  Si  ce  sont  là  vos  douceurs, 
quel  nom  voulez-vous  que  nous  donnions  à  ce  que  vous  avez  fait  à 
Claye,  quand  de  votre  part  on  y  défendit  à  Benjamin  Gode,  chirur- 
gien, d'exercer  sa  profession,  quand  on  ôta  à  la  veuve  Testard  le  plus 
grand  de  ses  deux  enfans;  quand  on  enleva  par  votre  ordre  la  femme 
nommée  Boisseleau,  pour  cette  seule  raison  qu'elle  sçavoit  parfaite- 
ment son  catéchisme,  et  qu'elle  encourageoit  merveilleusement  ses 
compagnes  à  tenir  bon  contre  vos  tentations;  quand,  ayant  fait  venir 
avec  vous  à  Claye  les  cuirassiers  commandés  par  M.  de  la  Chaise, 
neveu  du  Père  de  la  Chaise,  vous  assemblâtes  les  protestans  de  ce 
lieu  chez  M.  d'Hérouville,  maître  d'hostel  du  Roy,  et  que  vous  leur 
dites  que  s'ils  ne  signoient  l'abjuration,  vous  feriez  le  lendemain  en- 
trer chez  eux  ces  gens  de  guerre,  qui  leur  feraient  tourner  la  cervelle. 

Accordez  ces  actions,  comme  vous  pourrez,  avec  ce  que  vous  dites 
(jue  «  pas  un  des  protestant  de  voire  diocèze  n'a  souffert  de  violence, 
nji  dans  sa  personne  ny  dans  ses  biens,  et  qu'ils  sont  revenus  à  vous 
paisiblement.  » 

Est-ce  encore  une  grande  modération  à  vous,  Monsieur,  d'avoir 
fait  mettre  dans  im  couvent  le  sieur  Monceau,  médecin  de  la  Ferté- 
sous-Jouarre,  âgé  de  quatre-vingts  ans,  avec  des  circonstances  tout  à  fait 
cruelles  (1);  d'avoir  envoyé  huit  ou  dix  dragons  chez  le  sieur  Laviron, 
marchand  de  bois,  du  même  lieu  ;  d'en  avoir  mis  trente  dans  le 
château  de  M.  de  la  Sarmoise,  gentilhomme  de  Brie  ;  d'avoir  fait 
transporter  dans  un  couvent  de  Meaux  Madame  sa  femme  et  Made- 
moiselle sa  fille,  et  d'avoir  ainsi  séparé,  malgré  la  défense  expresse 
de  Jésus-Christ,  ce  que  Dieu  avoit  joint  par  l'union  la  plus  étroitte? 
Appeliez  ces  actions  comme  il  vous  plaira. 

Mais  pour  ce  que  je  vous  ay  vu  faire  encore  à  Claye,  pour  perver- 
tir le  sieur  Isaac  Cochard,  malade  à  la  mort  (2) ,  pardonnez-moi.  Mon- 
sieur, et  ne  m'accusez  pas  d'emportement  si  je  l'appelle  fureur;  cecy, 
je  vous  le  confesse,  m'a  trop  vivement  frappé  l'imagination  et  trop 

(1)  Voir  le  Bulletin  de  la  Société  d'Hist.  du  Protest,  franc.,  ]X,  62,  et  X,  50. 

(2)  Voir  la  dépêche  du  ministre,  en  date  du  2  août  1686,  que  nous  avons  pu- 
bliée en  1835  [Bulletin,  IV,  117).  On  y  lit  en  effet  que  les  ordre»  pour  faire  arrêter 
les  nomméri  Cochard,  père  et  fils,  «  n'avoient  été  expédiés  qu'à  cause  de  leur 
religion,  à  la  prière  de  M.  l'évêque  de  Meaux.  »  Cochard  s'était  converti  sous 
l'empire  de  la  menace,  mais  sans  doute  qu'à  l'article  de  la  mort  il  rétracta  cette 
«oaversioa  forcée. 


106  BOSSl'ET,    ÉVÉOIIÎ    I>E    ME  A IX,    DEVOILE 

sensiblement  blessé  le  cœur,  cecy  efface  trop  bien  la  fausse  idée  que 
vous  voulez  donner  de  vostre  douceur,  pour  ne  pas  vous  estre  re- 
proché. 

Ce  fidèle,  voyant  la  désolation  de  l'Eglise  et  la  chute  de  ses 
frères,  ne  craignoit  rien  tant  que  de  succomber  avec  eux.  Il  s'encou- 
rageoitnuit  et  jour  par  la  Parole  de  Dieu  à  combattre  le  bon  combat; 
il  envisageoit  avec  plaisir  la  mort  prochaine,  comme  un  port  assuré 
contre  l'orage  de  votre  persécution;  il  se  consoloit  de  se  voir  prêt 
à  partir  de  ce  monde,  pourvu  qu'il  pût  emporter  avec  luy  le  sacré 
dépôt  de  la  foy,  et  le  représenter  tout  entier  à  son  juge. 

Vous  vous  opposâtes  à  ce  pieux  dessein,  Monsieur,  d'une  manière 
bien  étrange.  Nous  vous  vîmes  entrer  chez  ce  pauvre  moribond, 
accompagné  de  M.  l'intendant,  de  M.  le  lieutenant  général  de  Meaux, 
ayant  une  lettre  de  cachet  à  la  main;  le  prévôt  des  maréchaux  étoit 
aussi  présent  avec  ses  archers,  une  charrette  étoit  toute  prête  à  la 
porte  pour  enlever  le  malade,  c'est-à-dire  pour  le  faire  mourir. 

Oh  !  quel  a[)ostoIat!  Est-ce  là  l'équipage  d'un  prédicateur  évangé- 
lique?  Vous  luy  fîtes  une  longue  controverse  pleine  d'injures,  et  le 
voyant  constant  dans  sa  foy,  ne  criâtes- vous  pas  à  sa  porte,  tout  en- 
flammé de  colère,  «  que,  siîost  qu'il  sei^ort  moiH,  on  le  jettast  à  la 
«  voirie  coymne  un  chien  ?  »  Vous  retournâtes  vers  luy,  vous  le  ten- 
tâtes par  promesses  et  par  menaces,  vous  luy  dîtes  que  vous  luy 
alliez  faire  enlever  son  cher  fils  unique,  c'est-à-dire  que,  subtil  et 
ingénieux  tentateur,  vous  l'éprouvâtes  par  l'endroit  le  plus  sensible, 
que  vous  luy  déchirâtes  les  entrailles... 

Où  sont  donc  encore  un  coup.  Monsieur,  les  douceurs  dont  vous 
vous  vantez  si  hautement?  En  vérité,  ce  cruel  spectacle  me  conver- 
lissoit  peu  à  peu. 

Quoy!  disois-je,  le  désir  de  plaire  à  la  Cour  peut-il  posséder  un 
évéque  jusqu'à  ce  point  do  luy  l'aire  entreprendre  sur  les  con- 
sciences, qui  ne  relèvent  que  de  Dieu  ?  Quel  apôtre,  quel  Père  de 
l'Eglise,  quel  concile  légitime  a  jamais  enseigné  que  l'on  établisse 
la  foy  par  force  dans  les  cœurs?  L'Eglise  primitive  usoit  de  circon- 
spection pour  «lonner  les  sacrés  symboles  aux  personnes  suspectes, 
ou  d'hérésie,  ou  (rattachement  au  péché;  elle  les  éprouvoit  si  lotig- 
tems,  pour  avow  une  assurance  morale  de  leur  foy  et  de  leur  sain- 
teté; elle  ne  les  admettoit  pas  facilement  dans  le  temple,  bien  loin 
de  les  inviter  à  la  sainte  tahie,  au  lieu  (pie  M.  de  Meaux,  les  armes  à 


Par  in  prî^.tre  de  son  diocèse.  107 

la  main,  force  ceux  qu'il  doit  croire,  selon  ses  principes,  être  des 
hérétiques,  des  schismatiques  et  des  proplianes,  non-seulement  d'en- 
trer dans  son  Eglise,  mais  même  de  manger  ce  qu'il  dit  être  réelle- 
ment le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ.  Selon  sa  doctrine,  il  donne 
aux  chiens  ce  qu'il  y  a  de  plus  saint  et  de  plus  sacré  sur  la  terre. 
Comme  Pilate  livra  Jésus-Christ  aux  Juifs  par  la  crainte  de  César, 
M.  de  Mcaux  livre  Jésus-Christ  à  ses  ennemis  par  complaisance  pour 
son  prince.  Quand  ces  hérétiques,  disois-je,  auront  dans  leur  houche 
prophane  le  Sauveur  du  monde,  ils  pourront  luy  insulter  par  les 
paroles  du  même  Pilate,  et  luy  dire  :  «  J'ay  puissance  sur  toi,  et  ce 
sont  tes  pontifes  et  ta  propre  nation,  qui  t'ont  livré  entre  7nes  mains.  » 

Oh  !  que  les  hérétiques,  ajoutois-je,  ont  bien  plus  de  respect  pour 
les  signes  sacrés  du  corps  et  du  sang  du  Fils  de  Dieu,  que  M.  de  Meaux 
et  les  autres  évêques  semblables  à  luy,  n'en  ont  pour  ce  qu'ils  disent 
être  Jésus-Christ  même  ! 

En  vérité.  Monsieur,  cette  conduitte,  approuvée  presque  de  tous 
les  évêques  vos  confrères,  devroit  finir  aujourd'hui  toutes  les  dis- 
putes de  religion,  et  c'est  un  abrégé  de  controverses  très  facile  à 
comprendre  à  tous  ceux  qui  ont  un  peu  de  sens  et  de  réflexion. 

Je  vous  fais,  ce  me  semble,  beaucoup  de  grâce  de  croire  que  vous 
n'estimez  pas  votre  eucharistie  un  si  grand  trésor  qUe  vous  la  faittes, 
et  que  vous  n'y  croyez  pas  la  présence  de  Jésus-Christ  tout  à  fait  si 
réelle  que  vous  la  prêchez,  car  vous  ne  voudriez  pas  faire  manger 
à  des  chiens  (j'ay  horreur  en  le  disant  !  )  le  sacré  corps  de  votre  Ré- 
dempteur. Ouy,  ces  violentes  conversions,  qui  emportent  avec  elles 
des  communions  forcées,  me  sont  une  démonstration  invincible  de  ce 
que  vous  pensez  de  la  présence  réelle.  Ne  vaut-il  pas  mieux.  Mon- 
sieur, pour  votre  honneur,  que  je  vous  prouve  icy  que  vous  êtes 
tin  peu  hypocrite,  que  de  vous  convaincre  d'être  un  prophanateur 
de  vos  mystères  les  plus  sacrés  ?  Vous  ne  devez  pas  trouver  étrange 
si  je  n'en  croy  pas  désormais  plus  que  vous,  avec  cette  différence  (jue 
je  professeray  toute  ma  vie  hauttement  la  religion  que  vous  nour- 
rissez seulement  dans  votre  cœur,  où  la  crainte  et  l'espérance,  le 
monde  et  la  chair  la  tiennent  prisonnière.  J'ay  droit  icy.  Monsieur, 
j'ay  droit  de  juger  de  votre  foy  par  vos  œuvres  :  saint  Jacques  m'ap- 
prend que  c'est  par  les  œuvres  que  la  foy  se  manifesie;  Jésus-Christ 
luy-même  nous  fait  entendre  que  c'est  par  les  fruits  que  l'on  dis- 
tingue les  faux  prophètes  d'avec  les  véritables. 


108  BOSSUET,    ÉVÊQIIE    DE    MEALX,    nÉVOILE 

Ne  m'accusez  pas,  je  vous  prie,  d'avoir  fait  des  jugemens  témé- 
raires de  vos  actions;  car  quoy  qu'ils  soient  assez  solidement  établis 
par  ce  que  je  viens  de  dire,  je  puis  les  fortifier  encore,  parce  que  j'ay 
vu  de  mes  yeux  dans  votre  maison  de  délices  à  Germigny.  Je  vous 
y  ay  vu  assister  à  la  célébration  de  la  messe  en  un  habit  indécent  et 
dans  une  posture  indigne  de  votre  profession  de  foy.  Quoyque  vous 
fussiez  en  parfaite  santé,  et  sur  le  point  de  bien  dîner,  vous  étiez 
pourtant  à  la  messe  en  un  déshabillé  fort  négligé,  ou,  pour  dire  plus 
justement,  vous  étiez  tout  débraillé,  et  dans  un  état  plus  propre  à 
aller  voir  panser  vos  chevaux  qu'à  assister  à  un  sacrifice  que  vous 
dites  si  terrible,  qu'il  tient  dans  le  respect  et  dans  le  tremblement  les 
anges  même  !  Estes-vous,  en  vertu  de  votre  qualité  d'évêque,  plus 
familier  avec  Jésus-Christ  que  les  anges?  Avez-vous  receu  de  luy  un 
brevet  de  favory  qui  vous  accorde  ce  privilège  et  cette  liberté? 

Certes,  vous  traittiez  votre  Dieu  bien  cavalièrement.  Vous  estiez 
étendu  sur  un  carreau  bien  mollet,  vous  aviez,  tantôt  à  la  main,  et 
tantôt  sur  la  tête  un  bonnet  tout  à  fait  burlesque.  Vous  étiez  vêtu 
à  demy  d'une  simple  robbe  de  chambre  ouverte,  et  sans  ceincture, 
comme  un  discinctvs  nepos,  et  vous  preniez  ainsi  le  frais,  pendant 
qu'un  petit  prêtre  chapelain,  (jogé  de  vous  pour  louer  Dieu,  vous  fai- 
soit  au  moins  un  mémorial  de  la  sanglante  passion  de  votre  Sau- 
veur. 

Vous  n'aviez  pas  assurément,  en  cette  posture,  la  mine  d'un  chré- 
tien, qui  seroit  prêt  de  mourir  pour  la  deffence  du  dogme  de  la 
transsubstantiation,  que  vous  voulez  persuader  aux  autres  par  le 
fer  et  par  le  feu.  Mais  il  faut  vous  faire  justice,  car  il  est  vray  qu'es- 
tant surpris  de  me  voir  en  votre  chapelle,  où  vous  pensiez  n'avoir 
(jue  vos  domestiques  et  vos  plus  familiers  amis,  vous  fûtes  si  honteux 
de  paroistre  devant  moy  dans  un  état  que  vous  aviez  pourtant  jugé 
digne  de  la  présence  réelle  du  Seigneur,  que  vous  courûtes  promp- 
tement  dans  votre  cabinet  pour  vous  habiller  :  et  je  connus  la  déli- 
catesse de  votre  conscience,  par  la  crainte  que  vous  eûtes  de  m'avoir 
donné  du  scandale.  Mais  ne  craignez  plus,  Monsieur,  je  vous  lay 
desjà  dit,  vos  scandales  me  sont  salutaires,  et  j'en  ay  tantôt  assez 
reçeu  de  vous  pour  me  convertir  avec  la  grâce  du  Ciel. 

Je  fis  encore  un  petit  profit  de  l'embarras  où  je  vous  vis  dans  l'une 
de  ces  conférences  que  l'on  fait  en  été,  tous  les  quinze  jours,  dans  la 
chapelle  de  votre  cvêché.   On    vous   y    fit   une   objection   et    une 


PAR    LN    PUÈTKb;   DE    SON   IHUOÈSE.  109 

instance  sur  un  point  de  controverse^  qui  vous  pressa  un  peu  trop; 
vous  y  fîtes  une  si  pitoyable  réponse ,  que  n'en  étant  pas  vous- 
même  content,  et  en  sentant  la  foiblesse,  vous  taschàtes  de  la  ren- 
forcer par  des  injures  contre  les  ministres  réformés,  que  vous  appe- 
lâtes, en  propres  termes,  «  des  misérables  et  des  coquins.  »  Ce  fut  le 
plus  fort  de  votre  solution  :  ce  qui  surprit  d'autant  plus  certaines 
personnes,  qu'elles  sçavoient  que,  la  veille,  vous  aviez  repris  un 
prêtre  d'avoir  appelle  un  paysan  coquin  et  que  vous  luy  aviez  dit 
fort  sagement  que  cette  parole  ne  devroit  jamais  sortir  de  la  bouche 
d'un  ecclésiastique.  Vous  donnez  d'excellens  préceptes.  Monsieur, 
au-dessus  desquels  vostre  grandeur  vous  élève.  Les  princes  de  l'E- 
glise, comme  vous,  doivent  sans  tloutte  avoir  une  autre  morale  que 
leurs  sujets,  et  ce  seroit  une  terrible  chose  qu'un  évêque  fût  aussi 
modeste  qu'un  simple  prêtre. 

Tandis  que  je  suis  en  train  de  me  confesser  à  vous,  Je  vous  avoue- 
ray  que  ce  qui  a  pu  encore  contribuer  à  ma  conversion,  c'est  qu'il 
paroît  que  tout  votre  zèle  pour  la  religion  romaine  est  une  pure  po- 
litique et  une  grande  passion  de  plaire  à  la  cour,  où  vous  avez  de 
grands  engagemens  et  de  grandes  espérances.  Pour  moy,  quand  je 
considère  le  manège  de  la  plus  part  de  vous  autres,  Messieurs  les 
évêques,  aussi  bien  que  des  autres  supérieurs  ecclésiastiques,  vous 
me  paroissez  tous  de  vrais  comédiens  qui  faites  tel  personnage  qu'il 
plaît  à  la  cour  de  vous  donner,  et  j'ay  sujet  de  prendre  votre  reli- 
gion pour  une  vraye  comédie. 

Quand  la  cour  vous  a  ordonné  de  soutenir  TinfaillibUité  du  pape, 
vous  auriez  anathéniatizé  tous  ceux  qui  luy  auroient  disputé  ce  pri- 
vilège imaginaire  ;  quand  elle  vous  a  commandé  de  la  luy  disputer, 
vous  l'en  avez  aussitôt  dépouillé,  et  nous  vous  voyons  tout  prest  à 
l'en  revestir  au  premier  ordre  que  vous  en  aurez. 

Mais  cecy  vous  est  commun  avec  d'autres;  j'aime  mieux  vous 
parler  de  ce  qui  vous  est  particulier.  Avant  la  révocation  de  l'Edit 
de  Nantes,  M.  de  Meaux  n'estoit  pas  un  si  vigoureux  prédicateur 
contre  les  réformés;  mais  depuis  que  la  cour  s'est  expliquée,  qu'elle 
ne  vouloit  souffrir  en  France  que  la  religion  romaine,  et  que  la  per- 
sécution contre  les  protestans  est  devenue  à  la  mode,  M.  de  Meaux 
paroist  à  la  tête  des  convertisseurs  outrés  et  des  persécuteurs  les 
plus  cruels.  Cependant,  du  côté  de  Dieu,  vous  avez  en  tous  tems 
les  mêmes  obligations  de  travailler  au  salut  des  peuples  de  votre 


110  BOSSLET^    ÉvÈyCE    DE    MKAIX,    DKVOII.É 

diocèze;  mais  vous  donnez  ce  soin  à  vos  vicaires  quand  il  n'y  a  que 
Dieu  qui  vous  l'ordonne;  et  vous  ne  travaillez  vous-même  que  lors- 
qu'il s'agit  d'obéir  et  de  plaire  à  un  roi  de  la  terre.  C'est  alors  seule- 
ment que  vous  vous  faites  un  point  dlionncur  de  réussir  prompte- 
ment.  Car  que  diroit-on  à  la  cour  si  M.  de  Meaux,  qui  a  de  si  beaux 
talens  pour  persuader,  n'avançoit  pas  la  conversion  des  réformés 
plus  que  les  autres?  Si  vo\is  ne  réussisez  pas,  vous  en  êtes  honteux, 
vous  vous  fâchez,  comme  si  vous  vouliez  obliger  Dieu,,  seul  IMaîtrc 
des  cœurs,  d'y  donner  un  passage  libre  au  poison  que  vous  versez 
avec  tant  de  charme  et  d'artifice  dans  les  oreilles. 

Ce  fut  sans  doutte  pour  effacer  la  honte  dont  vous  couvre  votre 
mauvais  succès,  que,  dans  cette  convocation  des  protestans  que  vous 
fîtes,  à  Claye,  en  présence  de  M.  l'intendant,  au  tems  de  votre  inis- 
niission,  vous  allâtes  dire  à  tous  ces  gens,  au  milieu  de  votre  dis- 
cours, «  qu'ils  n'étaient  pos  les  seuls  entêtés  de  leur  religion,  mens 
qu'ils  resseinbloient  en  cela  à  tous  les  autres  protestans  de  France.  » 
Ces  parolles  ne  tombèrent  pas  à  terre.  Elles  furent  soigneusement 
recueillies  par  tous  les  assistans.  Une  personne  de  condition  ne  put 
s'empêcher  de  me  pousser  pav  le  bras  et  de  me  dire  à  l'oreille  : 
H  A-t-on  jamais  dit  une  plus  grande  extravagance?  Et  peut-on  inventer 
une  chose  moins  propre  à  persuader  ces  gens?  Mais,  ajouîa-t-il,  c'est 
que  M.  de  Meaux  est  honteux  d'avancer  si  peu  l'ouvrage  des  jésuites 
et  de  la  cour,  il  se  veut  justifier  en  présence  de  M.  l'intendant,  afin 
qu'il  en  puisse  parler  avantagejisement  et  le  mettre  à  couvert  de  quel- 
que reproche.  » 

Tout  de  bon,  Monsieur,  toute  ceKe  conduite,  tantôt  douce  pai' 
politique,  tantôt  violente  par  passion,  toujours  peu  sincère,  et  ja- 
mais cluéticiuic,  m'a  extrêmement  ébranlé  la  conscience.  iNlais  je 
vous  avoue  que  je  n'ai  pas  fait  sitôt  que  je  devois  mou  profit  de  vos 
missions.  Je  ne  devois  pas,  après  vous  avoir  connu,  m'arrêter  un 
moment  avec  vous,  sous  prétexte  de  quelques  diflicultés  légères,  qu 
me  restoient,  et  certes  je  me  mcltoisdans  le  péril  de  perdre  la  grâce 
de  ma  conversion,  en  diiïéraut  de  l'accepter. 

Dieu  a  permis,  Monsieur,  tout  ceci,  peut-être  pour  nous  convertir 
l'un  et  l'autre;  il  m'a  fait  la  grâce  do  vous  précéder  :  ne  soyez  pas 
honteux  de  me  suivre.  Oh!  (pie  votre  conversion  répareroit  abondam- 
ment vos  scandales!  Je  suis  si  peu  considérable  dans  le  monde  que 
la  mienne  n'y  peut  prodidre  de  grands  etrots,  uy  avoir  des  suittes 


PAR    UN    PRETRE    DE   SON    MOCÈSB.  111 

bien  éclatantes  :  son  principal,  et  peut-être  son  unique  Iruit  sera 
pour  moi.  J'ai  été  élevé  par  malheur  dans  une  obscurité  qui  me 
rend  inconnu,  j'ai  consumé  inutilement  les  plus  beaux  de  mes  jours 
sous  la  tyrannie  des  gens  que  vous  connoissez  et  dont  je  vous  ai  assez 
souvent  parlé. 

Mais  vous,  Monsieur,  qui  paroissez  presque  au-dessus  de  tous,  par 
votre  dignité  et  par  votre  bel  esprit,  par  votre  grand  sçavoir,  et  par 
tant  d'autres  belles  qualités  qui  vous  distinguent,  vous  êtes  capable 
de  faire  voir  de  grandes  choses  eu  nos  jours,  si  vous  voulez  employer 
pour  la  vérité  toute  l'adresse  dont  vous  vous  servez  depuis  si  long- 
tems  pour  la  combattre.  Votre  conversion  deviendroit  sans  doute 
célèbre  par  l'agrandissement  du  royaume  du  Sauveur,  et  peut-être 
par  une  décadence  soudaine  de  l'empire  de  TAutechrist. 

Je  ne  veux  pas  ici  vous  représenter  tenant  en  main  les  clefs  du 
paradis  et  de  l'enfer,  et  dire  qu'il  ne  tient  qu'à  vous,  en  vertu  de  vos 
beaux  talens,  bien  ou  mal  employés,  de  damner  ou  de  sauver  une 
multitude  infinie  de  gens.  Car  je  sçai  que  l'on  abuse  de  ces  sortes  de 
pensées  dans  votre  Eglise,  mais  je  puis  pourtant  dire  que,  comme 
vos  livres  dangereux  tiennent  la  porte  de  l'abîme  ouverte  à  des 
millions  d'àmes  que  vous  empêchez  de  se  convertir,  votre  change- 
ment de  doctrine  et  de  religion,  ouvrant  les  yeux  aux  chrétiens  abu- 
sés, leur  donneroit  entrée  au  salut. 

Voyez  quelle  puissance  Dieu  vous  a  donnée  :  n'avez-vous  point 
sujet  de  craindre  qu'il  vous  en  redemande  un  compte  sévère,  en  ce 
jour  terrible  où,  exposé  aux  yeux  de  sa  vérité  et  de  sa  justice,  vous 
ne  trouverez  point  aux  pieds  de  son  tribunal  tous  ces  lâches  et  intéres- 
sés flatteurs  qui  vous  donnent  de  l'encens  pour  le  poison  préparé  que 
vos  livres  leur  présentent? 

Je  suis  fâché  de  vous  reprociicr  votre  peu  de  bonne  foy,  et  je 
crains  même  que  ce  reproche  ne  redouble  en  vous  ce  malheureux 
point  d'honneur  qui  damne  tant  de  gens.  Mais,  au  nom  de  Dieu, 
ayez  pitié  de  votre  âme,  et  ne  la  sacrifiez  pas  au  respect  humain. Le 
tems  est  court,  la  mort  n'est  pas  loin,  le  jugement  approche,  l'éter- 
nité se  présente.  Si  ces  choses  terribles  doivent  faire  impression  sur 
l'esprit  des  plus  jeunes,  quel  efi"et  ne  doivent-elles  point  produire 
dans  l'âme  d'un  prélat  qui  a  plus  de  soixante  et  dix  ans;  étouffez-le 
ce  malheureux  point  d'honneur.  C'est  un  serpent  que  vous  nourris- 
sez dans  votre  sein  pour  votre  perte.  Ce  malheureux  honneur,  ce 


112  BOSSLET,    ÉVKyCE    UK    MEAUX,    ETC. 

crédit  dangereux  que  vous  vous  êtes  aquis  dans  un  mauvais  parti, 
vous  doit-il  être  plus  cher  que  l'intérêt  de  la  vérité,  que  le  salut  de 
votre  âme,  que  la  gloire  de  Dieu?  11  est  même  certain  que,  renonçant 
à  ce  faux  honneur  du  monde,  vous  le  trouveriez  plus  abondamment 
dans  votre  conversion  ;  car  ceux  que  vous  avez  abusés  par  vos 
livres,  se  convertissant  avec  vous  et  à  votre  exemple,  vous  donne- 
roient  des  louanges  bien  plus  solides  que  toutes  celles  que  vous  avez 
reçues  jusqu'ici. 

Oui,  Monsieur,  le  motnent  de  votre  conversion  vous  seroit  plus 
glorieux,  même  devant  les  hommes  que  tout  ce  long  espace  de  votre 
vie  qui  s'est  déjà  écoulé.  Ce  précieux  moment  sanctifieroit  et  cou- 
ronneroit  tous  vos  beaux  talens.  Je  prie  Dieu  qu'il  vous  inspire  ce 
bon  dessein,  et  qu'il  vous  en  donne,  non-seulement  la  volonté,  mais 
aussi  l'accomplissement. 

Je  suis, 

Monsieur, 

V'otro  très  humble  et  très  obéissant  serviteur. 

P.  Frotté. 
Ce  l'-r  jour  de  lévrier  1690. 


On  avertit  le  lecteur  qu'on  a  tiré  plusieurs  exemjilaires  de  cette  lettre,  sépa- 
rt'inent  d'avec  le  discours  entier  des  Motifs  de  la  Conversion  de  l'auteur,  pour 
ctre  envoyés  plus  facilement  et  plus  promptement  dans  les  pais  étrangers,  t'I 
particulièrement  en  France. 

A  Kotterdam,  chez  la  veuve  de  Henri  Godde. 
Aux  dépens  de  l'auteur. 


\|)res  celle  lecture,  >l.  le  pysleur  (inili;iiinie  MoikkI,  iiivilé  par  le  pré- 
sident à  dire  la  piière  de  ilùlurt',  a  rendu  en  termes  profondément  sentis 
la  vive  impression  sous  la(iiu'lle  celte  dernière  communication  avait  placé 
l'auditoire. 


Paris.  —  Typ.  de  t'.li.  Alcvrucis,  rue  il<;s  (irès,  11.  —  ISO-i. 


SOCIÉTÉ  DE  L'HISTOIRE 


PROTESTANTISME   FRANÇAIS. 


Ctufôttcns  iet  Eépansfs.  —  €arrc5paiiïratîCf. 

OBSERVATIONS    ET    COMMUNICATIONS    RELATIVES   A  DES    DOCUMENTS   PUBLIÉS. 
—  AVIS   DIVERS,    ETC. 

lies  disciples  de  Calvin  à  Oalle-sur-la-Saale  (Prusse), 
par  M.  Zahn. 

Nous  avons  reçu  de  M.  le  major  de  Polenz,  l'historien  allemand  du  cal- 
vinisme français,  la  lettre  suivante  : 

Monsieur  le  Président, 

L'anniversaire  triséculaire  de  la  mort  de  Calvin  a  trouvé  aussi  des  sym- 
pathies dans  les  provinces  de  la  Prusse,  où  les  tendances  du  néo-luthéra- 
nisme sont  des  plus  fortes.  C'est  sous  ce  nom  que  je  comprends  l'esprit 
d'opposition  que  l'union  des  deux  Eglises  a  excité  dans  beaucoup  de  luUié- 
riens  contre  les  réformés,  qu'ils  croient  en  être  les  fauteurs.  Union  qui  a 
été  faite  dans  la  meilleure  intention,  mais  qui  a,  comme  toutes  les  mesures 
tendant  à  relever  l'esprit  religieux  par  le  bras  de  l'autorité,  entièrement 
manqué  son  but^  de  manière  qu'au  lieu  de  deux  Eglises  protestantes,  nous 
en  avons  au  moins  /rois  aujourd'hui.  Si  les  réformés  se  sont,  par  un  esprit 
de  douceur  et  de  loyauté,  en  général  moins  opposés  que  les  luthériens  à 
cette  union,  il  n'est  pourtant  rien  de  plus  faux  que  de  la  leur  attribuer. 
Néanmoins,  on  ne  peut  nier  que  beaucoup  de  chrétiens  de  cette  Eglise  sont 
très  indifférents  à  ce  qui  la  distingue,  qu'ils  qualifient  à'Jdiaphora  les 
autels,  les  crucifix,  les  cierges,  etc.  Toutefois,  il  y  en  a  qui,  bien  loin  de 
partager  cette  indifférence,  pensent,  comme  le  célèbre  Jurieu,  que  ces 
choses,  indifférentes  en  elles-mêmes,  sont  au  grand  nombre  ce  qu'étaient 
les  feuilles  des  arbres  du  Paradis  à  Adam,  les  moyens  de  se  cacher  là- 
dessous. 

Parmi  ces  réformés,  il  y  a  M.  Jahn,  un  des  prédicateurs  de  notre  église 
cathédrale,  jeune  théologien  qui  promet  beaucoup  et  qui  a,  malgré  son  âge, 
approfondi  Pespril  de  Calvin  et  du  calvinisme,  espritqui,  selon  un  auteur, 

1864.  Mai,  Juin,  Juillet.  N"»  5,  6,7.  XIII.   ■ —   8 


114  QUESTIONS    ET   REPONSES. 

a,  ce  qui  ne  se  peut  dire  du  lutlicranisme,  formé  des  caractères.  M.  Jahn 
a  prouvé  ses  sympathies  pour  le  grand  réformateur  ou,  selon  notre  Docior 
Germanix,  ^onr  le  théologien  par  excellence.,  par  un  livre  qu'il  vient  de 
mettre  au  jour.  Ce  beau  livre,  dont  la  valeur  surpasse  de  beaucoup  son  à- 
propos  et  son  étendue,  a  le  titre  :  Les  disciples  de  Calvin  à  Halle  siir  la 
Saale,  et  l'épigraphe  :  Curvataresurgo,  et  traite  en  treize  chapitres  com- 
ment les  réfugiés  ont  été  invités  par  le  grand  électeur  et  reçus  à  Halle, 
quelle  a  été  leur  organisation  ecclésiastique  et  municipale,  quels  ont  été 
leurs  pasteurs,  etc.  Le  chapitre  VIII  :  Les  nouveaux  Prophètes  et 
leurs  défenseurs,  est,  pour  moi,  pauvre  historien  du  calvinisme  français, 
d'un  très  grand  intérêt,  et  le  chapitre  XIII  et  dernier  :  Le  bienfait  social., 
donne  un  coup  d'oeil  rapide  de  ce  que  Halle  doit  aux  réfugiés  français.  Ce 
n'est  pas  nouveau,  mais  il  y  a  des  vérités  qui  vieillissent  vite  et  à  mesure 
qu'elles  sont  importantes,  et  qu'on  doit  souvent  rajeunir.  Ce  que  M.  Jahn 
dit,  à  la  page  157,  avec  une  naïveté  allemande,  qu'il  m'est  difficile  de  rendre 
en  français  :  Ein  ganz  neuer  Menschenschlag  zog  mit  den  Franzosen  in 
Halle  ein  (une  espèce  d'hommes  toute  nouvelle  arriva  avec  les  Français  à 
Halle),  prouve  que  son  amour  de  la  vérité  surpasse  son  amour  de  la  patrie. 

Enfin,  ce  n'est  pas  un  des  moindres  mérites  de  M.  Jahn,  que  non-seule- 
ment il  ap?/îseaux  sources  de  première  main,  mais  encore  qu'il  les  a  dé- 
terrées de  la  poussière,  sous  laquelle  elles  se  sont  trouvées  malheureuse- 
ment et  honteusement  comme  ensevelies  jusqu'aujourd'hui. 

Je  regrette  que  mon  temps  et  mon  peu  de  facilité  de  m'exprimer  dans 
votre  langue  ne  me  permettent  pas  de  vous  donner  de  véritables  extraits  de 
cet  excellent  livre. 

Veuillez  agréer,  etc.  Polenz. 

Halle-su r-la-Saale  (Prusse),  le  24  mai  1864. 


Ijes  dépêches  dn  nonce  KalTiati  snr  la  ^aînt-Darthélrm)'. 

(Voir  ci-dessus,  p.  3.) 

Paris,  12  mai  186'». 

Monsieur  le  Président,  dans  l'avant-dernier  cahier  de  votre  intéressant 
Bulletin  (p.  3),  voiis  adressez  à  vos  lecteurs  une  question  relative  au  projet  de 
publication  de  la  Correspondance  diplomatique  du  nonce  Sahnati  avec 
le  cardinal  de  Como,  par  Chateaubriand,  projet  (jui  n'a  pas  été  réalisé. 

Il  m'est  impossible  de  vous  éclairer  à  cet  égard.  Mais  voici,  sur  celle 
eorrespondance,  (jucbiues  renseignements  qui  peut-être  ijourronl  intére«- 
ser  vos  lecteurs. 


QUESTIONS    ET    REPONSES.  115 

Les  archives  du  Vatican  furent  apportées  par  Daunou,  à  Paris,  en  1811. 
Elles  contenaient  la  correspondance  de  Salviati.  Après  la  paix  de  '181 4,  sir 
James  3Iackintosh,  ayant  été  mis  en  rapport  avec  Daunou,  par  l'intermé- 
diaire de  Madame  de  Staël  et  de  M.  de  Tracy,  obtint  l'autorisation  de  con- 
sulter cette  correspondance  pour  en  tirer  parti,  relativement  à  l'histoire 
d'Angleterre  dont  il  s'occupait.  Plus  tard,  les  archives  du 'Vatican  retour- 
nèrent à  Rome,  et  M.  de  Chateaubriand,  lorsqu'il   fut  ambassadeur  de 
France  auprès  de  la  cour  pontificale,  put  se  procurer  une  copie  de  la  cor- 
respondance de  Salviati;  il  la  communiqua  en  1832  à  sir  James  Mackin- 
tosh,  qui  n'avait  pas  eu,  sans  doute,  le  temps  de  la  consultera  fond,  lors- 
qu'il était  à  Paris  (3n  1814,  et  il  en  fit  usage  pour  l'histoire  du  règne 
d'Elisabeth,  qu'il  préparait  alors.  M.  de  Sismondi,  à  qui  j'emprunte  une 
partie  de  ces  détails,  dit  que  celte  correspondance  prouve  qu'au  moment 
de  l'exécution  de  la  Saint-Barthélémy,  le  nonce  était  dans  une  complète 
ignorance  sur  les  projets  de  la  cour  de  France.  {Histoire  des  Français, 
t.  XIX,  p.  179,  note.)  Quoi  qu'il  en  soit,  quelques-unes  des  dépêches  de 
Salviati  ont  été  insérées  dans  l'ouvrage  posthume  de  Mackintosh,  intitulé  : 
History  of  England,  t.  III,  p.  235  et  Jppendix,  p.  354. 

Mais,  depuis,  la  correspondance  de  Salviati  a  été  entièrement  publiée  par 
le  P.  Theiner,  dans  sa  continuation  de  Baronius,  Rinaldi  et  Laderchius(^/H- 
nales  ecclesîasticï).  Cette  continuation  du  P.  Theiner  contient  3  vol.  in- 
folio qui  ont  paru  à  Rome,  en  1856,  et  que  vos  lecteurs  pourront  consul- 
ter à  la  Bibliothèque  impériale. 
Veuillez  agréer,  etc.  A.  T. 


«  t.a  Boite  à  Perrette.  »    —   Qu'est-ce  que  Pcrrette?   —te    nom 
appliiiué  à  lia    Rochelle. 

(Voir  t.  VII,  p.  219;  VIII,  11,  371,  384;  X,  204;  XI,  9,  3al.) 

Lyon,  10  février  1864. 
Monsieur  le  Président, 
Les  curieuses  recherches  que  le  Bulletin  a  publiées  sur  le  sujet  de  la 
Boite  à  Perretfe,  et  la  question  posée  en  dernier  lieu  (XI,  331)  :  Qu'est-ce 
quePerrettePme  font  penser  qu'il  y  a  quelque  intérêt  à  vous  signaler  une 
citation  où  Perrette,  «  la  grande  Perretle,  »  figure  pour  désigner  la  ville  de 
La  Rochelle.  Je  la  trouve  dans  le  Journal  des  Savants,  de  nov.  1863 
(p.  693),  article  de  M.  Littré  sur  une  «  Histoire  et  Glossaire  du  normand, 
de  l'anglais  et  de  la  langue  française,  »  par  M.  Le  Héricher,  régent  de  rhé- 
torique au  collège  d'Avranches.  Il  s'agit  d'un  poëmeen  patois  normand  de 


116  QUESTIONS    ET    REPONSES. 

la  première  moilié  du  dix-septième  siècle,  et  dans  leciuel  se  lisent  ces 
mots  appliqués  à  La  Rochelle  (Petrella)  : 

La  grande  Pcrrette,  à  présent  égueillie, 

c'est-à-dire  égueulée,  pour  :  réduite  au  silence. 
Veuillez  agréer,  etc.  R.  de  Cazenove. 


4|u'est-ce  que  «  le  »  ou  «  la  Bractiue  latin,  »  devant  lequel  était 
ie  presehc  des  huguenots  en  15G3? 

En  publiant  ci-dessus,  p.  15,  la  lettre  inédite  de  François  Cliastaigner 
sur  l'entrée  du  duc  de  Guise  à  Paris,  en  1562,  nous  avions  eu  soin  de  si- 
gnaler par  un  point  interrogalif  le  doute  que  nous  éprouvions  au  sujet  de 
trois  mots  du  texte  de  cette  lettre  (page  16,  figure  13}  :  «  Le  dict  prosche 
se  faict  à  une  maison  devant  la  Bracque  latin.  »  Ces  termes  étaient-ils 
bien  corrects?  Que  signiliaient-ilsi'Quel  endroit  de  Paris  désignaient-ils? 

Nous  avons  posé  la  question  dans  V Intermédiaire  des  chercheurs  et 
curieux  (n°  du  1"  mai  1864,  p.  68)  sur  la  vraie  orthographe  et  le  senslo- 
pographique  de  cette  désignation,  et  nous  avons  obtenu  une  réponse  insé- 
rée au  n°  suivant  (n"  6,  1"  juin,  p.  94),  ainsi  qu'il  suit  : 

«  C'est  une  allusion  à  la  maison  avec  jeu  de  paume  du  «  petit  Bracque  », 
(|uia  fait  donner  jadis  à  la  place  de  l'Estrapade  le  nom  de  Carrejour  de 
Braque  ou  de  Braque-latin.  J'ai  vu  dans  les  titres  du  Fief  des  Tombes 
que  ce  jeu  de  paume  fut  bâti  sur  un  terrain  vendu  en  1560;  il  existait  en- 
core vers  1775,  et  je  crois  bien  qu'il  est  aujourd'hui  représenté  par  la 
maison  située  rue  des  Fossés-Sainl-Jaetiues,  n"  26.  Toutefois,  n'ayant 
point  encore  eu  l'occasion  de  constater  le  fait  rigoureusement,  je  pourrais 
me  iroinper  d'un  numéro;  je  suis  sûr  d'ailk'urs  de  ne  point  me  tromper  de 
deux,  et  tôt  ou  tard,  d(î  plus  amples  études  me  permettront  sans  aucun 
doute  de  trancher  la  ([iiestion.  Ad.  Bertv.  » 

La  rédailion  de  V intermédiaire  a  ajouté  en  note  celte  (d)servation  : 

"  Reste  à  savoir  ce  (juc  signiliail  le  mot  Bracque  dans  les  appilliitious 
ci-dessus.  » 


Uoiittiiiicon  en  15?ti  e<  en   IH(>1.    -    Lne  hintoire  ubrcfi^ée 
«le  l>utli«'r. 

Nous  trouvons  dans  le  ./our/ial  des  Débats  du  !)  juin  un  article  de 
.'\1.  Eugène  Vuug,  qui  ne  peut  man(|uer  d'inlérc^sser  nos  lecteurs  et  de  leur 


QUESTIONS    ET    REPONSES.  117 

donner  le  désir  de  se  procurer  l'opuscule  de  M.  Henri  ?avrot:  Montfaucon 
et  ses  souvenirs,  en  tête  de  laquelle  se  trouve  une  belle  photographie  de 
Coligny,  d'après  le  portrait  du  temps,  qui  se  voit  au  Musée  de  Versailles, 
et  deux  lithographies  représentant  Montfaucon  en  1570  et  Montfaucon 
en  1864. 

«  Dans  les  campagnes,  aux  endroits  où  s'est  pnssé  quelque  horrible 
événement,  on  élève  une  croix  expiatoire;  le  hasard  vient  de  faire  quehjue 
chose  de  semblable  à  Paris.  On  sait  quel  sinistre  épisode  de  nos  guerres 
religieuses  rappelle  Montfaucon.  C'est  là  qu'au  lendemain  de  la  Saint-Bar- 
thélémy, Charles  IX  et  Catherine  de  Médicis,  avec  toute  leur  cour,  se  don- 
nèrent l'horrible  joie  de  contempler  le  corps  ou  plutôt  les  restes  de  Coligny 
suspendus  à  un  gibet,  abandonnés  au  vent  et  aux  corbeaux  (1).  Aujour- 
d'hui, sur  la  colline  de  Montfaucon,  s'élève,  comme  pour  expier  ce  sou- 
venir, une  chapelle  protestante. 

«  Cela  s'est  fait  sans  y  penser,  comment?  M.  Parrot,  ancien  avocat  au 
Conseil  d'Eiat  et  à  la  Cour  de  cassation,  nous  le  raconte  dans  une  bro- 
chure intéressante.  Chaque  année,  beaucoup  de  pauvres  Allemands  arri- 
vent à  Paris  pour  y  chercher  non-seulement  du  travail  et  du  pain,  mais 
encore  le  droit  au  mariage;  car,  dans  un  grand  nombre  de  pays  d'outre- 
Rhin,  il  faut,  pour  se  marier,  en  avoir  les  moyens,  payer  un  cens  ou  dis- 
poser d'un  petit  capital.  Du  travail  et  du  pain,  ces  pauvres  Allemands  les 
trouvent  dans  les  métiers  les  plus  humbles  et  les  plus  durs,  dont  nos  indi- 
gents eux-mêmes  ne  veulent  pas.  Le  nettoyage  de  la  voie  publique  leur  est 
dévolu.  Ils  se  lèvent,  par  les  plus  grands  froids,  à  trois  heures  du  malin 
pour  balayer  nos  rues;  moyennant  quoi,  des  familles  chargées  quelquefois 
de  quatre  ou  cinq  enfants  gagnent  un  salaire  de  3  fr.  50  c.  par  jour,  et  elles 
en  vivent!  Deux  Sociétés,  l'une  catholique,  l'autre  protestante,  aident  ces 
émigrés  du  mariage  à  légitimer  des  unions  que  les  lois  de  leur  pays  ne 
réussissent  pas  à  prévenir  eii  refu^-ant  de  les  consacrer.  Pour  leurs  enfants, 
la  Société  de  Gustave-Adolphe,  la  Mission  évangélique,  l'Eglise  de  la  Con- 
fession d'Augsbourg  ont  fondé  sur  toute  la  surface  du  nouveau  Paris  des 
salles  d'asile  et  des  écoles,  et  pour  tous,  parents  et  enfants,  des  services 
religieux.  Leur  patrie,  qui  n'a  pas  su  les  retenir,  ne  les  abandonne  pas 
quand  ils  en  ont  adopté  une  autre.  D'Allemagne  arrivent  à  leur  suite  des 
missionnaires  protestants  qui  leur  apportent  les  secours  spirituels.  L'un 
d'eux,  M.  de  Bodelschwingh,  fds  et  gendre  de  deux  hommes  d'Etat  prus- 
siens du  même  nom,  découvrit  autour  de  la  rue  de  Crimée,  du  côté  de  la 
Petite-Villette,  un  grand  nombre  de  ses  malheureux  compatriotes.  Il  vou- 
lut s'installer  au  milieu  d'eux.  Une  petite  colline  déserte,  placée  dans  un 

(1)  Voir  l'article  que  nous  avons  donné  dans  ce  Bulletin  sur  les  vicissitudes 
fies  restes  mortels  de  l'amiral  Coligny  flll   3?i5). 


118  QUESTIONS    ET    REPONSES. 

site  sévère  et  devant  laquelle  s'étendait  un  horizon  mélancolique,  arrêta 
ses  regards.  Il  y  construisit  d'abord  un  chalet  portatif,  puis  un  second 
chalet,  et  enlin  une  petite  église,  à  mesure  que  l'empressemeiit  de  la  colo- 
nie naissante  s'accroissait.  La  foi  suflit  pour  transporter  les  montagnesj 
«  à  plus  forte  raison,  dit  M.  Parrot,  pour  transformer  les  collines.  »  Cette 
colline-là,  c'était  Montfaucon;  au  point  même  où  les  ennemis  du  protes- 
tantisme se  réjouissaient  de  l'avoir  assassiné  dans  un  abominable  guet- 
apens,  ce  simple  édifice  atteste  la  liberté  des  âmes,  qui  n'est  jamais  exter- 
minée. 

«  Cette  inefiflcacité  de  la  violence,  cette  force  de  la  liberté  qui  reparaît 
toujours  et  survit  ii  tout,  est  démontrée  historiquement  dans  V Histoire 
abrégée  de  Luther  et  de  la  Réformation,  de  M.  le  pasteur  Hosemann, 
récit  clair  et  bien  composé.  L'auteur  enveloppe  dans  les  termes  d'une  con- 
damnation commune  les  excès  commis  réciproquement  par  les  catholiques 
et  les  réformés  dans  nos  guerres  religieuses  du  seizième  siècle.  Je  ne 
crois  pas  que  des  deux  parts  les  torts  aient  été  égaux  à  ce  point;  je  mets 
Coligny  au-dessus  du  duc  de  Guise,  et  les  protestants  français  n'ont  rien 
commis  qui  approche  de  la  Saint-Barthélemy.  Par  là,  du  moins,  par  ce  ton 
d'impartialité,  un  peu  exagérée  peut-être,  on  peut  juger  de  l'élévation  mo- 
rale qui  règne  dans  cet  ouvrage.  Je  ferai  encore  une  chicane  à  M.  Hose- 
mann. Il  termine  son  volume  par  l'éloge  du  Concordat  de  1801,  qu'il 
appelle  «  l'organisation  de  la  liberté  religieuse.  »  Quand  il  s'agit  des 
croyances,  une  liberté  organisée  nous  parait  tout  simplement  une  liberté 
insufiisanle.  Le  Concordat  a  établi,  non  plus  une  religion  d'Etat,  mais  plu- 
sieurs, et  si  une  seule  ne  vaut  rien,  plusieurs,  à  notre  gré,  ne  valent  pas 
beaucoup  mieux.  Eug.  Yung.  » 


Prisonniers  protestants  en  Itarbarie  (1644:). 

Dans  l'Histoire  de  Barbarie  et  de  ses  corsaii-es,  par  le  H.  P.  F.  Dan, 
maître  et  supérieur  du  couvent  de  l'ordre  de  la  Sainte-'J'rinité  et  Ré- 
demption des  captifs^  fondé  au  chastcau  de  Fontainefjlpou  (Paris,  Pierre 
Rocolet,  1649,  in-folio,  p.  1 U),  on  trouve  ce  fait  curieux.  Il  est  question 
(les  préparatifs  que  fait,  en  Ifili,  le  père  Lucien  Hérault  pour  aller  en 
Alger  racheter  ce  (ju'il  pourrait  de  Français  esclaves  :  «  Les  l'eligioiinaires 
de  la  Rochelle  ayant  advis  de  ce  voyage  en  Bar!)ari('  le  père  Lucien,  tirent 
(pielipies  poursuites  pour  trouver  de  l'argent  |)Our  l'aire  rachepter  les  captifs 
t't  leur  créance,  et  le  sieur  Mestrezal  escrivil  à  ce  père  (piil  feioit  (piesler 
dans  toutes  leurs  Eglises  de  France  à  ce  sujet;  mais  ce  père  nevoyantpascet 
argent  bien  presl  pour  l'attendre,  il  se  mit  en  chemin  pour  'Marseille,  etc.  » 


QUESTIONS   ET    REPONSES.  119 

La  possibilité  seule  de  cet  argent  protestant  confié  à  des  mains  catholiques 
et  accepté  s'il  eût  été  réuni  à  temps,  est  à  l'honneur  commun  du  pasteur 
et  du  religieux,  mais  il  serait  curieux  de  savoir  si  la  quête  a  été  laite,  et 
si,  à  ce  moment  ou  à  un  autre,  on  a  trace  de  captifs  protestants  rachetés 
par  les  soins  de  leurs  Eglises.  A.  M. 


Captifs  protestants  à  Alg^er,  à  Tunis,  à  finale*  etc.  (164:5-1699). 

On  lit  dans  le  Mercure  historique  de  septembre  1699  : 

«  11  y  a  des  François  protestants  réfugiés  à  Salé,  et  le  nombre  en  doit 
«  être  grand,  ou  il  doit  y  avoir  des  familles  si  considérables  qu'ils  veulent 
«  avoir  un  ministre  pour  leur  prêcher;  ils  ont  écrit  pour  cela  en  Hollande. 
«  Il  y  en  a  aussi  de  catholiques  romains.  Le  roi  de  Maroc  les  considère 
«  tous  beaucoup,  parce  qu'ils  font  un  fort  bon  négoce.  Cependant,  son 
«  ambassadeur  en  France  s'étant  plaint  à  son  retour  qu'il  y  avoil  été  mal- 
«  traité,  ce  prince  les  lit  venir  à  Micanes  pour  se  venger  sur  eux,  et  les 
«  François  l'ayant  assuré  du  contraire  par  de  bonnes  raisons  accompagnées 
«  d'un  présent  de  10,000  livres,  il  leur  promit  sa  protection  et  les  renvoya 
Il  contents.  » 

Voici  un  rapprochement  intéressant  : 

«  Les  provinces  maritimes  faisant  de  grandes  plaintes  ft  l'occasion  d'une 
«  multitude  de  captifs  qui  étoient  dans  les  chaînes  à  Alger,  à  Tunis,  à  Salle 
«  et  en  d'autres  lieux  de  la  Barbarie  et  du  royaume  de  3Iaroc,  le  synode 
«  ordonna  des  quêtes  générales  pour  le  rachat  de  ces  pauvres  captifs.  Le 
«  produit  de  ces  quêtes  devoit  être  adressé  avec  la  liste  des  noms  des  cap- 
«  tifs  appartenant  à  chaque  province  au  Consistoire  de  Lyon,  pour  les  pro- 
«  vinces  de  Xaintonge,  du  Poictou,  de  la  Basse-Guyenne,  du  Béarn,  du 
«  Haut-Languedoc,  de  Sévènes,  du  Vivarais,  du  Dauphiné  et  de  la  Bour- 
«  gogne,  &i  au  Consistoire  de  Paris  pour  les  provinces  de  Normandie,  de 
«  Bbetagne,  d'Anjou,  du  Berry  et  de  l'isle  de  France.  »  {Sijnodes  natio- 
naux, 2S«  Synode,  vol.  I,  p.  677,  année  4645.) 


fjne  épttre  ilédicatoire  de  Ou  Moulin  à  la  duchesse 
de  la  Trémouille  (1639). 

Monsieur  le  Président,  ce  que  je  vous  envoie  n'est  ni  un  document  iné- 
dit, ni  un  extrait  d'un  gros  et  poudreux  in-folio,  mais  tout  simplement  une 
épître  dédicatoire  du  célèbre  Du  Moulin  à  la  duchesse  de  la  Trémouille. 
Elle  se  trouve  en  tête  de  la  troisième  décade  des  sermons  du  ministre  de 


120  QUESTIONS   ET    REPONSES. 

la  Parole  de  Dieu  à  Sedan  et  professeur  en  théologie.  Je  considère  ma 
communication  comme  un  petit  détail  ajouté  à  tout  ce  qu'on  a  déjà  rap- 
porté sur  les  familles  des  La  Trémouille  eti\esBoîiillon,  dans  les  dix  pre- 
miers volumes  du  bulletin. 

Fille  de  Henri  de  la  Tour  d'Auvergne,  duc  de  Bouillon,  et  d'Elisabeth 
de  Nassau,  Marie  de  la  Tour  d'Auvergne,  à  qui  la  dédicace  s'adresse, 
épousa,  le  19  janvier  1619,  Henri  (1)  de  la  Trémouille,  duc  de  Thouars. 
Cette  union  ne  lit  que  resserrer  les  liens  déjà  existants  entre  ces  deux  fa- 
milles [Bulletin,  VI,  p.  191  elsuiv.). 

Sincèrement  attachées  à  la  foi  réformée,  la  duchesse  douairière  (Claude 
de  la  Trémouille  mourut  le  25  octobre  1604)  et  la  jeune  duchesse  durent^ 
plus  d'une  fois,  rendre  service  à  leurs  coreligionnaires  {Bulletin,  IV,  106 
et  VIII,  136).  Elles  ne  dédaignaient  pas  de  s'éclairer  aux  lumières  des  Ri- 
vet (2)  et  des  Du  >Ioulin  (VHI,  "Hl),  et,  prenant  une  part  sensible  aux 
épreuves  qui  vinrent  fondre  sur  ce  dernier,  elles  cherchaient  à  les  adoucir 
par  leurs  aides  et  leurs  consolations  chrétiennes. 

Mais  bientôt  elles  eurent  à  gémir  sur  elles-mêmes  ou  plutôt  sur  les 
leurs.  Henri  de  la  Trémouille,  fils  de  l'une  et  époux  de  l'autre,  circonvenu 
par  Richelieu,  commença  par  abjurer,  en  1628,  devant  la  Rochelle  assié- 
gée, et  finit  par  confier  son  fils  (3)  aux  soins  des  jésuites.  La  dédicace 
dont  j'ai  parlé  f;iit  allusion  à  ces  douloureux  événements,  et  c'est  pourquoi 
j'ai  cru  devoir  la  rappeler.  J'ajoulerai  qu'elle  est  datée  de  Sedan,  29  juillet 
1639.  Quelques  mois  plus  lard,  la  duchesse  de  la  Trémouille,  qui  avait 
perdu  son  père,  le  duc  de  Bouillon,  le  2o  mars  1623,  et  sa  belle-mère  et 
tante,  en  1631,  voyait  encore,  1440,  la  mort  lui  enlever  une  fille  de  douze 
ans,  Elisab^nh,  dont  la  fin  édifiante  est  racontée  tout  au  long  dans  le  Bul- 
letin (X,  258  et  suiv.).  —La  duchesse  douairière  de  Bouillon  suivit  bientôt 
(3  septembre  1642)  sa  filleule  dans  la  tombe. 

Voici  maintenant  l'épître  en  question.  Emile  Codthaud. 

Dornhoizhauseii,  le  15  juin  1864. 


(1)  Il  était  fils  de  Claude  de  la  Trémouille,  duc  do  Tlmnars,  et  de  Charlotte- 
Bralianlinc  de  Nassau.  Cette  dernière  était  sœur  d'Elisabeth  de  Nassau,  duchesse 
de  IJouillon,  depuis  1595,  et,  comme  elle,  fille  de  Guillaume  de  Nassau,  prince 
d'Orange,  et  de  Charlotte  Bourbon-Monlpensier. 

(2)  André  Rivet  devint  Ijeau-l'rère  de  Du  Moulin,  dont  il  épousa  la  sœur  vers 
162-2  (liulL,  X,  534).  La  5'  décade  des  sernnons  de  ce  derniiT  est  dédiée  à  cette 
sœur.  La  4'  s'adresse  :  A  messire  Arniaml  de  ('auriionf,  marquis  de  la  Force, 
lieiitennnl  du  roi  en  ses  armes,  etc.,  10  sept.  1G40.  l'cut-èti't;  j'ourrait-on  aussi 
i,-ominuniijU"r  celte  dédicace  aux  ifc^tcurs  du  liaUetiii,  comme  rapprochement 
avec  liull.,  II,  64,  451,  560;  VII,  i:i8,  144,  118;  III,  '2119,  307;  VIII,  118. 

(3)  Henri-Chartes  de  la  Trémouille,  prince  de  Tarente,  né  le  17  septembre  1621 , 
rentra  dans  le  prolestaiitisne,  puis  1  abjura  de  nouveau  avec  tous  ses  enfants, 
excepté  sa  fille  aînée,  qui  épousa  le  diu'  (roidenbourir. 


QUESTIONS   ET    REPONSES.  121 

A  Madame  la  duchesse  de  la  Trimouille. 

Madame,  en  la  religion,  il  y  a  deux  sortes  de  combats  :  l'un  est  contre 
les  erreurs,  l'autre  contre  les  vices;  l'un  pour  défendre  la  vérité,  l'autre 
pour  former  l'homme  à  la  vertu.  L'un  contre  les  adversaires  de  la  doctrine 
de  l'Evangile,  l'autre  contre  nos  propres  convoitises  et  inclinations  à  mal. 
De  ces  deux  sortes  d'estude,  la  deuxième  est  la  plus  importante  et  la  plus 
nécessaire.  Car  il  ne  sert  de  rien  d'estre  sçavans  sans  estre  bons,  et  le 
sçavoir  sans  piété  tourne  à  plus  grande  condamnation.  Bref,  la  plus  im- 
portante dispute  de  toutes  est  celle  que  chacun  de  nous  doit  avoir  contre 
soy-mesme. 

Mais  comme  ceste  estude  est  la  plus  nécessaire,  aussi  est-ce  la  plus  ma- 
laisée. Car,  les  erreurs  que  nous  réfutons  sont  hors  de  nous  et  sont  ai- 
sés (?)  à  recognoistre,  et  ressemblent  aux  toiles  d'areigne,  qu'on  desfait 
en  soufflant  dessus.  Mais  nos  vices  sont  intérieurs  et  enracinez,  et  nous 
accompagnent  par  tout,  et  n'y  a  rien  plus  malaisé  que  de  résister  à  soy- 
mesme.  Dont  advient  que  plusieurs  ayans  triomphé  des  erreurs,  sont  sur- 
montez par  leurs  propres  vices.  Plusieurs  sans  estre  touchés  par  l'Esprit 
de  Dieu,  discernent  par  leur  sens  naturel  le  vray  d'avec  le  faux.  Mais  l'a- 
mendement de  vie  et  la  vraye  piété  est  une  œuvre  de  l'Esprit  de  régénéra- 
tion. 

Pour  ces  causes,  j'estime  que  la  principale  tasche  du  tidèle  pasteur  est 
de  cultiver  les  mœurs  du  peuple  que  Dieu  lui  a  commis.  Et  m'estimerois 
heureux  si  j'eslois  occupé  seulement  à  former  les  esprits  à  la  crainte  de 
Dieu,  sans  estre  obligé  à  résister  aux  erreurs  des  adversaires.  Mais  ce  siè- 
cle pervers,  fertile  en  paroles  et  stérile  en  piété,  et  les  pharisiens  de  ce 
siècle,  qui  courent  terre  et  mer  pour  faire  un  prosélyte,  et  la  lascheté  de 
plusieurs,  qui  s'estudient  à  se  tromper  eux-mesmes,  résolus  de  servir  Dieu 
à  la  mode,  sans  s'enquester  de  sa  volonté,  m'a  jette  par  force  en  ce  com- 
bat, et  obligé  à  dépeindre  l'erreur  de  toutes  ses  couleurs,  et  défendre  la 
cause  de  Dieu  de  tout  mon  pouvoir. 

Mais  maintenant  la  vieillesse  (1),  laquelle  en  un  homme  qui  craint  Dieu 
est  la  veille  de  l'éternel  repos,  m'appelle  aux  pensées  qui  servent  à  esloigner, 
mon  cœur  de  ce  monde  devant  que  d'en  sortir.  Car,  comme  dit  saint  Jean, 
le  monde  passe  et  sa  convoitise;  mais  qui  fait  la  volonté  de  Dieu  de- 
meure éternellement.  Duquel  apostre  l'exemple  nous  enseigne  que  le  dis- 
ciple que  le  Seigneur  aime,  est  celuy  qui  se  repose  en  son  sein  et  se  remet 
à  sa  conduite,  et  s'esjouit  en  son  amour,  faisant  ce  que  Dieu  aime,  et  aimant 

(1)  Né  en  1568,  Du  Moulin  avait  alors  71  ans.  Il  devait  encore  vivre  flix-neut' 
ans,  c'est-à-dire  jusqu'en  1G58,  qu'il  mourut  à  Sedan. 


122  QUESTIONS    ET   REPONSES. 

ce  qu'il  a  fait.  Car,  il  s'estudie  à  obéir  à  Dieu,  et  à  méditer  ses  œuvres  et 
sa  parole,  hors  laquelle  il  n'y  a  point  de  solide  contentement,  et  quiconque 
la  recherchera  ailleurs,  tiouvera  non-seulement  du  vuide,  n)ais  aussi  du 
tourment  au  bout  de  la  course,  et  expérimentera  que  le  lustre  du  monde 
ressemble  aux  espines  fleuries-,  les  fleurs  tombent,  mais  les  espines  demeu- 
rent. Mais  celuy  qui  craint  Dieu  et  se  repose  en  ses  promesses,  estant  vic- 
torieux des  siècles  et  meilleur  que  le  monde,  jouit  d'une  paix  intérieure  qui 
ne  dépend  pas  de  la  santé  du  corps,  ni  de  la  faveur  des  grands,  ni  du  suc- 
cez  des  aff'aires  publiques,  et  estant  mesprisé  et  mescognu  au  monde,  res- 
semble à  la  lune,  laquelle  semble  aux  hommes  estre  obscure,  lorsqu'elle 
tourne  sa  clarté  vers  le  ciel  souverain. 

Ces  considérations  m'ont  meu  à  diviser  en  doux  parties  le  temps  (|ui  me 
reste,  et  sans  abandonner  la  défense  de  la  vérité,  employer  une  partie  de 
mon  temps  en  médilations  de  piéié,  lesquelles  j'ai  couchées  en  forme  de 
sermons,  esquels  parlant  aux  autres,  je  parle  aussi  ù  moy-mesme. 

Et  ay  pris  la  hardiesse,  Madanu%  de  vous  en  dédier  une  partie,  sçachant 
que  vous  prenez  plaisir  aux  saintes  pensées,  et  que  vostre  occupation  ordi- 
naire est  de  vous  entretenir  avec  Diru,  qui  vous  a  donné  une  grande  viva- 
cité d'esprit  laquelle  vous  gouvernez  parla  crainte  de  Dieu,  lequel  se  sert 
de  vous  pour  empescher  que  l'alliance  de  Dieu  ne  soit  entièrement  bannie  (!) 
de  vostre  illustre  famille,  en  laquelle  ce  qui  reste  de  piété  et  de  vraye  co- 
gnoissance  de  Dieu,  est,  après  Dieu,  deu  à  vostre  vertu.  Car,  ayant  dès 
vostre  enfance,  esté  nourrie  en  la  piété,  comme  une  abeille  née  dedans  le 
miel,  et  élevée  par  un  père  excellent  en  vertu  duquel  la  mémoire  me  sera 
toujours  chère  et  honorable,  vous  avez  conservé  ses  saincts  enseignemens, 
et  avez  subsisté  parmi  les  tentations.  Ce  qui  me  fait  espérer  que  Dieu  se 
servira  de  vous  pour  réparer  les  brèches  faites  en  vostre  famille,  et  laisser 
à  vos  enfans  pour  héritage  la  vraye  cognoissance  de  Dieu,  sans  laquelle 
vaudroit  mieux  n'avoir  jamais  esté  né. 

Je  me  recognois  voircment  indigne  d'avoir  part  à  vos  bonnes  grâces,  et 
incapable  de  vous  rendre  aucun  service.  Mais  vostre  bonté  imputera  ceste 
liardiesse  àriionneur  (pie  je  vous  porte,  et  aux  obligations  que  j'ay  à  tonte 
vostre  maison,  sous  l'ombre  de  laquelle  j'ay  trouvé  du  refuge  en  mes  af- 
flictions, lorsque  mes  adversaires  m'ont  arraché  du  troupeau  (pu^  Dieu  m'a- 
voit  commis.  Ce  qui  m'oblige  à  honorer  tout  ce  cpii  vous  touche  de  près,  et 
à  prier  Dieu  continuellement  pour  vostre  prospérité  et  conservation,  comme 
estant,  'Madame,  vostre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur. 

De  Sedan,  ce  29  de  juillet  IG:j9. 

Du  Moulin. 

(1)  Allusion  (luiil  on  a  parlé. 


QUESTIONS   ET    REPONSES.  123 

•f  can  Durand  et  sa  descendance. 

La  question  posée  dans  le  Bulletin  (XII,  133  et  343),  relativement  aux 
fonctions  qu'avait  exercées  Jean  Durand,  jiossesseur  de  V Album  aniico- 
rum,  me  paraît  trouver  sa  réponse  dans  quelques  passages  de  la  France 
protestante  et  des  Notices  généalogiques  de  Galiffe.  En  effet,  le  bel  ou- 
vrage de  MM.  Haag  (IV,  p.  81  et  494)  nous  apprend  que  Jean  Durand  était 
conseiller  du  roi  et  trésorier  général  des  bâtiments  de  France,  titre  qui 
doit  bien  correspondre  à  l'appellation  latine  :  Publicorum  operum  apud 
Francos  qnxsior.  La  France  protestante  ajoute  que  Jean  Durand  avait 
épousé  Madelaine  Couet  du  Vivier,  sœur  du  pasteur  Jacques  Couet,  et 
qu'après  la  mort  de  son  mari,  cette  dame  se  relira  à  Genève  avec  ses 
quatre  fils,  dont  l'un  fut  Samuel  Durand,  le  pasteur  de  Charenton.  M.  Ga- 
liffe, de  son  coté,  mentionne  (t.  I,  p.  370,  et  t.  III,  p.  430)  deux  tilles  de 
Jean  Durand,  trésorier  des  bâtiments  de  France.  L'une  d'elles,  Marie, 
épousa  Pierre  Sève,  conseiller  du  roi  au  siège  présidial  de  Bourg;  la  se- 
conde, Madeleine,  devint  la  femme  d'IsaacGallalin,  premier  syndic  delà  ré- 
publique de  Genève.  La  descendance  de  cette  dernière  existe  encore  au- 
jourd'hui. 

L'Album  décrit  par  le  Bulletin  a  sans  doute  été  conservé  longtemps 
dans  une  des  familles  genevoises,  qui  comptent  Jean  Durand  au  nombre  de 
leurs  ancêtres.  J'ai  appris  que  ce  précieux  manuscrit  se  trouvait,  il  y  a  peu 
d'années  encore,  à  Genève,  en  possession  d'un  bibliophile,  M.  GauUieur. 

Th.  Claparède. 
Genève,  janvier  1864. 


Testament  de  Itouis  de  JLe  Becque,  réfugié  à  Kampen,  etc. 

Lucens  (Vaud),  2  juin  1864. 

Le  Bulletin  a  (t.  XII,  p.  450  et  suivantes)  reproduit  le  testament  de 
Louis  de  Le  Becque,  fait  à  Campen  le  30  aoûi  1694,  dans  lequel  on  voit 
figurer  Salomon  de  Le  Becque,  ministre  à  Londres,  comme  fils  du  testa- 
teur; et,  après  avoir  dit  que  rien  n'indique  la  province  de  France  ni  le  lieu 
dont  il  était  originaire,  vous  ajoutez  :  «  C'est  un  point  que  quelques-uns  de 
nos  lecteurs  pourront  peut-être  éclaircir.  » 

Je  n'ai  pas  les  documents  nécessaires  pour  fixer  le  lieu  d'origine  de  la 
famille  de  Le  Becque,- mais  je  puis,  d'après  des  pièces  qui  existent  au 
greffe  d'Amiens,  indiquer  quelques-unes  des  localités  où  le  testateur  et 
son  tils  Salomon  ont  exercé  leur  ministère  avant  la  révocation  de  l'Edit  de 
Nantes. 


lâi-  QIESTIONS   ET    REPONSES. 

Louis  de  Le  Becque,  mort  en  1699,  étaii  pasteur  à  Calais  en  4669  et  as- 
sista en  cette  qualité  au  synode  provincial  de  Charenton.  Son  fils  Saiomon, 
ministre  à  Londres  en  1694,  était  pasteur  à  Belleuse  (Somme)  en  1675. 
C'est  là  qu'il  fut  saisi  par  ordre  du  lieutenant  général  de  Clermont,  pour 
être  emprisonné  avec  François  de  Gaclion,  seigneur  de  Contre  et  de  Bel- 
leuse, parce  qu'il  avait  tenu  des  réunions  religieuses,  interdites  à  Contre 
en  1665,  par  un  arrêt  du  conseil  du  roi.  Ces  réunions  n'avaient  pas  recom- 
mencé à  Contre;  mais  sur  l'insistance  des  synodes  provinciaux  de  1G67  et 
de  1671  pour  que  l'église  de  Contre  fût  réédifiée,  le  sieur  de  Gachon,  qui 
devait  abjurer  plus  tard  et  même  devenir  prêtre,  avait  déclaré  devant  l'au- 
torité faire  élection  de  domicile  dans  son  château  de  Belleuse.  Les  assem- 
blées y  furent  suivies  par  une  foule  de  personnes  ;  l'autorité  s'en  émut;  on 
les  interdit  provisionnellement,  et  le  seigneur  ainsi  que  son  ministre  furent 
jetés  en  prison.  Cela  se  passait  en  1675  et  non  en  1665,  comme  le  dit  la 
France  prolestante  (art.  Gachon).  En  cette  même  année,  Saiomon  de  Le 
Becque  fut  appelé  à  desservir  l'église  de  Prouville  (Somme).  Le  synode 
provincial  de  Vitry,  qui  confirma  cette  vocation,  profila  de  la  circonstance 
pour  rendre  hommage  «  à  la  fermeté  et  à  la  constance  de  ce  pasteur  dans 
son  emprisonnement.  »  Après  la  suspension  des  exercices  religieux  à 
Prouville  (1681),  de  Le  Becque  resta  dans  le  pays,  administra  le  sacrement 
du  baptême  à  plusieurs  enfants  de  l'Eglise  d'Amiens,  placée  sous  l'interdit 
depuis  longtemps.  On  voit  encore  sa  signature  attestant  racconi[)Iissement 
d'une  de  ces  cérémonies  sous  la  date  du  5  octobre  16!:)4.  Quelque  temps 
après,  un  enfant  de  cette  Eglise  était  encore  consacré  au  Seigneur  avec 
l'autorisation  du  lieutenant  général.  Ce  fut  le  dernier  enregistré  et  le  si- 
gnataire de  l'acte  n'était  plus  de  Le  Becque. 

Dans  mon  Histoire  des  Protestants  de  Picardie,  le  nom  de  ce  pasteur 
est  écrit  :  Delbecq,  parce  que  c'est  cette  orthographe  que  j'ai  rencontrée 
presque  toujours  dans  les  documents  qui  ont  passé  sous  mes  yeux.  Une 
ou  deux  fois  il  était  écrit  :  Dilbecquc.  Quant  à  lui,  je  dois  le  reconnaître, 
il  signait  invariablement  :  de  Le  /iecque. 

Veuillez  agréer,  etc.,  L.  l\o^s\Ei\,  pasteur. 


liîi  llffcrattiro,  Hource  «!«■  l'lii«*t«>i«M' psyolioloçiqin*,  — liî»  intisiqiic 
roliîficiiHt'  «laiit*  l«'s  tciiiplos  proti'stiiiits. 

\: Histoire  de  la  littérature  atuilaise,  |)ar  .M.  11.  Taiiic,  ouviage  consi- 
dérable (|ui  a  paru  rccemnient,  (  si  dédié  a  M.  (]ui/.()l,  comme  à  celui  "  (|iii 
est  encore;  aujourd'iiui  che/.  nous  le  chef  des  éludes  lilslori(|ues,  après  en 
avoir  été  jadis  le  promoteur,  par  sa  grande  et  belle  Histoire  de  la  i'iri- 


QUESTIONS  ET    REPONSES.  155 

lisation  en  Europe  et  en  France.  »  En  tète  de  son  travail,  M.  Taino  a 
placé  une  remarquable  Introduction,  dans  laquelle  il  montre  comment 
«  l'histoire  s'est  transformée  depuis  cent  ans  en  Allemagne^  depuis  soixante 
ans  en  France,  et  cela  par  l'étude  des  littératures,  »  car  sous  les  monu- 
ments littéraires,  c'est  l'homme  que  partout  l'on  doit  rechercher  et  que 
partout  l'on  retrouve.  Nous  citerons  le  passage  suivant,  où,  voulant  éta- 
blir que  «  les  états  et  les  opérations  de  l'homme  intérieur  et  invisible  ont 
pour  cause  certaines  façons  générales  de  penser  et  de  sentir,  »  il  prend 
pour  exemple  l'idée  mère  du  protestantisme  se  révélant  dans  sa  musique 
religieuse  : 

«  Quand,  dans  un  homme,  vous  avez  observé  et  noté  un,  deux,  trois, 
puis  une  multitude  de  sentiments,  cela  vous  suffit-il,  et  votre  connaissance 
vous  semble-l-elle  complète  ?  Est-ce  une  psychologie  qu'un  cahier  de  re- 
marques? Ce  n'est  pas  une  psychologie,  et,  ici  comme  ailleurs, la  recherche 
des  causes  doit  venir  après  la  collection  des  faits.  Que  les  faits  soient  phy- 
siques ou  moraux,  il  n'importe,  ils  ont  toujours  des  causes  ;  il  y  en  a  pour 
l'ambition,  pour  le  courage,  pour  la  véracité,  comme  pour  la  digestion, 
pour  le  mouvement  musculaire,  pour  la  chaleur  animale.  Le  vice  et  la 
vertu  sont  des  produits  comme  le  vitriol  et  le  sucre,  et  toute  donnée  com- 
plexe naît  par  la  rencontre  d'autres  données  plus  simples  dont  elle  dépend. 
Cherchons  donc  les  données  simples  pour  les  qualités  morales,  comme  on 
les  cherche  pour  les  qualités  physiques,  et  considérons  le  premier  fait 
venu;  par  exemple,  nm. rmisique  religieuse,  celle  d'un  temple  protestant. 
«  Il  y  a  une  cause  intérieure  qui  a  tourné  l'esprit  des  fidèles  vers  ces 
graves  et  monotones  mélodies,  une  cause  plus  large  que  son  effet,  je  veux 
dire  l'idée  générale  du  vrai  culte  extérieur  que  l'homme  doit  à  Dieu;  c'est 
elle  qui  a  modelé  l'architecture  du  temple,  abattu  les  statues,  écarté  les 
tableaux,  détruit  les  ornements,  écourté  les  cérémonies,  enfermé  les  assis- 
tants dans  de  hauts  bancs  qui  leur  bouchent  la  vue,  et  gouverné  les  mille 
détails  des  décorations,  des  postures  et  de  tous  les  dehors.  Elle-même 
provient  d'une  autre  cause  plus  générale,  l'idée  de  la  conduite  humaine 
tout  entière,  intérieure  et  extérieure,  prières,  actions,  dispositions  de  tout 
genre  auxquelles  l'homme  est  tenu  vis-à-vis  de  Dieu;  c'est  celle-ci  qui  a  in- 
tronisé la  doctrine  de  la  grâce,  amoindri  le  clergé,  transformé  les  sncre- 
ments,  supprimé  les  pratiques  et  changé  la  religion  disciplinaire  en  reli- 
gion morale.  Cette  seconde  idée,  à  son  tour,  dépend  d'une  troisième  plus 
générale  encore,  celle  de  la  perfection  morale,  telle  qu'elle  se  rencontre 
dans  le  Dieu  parfait,  juge  impeccable,  rigoureux  surveillant  des  âmes,  de- 
vant qui  toute  âme  est  pécheresse,  digne  de  supplice,  incapable  de  vertu  et 
de  salut,  sinon  par  la  crise  de  conscience  qu'il  provoque  et  la  rénovation 
du  cœur  qu'il  produit.  Voilà  la  conception  maîtresse,  qui  consiste  à  ériger 


126  l'église    de    SAINT-CHRISTOPHE,    EN    TOURAINE, 

le  devoir  en  roi  absolu  de  la  vie  humaine  et  à  prosterner  tous  les  modèles 
idéaux  aux  pieds  du  modèle  moral.  On  touche  ici  le  fond  de  l'homme;  car 
pour  expliquer  cette  conception,  il  faut  considérer  la  race  elle-même, c'est- 
à-dire  le  Germain  et  l'homme  du  Nord,  sa  structure  de  caractère  et  d'es- 
prit, ses  façons  les  plus  générales  de  penser  et  de  sentir,  celte  lenteur  et 
cette  froideur  de  sensations  qui  l'empêche  de  tomber  violemment  et  facile- 
ment sous  l'empire  du  plaisir  sensible,  cette  rudesse  du  goût,  cette  irrégu- 
larité et  ces  soubresauts  de  la  conception,  qui  arrêtent  en  lui  la  naissance 
des  belles  ordonnances  et  des  formes  harmonieuses,  ce  dédain  des  appa- 
rences, ce  besoin  du  vrai,  cette  attache  aux  idées  abstraites  et  nues,  qui 
développe  en  lui  la  conscience  au  détriment  du  reste.  Lfi  s'arrête  la  re- 
cherche; on  est  tombé  sur  quelque  disposition  primitive,  sur  quelijue 
trait  propre  à  toutes  les  sensations,  à  toutes  les  conceptions  d'un  siècle  ou 
d'une  race,  sur  qiiehiiie  particularité  inséparable  de  toutes  les  démarches 
de  son  esprit  et  de  son  cœur.  Ce  sont  là  les  grandes  causes,  car  ce  sont  les 
causes  universelles  et  permanentes,  présentes  à  chaque  moment  et  en  cha- 
que cas,  partout  et  toujours  agissantes,  indestructibles  et  à  la  fin  infaillibJe- 
ment  dominantes,  puisque  les  accidents  qui  se  jettent  au  travers  d'elles, 
étant  limités  et  partiels,  finissent  par  céder  à  la  sourde  fit  incessante  répé- 
tition de  leur  effort;  en  sorte  que  la  structure  générale  des  choses  et  les 
grands  traits  des  événements  sont  leur  œuvre,  et  que  les  religions,  les 
philosophies,  les  poésies,  les  industries,  les  formes  de  société  et  de  fa- 
mille, ne  sont,  en  définitive,  que  des  empreintes  enfoncées  par  leur  sceau.  » 


DOCUMENTS  INÉDITS  ET  ORIGINAUX. 
L'ÉGLISE  DE  SAINT- CHRISTOPHE,  EN  TOURAINE 

ET   CELLE   DE    VIENiNE ,    EN   DAUPllINÉ, 
POURVUES  DE  PASTEURS  PAR  LES  SEIGNEURS  DE  BERNE. 

15G1-1563. 

Une  des  épo(jiies  les  plus  intéressantes  de  l'histoire  de  la  Uéformalion 
française  au  XVI'  siècle  est  celle  où  le  protestantisme,  longtemps  comprimé 
par  la  persécution  sous  François  l'""  et  sous  Henri  II,  se  développe,  dès  que 
les  circonstances  deviennent  un  \)('.n  moins  défavorables,  avec  une  force  d'ex- 
pansion et  un  succès  étonnants.  Alors  se  forment  de  toutes  parts  de  nouvelles 


ET    CELLE    DE    VIENNE,    EN    DAUPHINE.  127 

Eglises,  qui  réclament  avidement  des  prédicateurs  de  l'Evangile,  mais  qui,  ne 
pouvant  les  trouver  sur  le  sol  de  la  patrie,  doivent  aller  les  demander  au 
dehors.  Alors  aussi,  au  courant  qui,  depuis  près  de  quarante  aimées,  ame- 
nait de  France  en  Suisse  des  réfugiés  pour  la  religion,  succède  un  courant 
en  sens  opposé,  se  dirigeant  de  la  Suisse  vers  la  France. 

Grâce  à  Calvin,  Genève  se  trouvait  alors  la  métropole  de  la  Réforme; 
aussi  eut-elle  à  la  fois  le  privilège  de  recevoir  en  première  ligne  les  de- 
mandes de  ses  coreligionnaires  français  et  le  bonheur  de  pouvoir  y  ré- 
pondre. Un  précieux  document,  publié  il  y  a  peu  d'années  par  M.  Archinard 
{Bulletin,  VIII,  72),  a  montré  dans  quelle  large  mesure  elle  sut  le  faire. 
Mais  ce  ne  fut  pas  seulement  à  la  ville  de  Calvin  que  recoururent  les  Eglises 
naissantes.  A  plusieurs  reprises,  Neuchâtel  répondit  aussi  avec  empresse- 
ment à  leurs  demandes  de  secours  religieux  {Bull.,  XII,  351,  358).  Berne, 
de  son  côté,  ne  resta  point  en  arrière  à  cet  égard,  et  vers  4 561 ,  le  gouver- 
nement de  ce  canton  permit  à  plusieurs  ministres  français  auxquels  il  avait 
confié  des  paroisses,  de  les  quitter  pour  retourner  prêcher  l'Evangile  dans 
leur  patrie. 

J'ai  rencontré  à  Berne,  aux  Archives  de  l'Etat,  deux  lettres  adressées 
dans  ces  circonstances  au  Conseil  de  la  république  par  des  Eglises  fran- 
çaises qui  sollicitaient  de  lui  des  pasteurs. 

L'une  d'elles,  écrite  en  1561,  provient  de  l'Eglise  de  Saint-Christophe, 
en  Touraine.  Trois  ans  auparavant,  d'après  la  liste  de  M.  Archinard,  la 
Touraine  avait  déjà  reçu  de  Genève  quatre  pasteurs. 

La  seconde,  à  la  date  de  1 562,  est  écrite  au  nom  des  «  gouverneur,  consuls 
et  consistoire  »  de  la  ville  devienne,  en  Dauphiné.  Le  pasteur  de  celte  ville 
était  alors  Christophe  Libertet,  surnommé  Fabri  (1),  qui,  précédemment 
réfugié  en  Suisse,  avait  tour  à  tour  exercé  son  ministère  à  Neuchâtel,  à 
Genève  et  à  Thonon,  puis  était  rentré  une  seconde  fois  au  service  de  l'Eglise 
neuchâleloise.  Cette  circonstance  explique  comment  les  Eglises  du  Dau- 
phiné, qui,  l'année  précédente,  avaient  été  fondées  par  Farel  lui-même, 
eurent  l'idée  de  députera  Berne  le  pasteur  Fabri,  accompagné  d'un  membre 
laïque  du  consistoire  de  Vienne,  pour  solliciter  le  concours  du  gouverne- 
ment bernois.  La  demande  que  ces  délégués  étaient  chargés  de  présenter 
atteste  d'une  manière  très  intéressante  le  zèle  des  nouveaux  protestants  du 
Dauphiné,  en  même  temps  que  les  rapides  progrès  de  la  Réforme  dans  leur 

(1)  Ou  peut-être  Fabri,  surnommé  Libertat,  comme  incline  à  le  croire  M.  Puy- 
roclie,  dans  sa  liste  des  pasteurs  de  l'Epflise  de  Lyon  [Bulletin,  XII,  483).  M.  Puy- 
roche  apiiuie  sa  supposition  sur  le  fait  que  ce  personnage  «  signe  toujours  Ch.  Fa- 
bry,  et  jamais  Libtrtat.»  11  existe  cependant  aux  archives  de  Lausanne  une  lettre 
des  ministres  de  Thonon,  dont  l'honorable  pasteur  de  Lyon  n'a  évidemment  pas 
eu  connaissance,  et  dans  laquelle  Fabri  a  signé  Christophe  Libertet.  Ceci  prouve- 
rait que  le  nom  de  Libertat,  que  lui  donne  la  France  protestante  ,  n'est  pas  par- 
faitement exact. 


128  l'église    de    SAINT-CHKISTOPHE,    EN    TOURAINE. 

province.  L'Eglise  de  Vienne  ne  réclamait,  en  effet,  rien  moins  que  l'envoi 
d'une  douzaine  de  ministres!  Il  devait  être  bien  difficile  aux  Bernois  de 
répondre  à  une  pareille  demande  selon  les  vœux  de  ceux  qui  l'adressaient,  et 
nous  ignorons  dans  quelle  mesure  ils  purent  les  satisfaire;  mais  ce  que 
nous  savons,  d'après  les  documents  insérés  il  y  a  quelques  mois  dans  le 
Bulletin  (XII,  349  et  suiv.),  par  M.  le  pasteur  Gagnebin,  c'est  que  Fabri, 
pendant  son  voyage  en  Suisse,  se  rendit  aussi  à  Neuchâtel,  et  que  son  sé- 
jour dans  cette  ville  fut  loin  d'être  infructueux,  car  le  député  dauphinois 
put  repartir  pour  sa  province,  emmenant  avec  lui  cinq  ministres,  tous 
Français. 

Th.  Clapariîde. 
Genève,  23  juin  1864. 

I.  A  très  magnifîcques  redoublez  Seigneurs  et  Princes  de  Berne,  salut. 

Très  honnorez  seigneurs,  il  vous  a  pieu  permectre  à  M^  Estienne 
de  Longueville,  natif  de  ce  pays  et  duché  de  Touraine,  votre  mi- 
nistre es  paroisses  de  Prevessay  (Prevessin)  etOrnay  en  votre  baron - 
nye  et  balliage  de  Ges  (Gex),  s'envenir  par  deçà  pour  troys  ou  quatre 
moys,  pour  le  recouvrement  de  son  bien.  Lequel,  pour  le  grand  be- 
soing  que  avons  en  ces  pays  des  personnes  de  sa  voccation,  avons 
requis  s'employer  à  nous  instruyre  et  enseigner  la  Parolle  de  Dieu,  ce 
qu'il  a  voluntiers  faict;  toutcsfoys  ne  nous  a  vouUu  promectre  pour 
l'advenir  sans  votre  congé  et  permission,  acfendu  l'obéissance  qu'il 
vous  doibt.  Pour  à  quoy  obeyr  avons  envoyé  ce  porteur,  ancien  de 
notre  Eglize,  vers  Vos  Majestez  pour  vous  supplier  liunibloment  nous 
faire  ce  bien  et  faveur  nous  délaisser  et  admettre  pour  l'advenir  le- 
dicl  de  Longueville  pour  nous  servir  de  pasteur  comme  il  a  com- 
mencé, attendu  la  nécessité  qu'en  avons,  considéré  aussi  son  aage  et 
que  dilficilement  pouroyt  faire  retour  sans  grande  maladye.  Et  vous 
nous  obligerez  à  jamays  à  prier  notre  Dieu  vous  augmenter  ses  grâces 
et  vous  maintenir  on  vos  seigneuries  et  principaultez. 

ASainct-Christoflc  ce(piii)zicsme  jour  de  septembre  V  LXI  (1561). 
Vos  très  humbles  serviteurs  pour  jamays. 
Les  habitans  de  la  ville  de  Sainct-Christofle  en  Touraine. 
Mesnagis.  VoYsiN,  pour  tous. 

11.  A  très  illustres  Seigneurs  iiiesseyneurslesAdvoiicrs  et  Petit  Conseil 
de  lierne,  à  Berne. 

Très  illustres  seigneurs,  puysqu'il  a  i)leu  à  ce  bon  Dieu  de  nous 


POESIES  DE  GEOKGETTE  DE  MONTENAY.  120 

faire  inesine  grâce  et  faveur  que  dès  longtemps  il  vous  a  faict,  asça- 
voir  de  chasser  lidolàtrie  d'entre  nous  en  estabiissant  son  vray  et 
pur  service  par  la  prédication  évangclique,  nous  sommes  estez  con- 
traincts  de  recourir  à  Voz  Excellences  pour  obtenir  de  votre  libéra- 
lité et  grâce  distribution  d'une  dozayae  de  ministres  pour  consoler 
et  instruire  ung  grand  nombre  de  peuple  aujourd'hui  privé  de  toute 
religion,  ainsi  que  plus  amplement  vous  feront  entendre  maistre 
Christofle  Fabri,  notre  fidèle  ministre,  et  Estienne  de  Prat,  notre 
advocat  au  Consistoire,  que  nous  vous  avons  e.xpresséiîicut  envoyés 
pour  vous  supplier  comme  très  affectueusement  nous  vous  supplions, 
au  nom  de  ce  bon  Dieu,  qu'il  vous  plaise  voloir  ayder  en  ceste  nostre 
tant  grande  nécessité  digne  de  comisération  chrestienne  et,  en  ce, 
croire  les  pasteurs  comme  nous-mesmes,  priants  icelluy  bon  Dieu, 
Messeigneurs,  vous  avoir  et  tenir  en  sa  saincte  garde.  De  Vienne  en 
Daulphiné  ce  dixiesme  de  juliet  1562. 

Vos  très  humbles  frères  et  serviteurs  en  notre  Segneur, 
Le  gouverneur,  consuls  et  consistoire. 

F.  Benyn.  Cabet,  secret,  du  Consist.  de  Vienne. 


POESIES  DE  GEQRGETTE  DE  fflONTENH 

FILLE    d'hONNP:UR  DE   JEANNE   d'aLBRET. 

«  On  ignore,  dit  la  France  protestante,  les  particularités  de  la  vie  de 
Georgette  de  Montenay,  fille  d'honneur  de  Jeanne  d'Albret.  »  Ce  qui  nous 
a  transmis  son  nonfi,  c'est  qu'elle  fut  poëte  et  publia,  en  1571,  des  Em- 
blesmes  chrestlens,  à  l'imitaiion  des  Emblèmes  d'Alciat,  qui  étaient  alors  en 
^'rande  vogue,  et  l'édition  originale  donnée  par  J.  Marcorelle,  l'imprimeur 
de  Lyon  que  la  Saint-Barthélémy  força,  l'année  suivante,  à  se  réfugier  à 
Genève,  est  illustrée  de  figures  dues  à  Woeiriot,  le  célèbre  graveur  lor- 
rain (1).  Nous  reproduisons  ici  sa  dédicace  et  son  Avis  aux  lecteurs  : 

(1)  Voici  l'article  de  Bninet  : 

1"  Emhlesmes  ou  Devises  cltrestiennes,  composées  par  Damoiselle  Georgette  de 
Montenay.  Lyon,  par  Jean  Marcorelle,  '[SU,  pet.  in-4",  (Ce  volume  est  curieux 
à  cause  des  iig.  de  Pierre  Woeiriot  dont  il  est  orné.  Il  se  compose  de  8  IL  pré- 
lim.,  de  100  ff.,  contenant  autant  de  gravures  en  taille-douce,  avec  un  huilain 
au  bas  de  chacune,  et  de  8  autres  if.  non  ciiifTrés.) 

2"  Georgi.€  i\Iontan.€  emblematum  christianor.  Centuria  versibus  galticis,  cum 

xiii.  —  9 


130  POÉSIES   DE    GEOKGETTE    DE   MONTENAY. 

A  très  illustre  et  vertueuse  princesse,  Madame  Jeanne  d'Albret, 

reine  de  Navarre, 

Geoi'gette  de  Montenay,  humble  salut. 

En  rougissant,  voire  et  tremblant  de  crainte 
De  ne  pouvoir  venir  à  mon  atteinte. 
Je  pren  en  main  la  plume  pour  escrire 
Ce  que  ne  peux  assez  penser  ne  dire  : 
Dont  me  voy  près  d'une  juste  reprise. 
Si  je  poursuy  si  hauteine  entreprise. 
De  commencer  et  ne  parfaire  point. 
Il  est  meilleur  de  ne  s'en  mesler  point  : 
Dira  quelcun  plus  que  moy  avisé  ; 
Mais  bon  vouloir  n'est  jamais  raesprisé, 
Combien  qu'il  soit  tant  seulement  utile 
Lors  que  l'effect  luy  est  rendu  facile. 
Regardant  donc  ma  foible  petitesse. 
Et  l'approchant  de  la  haute  hautesse 
De  voz  vertus  (ô  Princesse  bien  née), 
Je  per  le  cœur,  ma  Muse  est  estonnée, 
Combien  que  j'ay  la  plume  encor  en  main. 
Mais  pour  tel  faict  travailleroit  en  vain  : 
Car  beaucoup  moins  voz  vertus  immortelles 
Pourrois  nombrer  que  du  ciel  les  estoilles. 
Par  force  donc  suis  contrainte  me  taire, 
Pour  n'estre  pas  ditte  trop  téméraire, 

earumdem  latina  interpretatione,  Tiguri,  Christ,  Froschavet-us,  1584,  in-4",  fig. 
(Il  existe  des  exempl.  de  la  nièniR  éd.  portant  au  titre  :  A  La  Rochelle,  chez 
Jean  Dinet,  1620.  C'est  un  titre  rajeuni  de  i'édit.  de  1571.  L'extrait  du  Privi- 
lège ne  s'y  trouve  pas  réiiuprinié.  -  11  y  a  une  édil.  de  Heidelberg,  Joan.  Lan- 
ceilot,  1602,  faite,  comme  celle  de  1584,  avec  les  planches  de  l'éd.  de  1571,  dont 
on  avait  eflacé  la  marque  de  Woeiriot  (la  croix  de  Lorraine  surmontt'e  de 
l'initiale  W.)  Dans  les  dernières  (!'dilions,  les  Kmblèmes  .sont  suivis  de  plusieurs 
pièces  de  vers  français  qui  ne  se  trouvent  pas  dans  la  première.  Plusieurs  de 
ces  (liéces  sont  adressi''cs  à  la  reine  de  Navaire  et  ù  M.  de  La  Gaze. 

3"  LiviiE  d'aumoiiues  en  si'jne  de  fraternité ,  contenant  cent  comparaisons  de 
vertus  et  emLlcstnes  clirestiens,  ar/encés  et  ornés  de  belles  fioures  gravées  en  cadre, 
premièrement  dériipts  en  langue  française  par  (ianinisellc  (ïKoiuiETTE  de  Mon- 
tenay, mats  à  présent  r'uugmentés  de  vers  latins,  espagnols,  italiens,  allemands, 
anglais  et  flamands.  Imprimés  es  frais  de  J.-Clt.  Vinclœt,  à  Francfort  an  Mayn 
(sic),  1619,  in-8",  fi^'.  (Le  titre  lalm  porte  :  Monumenta  emblematum  christia- 
rtarum  virtutum.) 


POÉSIES  DE  GEORGETTE  DE  MONTENAY.  131 

Laissant  traitter  voz  vertus  magnifiques 
Aux  excellens  poètes  angéliques. 
Qui  toutes  fois  n'ont  pas  meilleur  vouloir  : 
Mais  trop  je  son  débile  mon  pouvoir. 
Ce  néantmoins  tant  que  vive  ferai, 
Par  mes  escrits  en  vers  confesserai 
Que  l'Immortel  de  vous  faisant  son  temple 
Vous  façonna  pour  estre  à  tous  exemple. 
Et  vrai  pourtraict  de  son  image  saincte 
Que  l'on  contemple  en  révérence  et  crainte. 
Il  n'a  voulu  d'un  seul  don  vous  pourvoir, 
En  vous  faisant  Reine  de  grand  pouvoir, 
Acquéru'  los,  voire  plus  haut  qu'en  terre  : 
Mais  a  rempli  vostre  vase  de  terre 
De  ses  trésors  en  nombre  non  nombrable  : 
Et  c'est  ceci  que  je  tien  admirable, 
Recognoissant  ce  qui  en  vous  reluit 
N'estre  de  vous,  ains  de  Dieu  qui  y  mit 
Une  foi  vive  qu'en  vous  il  a  plantée 
Pour  par  icelle  en  son  fds  estre  entée, 
Comme  les  fruicts  en  rendent  tesmoignage, 
Quand  avez  fait  que  maint  bon  personnage 
Est  recuilli  doucement  en  vos  terres, 
Et  les  Chrcstiens  recevez  de  bon  vueil. 
C'est  au  seul  Christ  que  faites  tel  acueil. 
Car  quand  les  Rois  ne  les  peuvent  souffrir. 
Vous  leur  venez  biens  et  païs  offrir. 
Voire  à  celui  lequel  à  Christ  s'avoue, 
Sans  s'espargner.  Donc  force  est  que  j'avoue 
Que  l'Eternel  en  vous  a  fait  merveille  ? 
Dames  voyez,  chascune  se  recueille 
Pour  contempler  enjoye  et  en  liesse 
Les  faitz  de  Dieu  envers  une  princesse. 
Veuillez  de  cueur  ses  grâces  recognoître, 
Et  ainsi  qu'elle  il  vous  fera  renaître 
En  sainteté,  justice,  et  cueur  humain. 
Car  tous  ces  dons  sont  toujours  en  sa  main 
Pour  sur  les  siens  par  son  Fils  les  espandre. 


132  POÉSIES  DE  GEOKGETTE  DE  MONTENAY. 

D'autre  costé  ne  vous  faut  rien  attendre. 

Ce  n'est  qu'abus,  mensonge,  tromperies, 

Où  nous  avons  trop  noz  âmes  nourries. 

Ne  souffrez  plus,  damoiselles  gentiles. 

L'esprit  rené  vaquer  à  choses  viles  : 

Ains  employez-l'à  méditer  les  faits. 

Et  faire  escrits  de  cil  qui  nous  a  faits, 

Et  qui  nous  veut  à  lui  par  Christ  unir. 

Si  nous  voulons  à  lui  par  foy  venir. 

Or  quant  à  moy  (Princesse)  j'ay  courage 

Vous  présenter  ce  mien  petit  ouvrage  : 

Et  craindrois  fort  devarit  vous  l'approcher 

S'il  vous  plaisoit  le  voir  et  éplucher 

Au  grand  midi  de  vostre  œil  cler-voyant, 

Soit  demi-clos  plustost  humiliant 

Pour  regarder  chose  si  mal  limée. 

Mal  à  propos  et  sottement  rimée. 

Encor  à  vous  les  fautes  paroislront 

Qu'au  plus  beau  jour  autres  ne  cognoistront. 

Vostre  bonté  mon  imperfection 

Couvre,  en  prenant  ma  bonne  atfection. 

Car  s'y  j'enten  qu'y  ayez  pris  plaisir, 

Lorssentiray  m'accroistre  le  désir 

De  travailler  à  quelque  autre  œuvre  faire 

Qui  vous  pourra  plus  que  ceste-cy  plaire. 

Que  j'en  trepren  non  par  témérité. 

Mais  pour  fuyr  maudite  oisiveté, 

Qui  de  tout  vice  est  la  droite  nourrice. 

Pensant  aussi  qu'il  sera  bien  propice 

A  mainte  honneste  et  dame  etdamoiselle 

Touchées  au  cœur  d'amour  saint  et  de  zèle, 

Qui  le  voyans  voudront  faire  de  mesmes, 

Ou  quelque  autic  œuvre  à  leur  gré  plusqu'Emhlestnes  : 

Que  toutes  fois  pourront  accomnioder 

A  leurs  maisons,  aux  nienbles  s'en  aider, 

Remémorans  toujours  quelque  passage 

Du  saint  escrit  bien  propre  à  leur  usage. 

Dont  le  Seigneur  sera  glorifié. 


POÉSIES    DE    GEORGETTE   DE    MONTENAY.  133 

Et  cependant  quelcun  édifié. 

Mais  quant  à  vous  (las,  ma  Dame)  je  n'ose 

Vous  dire  rien  de  si  petite  chose. 

Petit,  je  dy,  ce  qui  est  de  ma  part  : 

Grand  en  cela  qui  vient  d'où  le  bien  part. 

Si  vous  sentez  qu'il  gratte  trop  la  rongne 

A  qui  a  tort,  contre  Vérité  grongne, 

Pardonnez-moy  :  le  temps  le  veut  ainsi. 

Et  vérité  m'y  a  contrainte  aussi. 

Car  ce  fol  monde  ignorant  se  consomme. 

Et  ne  se  veut  point  reveiller  nostre  homme. 

Doncques  afin  que  nous  le  réveillons. 

Ces  cent  pourtraitz  serviront  d'aiguillons 

Pour  reveiller  la  dure  lascheté 

Des  endormis  en  leur  lasciveté. 

Alciat  feit  des  Emblesmes  exquis, 

Lesquels  voyant  de  plusieurs  requis. 

Désir  me  prit  de  commencer  les  miens. 

Lesquels  je  croy  estre  premier  chrestiens. 

11  est  besoin  chercher  de  tous  costés 

De  l'appétit  pour  ces  gens  dégoustés  : 

L'un  attiré  sera  par  la  peinture. 

L'autre  y  joindra  pœsie,  et  escriture. 

Ce  qu'imprimé  sera  sous  vostre  nom. 

Lui  donnera  bon  bruit  et  bon  renom. 

Or  tout  le  but  fin  où  j'ay  pensé 

C'est  le  désir  seul  de  veoir  avancé 

Du  Fils  de  Dieu  le  règne  florissant. 

Et  veoir  tout  peuple  à  luy  obéissant  : 

Que  Dieu  soit  tout  en  tous  seul  adoré, 

Et  l'Antéchrist  des  enfers  dévoré. 

Et  vous  (ma  Dame)  en  qui  tout  bien  abonde. 

Miroir  luisant  et  perle  de  ce  monde. 

Qui  me  daignez  faire  si  grand  honneur, 

Que  recevoir  ce  mien  petit  labeur, 

Conibien  que  soit  de  voz  grandeurs  indigne, 

Est  de  l'honneur  et  service  le  signe 

Que  je  vous  doy,  et  préteii  de  vous  rendre 


135.  POÉSIES    DE    GEORGF.TTE   DE    MONTENAT. 

Toutes  les  fois  qu'il  vous  plaira  le  prendre, 
•  Je  ne  puis  rien  augmenter  par  prière 
Vostre  grandeur  et  vertu  singulière. 
Vous  devez  donc  en  toute  obéissance 
Vous  contenter  de  Christ,  qui  jouissance 
De  ses  trésors  vous  a  voulu  donner, 
Lesquelz  n'avez  voulu  abandonner. 
Je  requier  donc,  pour  fin  de  ce  propos. 
Qu'après  voz  jours  entriez  au  vrai  repos. 
Vostre  très  humble  et  très  obéissante 
Subjette,  vraye  et  fidèle  servante 
Que  de  nommer  honte  n'ai/, 

Georgette  de  Montenay. 

AUX  LECTEURS. 

Amis  lecteurs,  je  ne  prendray  grand  peine  . 
Pour  excuser  ma  rude  et  sotte  veine, 
Sachant  que  ceux  qui  ont  cœur  vertueux 
Ne  me  voudront  estre  si  rigoureux 
De  n'excuser  le  sexe  féminin, 
D'un  cœur  courtois  et  d'un  vouloir  bénin. 
Mais  ceux  qui  sont  plus  ami  d'ignorance 
Que  de  vertu  et  de  vraye  science, 
Je  voy  desjà  de  cœurs  envenimez 
Jetter  sur  moy  leurs  charbons  allumez. 
Mais  j'ay  espoir  que  leurs  brocards  et  rage 
Ne  me  feront  au(;un  mal  ne  dommage, 
Et  ne  pourra  leur  malice  engarder 
Le  simple  et  doux  de  lire  et  regarder  : 
Voire  en  notant  d'esprit  gentil  et  fin 
De  chasqu'Emblesme  et  le  but  et  la  fin. 
(',('  qu'ayant  veu,  il  lui  sera  notoire 
Que  je  iKî  (juicr  ([uc  du  s(!ul  Dieu  la  gloire. 
Je  say  aussi  (jue  piiisii'urs  voudront  faire 
Ainsi  qu'aucuns,  desciuels  ne  me  vueil  taire. 
Qui  vont  ouyr,  se  disent-ils,  le  presche. 
Mais  plustost  vont  lAclier  leur  langue  frescbe. 
Pour  déeliitl'rer  l'un  l'antre  à  (pn  mieux  mieux. 
L'un  dit  ainsi  :  Le  prcscheui'  chisl  les  yeux. 


POÉSIES  DE  GEORGETTE  DE  MONTENAY.  135 

L'autre  les  ouvre,  ou  fait  semblant  de  choir; 
L'autre  dit  bien,  mais  il  crache  au  mouchoir; 
L'un  bransle  trop  le  col,  l'autre  la  main. 
Pour  telles  gens  l'on  se  travaille  en  vain, 
Le  sainct  parler  ne  leur  bat  que  l'oreille, 
Endurcissant  leurs  cœurs  gros  à  merveille. 
Je  m'atten  bien  que  de  mesme  feront 
Quand  ces  cbrestiens  Emblesmes  ils  liront, 
Comme  desj;\  j'ay  veu  en  ma  présence 
Que,  sans  avoir  égard  à  la  sentence, 
L'un  une  mine  ou  quelque  chappeau  note 
Qui  seroit  mieux  faict  à  la  huguenotte  ; 
L'autre  me  dit,  que  pour  vray  amour  feindre. 
Ne  le  devois  en  ceste  sorte  peindre. 
J'y  consen  bien  ;  mais  cestuy  ancien 
Tiendra  ce  lieu  tant  qu'aye  veu  le  sien. 
Je  l'enquis  bien  de  quelqu'autre  manière. 

Mais  sa  response  est  encore  derrière. 

Je  say  qu'aucuns  entre  les  anciens 

Ont  figuré  amour  par  des  liens  : 

Mais  en  ceci  il  n'eust  pas  convenu, 

Puis  que  tout  est  par  amour  soustenu. 

Il  faut  qu'il  ait  mains  pour  tout  soustenir  : 

Non  pas  qu'il  fale  à  telle  erreur  venir. 

Dire  que  Dieu  ait  mains,  ni  corps  aussi. 

Dieu  est  esprit  qu'on  ne  peut  peindre  icy. 

Ce  vray  amour,  ou  charité  en  somme, 

Que  Dieu  aussi  saint  Jean  proprement  nomme. 

C'est  cestuy-là,  duquel  j'enten  parler, 

Non  Cupido,  qu'on  veut  faire  voler; 

Cest  amour  tient  le  monde  en  sa  puissance. 

Et  conduit  tout  par  sa  grand'  providence. 

Or  volontiers  prendray  correction 

Des  vertueux  pour  l'imperfection 

Qu'en  ce  livret  et  autres  œuvres  miennes 

Se  trouveront,  fors  des  œuvres  clirestiennes 

Qui  bon  accord  auront  et  convenance, 
Aux  Livres  saincts,  de  Dieu  la  sapience. 
Je  ne  pensois,  quand  j'enlreprin  d'escrire, 
Que  jusqu'à  vous  il  parvinst  pour  le  lire, 
Ains  seulement  estoit  pour  ma  maison  : 


136  PROCÉDURES    CONTRE   JÉRÉMIE   FERHIER. 

Mais  on  me  dit  que  ce  u'estoit  raison, 
Ainsi  cacher  le  lalcnt  du  Seigneur, 
Qui  m'en  estoit  très  lil)eral  donneur. 
Ainsi  conclu,  crainte  chasser  à  part, 
Et  vous  en  faire  à  tous  comme  à  moi  pari 
Vous  suppliant,  si  rien  vous  y  trouvez 
Oui  ne  soit  bon,  que  ne  le  recevez, 
Et  m'excuser  en  fin.  Or,  pour  à  Dieu. 
Prenez  le  bon,  donnez  la  gloire  à  Dieu. 


PROCÉDURES  CONTRE  JÊRÉRIIE  FERRIER. 

1613. 

Nous  devons  la  communication  de  ces  documents  à  M.  Raoul  de  Cazi>- 
nove,  qui  les  a  tirés  d'un  manuscrit  in-folio  contenant  une  copie  des  Actes 
des  synodes,  avec  leur  suite  depuis  le  4*^  jusqu'au  25'^,  et  qui  paraît  daier 
de  IfiSO  à  1640.  Aymon  n'a  pas  donné  ces  pièces  qui  s'ont  sans  doute  iné- 
dites. 

Acte  de  déclaration  dn  sieur  Ferrier. 

Messieurs,  je  vous  remercie  très  humblement  de  l'honneur  qu'il 
vous  a  pieu  me  faire  de  m'appeller  en  cette  compagnie,  à  laquelle 
je  sçay  le  respect  que  je  dois,  et  les  obligations  que  je  lui  ay  de  long- 
temps. Je  vous  en  remercie  d'autant  plus  humblement  et  avec  le 
plus  de  respect  que  je  puis,  voyant  que  c'est  pour  me  parler  d'un 
arest  qu'il  a  pieu  au  Roy  et  à  la  Reyne  régente  sa  mère,  faire  donner 
en  leur  conseil  pour  moi  et  en  ma  faveur;  la  chose  du  monde  qui  se- 
roit  le  plus  au  jirc  de  plusieurs,  s'ils  estoient  en  ma  place,  en  laquelle 
je  le  dis  sincèrement  et  avec  toute  révérence  néantmoings,  m'afflige 
moy  extrêmement;  c'est  le  plus  grand  bien  et  honneur  qui  me  pour- 
roit  arriver  en  l'affliction  que  le  publiq  m'a  causée,  et  la  plus  grande 
gloire  d'un  subjet  fidelle  et  obéissant  que  de  se  voir  au  souvenir  de 
son  prince  souverain  et  de  ses  principaux  ministres.  J'advoue  fran- 
chement que  je  ne  suis  pas  digne  (juc  le  conseil  du  Koy  sache  seule- 
ment mon  nom;  mais,  Messieurs,  pour  Dieu,  considérez  qui  je  suis, 
quelle  est  ma  profession,  et  quel  est  le  siècle  auquel  nous  vivons, 
plus  enclin  aux  mauvaises  interprélationsqu'à  bien  estimer  desactions 


PROCÉDURES    CONTIVE   JÉrÉMIE   FERRIER.  137 

les  plus  justes  :  je  ne  diray  rien  des  bruits  qu'on  a  fait  courir  déjà, 
qui  vous  sont  cognus  mieux  qu'à  moy,  et  desquels  je  lis  en  vos 
faces  que  vous  estes  desplaisans.  La  prudence  et  la  charité  qui  lie 
les  chrestiens  les  uns  aux  autres,  obligent  à  taire  et  supprimer  les 
choses  qu'on  ne  peut  oppoincter  et  qui  s'empirent  par  le  récit.  Aussy 
j'aime  mieux  tout  oublier  que  de  vous  faire  aucune  plainte.  Je  suis 
donc  pressé  de  deux  choses  et  grandement,  le  respect  que  je  dois  à 
Leurs  Majestés,  l'obéissance  et  la  très  fidelle  subjection  que  la  nature 
et  la  religion  chrestienne  nous  enseignent,  l'obligation  particulière 
que  je  leur  ay  d'avoir  voulu  jetter  les  yeux  sur  moi,  lorsque  les 
bruits  divers  respandus  partout  à  mon  déshonneur,  m'avoient  fait 
pareil  à  un  arbre  abatu  de  la  foudre,  auquel  il  ne  reste  plus  que  le 
tronc,  m'obligeroient  à  dire  simplement,  Messieurs  :  Faittes  votre 
charge,  le  Roy  veut  et  son  conseil  a  prononcé  que  je  continue  la 
mienne.  Je  le  feray,  je  n'entreprends  pas  de  monstrer  la  justice  de 
l'arest,  la  bienveillance  de  Leurs  Majestés,  qui  est  témoignée  aux 
termes  d'icelluy  à  tous  ceux  de  la  religion.  Je  ne  suis  pas  pour  parler 
des  choses  qui  sont  par-dessus  moy,  pour  peindre  comme  on  dit  le 
soleil  avec  le  charbon,  je  vois  les  apréhensions  qu'auront  plusieurs 
que  ce  ne  soit  chose  préjudiciable  à  la  liberté  des  compagnies  ecclé- 
siastiques, et  que  ce  ne  soit  faire  une  brèche  irréparable  sur  l'ordre 
du  ministère,  si  la  main  souveraine  s'estend  sur  ses  arests.  J'ay  fait 
cette  charge,  moi  indigne,  dix-neuf  années  entières  à  peu  près(l),  et 
l'ay  aprinse  de  mon  père  et  ayeul  qui  sont  morts  en  la  faisant;  j'ai- 
meray  mieux  estre  mort  que  de  lui  causer  aucun  préjudice,  c'est 
pourquoy  je  vous  supplie  très  humblement  et  à  mains  jointes  vou- 
loir sursoir  à  l'exécution  de  cet  arrest.  Je  suis  résolu  de  vivre  et 
mourir  en  l'obéissance  du  Roy  et  de  mes  supérieurs  ecclésiastiques; 
c'est  pourquoy  j'ay  fait  dessein  dans  deux  jours  pour  le  plus  tard 
partir  d'icy,  pour  m'aler  jetter  aux  pieds  de  Leurs  Majestés,  et  les 
supplier  très  humblement  et  avec  larmes  de  ne  vouloir  plus  ample- 
ment presser  cette  affaire.  Quand  le  synode  passé  m'auroit  arraché 
les  yeux,  et  que  le  prochain  me  debvroit  couper  la  langue,  j'ayme 
mieux  le  souffrir  patiemment  que  de  causer  des  importunitez  à  Leurs 
Majestés,  que  de  faire  parler  de  ceste  ville  autrement  qu'il  n'en  a 

(1)  Tout  ce  qui  précède  est  écrit  sans  pagination  ;  ce  qui  suit  est,  dans  le  ma- 
nuscrit, d'une  autre  main,  et  la  pagination  commence,  en  haut  du  feuillet^  par 
le  chiffre  34,  ot  par  ces  mots  :  Ef  Vay  aprinse  de  mon  père... 


138  PROCEDURES    CONTRE   JÉrÉMIE   FERRIER. 

esté  parlé  jusques  à  cette  heure,  que  d'occasionner  aucun  préjudice 
à  ma  religion.  Quand  au  synode  teneu  à  Florac,  le  tonnerre  duquel 
la  foudre  m'a  touché  à  Privas,  commença  à  gronder  contre  moy,  je 
leur  escrivisque  syestoit  crime  d'estre  serviteur  du  Roy,  et  que  pour 
cela  il  leur  print  l'envie  à  présent  où  pour  l'advenir  de  me  faire  du 
mal  en  mesme  termes  :  Habetis  obvium  pectus,  acciptamvulnus  neque 
obligubo,  mon  sein  recevra  volontiers  le  coup,  et  je  ne  daigneray  pas 
mesme  de  mettre  bandeau  sur  ma  playe.  Il  faut  que  je  tienne  pa- 
rolle,  il  a  pieu  au  roy  de  la  vouloir  faire  sécher  par  un  arrest  qui 
est  entre  vos  mains.  Je  vous  supplie.  Messieurs,  suspendez-le,  afin 
que  ma  playe  demeure  ouverte,  et  que  je  ne  sois  trouvé  menteur,  et 
puisque  j'ay  l'honneur  d'estre  veu  et  appelle  par  les  gens  de  bien, 
le  martyr  de  la  paix,  je  vous  prie  qu'à  mon  occasion  il  n'y  ayt  point 
de  trouble;  je  suis  aux  termes  d'une  obéissance  irréprochable,  il 
m'est  enjoinct  de  ne  prescher  point  après  que  mon  ordonnance  me 
sera  signifiée.  Elle  l'a  esté  sans  commission  par  un  jeune  homme 
mon  collègue,  et  mon  escolier  autrefois.  J'ay  acquiescé  et  me  suis 
teu  du  despuis;  en  outre,  il  m'est  ordonné  en  cas  que  je  n'aille  à  Mon- 
télimard,  d'estre  suspendu  de  ma  charge  jusqu'au  prochain  national  : 
je  ne  puis  accepter  la  peine  d'aller,  qui  m'est  imposée  hors  ceste 
province,  sans  advouer  la  coulpe  qui  m'est  mise  sus,  sur  des  om- 
brages soupçons  et  noises  qui  sont  les  termes  de  ma  sentence,  coulpe 
que  je  ne  puis  advouer  sans  desmentir  ce  que  la  nature,  la  chres- 
tienté,  et  ma  profession  m'ont  enseigné.  Sur  quoy  je  ne  veux  ny  ne 
puism'estendre  plus  avant,  désirant  de  tout  mon  cœur  qu'au  prix  de 
ma  vie  la  mémoire  soit  à  jamais  esteinte  de  tout  ce  qui  peut  appro- 
cher d'aparence et  Dieu  veuille  pour  jamais  en  oster  le  souvenir. 

C'est  l'autre  partie  de  la  sentence  qui  est  ma  suspension;  j'y  aquiesce 
avant  le  terme  qui  ne  m'exclud  qu'au  quatriesme  d'aoust,  atendant 
que  Dieu  mettra  en  l'esprit  des  juges  ecclésiastiques,  mes  juges  na- 
turels, le  désir  de  réparer  le  tort  qui  m'a  esté  fait,  à  quoy  je  ne  dé- 
sireray  jamais.  Dieu  m'en  est  témoin,  de  parvenir  que  par  les  voyes 
justes  ordinaires  ecclésiastiques  et  de  la  discipline  de  l'Eglise  ré- 
formée de  France,  lesquelles  j'espère,  si  Dieu  le  vt-ult,  de  suivre  avec 
telle  humilité,  que  ceux  qui  m'ont  voulu  faire  du  mal,  en  seront 
grandement  desplaisans.  Messieurs,  je  vous  supplie  très  humblement 
m'en  octroyer  acte  qui  témoigne  à  M.  Montolin  à  Lyon,  lequel  j'ay 
aprins  avoir  des  commandemcns  du  Iloy  sur  ce  subject  que  vous 


PROCÉDURES  CONTRE  JÉrÉMIE  FERRIER.  139 

avez  jugé  sur  ma  très  humble  prière  et  remonstrance,  que  le  service 
du  Roy  et  la  tranquilité  publique  requièrent  que  cette  affaire  soit 
purement  et  simplement  laissée  en  la  cognoissance  des  juges  ecclé- 
siastiques. Messieurs,  il  n'y  a  que  moi  qui  en  souffre.  Je  vous  prie, 
au  nom  de  Dieu,  que  j'endure  plus  que  leurs  plus  patronnés  ne  sçau- 
roient  désirer  ny  procurer,  pourvue  que  Leurs  Majestés  ne  soient 
importunées  d'aucune  plainte,  et  que  je  ne  sois  point  cause  d'aucun 
préjudice  à  ma  religion,  que  je  désire  de  servir  jusques  à  la  mort. 

Procédure  du  colloque  de  Lyon  dans  l'affaire  du  sieur  Ferrier. 

Au  nom  de  Dieu  et  à  l'édification  de  son  Eglise, 

Nous  Anthoine  le  Blanc,  pasteur  de  l'Eglise  de  Lyon,  et  Jean- 
Rabuel,  ancien  de  l'Eglise  de  Bourg,  certifions  à  vous.  Messieurs  les 
pasteurs  et  anciens  des  Eglises  du  colloque  du  Lionois,  que  suyvant 
la  charge  qu'il  vous  auroit  pieu  nous  donner  en  vostre  dernier  col- 
loque teneu  à  Ulins,  de  notifier,  tant  au  consistoire  de  l'Eglise  de 
Nismes,  qu'au  sieur  Suffren,  cy-devant  pasteur  en  icelle,  le  juge- 
ment par  vous  donné  contre  eux,  selon  la  charge  qui  vous  estoit 
commise  par  le  synode  national  teneu  à  Privas.  Nous  nous  sommes 
transportés  audit  Nismes,  et  le  lundy  xxvj  aoust  1612,  nous  estant 
adressés  au  sieur  Chambrun,  l'un  des  pasteurs  de  l'Eglise  dudit  lieu, 
luy  avons  fait  entendre  nostre  dépulation,  avons  requis  faire  assem- 
bler le  consistoire  pour  y  représenter  le  faictde  nostre  charge;  mais 
comme  nous  avons  recogneu  que  partie  des  anciens  estoient  absents, 
rnesme  les  principaux,  avons  sursis  l'assemblée  jusqu'au  mercredy 
suivant,  jour  de  consistoire,  et  cependant,  jugeant  qu'il  estoit  expé- 
diant que  fussions  assistés  de  quelques  pasteurs  de  ce  colloque,  et 
veu  mesme  que  par  nos  mémoires  et  instructions,  avions  pouvoir 
faire  assembler  le  colloque  extraordinaireraent,  nous  nous  sommes 
ascheminés  en  lieu  de  Codognan  et  de  Sommières,  vers  les  sieurs 
Bolet  et  Chaune,  pasteur  des  Eglises  desdits  lieux,  qui  ont  assisté 
au  dernier  colloque  de  Nismes,  ledit  sieur  Chaune  comme  modéra- 
teur, et  ledit  sieur  Bolet  recueillant  les  actes.  En  vertu  de  nostre 
commission,  les  avons  requis  de  s'acheminer  avec  nous  audit  Nismes 
pour  nous  assister  en  cette  procédure,  rendre  tesmoignage  de  la  sin- 
cérité et  vérité  d'icelle,  mais  ils  ont  recogneu  leurs  personnes  n'y 
estre  nécessaires,  que  nostre  pouvoir  estoit  suffisant  pour  nous  faire 


liO  PROCÉDURES    CONTRE    JERKHIE    KEKKIER. 

ouïr  dudit  consistoire,  joinct  qu'ils  ont  quelques  considérations  qu'ils 
estiment  les  en  dispenser.  Toutefois,  pour  tesmoigner  l'obéissance 
au  synode  national,  ont  nommé  de  leur  colloque  les  sieurs  Philion 
et  Tortolon,  pasteurs  des  Eglises  de  Ayguevives  et  Calvisson,  des 
plus  anciens  de  leur  colloque  et  personnes  remplies  de  candeur  et 
intégrité.  Lesquels  ils  ont  prié  par  leurs  noms  vouloir  assister  et  afin 
de  tant  mieux  instruire  notre  colloque  de  Lyon  de  la  désobéissance 
faicte  au  synode  national,  tant  par  le  sieur  Ferrier  et  le  sieur  Suffren 
cy-devant  pasteurs  dudit  Nismes,  que  par  le  consistoire  de  Nismes. 
Il  nous  estoit  expédient  d'avoir  extrait  des  actes  de  leur  dernier  col- 
loque en  ce  qui  touche  lesiiils  sieurs  Ferrier,  Suffren  et  consistoire  de 
Nismes.  Lesdits  sieurs  Bolet  et  Chaune  nous  ont  remontré  ne  pou- 
voir remettre  ledit  extraict  sans  que  tout  le  colloque  en  soit  adverty, 
demandant  tant  pour  ce  faire  que  leur  avons  pro...  de  trois  jours  dans 
lesquels  soubs  l'advis  dudit  colloque,  ils  ont  promis  nous  envoyer 
extraict  desdits  actes  en  la  ville  de  Nismes  et  domicilie  dudit  sieur 
Chambrun.  Advenu  ledit  jour  de  mercredy  xxix^  aqust,  lesdits  sieurs 
Philion  et  Tortolon  s'estaiit  rendus  en  cette  ville  de  Nismes,  avons 
repris  le  sieur  Chambrun,  pasteur  susdit,  de  convoquer  le  consis- 
toire et  mesme  d'assigner  ledit  sieur  Suffren,  afin  de  s'y  trouver, 
l'absence  duquel  estant  raporlée,  à  l'heure  du  consistoire,  nous  nous 
sommes  transportés  au  temple,  lieu  ordinaire  du  consistoire,  auquel 
en  présence  des  pasteurs  et  anciens  de  ladite  Eglise  et  desdits  sieurs 
Philion  et  Tortolon,  avons  exposé  le  faictde  nostre  charge,  et  Caict 
lecture  de  l'article  du  colloque  de  Lyon,  ainsy  qu'il  est  cy-après 
contenu. 

(Suit  l'extrait  des  Actes  du  colluque  de  Lyon,  tenu  à  OuUiiis  (Ulins),  le 
23  aoust  1612,  qui  doit  se  trouver  dans  Aymon.) 

E.rtrait  des  actes  du  Consistoife  de  iJùjUse  réformée  de  iXisines,  du 
1^^  jour  du  mois  d'aousf  d6l2. 

Uuy  en  consistoire  les  sieurs  Leblanc,  ])asteur  de  l'Eglise  de  Lyon, 
et  Rabuel,  ancien  de  l'Eglise  de  Bourg,  sur  la  charge  qu'ils  nous  au- 
roient  exposée  avoir  du  colloque  de  Lyon  assemblée  à  Ulins,  le 
xxviij**  jour  du  mois  précédent,  et  veu  l'extrait  des  actes  dudit  col- 
loiiue  cy-dessus  couché,  signé  ;  Rov,  conduisant  l'action,  et  Bonne- 
itoT.  scribe. 


PROCÉDURES  CONTRE  JÉrÉMIE  FERRIER.  14-1 

La  compagnie  du  consistoire,  par  la  bouche  du  sieur  Chambrun, 
l'un  de  ses  pasteurs,  conduisant  l'action,  leur  a  protesté  du  conten- 
tement que  cette  Eglise  auroit  receu  de  leur  arrivée,  tant  en  consi- 
dération de  leurs  qualittés  particulières  que  du  colloque  de  Lyon  qui 
les  a  nommés,  procédant  de  l'authorité  du  synode  national,  lequel 
représentans,  ils  ne  peuvent  que  leur  offrir  toutes  sortes  d'honneurs, 
respect  et  obéissance,  leur  déclarant  en  outre  que  l'acte  dudit  con- 
sistoire sera  mentionné  au  susdit  extrait,  et  tous  autres  actes  qui 
pourroient  avoir  donné  occasion  au  colloque  de  Lyon  de  prononcer 
contre  le  consistoire  de  la  présente  ville  ne  sont  émanés  d'aucun 
dessein  de  contrecarrer,  contredire  ou  esluder  l'ordonnance  du  sy- 
node national,  auquel  ils  protestent  vouloir  rendre  tout  honneur, 
respect  et  obéissance  et  ne  vouloir  en  choses  de  la  foy  et  régime  de 
l'Eglise  despendre  d'autre  authorité  souveraine  que  de  la  sienne,  la- 
quelle ils  recognoissent  estre  de  Dieu,  et  pour  laquelle  maintenir  ils 
protestent  aussi  tant  de  leur  nom  que  de  l'Eglise  de  Nismes  estre 
prêts  d'exposer  leurs  vies  et  biens  soubs  les  édits  de  Sa  Majesté 
autorisant  telles  assemblées  ecclésiastiques  et  synodes  nationaux, 
supplient  par  ainsy  lesdits  sieurs  desputés  de  prier  instannnent 
de  leur  part  le  colloque  de  Lyon,  que  si  la  susdite  déclaration  et 
autres  actes  quels  qu'ils  soient  de  leur  consistoire  se  trouvent  con- 
traires à  la  présente  déclaration  et  jugement  du  synode  national,  il 
leur  plaise,  interprétant  charitablement  leur  intention,  croire  que 
c'est  par  inadvertance  et  non  par  aucune  volonté  de  rébellion  et  de 
contradiction  audit  jugement  du  synode  national,  comme  aussy  ils 
les  ont  priés  d'intercéder  envers  ledit  colloque  de  Lyon  à  ce  qu'il  lui 
plaise  de  traicter  favorablement  le  sieur  Suffren,  un  de  leurs  pas- 
teurs, qu'ils  s'assurent  estre  tout  porté  et  disposé  à  obéissance.  Si- 
gné :  Chamrrun,  conduisant  l'action  ;  Mlrat,  le  Calvières,  diacre  ; 
De  Muntelz,  diacre;  De  Malmont,  diacre;  Rolland,  ancien;  Jiard, 
ancien  ;  Dezard,  ancien  ;  D'Anoine,  ancien;  Aujoin,  ancien;  Le  Bouk, 
ancien;  comme  ancien  et  secrétaire  audit  consisloire,  Donzel. 

Et  parce  que  la  compagnie  nous  auroit  priés  de  patiantèr  et  ar- 
rester  jusqu'au  jeudy  xxx^  aoust,  heure  de  midy,  pour  ouyr  de 
vive  voix  ledit  Suffren,  absent,  et  entendre  de  sa  bouche  la  soub- 
mission  et  obéissance  de  laquelle  la  compagnie  estimoit  que  notre 
colloque  seroit  satisffaict,  advenu  ledit  jour  de  jeudy,  se  seroit  pré- 
senté par-devant  nous  le  sieur  Chiron,  principal  au  collège  de  Nis- 


142  puocÉnuKES  contre  jerémie  ferrier. 

mes,  assisté  de  deux  autres  personnages  qui,  de  la  part  du  sieur 
Suffren,  nous  auroient  produit  et  exhibé  une  lettre  dudit  sieur, 
contenant  un  appel  du  susdit  jugement,  nous  requérant  de  super- 
céder nostre  procédure  et  luy  octroyer  acte  de  la  réception  de 
ladite  lettre  sur  quoy  aurions  dict  que  nous  représenterions  ladite 
lettre  au  consistoire  et  ferions  telles  remontrances  que  nostre  charge 
requiéroit. 

«  Messieurs,  j'ai  appris  comme  votre  colloque  m'a  suspendu  sans 
m'ouyr,  vous  a  desputés  pour  me  signifier  la  sentence  et  procéder  à 
certaines  informations,  les  supérieurs  jugeront  de  l'équité  de  cette 
procédure  et  sentence,  je  vous  déclare  que  j'eft  suis  appelant  au 
prochain  synode  national,  l'appel  est  du  commis  au  commettant, 
suspend  l'exécution  de  la  sentence  et  vous  lie  les  mains,  et  à  vostre 
colloque  qui  ne  procédera  plus  oultre.  Sy  vous  le  faictes,  je  proteste 
d'attentat,  vous  prie  cependant  laisser  dans  le  consistoire  extrait 
signé  de  la  sentence,  cela  ne  me  peult  estre  refusé.  Ce  29*^  aoust 
1612.  Vostre  très  humble  serviteur,  Suffren.  » 

La  susdite  lettre  ayant  esté  leue  et  représentée  au  consistoire  de 
Nismes  en  la  présence  de  nos  desputés,  l'assemblée  du  consistoire  a 
ouy  nostre  proposition  et  faict  la  résolution  ainsy  et  comme  porte 
l'acte  cy-après  inclus. 

Du  jeudy  xxx^^  aoust  1612,  le  consistoire  extraordinairement  as- 
semblé ,  la  prière  faite  par  M.  Chambrun,  conduisant  l'action, 
MM.  Philion  et  Tortolon,  pasteurs  desputés  du  colloque  de  Nismes. 

Se  seroient  présentes  MM,  Le  Blanc,  pasteur  de  l'Eglise  de  Lyon, 
et  Habuel,  ancien  de  l'Eglise  de  Bourg,  qui  auroient  exposé  que  le 
jour  dessus  ils  auroient  esté  priés  par  la  compagnie  du  consistoire 
de  rester  jusqu'aujourd'hui,  heure  de  midy,  pour  ouyr  de  vive  voix 
le  sieur  Sud'ren,  pasteur  de  cette  Eglise,  absent,  et  entendre  de  sa 
bouche  sa  soubmission  et  obéissance  de  la(|uelle  la  compagnie  s'as- 
seuroit  que  lesdits  sieurs  desputés  seroient  satisfaicts.  Les  supplians 

en  outre  d'intercéder  pour  luy  envers  le  colloque  de  Lyon 

Ledit  sieur  SullVen,  au  lieu  de  recognoistre  l'authorité  de  ses 

su|)éricurs  en  la  personne  desdits  sieurs  desputés,  leur  auroit  res- 
pondu  i)ar  ladite  lettre  qu'il  cstoil  appelant  de  l'ordonnance  du  col- 
loque de  Lyoi\...  (U  n'est  i)lus  question  do  Ferrier  dans  la  suite  de 
cette  procédvire,  plus  particulièrement  dirigée  contre  SufTren,  qui 
encourt  le  blàuie  du  consistoire  de  Nîmes,  et,  sommé  à  nouveau  de 


PROCÉDURES   CONTRE    JÉrÉMIE    FERRIER.  l43 

se  présenter  devant  cette  assemblée,  s'enfuit  le  même  jour  à  Saint- 
Gilles.) 

Excommunication  de  Février,  1613.  (Se  trouve  chez  Aymon.) 


Discours  touchant  Fcrrier,  1613. 

Après  avoir  contumace  M.  Ferrier  suivant  l'ordre  et  discipline  de 
l'Eglise  en  suitte  de  la  sentence  donnée  à  Privas  en  l'année  der- 
nière, par  laquelle  ledit  sieur  Ferrier  estoit  pourveu  de  l'Eglise  de 
Montélimar,  n'ayant  jamais  vouleu  acquiescer  à  icelle,  au  contraire 
se  seroit  roidy  contre  tout  ordre^  mesprisé  tant  les  délibérations 
prinses  en  ladite  assemblée  que  la  procédure  faicte  par  le  synode  de 
Lyon  tenu  à  Gotz  [Gex?]. 

Ledit  sieur  Ferrier  se  seroit  venu  rendre  à  Nismes  le  mardi  dix- 
huictième  juin  dernier,  avec  provisions  de  conseiller  au  siège  prési- 
dial  pour  y  estre  receu,  ce  qui  auroit  esté  faict  le  lendemain  xix^ 
sans  aucune  difficulté. 

Tous  les  dimanches,  suivant  les  délibérations  des  Eglises  des  col- 
loques de  Montpellier,  Nismes  et  Usez,  on  auroit  procédé  à  faire 
prières  pour  ledit  Ferrier,  afin  que  Dieu  lui  fist  la  grâce  de  se  ranger 
suivant  l'ordre  et  reprendre  son  ministre,  la  première  fois  fut  appelé 
par  l'advertissement,  la  seconde  par  les  diacres  et  anciens,  la  troi- 
sième par  un  des  pasteurs  accompagné  de  deux  anciens,  n'ayant  ja- 
mais peu  tirer  aucune  bonne  responce  de  luy. 

Le  samedy  xiij*^  juillet,  veille  de  l'excommunication,  MM.  Brunier, 
Sigord,  Olivier,  ministres,  et  deux  anciens,  furent  députés  de  l'as- 
semblée pour  aller  trouver  ledit  sieur  Ferrier  dans  la  chambre  du 
conseil  pour  sçavoir  au  vray  de  luy  s'il  vouloit  reprendre  son  minis- 
tère ou  le  rendre  désert,  avant  que  de  passer  outre. 

Ledit  Ferrier,  au  lieu  de  faire  responce,  se  seroit  mocqué  des  dé- 
putés et  leur  auroit  baillé  certain  dire  par  escript,  disant  que  les 
ministres  n'avoient  point  de  puissance  d'excommunier  un  magistrat, 
et  voyant  le  peu  de  cas  qu'il  faisoit  de  la  discipline  on  auroit  procédé 
à  faire  une  prière  générale  ledit  jour  xiije  extraordinairement,  sur 
le  soir,  chose  qui  portoit  effroy. 


144  PROCÉDIRES    CONTIIE    JÉrÉMIE    FERRIER. 

Le  dimanche  xHij"^  jour  de  juillet,  on  auroit  procédé  à  l'excommu- 
nication en  preschede  huict  heures,  ayant  prins  le  texte  du  xviije  de 
saint  Matthieu,  versets  15,  16,  17  et  18,  tendans  néantmoins  à  ex- 
horter le  peuple  à  laisser  la  vengeance  à  Dieu  et  non  aux  hommes; 
ce  jour  se  seroit  passé  avec  prières  et  dévotions;  lors  de  ladite  ex- 
communication ledit  sieur  Ferrier  tenoit  les  fenestres  de  sa  maison 
ouvertes,  chantoit  et  se  rioit. 

Le  lendemain  xv<^,  ledit  sieur  Ferrier  désira  sçavoir  avec  ses  con- 
frères conseillers  s'il  pouvoit  entrer  lihrement  dans  la  chambre  du 
conseil  ;  sans  aucun  doubte,  on  luy  faict  responce  avec  prière  de 
n'entrer  pas  ;  et  l'assuroit-on  qu'il  ne  perdroit  rien  des  distrybutions 
ny  jugemens  des  procès,  lequel  advis  il  auroit  négligé  s'estant  résolu 
d'envoyer  chercher  M.  Guiran,  lieutenant  du  prevost  général  en 
Languedoc  pour  l'accompagner  avec  ses  archers,  luy  faisant  accroire 
qu'il  avoit  receu  quelque  despêche  de  Sa  Majesté,  laquelle  il  vouloil 
communiquer  à  sa  compagnie  et  à  luy  pour  y  avoir  intérêt  comme 
lieutenant  du  prévost  général. 

Ledit  sieur  Guiran,  croyant  que  ce  feustau  vray,  il  le  suict  jusque 
dans  le  palais  et  entre;  en  entrant  les  conseillers  le  voyant  entrer 
chacun  se  lève  et  sortent,  le  laissant  là  où  il  fust  bien  estonné;  et 
voyant  cela  il  s'adresse  à  deux  conseillers  catholiques  nommés 
MM.  Rogier  et  Trimondy,  et  leur  demande  la  cause  pourquoy  le 
corps  quittoit.  En  sortant  du  palais,  chemin  faisant  avec  M.  Rogier 
(car  le  sieur  Trimondy  l'avoit  quitté  environ  cinquante  pas  loin  du 
palais),  trouva  quelques  enfans  qui  commencèrent  à  le  mespriser, 
l'appelant  excommunié.  L'un  d'eux  pouvoit  avoir  (juatorzc  ans,  qui 
prist  une  grosse  pierre  et  la  luy  jetta  contre  la  teste  dont  il  roflença 
au  visage  au  côté  de  l'œil,  et  se  voyant  ainsy  pressé  des  enfans,  il 
n'eust  pas  faict  vingt  pas  les  mains  joinctes  ,  criant  miséricorde 
contre  le  peuple,  (pie  grands  et  petits  s'eslevèrent  contre  luy,  et  s'il 
ne  se  feust  jette  dans  la  maison  de  M.  Rozel,  lieutenant  principal, 
on  l'auroit  assommé. 

Tout  le  peuple  voyant  (ju'il  s'estoit  sauvé  dans  la  maison  dudil 
sieur  Rozel,  non  pas  seulement  en  considération  de  sa  qualité  de 
lieutenant,  mais  à  cause  qu'il  estoit  catlioli(iue,  ont  laissé  ledit  Fer- 
rier et  vont  droict  en  sa  maison  d'une  telle  rage  que  avant  que  les 
conseils  et  magistrats  fussent  advertis,  ;'»  coups  do  pierres  eurent  mis 
portes  et  fenestres  par  terre,  chose  estrange  ;i  voir  qu'en  moins  de 


OUDONNANCE  DU  DUC  DR  ROHAN.  145 

demy- heure  se  trouvèrent  deux  mille  hommes  ou  ent'ans  armés 
contre  ceux  qui  vouloient  empescher  la  destruction  de  ceste  maison. 
On  ne  peut  éviter  qu'après  estre  entrés  dedans  ils  ne  jetassent  les 
meubles  par  les  fenêtres  et  les  firent  brusler  au-devant  de  la  porte, 
usant  de  rigueur  contre  ceux  qui  en  vouloient  dérober  disant  ne  vou- 
loir souffrir  qu'aucun  s'en  prévalust. 

Tout  ce  jour  et  le  lendemain,  mardy  et  mercredy,  nous  avons  de- 
meuré avec  les  armes  nuict  et  jour  comme  si  nous  eussions  eu  les 
Espagnols  ou  ennemis  à  nostre  porte.  Tous  les  jours  on  envoyé  des 
députés  vers  M.  le  connestable  pour  ceste  affaire  et  nous  en  sommes 
encore  là  et  ne  scavons  ce  que  Dieu  nous  enverra;  nous  sommes  fort 
sur  nos  gardes. 

Le  mercredy  xvije^  MM.  les  consuls  et  de  Saint-Chatte  et  de  la 
Calmette  et  autres  habitans,  par  ruse,  firent  croire  au  peuple  qu'il 
se  devoit  sauver  par  la  porte  de  la  Magdelaine;  ce  matin,  en  ou- 
vrant la  porte,  on  le  fit  sortir  par  la  porte  des  Carmes  et  trouva  à 
l'issue  quelques  gens  d'armes  de  M.  le  connestable  qui  le  conduisi- 
rent jusqu'à  Beaucaire,  où  il  est  à  présent. 

Le  peuple  sçachantson  despart,  se  voyant  frustrés  de  leur  attente, 
se  saisissent  de  la  maison  dudit  Ferrier  où  sa  mère  et  enfans  sont, 
estant  impossible  de  les  quitter  que  les  habitans  qui  sont  à  la  foire 
de  Beaucaire  ne  soient  de  retour,  craignant  qu'il  ne  leur  soit  faict 
quelque  desplaisir. 

(Suit  une  Copie  des  faits  généraux  des  Eglises  réformées  de  la  Basse- 
Guyenne,  assemblées  en  synode  en  la  ville  de  Sainte-Foy,  au  mois  de  sep- 
tembre 1613,  qui  doit  se  trouver  dans  Aymon.) 


ORDONNIINCE  DU  DUC  DE  ROHAN. 

1629. 

M.  L.  Liebich  nous  a  communiqué  la  pièce  suivante,  trouvée  par  lui  dans 
les  archives  de  la  commune  de  Saint-Maurice  de  Cazevieille  (Gard). 

Ordonnance  de  Monseigneur  duc  de  Rohan,  pour  Saint- Andrieu  de 

Lancise. 

Hënrï,  dix  de  Rohan,  pair  de  France,  prince  du  sang  et  député 
général  des  Eglises  réformées  de  ce  royaume  et  provinces  de  Lan- 

XIII.  —  10 


146  LETTRE    INÉDITE    DE    FREDERIC-GUILLAUME    A    LOUIS    Xir 

guedoc,  Guyenne,  Cévennes,  Gévaudan  et  Vivarets,  à  vous  Monsieur 
de  Parafort,  salut. 

Attendu  les  délayemens  et  retardemens  que  plusieurs  communau- 
tés ont  parlé  d'envoyer  en  diligence  tous  leurs  gens  de  guerre  en 
cette  ville  d'Anduse  pour  nous  opposer  aux  desseins  et  efforts  de  nos 
ennemis  pour  la  deffonce  et  conservation  des  Eglises  de  cette  pro- 
vince, nous  vous  avons  commis  et  député,  commettons  et  députons 
par  ces  présentes  pour  vous  transporter  au  plus  tôt  es  villes  et  lieux, 
paroisses  et  communautés  de  laditte  province  des  Cévennes  que  besoin 
sera  pour  en  notre  nom  et  autorité  enjoindre  à  tous  expressément,  à 
peine  de  la  vie,  aux  consuls  et  habitans  des  villes  et  communautés 
de  prendre  les  hommes  et  se  rendre  promptement  en  cette  ville  les 
faisant  marcher  jour  et  nuit,  à  quoi  tous  refusans  ou  délayans  seront 
constraints  par  tous  actes  et  voies  d'hostilité,  emprisonnement  de 
personnes,  ravages  des  meubles  et  bruslement  de  maisons,  et  de  ce 
faire  donnons  tout  pouvoir,  commission  et  de  contraindre  et 

par  moyen  de  rigueurs  tous  ceux  qui  estant  venus  s'en 
seroient  retournés,  enjoignant  aux  consuls  et  communautés  de  don- 
ner logement  et  nourriture  audit  sieur  de  Parafort  et  aux  gardes 
qui  l'accompagnent,  tant  d'y  allant  et  séjournant  que  s'en  retour- 
nant, mandons  à  tous  ces  dits  gens  de  guerre,  magistrats,  consuls,  sol- 
dats de  nos  gardes  et  autres  de  prester  aydc  et  main  forte  à  l'exsé- 
cutiondes  présentes  à  peine  de  désobéissance  et  d'estre  responsables 
des  manquemens  et  retardemens   en  leur   propre  et  privé  nom. 

Donné  à  Anduse,  ce  seiziesme  juing  mil  six  cent  vingt  et  neuf. 

Henry  de  Rohan. 
Et  plus  bas  :  Par  Monseigneur,      Fage. 


LETTRE  INÉDITE  DE  FRÉDÉRIC  GUILUUIflE 

KLECTEUR    DE   BRANDIinOlinC 
A     LOUIS      XIV 

ET  RÉPONSE    INÉDITE   DE  LOUIS  XIV    A   L'ÉLECTEUR 
I6U0. 

Feu  M.  P.-E.  Ilomy,  de  Dorlin,  nous  avait  c»inMiiiiiiiqut',  on  1853,  un 
document  forl  intéressant.  C'est  une  copie  lidéie  de  la  réponse  adressée 


ET   RÉPONSE    INÉDITE    DE    LOUIS    XIV.  147 

par  Louis  XIV,  en  1666,  à  l'élecleur  de  Brandebourg  Frédéric-Guillaume, 
en  réponse  à  ia  lettre  que  celui-ci  lui  avait  écrite  dans  l'intérêt  des  réfor- 
més de  France.  31.  Henry  nous  avait  promis  d'y  joindre  la  copie  de  la  lettre 
de  Frédéric-Guillaume,  d'après  la  minute  en  latin  {Bull.,  II,  116). 

Nous  sommes  aujourd'hui  à  même  de  publier  cette  lettre  (qui  n'est  pas 
en  latin,  mais  bien  en  français),  d'après  une  copie  exacte  faite  sur  la  mi- 
nute, et  nous  y  joindrons  la  réponse  de  Louis  XIV,  qui  diffère,  ainsi  qu'on 
le  verra,  du  texte  publié  par  Benoît  et  reproduit  par  nous  dans  le  Bulletin 
(II,  52).  L'importance  historique  de  ces  deux  pièces,  antérieures  de  dix- 
neuf  années  à  la  révocation  de  l'Edit  de  Nantes,  ne  saurait  manquer  de 
frapper  nos  lecteurs  : 

Au  Roy  de  France. 

Monseigneur  mon  très  honoré  cousin, 
Le  nœud  de  ralliaiice  qui  nous  étreint  et  les  diverses  preu- 
ves, quej'ay  receues  de  la  bienveuillance  de  Votre  Majesté, 
m'attachent  tellement  à  tous  ses  intérests,  que  je  ne  luy  puis 
dissimuler  que  le  traictement  que  reçoivent  ses  pauvres  su- 
jets de  la  religion  réformée,  centriste  ses  alliés  qui  sont  de 
même  profession;  Votre  Majesté  ne  peut  ignorer  que  le  prin- 
cipal lien  qui  a  uny  vos  Ancestres  aux  princes  protestants  de 
l'Empire,  a  esté  la  liberté  de  conscience,  qui  avoit  esté  par 
eux  accordée  et  confirmée  par  divers  Edits  et  promesse 
royale;  si  ce  nœud  de  concorde  venoit  à  estre  rompu  par  de 
violens  efforts,  que  Ion  dit  partout  que  Ton  exerce  publique- 
ment sur  leurs  personnes  et  sur  leurs  temples  concédés,  il 
seroit  malaisé  que  cela  n'aliéneroit  les  cffections  et  n'altére- 
roit  les  courages  de  vos  voisins  et  alliés,  entre  lesquels  il  y 
en  a  qui  ont  pour  le  respect  de  Votre  Majesté  tousjours  laissé 
tant  de  liberté  à  ceux  de  sa  religion  ;  je  suis  tellement  per- 
suadé de  sa  justice  et  de  sa  clémence,  quej'ay  osé  affirmer 
qu'elle  ignore  ces  violences,  et  que  tout  le  mal  vient  de  ce 
que  la  multitude  de  ses  grandes  affaires  ne  luy  permet  pas 
de  prendre  connoissance  elle-même  des  intérests  de  ces  pau- 
vres oppressés;  je  supplie  très  humblement  Votre  Majesté 
de  considérer  leur  faiblesse  et  leur  impuissance  à  se  défen- 


148  LETTRE    INÉDITE    DE    ERÉdÉRIC-GUILLAUME    A    LOUIS   XIV 

dre  contre  des  juges  si  forts,  qui  sont  leurs  parties;  M.  Col- 
bert,  auquel  j'avois  desjà  fait  quelques  plaintes  de  l'abbatte- 
ment  de  tant  de  temples,  m'avoit  asseuré,  que  ce  n'estoient 
que  ceux  qui  avoient  esté  innovés  depuis  l'Edict  de  Nantes, 
et  c'est  ce  qu'on  a  persuadé  à  Votre  Majesté;  mais  s'il  luy 
plaisoit  d'en  connoistre  par  des  personnes  désintéressées, 
elle  s'appercevroit  asseurément  du  contraire  et  je  m'asseure 
qu'elle  aurait  compassion  de  tant  de  pauvres  sujets,  qui  ne 
respirent  que  fidélité  et  obéissance,  et  qui  se  sont  partout  in- 
violablement  attachés  aux  intérests  de  Voire  Majesté.  Elle  se 
peut  asseurer  que  je  n'ay  reçu  aucune  plainte  de  leur  part, 
et  que  mon  intercession  pour  eux  n'est  point  mendiée,  mais 
élant  uny  avec  eux  par  une  même  foy,  je  suis  sensibleà  leur 
affliction  et  j'ay  cette  confiance  en  la  bienveuillance  de  Voire 
Majesté,  que  je  m'asseure  qu'elle  ne  trouvera  ny  mauvais, 
ny  étrange,  que  je  la  supplie  très  affectueusement  de  pren- 
dre ce  pauvre  peuple  en  sa  royale  protection,  et  de  leur  ac- 
corder ou  de  leur  conserver  la  liberté  de  leur  conscience,  et 
des  lieux    où  ils  puissent  sans  insulte  s'assembler  pour  y 
servir  Dieu  et  le  prier  pour  la  prospérité  et  grandeur  de  Votre 
Majesté;  si  à  mon  instante  prière,  elle  accorde  les  grâces  que 
je  luy  demande  pour  ses  pauvres  et  fidèles  sujets,  je  m'en 
sentiray  si  parfaitement  obligé  que  toute  ma  vie  et  en  toutes 
occasions  je  m'efforceray  de  luy  faire  paroître  de  quelle  sin- 
cérité et  de  quel  zèle  je  suis  (1) 
De  Clèves,  ce  13  aoust  1666. 

Voici  le  texte  authentique  de  la  lot  Ire  du  roi  de  France  : 

liéponne  de  i.ouis  XIV  au  Grand  Electeur. 

Mon  IVère,  j'ai  reçu  la  lettre  que  vous  m'avez  écrite  le  13 
de  l'autre  mois,  en  recommandation  de  mes  sujets  de  la  re- 

(1)  CeUc  lettre,  «'itant  en  niimite,  ne  iiorte  pns  l;i  si>ïnature  de  rElecteur,  mais 
seniemeiil  celle  de  son  prciiiicr  iniiiislre,  lu  baron  Otto  de  Sehewerin,  selon 
l"usa^,'e.  On  lit  A  la  marne  :  Ultrauca  intercessio  ad  lierjem  Galliœ  pro  oppressis 
auMitis  reformntœ  reliyionis  ibtdcm. 


ET   RÉPONSE   INÉDITE    DE   LOUIS    XIV.  149 

ligion  prétendue  réformée,  qu'on  vous  a  présupposé  souffrir 
de  grandes  oppositions  contre  la  foi  des  Edits.  Et  vous  me 
marquez  entre  autres  choses  que  vous  croyez  que  la  multi- 
tude de  mes  grandes  affaires  ne  me  permet  pas  de  prendre 
connoissance  de  leurs  intérêts.  Je  vous  avoue  que  votre  lettre 
m'a  extraordinairement  surpris,  la  matière  étant  de  nature 
que  je  ne  permettrois  pas  que  tout  autre  prince,  pour  qui  j'au- 
rois  moins  de  considération  et  d'estime  que  pour  vous,  y  entrât 
avec  moi,  ou  du  moins  je  n'y  entrerois  pas  avec  lui.  Mais  à 
votre  égard  je  n'en  veux  regarder  le  motif  que  du  côté  de 
votre  affection.  Après  quoi  je  vous  dirai  en  premier  lieu, 
qu'il  ne  se  fait  aucune  affaire  petite  ni  grande  dans  mon 
royaume,  de  la  qualité  de  celle  dont  il  est  question,  non- 
seulement  qui  ne  soit  de  mon  entière  connoissance  mais  qui 
ne  se  fasse  par  mes  ordres.  En  second  lieu,  que  je  n'ai  pas 
peine  à  croire  que  votre  intercession  n'a  point  été  mandiée 
et  qu'elle  n'est  départie  que  d'un  pur  mouvement  de  com- 
passion que  vous  avez  eue  des  prétendus  maux  de  mes  su- 
jets de  ladite  religion,  ayant  ajouté  foi  à  quelque  libelle,  que 
des  gens  mal  intentionnés  pour  mon  service  débitent  dans 
le  monde,  plus  qu'à  la  vérité  des  choses,  dont  vous  ne  pouvez 
pas  être  informé.  En  troisième  lieu,  qu'on  n'a  abbatu  aucun 
de  leurs  temples  que  ceux  qui  ont  été  bâtis  depuis  l'Edit  de 
Nantes  par  pure  entreprise  sur  l'autorité  royale,  se  prévalant 
des  temps  des  minorités,  ou  des  guerres  civiles,  et  par  con- 
séquent qu'ils  n'ont  jamais  eu  droit  de  faire  construire.  Et 
en  quatrième  et  dernier  lieu,  que  l'une  de  mes  principales 
aplications  est,  défaire  religieusement  garder  âmes  sujets  de 
ladite  religion,  en  toutes  affaires  et  en  toutes  rencontres, 
tout  ce  qui  leur  apartient  par  les  concessions  des  rois,  mes 
prédécesseurs,  et  les  miennes,  en  vertu  de  nos  Edits,  sans 
souffrir  qu'il  y  soit  en  rien  contrevenu,  et  que  c'est  là  la 
régie  que  je  me  prescris  à  moi-même;  tant  pour  observer  la 
justice  que  pour  leur  témoigner  la  satisfaction  que  j'ai  de 
leur  obéissance  et  de  leur  zèle  pour  mon  service,  depuis  la 


150  LES    RÉFUGIÉS   SECOURUS    A    LAUSANNE. 

dernière  pacification  de  l'année  1669.  Tout  ce  qu'on  vous 
dira  de  contraire  à  ce  que  je  vous  mande,  vous  devez  croire 
qu'il  est  sans  aucun  fondement.  Cependant  vous  prendrez 
le  peu  que  je  vous  en  dis,  pour  une  des  plus  grandes  mar- 
ques déconsidération  que  je  pouvois  vous  donner.  Car  comme 
je  l'ai  déjà  déclaré,  je  ne  serois  entré  dans  cette  matière  avec 
aucun  autre  prince  qu'avec  vous.  Sur  ce,  je  prie  Dieu,  qu'il 
vous  ait,  Monsieur  mon  frère,  en  sa  sainte  et  digne  garde. 
—  Ecrit  à  Vincennes  le  10  de  septembre  1666. 

Votre  bon  frère, 

LOUIS. 


LES  RÉFUGIÉS  SECOURUS  K  LAUSANNE 

en  1698. 

Voici  une  liste  des  pauvres  honteux  réfugiés  de  Lausanne,  recommandés 
en  1690  à  un  M.  L.  Bibaud  (?),  pensant  que  vos  lecteurs  trouveront  quel- 
que intérêt  à  lire  les  noms  de  ces  glorieux  martyrs  de  notre  sainte  Eglise 
réformée  de  France,  lesquels  abandonnèrent  courageusement  famille,  for- 
tune et  patrie,  plutôt  que  de  renier  leur  foi: 

Pour  les  pauvres  honteux  reffugiés  à  Lausanne.  12  septembre 
1G90. 

MÉMOIRE  sur  les  secours  qu'on  croit  qu'il  est  nécessaire  de  donner 
à  plusieurs  pauvres  familles  honteuzes  reffugiées  à  Lausanne^,  pour 
les  soulager  dans  leur  mizère. 

De  ces  familles  honteuzes,  il  y  en  a  déjà  quelques-unes  auxquelles 
la  Chambre  des  pauvres  reffugiés  establie  à  Lausanne  par  permission 
des  supérieurs,  fait  distribuer  quelque  assistance  par  semaine,  sui- 
vant ses  forces.  Mais  comme  cette  assistance  est  beaucoup  au-dessous 
des  bezoings  de  ces  pauvres  personnes,  et  qu'on  ne  peut  s'estendre 
davantage  en  leur  faveur,  faute  de  moyens,  on  les  tirera  icy  pour 
l'augmentation  qu'on  croit  absolument  leur  cstre  nécessaire,  pour 
adoucir  un  peu  leur  mizère. 

(On  lit  en  marge  de  cet  alinéa  Tannotalion  suivante,  écrite  d'une  autre 
main  :  «  Outre  oeste  assistance  de  la  chambre  A  «es  honteux,  elle  a  encore 


LES   RéfUGlÉS    SECOURUS    A   LAUSANNE.  151 

230  personnes  malades,  ou  pauvres  ignars  travailleurs  de  terre  (deux 
«  mots  illisibles)  ou  arlizans.  »  —  Je  reprends  la  copie  du  Mémoire.) 

Il  y  a  enfin  de  ces  familles  honteuzes  que  la  Chambre  n'assiste 
point,  ou  qu'eile  n'a  pas  encore  assistées,  parce  que  leur  pauvreté 
vient  seulement  d'estrecognue;  on  les  tire  icypour  toute  l'assistance 
qu'on  leur  croit  nécessaire  par  semaine  pour  les  soulager. 

MÉMOIRE  des  familles  ou  personnes  déjà  assistées  de  quelque 
choze  par  la  chambre. 

Mademoiselle  de  Rodier,  des  Cévennes;  malade  d'un  cancer,  on  lui 
donne  à  la  chambre  douze  sols  par  semaine,  et  on  estime  qu'on  doit 
encore  l'assister  par  semaine  de  .     . 13  sols. 

Mademoiselle  Durand,  aussy  des  Cévennes,  dont  le  mary  est  mort 
à  l'Amérique;  elle  a  deux  filles,  on  luy  donne  de  Berne  4  1. 10  sols  par 
mois,  et  12  sols  par  semaine  de  la  Chambre;  on  estime  qu'on  doit 
encore  l'assister  de  5  sols  par  semaine,  y  ayant  presque  toujours  de 
malades  dans  leur  famille 5  sols. 

Mademoiselle  Combelle,  de  Ganges,  vieille  femme  souvent  incom- 
modée; ou  luy  donne  à  la  Chambre  10  sols  par  semaine  et  on  estime 
qu'on  doit  encore  y  ajouter  par  semaine 5  sols. 

Mesdemoiselles  Planchut,  de  Provence,  mère  et  belle-fille;  on  leur 
donne  à  la  Chambre  6  sols  par  semaine  à  chacune,  on  estime  qu'on 
doit  les  augmenter  de  *  sols  chacune  par  semaine,  c'est  .     .     8  sols. 

Mademoiselle  Bousquet,  de  la  Salle  en  Cévennes;  on  lui  donne  à  la 
Chambre  8  sols  par  semaine,  on  estime  qu'on  doit  encore  adjouter  par 
semaine     .    , "^  so^s. 

M.  rfe  Charmes,  de  Bourgogne,  sa  femme  et  quatre  petits  enfans, 
on  lui  donne  à  la  chambre  12  sols  la  semaine,  on  estime  qu'on  doit 
encore  l'augmenter  d'autant  par  semaine 12  sols. 

Le  sieur  BotissoN,  cy-devant  lecteur  de  l'Eglise  d'Ambrun,  accablé 
de  vieillesse;  on  luy  donne  à  la  Chambre  8  sols  par  semaine,  on  es- 
time qu'il  doit  encore  estre  assisté  de  7  sols  par  semaine.     .     7  sols. 

M.  Gros,  advocat  de  la  ville  de  Dye  en  Dauphiné,  avec  sa  famille, 
extrêmement  pauvres;  on  luy  donne  à  la  Chambre  20  sols  par  se- 
maine, on  estime  qu'on  doit  encore  l'assister  de  15  sols  par  se- 
maine   1^  ^^^^* 

M.  JouRDAN,  de  Saint-Paul-Trois-Châteaux  en  Dauphiné,  avec  sa 


152  L'ES    RÉFUGIÉS   SECODRUS   A    LAUSANNE. 

famille;  on  l'assiste  à  la  Chambre  de  10  sols  par  semaine,  on  estime 
qu'on  doit  encore  l'assister  de  cinq  sols  par  semaine  ...     5  sols. 

Le  sieur  Senebier  et  sa  femme,  de  la  ville  de  Grenoble,  tous  deux 
incommodés;  on  leur  donne  à  la  Chambre  douze  sols  la  semaine,  on 
estime  qu'on  doit  encore  les  assister  d'autant 18  sols. 

Les  demoiselles  Massedor,  sœurs  de  la  ville  d'Alès  en  Languedoc, 
fort  pauvres;  on  leur  donne  à  la  Chambre  15  sols  la  semaine,  on 
estime  qu'on  doit  les  augmenter  de  9  sols  la  semaine.     .     .     9  sols. 

Total  :  4  1.  18  sols. 

MÉMOIRE  des  autres  familles  honteiizes  dont  la  pauvreté  vient 
seulement  d'être  cognûe. 

M.  GiRAVD,  marchand,  de  Dauphiné,  sa  femme  et  trois  enfants,  in- 
commodés •  on  estime  qu'ils  ont  besoing  d'estre  assistés  de  40  sols  la 
semaine 2  livres. 

M.  Saurin, du  Yivarez,  et  sa  famille;  on  estime  qu'ils  doivent  estre 
assistés  par  semaine  de  30  sols 1  1.  10  sols. 

Mademoiselle  Olivier,  de  la  Salle  en  Ce  venues;  on  estime  qu'elle 
doit  estre  assistée  de  douze  sols 12  sols. 

Les  demoiselles  Martin,  sœurs,  du  même  lieu  de  la  Salle;  on  estime 
qu'elles  doivent  estre  assistées  par  semaine  de  15  sols  .     .     15  sols. 

M.  AuGiER,  cy-devant  régent  dans  l'Académie  de  Dye,  avec  sa  fa- 
mille; on  estime  qu'on  doit  les  assister  de  10  sols  par  semaine.  10  sols. 

M.  de  LoRME,  de  Bourgogne,  sa  femme  depuis  un  an  malade  de 
langueur;  on  leur  donne  de  Berne  3  escus  par  mois.  Leur  inizcre  est 
extrême;  on  estime  qu'on  doit  les  assister  de  20  sols  pour  les  empê- 
cher de  souffrir  comme  ils  font 1  livre. 

Total  :  6  1.  7  sols. 

Nota.  —  M.  AcKRÉ  la  Colombière  dont  on  doit  parler  en  particulier 
à  M.  Ribaud. 

Il  y  a  encore  asseurément  dans  la  ville,  des  autres  familles  ou  person- 
nes honteuzes qu'on  n'a  pu  découvrir.  La  plupart  souffre  sans  ozer  le 
dire.  11  n'y  a  que  la  langueur  où  les  jettii  le  deflaut  de  nourriture,  qui 
les  oblige  à  découvrir  leur  mizère  à  quelques-uns.  Chaque  jour  il  se 
fait  de  ces  honteux  parce  que  l'on  consomme  le  peu  qu'on  avoit  sorty 
de  France. 

Il  y  a  la  vefve  du  nommé  le  sivur  Domuues,  confesseur,  (jui  depuis 
peu  a  souflcrt  la  mort  en  France  pour  rKvangile.  Elle  a  deux  enfans. 


DEL'X    LETTRES    INEDITES    DE    CORTEIS.  153 

un  à  la  mammelle.  Leurs  Excellences  de  Berne  luy  donnent  trois 
écus  le  mois.  On  estime  que  la  charité  de  M.  Bibaud  doit  avoir  quel- 
que égard  pour  elle. 

(Ce  dernier  alinéa,  placé  beaucoup  au-dessous  du  Mémoire  proprement 
dil,  est  écrit  d'une  autre  main  et  avec  une  autre  encre,  et  quoique  d'une 
belle  écriture  bâtarde,  il  est  loin  d'égaler  celle  du  Mémoire,  qui  est  vrai- 
ment un  petit  chef-d'œuvre  de  calligraphie.  —  Enfin,  on  lit  au  bas  de  la 
quatrième  page  du  manuscrit  :  ) 

Il  faut  réduire  toutes  ces  charités  à  10  livres  par  sepmaine  y  com- 
pris la  veuve  du  nommé  des  Ombres.  Je  ne  puis  faire  d'avantage. 
Pour  M.  de  la  Colombière,  je  prie  ces  Messieurs  (probablement  de  la 
Chambre  des  réfugiés,  les  auteurs  du  Mémoire)  de  me  marquer  à 
peu  près  ce  qu'ils  jugeront  qu'il  luy  faudroit.  Je  luy  feray  donner 
quelque  chose  en  attendant  que  MM.  ses  frères  y  pourvoient.  Fait  à 
Vole  {sic)  ce  29  septembre  1690.  Signé  Bibaud. 

11  me  semble  impossible  qu'aucun  des  lecteurs  du  Bulletin  puisse  lire 
sans  que  les  larmes  lui  viennent  aux  yeux  cotte  phrase  si  lamentablement 
significative  du  Mémoire  :  «  11  n'y  a  que  la  langueur  où  les  jette  le  deffaut 
«  de  nourriture  qui  les  obUge  à  découvrir  leur  mizère  à  quelques-uns.  » 
Quelle  abnégation,  quelle  résignation,  quel  dévouement  chez  ces  chrétiens 
si  forts  dans  la  foi  !  Après  avoir  tout  quitté  par  amour  pour  leur  grand 
Dieu-Sauveur,  ils  supportent  encore,  sans  se  plaindre,  la  faim  sur  la  terre 
étrangère.  Et  ce  n'est  que  lorsque  leurs  corps  sont  épuisés  par  de  longs 
jeûnes,  que  leurs  joues  se  sont  creusées  par  le  manque  de  nourriture,  que 
leurs  yeux  sont  devenus  caves  par  la  misère  ;  ce  n'est  qu'alors  que  la  vie 
est  près  de  les  quitter,  qu'ils  se  décident  à  murmurer  doucement  à  une 
oreille  amie  ces  tristes  et  navrantes  paroles  :  J'ai  faim!  D.  D. 


DEUX  LETTRES  INÉDITES  DE  CORTEIS 

PASTEUR  DU   DÉSERT. 
1Î30. 

Les  deux  lettres  qui  vont  suivre  ne  sont  pas  entièrement  inconnues; 
nous  les  avons  analysées  dans  notre  Histoire  de  l'Eglise  réformée  de 
Montpellier,  pages  sei  et  376.  Elles  sont  assez  curieuses  pour  mériter 
d'être  reproduites  en  entier. 


154-  DECX   LETTRES    INEDltES   DE    CORTEIS, 

Au  tome  IX  du  Bulletin,  nous  avons  publié  une  autre  lettre  du  même 
pasteur.  L'écriture,  le  style  et  l'orthographe  en  sont  entièrement  différents. 

Cette  dernière  est  postérieure  aux  deux  autres  d'une  vingtaine  d'années. 
Comment  expliquer  cette  différence  ?  Un  moment  nous  nous  sommes  de- 
mandé si  c'est  bien  à  Corteis  qu'il  faut  attribuer  la  lettre  du  1 3  novem- 
bre 1746.  La  ressemblance  des  noms  nous  avait  l'ait  penser  tout  d'abord  à 
Coste;  mais  l'article  10  du  synode  provincial  du  Bas-Languedoc,  tenu  le 
30  mars  1746,  nous  apprend  qu'à  cette  époque  il  n'avait  pas  encore  reçu 
l'ordination  et  qu'il  était  à  l'étranger  pour  perfectionner  ses  études.  On  ne 
peut  donc  s'arrêter  à  cette  supposition, 

Corteis  aurait-il  soigné  son  éducation  pendant  l'espace  des  vingt  et  quel- 
ques années  qui  se  sont  écoulées  entre  les  deux  lettres  que  nous  repro- 
duisons aujourd'hui  et  celle  de  1860?  Cela  ne  nous  paraît  pas  admissible; 
la  différence  d'écriture,  de  style  et  d'orthographe  est  trop  grande,  et  Cor- 
teis était  trop  laborieusement  occupé  pour  avoir  ainsi  recommencé  son 
éducation.  L'explication  plausible  du  fait  nous  paraît  devoir  être  cherchée 
dans  cette  circonstance  que  la  lettre  de  1746  était  adressée  à  l'intendant 
Le  Nain,  qu'on  savait  que  cette  lettre,  qui  avait  été  demandée  à  Corteis 
comme  aux  autres  pasteurs  de  la  province  devait  être  envoyée  à  la  cour,  et 
qu'il  est  probable  que,  à  cause  de  cette  circonstance,  pour  exprimer  ses 
sentiments,  Corteis  dut  recourir  à  une  plume  étrangère.  Les  deux  autres 
lettres,  dont  une  est  destinée  à  un  ami,  seraient  bien  de  sa  propre  main. 

Quel  était  le  Rouvière  qui  a  signé  avec  Corteis  la  lettre  à  M.  Dussain? 
Serait-ce  le  prédkant  Rouvière,  condamné  aux  galères  perpétuelles  par 
jugement  du  12  décembre  1719,  et  dont  milord  Stamhope  faisait  solliciter 
le  rappel?  Dans  ce  cas,  il  faudrait  admettre  que,  malgré  l'avis  de  M.  de 
Basnage,  qui  répondait  à  M-  de  Lavrilière,  (jui  le  consultait  à  ce  sujet, 
le  30  juillet  1720  :  Ce  serait  un  mauvais  exemple  que  de  l'accorder,  Uou- 
vière  serait  parvenu  à  rentrer  en  France.  Un  proposant  du  même  nom  et 
qui  porte  le  prénom  de  Jo^eph  ligure  au  synode  national  du  16  mai  1726. 
Est-ce  le  même  individu?  Nous  posons  la  question  sans  la  résoudre. 

Pji.  CorbiîvRE. 

I.  Lettre  de  Corteis  à  M.  Campredoux,  à  Barre,  en  Cévennes. 

Monsieur,  on  m'a  dit  que  vous  promettez  à  tous  ceux  auxquels 
vous  parlez  do  mettre  tout  en  usage  pour  nous  livrer  entre  les  mains 
des  bourreaux,  mais  je  ne  le  crois  pas  selon  le  témoignage  que,  d'ail- 
leurs, ou  rend  à  votre  douceur,  bonté,  é(iuité  naturelle.  Je  crois 
qu'on  vous  fait  tort  de  dire  que  vous  eltez  animé  d'un  es|)rit  meur- 
trier et  sanguinaire.  Il  est  vray  que  quelque  pasteur  de  l'Eglise  ro- 


PASTEUR   DU   DÉSERT.  455 

maine,  qui  son  naturellement  méchans  et  qui  haïssent  mortellement 
les  protestants,  pourraient  bien  surprendre  votre  bonté  équité.  Car, 
au  fond,  je  ne  puis  pas  comprandre  qui  pourrait-il  avoir  en  nous  qui 
fût  capable  d'atirer  votre  juste  indignation,  car  à  dire  vray,  à  l'é- 
gard de  la  religion,  que  croj'ons-nous  qui  ne  soit  clairement  montré 
dans  la  pure  Parolle  de  Dieu?  Nous  croyons  un  Dieu  Père,  Fils  et 
Saint-Esprit;  nous  croyons  l'Ecriture  sainte  être  divinement  inspirée, 
nous  la  prenons  pour  la  règle  de  notre  foy,  nous  invoquons  un  seul 
Dieu  par  Jésus-Christ  notre  Seigneur;   qui  a-t-il  là  qui  nous  rande 
dignes  du  crime  de  la  mort?  Nous  croyons  que  le  Fils  de  Dieu  est 
venu  au  monde  pour  nous  sauver,  qu'il  est  né  d'une  vierge,  qu'il  est 
mort,  qu'il  est  resusité,  qu'il  est  monté  au  ciel,  qu'il  y  règne  glo- 
rieusement, et  qu'il  en  dessandra  pour  juger  les  vivants  et  les  morts. 
Qui  a-t-il  là  qui  nous  rand  odieux  pour  être  pendus,  étranglés  par 
la  main  des  bourreaux?  Nous  croyons  que  l'on  ne  peut  être  sauvé 
sans  croire  en  Jésus-Christ  et  sans  faire  de  bonnes   œuvres.  En  un 
mot,  quels  dômes  (dogmes)  soutenons-nous,  que  nous  ne  fassions 
voir  dans  l'Ecriture  sainte  en  termes  exprès  ou  par  de  légitimes  con- 
séquences? Sommes-nous  payens,  mahométans,  juifs?  Ne  récitons- 
nous  pas  tous  les  mêmes  simboles  que  l'Eglise  romaine  récite,  et  la 
même  prière  que  le  Seigneur  nous  a  enseignée?  Oserait-on  dn-e  que 
les  dix  commandements  que  nous  avons  ne  sont  pas  les  commande- 
ments de  Dieu?  Comment  donc  vos  pasteurs  nous  peuvent-ils  haïr? 
Ils  ne  nous  haïssent  pas,  parce  que  nous  faisons  des  images,  que 
nous  y  prosternons  devant,  que  nous  allons  en  procession  vers  des 
croix,  que  nous  croyons  l'ilusion  du  purgatoire  et  celle  des  limbes, 
que  nous  invoquons  les  créatures  à  la  place  du  Créateur,  que  nous 
défendons  la  lecture  de  l'Ecriture  sainte,  que  nous  retranchons  la 
coupe  bénite  au  peuple,  que  nous  croyons  le  pupe  infaiUible.   Je  ne 
crois  pas  que  vos  pasteurs  nous  trouvent  criminels  de  ce  costé;  de 
quel  endroit  nous  peuvent-ils  donc  trouver  coupables  de  mort?  Se- 
rait-ce parce  que  nous  sommes  des  voleurs  et  des  meurtriers  et  d'im- 
pudiques? Hélas!  nous  exhortons  de  toute  notre  force  nos  auditeurs 
à  imiter  notre  divin  Maître  et  ses  saints  apôtres,  qui  ont  toujours 
enseigné  les  fidelles  à  ne  faire  jamais  soufrir  personne,  mais  de  se 
préparer  par  la  patience  à  supporter  les  afflictions.  Chacun  sait  que, 
dans  nos  exercices  de  piété,  ont  ne  porte   aucune  arme  défancive, 
ont  sait  encore  que,  depuis  la  multiplication  de  nos  assemblées,  la 


156  DEUX    LETTRES    INEDITES    DE   CORTEIS, 

corruption  s'est  ralantiC;,  et  que  Ion  ne  voit  pas  parmi  ceux  qui  fré- 
quantent  les  assemblées,  les  jeux,  les  danses,  les  blasphèmes  dans 
la  même  éminance.  Ne  devrait-on  pas  donc  bénir  Dieu  de  ce  que  les 
protestants  ne  veulent  pas  vivre  en  bettes,  mais  qu'ils  veulent  randre 
à  Dieu  leurs  omages  religieux  celon  les  lumières  de  leur  conscience? 
Messieurs  les  prêtres,  pour  nous  noirsir  auprès  de  votre  personne, 
vous  dissent  que  nous  asseinblont  les  fidelles  au  désert  contre  les  or- 
dres du  roy;  mes  si  c'est  un  crime  d'assembler  les  fidelles  dans  le 
désert  pour  y  venir  entendre  la  Parolle  de  vérité,  les  premiers  chré- 
tiens qui  s'assemblèrent,  contre  les  édits  des  rois  par  les  passe  de 
cent  cinquante  ans,  sans  avoir  de  maisons  de  sûreté,  ont  donc  été 
coupables?  Les  prophettes,  les  apôtres  et  le  Fils  de  Dieu  lui-même 
serait  digne  de  blâme  en  assemblant  les  fidelles  dans  les  déserts 
contre  la  volonté  des  gouverneurs  et  des  magistrats?  Certainement, 
cela  est  mauvais  de  condamner  sans  avoir  examiné  el  de  crier  ôte  ! 
ote!  crucifie!  sans  savoir  qui  est  le  crime;  ont  devrait  examiner  se 
que  nous  enseignons  et  faisons  dans  nos  assemblées  avant  que  de  les 
condamner.  Messieurs  les  prêtres  savent  bien  que  l'Ecriture  sainte, 
que  les  réformés  prennent  pour  la  règle  de  leur  foy,  ne  leur  permet 
pas  de  croire  les  ministres  de  l'Eglise  romaine;  messieurs  les  prêtres 
savent  encore  que  sy  un  réformé  vient  assister  au  prétendu  sacrifice 
de  la  messe,  il  y  vient  avec  un  cœur  d'ypocrite,  et  s'il  n'y  vient 
pas,  il  vit  en  bette  sans  assemblées,  sans  sacrements.  Monsieur,  ceci 
demande  bien  d'attention;  il  s'agit  de  la  gloire  de  Dieu  et  du  salut 
des  âmes;  il  serait  bon  de  ne  plus  écouter  ces  sortes  de  prêtres  qui 
ne  donnent  que  des  conseils  de  violance  et  de  cruauté,  et  examiner 
en  même  temps  quel  domage  porterait  la  religion  protestante  en 
France.  Je  ne  croit  pas  qu'il  y  ait  homme  sage  et  prudent,  qu'en 
parlant  sincèrement,  qu'il  y  puisse  découvrir  aucun  mal;  il  est  évi- 
(lant  que  bien  loin  que  la  religion  protestante  portât  coup  à  la  splen- 
deur du  royaume  de  France,  qu'elle  servirait  certainement  à  le  ren- 
dre plus  fort  en  peuple,  en  or,  en  argent,  plus  pompeux  et  plus 
florissant.  Monsieur,  vous  vous  êtes  acquis,  aussi  bien  que  M.  de  Cé- 
lestot,  la  louange  et  l'estime  de  tout  qu'il  y  a  d'honnêtes  gens  dans 
votre  voisin.ige;  le  peuple  vous  aime  et  vous  chérit;  ils  disent  à  votre 
digne  louange  que  vous  travaillez  heureusement  à  soutenir  le  droit 
de  la  veuve  et  la  cause  do.  ror|)helin,  que  vous  excitez  le  monde  à 
\i\('V  leurs  procès  à  l'ainiaUlc.  Toutes  ces  belles  vertus  serai(Uit-<'ll(!s 


PASTEUR    DU    DÉSERT.  157 

classées  en  cherchant  à  répandre  le  sang  des  fidelles?  Non^  je  ne  puis 
pas  me  le  persuader;  mes  plutôt  je  croiy  que  vous  faites  connaître  à 
tout  le  monde  que  un  homme  qui  est  sy  malheureux  que  de  ce  ran- 
dre  coupable  de  la  mort  d'un  enfant  de  Dieu,  il  comme  plusieurs 
grands  crimes;  le  premier,  c'est  qu'il  ne  devait  jamais  permêtre  que 
le  diable  lui  mît  dans  l'esprit  cette  criminelle  pancée  de  trahir  le 
sang  innocent;  le  second  crime  et  qu'il  est  coupable  devant  Dieu  de 
la  mort  de  l'homme  qu'il  a  livré  entre  les  mains  des  meurtriers  et 
des  bourreaux  ;  le  troisième  crime  est  en  ce  qu'il  prive  les  fidelles 
du  saint  ministère  et  des  excellentes  exhortations  auxquels  il  peut 
être  très  nécessaire  en  concervant  ce  fidelle  consolateur;  le  qua- 
trième crime  est  en  ce  qu'il  se  rend  coupable  de  la  damnation  des 
meurtriers  et  des  boureaux,  en  ce  qu'il  leur  fournit  des  moyens 
pour  faire  mourir  des  gens  de  bien  qui  ne  méritent  pas  la  mort,  car, 
bien  que  les  ennemis  de  la  vérité  croyent  bien  faire  en  faisant  mou- 
rir les  fidelles,  comme  le  Fils  de  Dieu  l'a  prédit,  ils  en  fairont  mourir 
d'autres  en  pansant  rendre  service  à  Dieu.  Dieu  ne  laisse  pourtant 
pasque  de  les  regarder  comme  les  cruels  persécuteurs  de  ces  fidelles, 
et  il  serait,  celon  le  dire  de  l'Ecriture  sainte,  un  jour,  les  objets  de 
la  colère  de  DieU;,la  proye  de  ces  justes  vangeances;  le  cinquième 
crime,  qui  ce  trouve  dans  la  vante  et  trahison  des  enfans  de  Dieu, 
c'est  l'avarice  qui  est  le  premier  mobille  et  la  cause  éficiente  de  tous 
les  autres  crimes,  puis  qu'à  l'imitation  de  Judas  c'est  quelque  ar- 
gent que  le  diable  met  devant  les  yeux  pour  faire  agir  ces  émisères, 
ceux  qui  ont  lu  le  premier  chapitre  des  Actes  des  Apôtres  savent  la 
fin  tragique  de  ces  malheureux;  les  histoires  anciennes  et  modernes 
nous  fournissent  des  exemples  efrayables  de  ces  malheureux  qui  ont 
trahi  les  enfans  de  Dieu,  ne  les  livrant  entre  les  mains  des  meur- 
triers, car  aussi  Dieu  dit  lui-même  :  «  Qui  vous  touche  me  touche,  qui 
vous  touche,  touche  la  prunelle  de  mon  œil.  »Saul,  Saul,  pourquoi 
me  persécute-tu?  (Actes,  ch.  IX.)  Jésus-Christ  estime  être  fait  à  lui  ce 
qu'on  fait  aux  fidelles;  mais  il  ne  suffit  pas  de  crier  :  voleur,  voleur! 
il  faut  examiner,  éprouver  sons  laresin,  avant  que  le  condamner 
comme  voleur,  ont  devrait  prandre  la  paine  d'examiner  en  quoi  et 
comment  les  réformés  sont-ils  hérétiques  ;  nous  exortons  nos  audi- 
teurs à  ne  croire  nos  prédications  qu'en  tant  que  nous  leur  parlons 
comme  la  Parolle  de  Dieu.  Il  a  plu  à  Dieu  que  Messieurs  les  pas- 
teurs de  l'Eglise  romaine  en  fissent  de  même.  Nous  renvoyons  les 


158  DEUX    LETTRES    INEDITES    DE    CORTEIS, 

fidelles  à  la  lecture  de  l'Ecriture  sainte,  nous  les  prions  de  faire 
leurs  délices  de  la  lecture  et  conversation  de  cette  divine  Parole,  de 
ne  s'en  écarter  jamais,  car  Dieu  veut  être  servi  selont  ces  comman- 
dements, mes  non  pas  selont  les  commandements  des  hommes. 
Messieurs  les  prêtres  chantent  le  triomphe  de  la  mort  de  Vessou  et 
de  la  conversion  de  Jean  Hue  dit  Masellet;  ils  doivent  savoir  qu'il 
fait  un  fort  longtemps  que  nous  ne  les  avions  pas  regardés  pour  ré- 
formés. Vessou  était  reconnu  fanatique  et  Massellet  ypocrite  et  igno- 
rant. 

Au  reste,  Monsieur,  il  y  a  des  prêtres  sages,  bénins  et  charitables 
qui  conviennent  avec  nous  que  la  cruauté  ne  convient  qu'aux 
payens,  mes  que  les  chrétiens  doivent  suivre  les  maximes  de  l'E- 
vangile qui  ne  respire  que  douceur.  Si  notre  religion  est  fauce,  et 
bien  il  nous  en  faut  montrer  par  l'Ecriture  sainte  la  fauceté,  mais 
non  pas  nous  dépouiller  de  nos  biens,  nous  traîner  en  galère,  nous 
faire  mourir  cruellement.  La  cruauté,  la  violance,  la  barbarie  ne  fait 
que  des  ypocrites,  mes  non  pas  de  prosélites. 

Nous  espérons.  Monsieur,  que  vous  serez  touché  des  gens  qui 
croient  sincèrement  ce  qu'ils  soutiennent,  et  quand  notre  créance 
serait  autant  fauce  comme  elle  est  véritable,  nous  serions  toujours 
plus  dignes  de  compassion  que  d'haine.  Soyez  persuadé  que  notre 
religion  est  de  Dieu,  que  tant  que  durera  soleil,  tant  aussy  durera 
notre  religion  ;  les  massacres  exercés  par  les  papes  ou  par  leurs  con- 
seils ne  l'on  jamais  entièrement  éteinte.  L'expérience  montre  que, 
dans  ce  royaume,  les  maçacres  exercés  environ  deux  cent  cinquante 
ans  n'on  pu  ctoufTer  du  tout  la  religion  protestante,  mes  bien  ceux 
qui  ont  été  les  instruments  de  la  violence  ont  fait  une  fin  misérable. 
Aujourd'huy  nous  bénissons  Dieu  de  ce  que  nos  princes  sont  radou- 
cis; nous  espérons  que  le  grand  Dieu  (jui  a  cré  le  ciel  et  la  terre,  le- 
quel nous  adorons,  manifestera  notre  innocence,  nous  donnera  des 
jours  de  paix  et  de  rafraîchissement;  alors  nous  éclaterons  en  actions 
de  grâces,  nous  oublierons  tous  les  meaux  que  nous  avons  souffert, 
nous  dresserons  des  vœux  et  des  supplications  au  Ciel  en  faveur  de 
tous  nos  bienfaiteurs  du  nombre  desiiuels  nous  vous  tenons,  et  suis. 
Monsieur,  v.  t.  h.  et  très  obéissant  serviteur, 

CORTEIS. 


PASTEUR   Di;    DÉSERT.  159 

II.  A  M.  Dussain,  marchand  droguiste,  proche  V Hôtel  de  Ville, 
à  Nîmes. 

Monsieur,  la  part  que  vous  prenez  à  la  gloire  de  Dieu  et  aux  in- 
térêts de  la  vérité  et  à  l'honneur  de  notre  sainte  religion,  me  fait 
espérer  que  vous  recevrez  de  bonne  part  ce  que  ma  conscience  et  le 
conseil  de  mes  frères  m'engage  à  vous  écrire. 

Ont  nous  a  dit  que  Jean  Vessou  du  lieu  de  Gros  en  Cévennes,  pré- 
dicant,  venait  dans  vos  quartiers.  Nous  sommes  obligés  en  bonne 
conscience  de  vous  avertir  selon  le  synode  de  Vitré,  tenu  en  Tan 
1583,  et  du  synode  de  Lyon  en  l'an  1563,  et  du  synode  de  Verteuil, 
tenu  en  1567,  comme  vous  pouvez  lire  dans  la  discipline  ecclésiasti- 
que, chap.  I"^  art.  kh  et  55  et  56.  Voici  l'article  :  «  Les  coureurs, 
c'est-à-dire  ceux  qui  n'ont  aucune  vocation  et  s'ingèrent  dans  le  saint 
ministère,  seront  réprimés  et  interdits,  et  ceux  qui  seront  déclarés 
schismatiques  seront  dénoncés  par  toutes  les  Eglises,  afin  qu'elles 
s'en  donnent  garde.  Et  ceux  qui  s'ingèrent  dans  le  saint  ministère  sans 
y  être  légitimement  appelés,  c'est-à-dire  ceux  qui  s'ingèrent  d'eux- 
mêmes  dans  le  saint  ministère,  ils  seront  exortés  de  désister,  et,  au 
cas  qu'ils  persistent,  ils  seront  déclarés  schismatiques,  comme  aussi 
ceux  qui  les  suivront.  Voyez  le  synode  de  La  Rochelle  en  1571,  et 
celui  de  Montauban  en  1594. 

Comme  les  fautes  d'infirmité  et  dont  le  pécheur  est  vrayment  re- 
pentant, méritent  d'être  cachées,  de  même  aussi  les  fautes  nuisibles 
comme  trahisons;  2°  les  fautes  publiques  dont  l'Eglise  en  sont  scan- 
dalisées; 3°  les  fautes  comises  avec  obstination  en  méprisant  toutes  les 
exortations,  toutes  les  remontrances,  et  se  montrant  toujours  obs- 
tinés et  rebelles.  Jésus-Christ  veut  qu'on  n'ait  plus  aucune  condes- 
cendance pour  lui  (Matth.,  ch.  XVIII),  et  saint  Paul  aux  Galattes 
(ch.  V),  veut  qu'on  le  reprenne  publiquement,  afin  que  les  autres  en 
aient  crainte. 

Vessou  se  trouve  dans  ce  cas,  c'est-à-dire  il  pèche  contre  les  lu- 
mières de  la  raison;  2»  contre  les  lumières  de  la  conscience;  3**  contre 
les  règles  de  la  religion;  4°  contre  les  préceptes  de  la  doctrine  apo- 
stolique, qui  veut  que  toutes  choses  se  passent  honnêtement  et  par 
ordre  (1  Cor.,  ch.  XIV,  v.  20). 

Vessou  n'a  point  voulu  recevoir  les  conseils  que  les  pasteurs  de  Ge- 


160  DECX    LETTRES    liNEDITES    DE    CORTEIS. 

nève  ont  pris  la  peine  de  lui  écrire.  Yessou  a  été  cié.iiis  dans  une  as- 
semblée synodale,  et  sa  démission  est  fondée  sur  neuf  crimes.  Vessou 
n'a  point  fait  de  cas  ni  d'estime  de  cette  démission,  et  il  c'est  servi  de 
la  misère  du  temps  pour  percévérer  à  faire  le  méchant,  le  rebelle, 
sans  ce  vouloir  jamais  justifier  depuis  sa  démission,  et  accusé  d'avoir 
voulu  débaucher  une  jeune  fille  et  dont  il  ne  s'est  pas  voulu  justi- 
fier. Il  est  accusé  de  dire  que  les  fidelles  non  pas  le  Saint-Esprit:  il 
est  accusé  de  dire  une  multitude  de  mensonges,  d'avoir  dit  qu'il  veut 
faire  un  soulèvement.  Il  est  accusé  d'avoir  dit  en  pleine  assemblée, 
avec  un  air  de  fureur,  qu'il  ferait  un  désordre; d'avoir  dit  que  Jésus- 
Christ  avait  menti  et  commandé  de  tuer;  enfin,  il  fait  environ  huit 
ans  qu'il  est  le  sujet  de  nos  larmes,  de  nos  maux.  Il  a  été  toujours 
rebelle,  inflexible.  Il  nous  fuit,    il  s'éloigne  de  nous,   Aparement, 
l'orreur  de  ces  crimes  l'épouvante  et  n'ose  point  ce  produire.  Il  abuse 
de  quelque  peu  de  personnes,  de  leur  crédulité,  de  leur  faiblesse. 
Ont  nous  a  dit  qu'il  venait  dans  nos  contrées.  Notre  conscience 
nous  engage  à  vous  prévenir  que  Vessou  étant  un  menteur  de  pro- 
phession,  il  pourrait  avec  quelque  homme  ou  femme  vous  montrer 
plusieurs  letres  et  papiers  suposés,  et,  sous  des  aparances  de  zelle  et 
de  piété,  vous  séduire;  mais  surtout  comme  c'est  un  avare  ne  man- 
quera pas  de  faire  agir  pour  ramasser  tout  ce  qu'il  pourra  exiger. 

Vousavertirez  nos  frères  de  Villemanne,  de  Montagnac,  de  ne  re- 
cevoir aucun  prédicateur  à  moins  qu'il  ne  porte  des  bonnes  et  légi- 
times atestations  des  Consistoires,  et  parce  que  quelqu'un  vous  pour- 
rait surprendre  en  vous  montrant  des  atestations  suposécs,  avant  que 
de  leur  donner  aucun  privilège  et  de  vous  exposer  en  aucune  ma- 
nière. Ecrivez  au  Consistoire  de  Nîmes  qui  a  relaction  avec  tous  les 
autres. 

Et  quant  à  Vessou,  demandez-lui  s'il  est  aprouvé  des  légitimes 
Consistoires;  2"  sy  l'ont  peut  établir  consistoire  contre  consistoire; 
3° s'il  a  la  main  d'asociation  de  ces  frères;  4°  s'il  a  été  rctal)li  de- 
puis sa  démission,  et  s'il  c'est  justifié  de  ce  (}u'on  l'accusait;  5"  s'il 
n'a  pas  commis  un  orible  atantat  contre  Dieu  de  s'être  ingéré  à  ad- 
ministrer les  sacrements  étant  démis  et  sans  vocation;  montrez-lui 
l'art.  25  et  26  et  31  de  la  confession  de  foy,  le  17"  verset  du  XVI»  cha- 
pitre aux  Romains,  et  le  16'"  verset  du  III''  chapitre  de  l'épître  aux 
Philippiens,  Dites-lui  ensuite  (pi'il  vous  montre  quelque  article  de  la 
confession  de  foy,  de  la  discipline  et  quelque  passage   de  l'Ecriture, 


RECOUVREMENT    d'aEENDES   CONTRE    LES    NOUVEAUX   CONVERTIS.        161 

qui  luy  permette  d'être  rebelle  à  l'ordre   que  la  sagesse  de  Dieu  a 
étably  dans  son  Eglise. 

Quoique  nous  ne  pouvons  venir  sans  demander  congé  aux  Eglises 
que  nous  servons,  il  est  certain  qu'il  y  a  longtemps  que  nous  aurions 
demandé  quelque  semaine  pour  vous  venir  voir;  mais  le  frère  De- 
leuzes  nous  dit  que  la  baume  est  fermée  et  vous  n'avez  point  de 
place. 

Cependant,  je  vous  confesse,  je  vous  avoue,  que  je  meurs  du  désir 
de  vous  voir,  de  vous  embrasser  avec  toute  votre  chère  famille.  J'ai 
toujours  eu  une  grande  estime  pour  la  piété  de  Mademoiselle  votre 
épouse,  pour  celle  de  M.  Montel,  pour  celle  de  Mesdemoiselles  ses 
sœurs.  Je  seray  bien  (aise)  de  voir  Mademoiselle  son  épouse,  le  grand 
Dieu  la  fermisse  dans  la  vérité.  J'ai  bien  à  cœur  votre  hotte,  celui 
qui  est  changé  à  Villemanne.  Je  n'oublie  pas  le  bon  frère  Bénézet  et 
sa  brave  sœur.  Le  frère  Crotte  pocède  les  mêmes  désirs.  Et  tant  plus 
nous  en  parlons,  tant  plus  le  désir  s'augmante  de  vous  voir. 

Vous  nous  fairezbien  de  grâce  de  nous  informer  de  la  santé,  du 
zèle  et  piété  de  tous  nos  connaissances  de  Cornon,  de  Villemanne, 
de  Montagnac,  de  Saint-Pargoire,  de  Vendemiau.  Je  vous  donne  ici 
inclus  mon  adresse;  vous  n'avez  qu'à  jeter  au  bureau  à  Montpellier. 

J'ai  reçu  votre  lettre  ces  jours  passés  de  M.  Chapel.  Nos  amitiés  à 
tous  les  fidellcs  auxquels  sommes  comme  à  vous  en  particulier  vos 
sincères,  Corteis  et  Rouvière. 

Ce  13  janvier  1723. 


RECOUVR£inEHT  D'ARIENÛES  COHTRE  LES  NOUVEAUX  CONVERTIS 

EN   VERTU  DE   l'ÉDIT  DE   1724. 
1Î30. 

M.  Bec,  insliteur  à  Meauzac  (Tarn-et-Garonne),  nous  a  adressé  la  com- 
munication suivante  : 

L'édit  du  roi,  en  date  du  U  mai  1724,  ordonnait,  art.  V  :  «  Qu'il  fût  éta- 
bli autant  que  possible  des  maîtres  et  des  maîtresses  d'école  dans  toutes  les 
paroisses  où  il  n'y  en  avait  point,  pour  instruire  tous  les  enfants  de  l'un  et 
de  l'autre  sexe,  des  principaux  mystères  et  devoirs  de  la  R.  C.  A.,  et  R.,Ies 
conduire  à  la  messe  tous  les  jours  ouvriers,  autant  qu'il  serait  possible, 
leur  donner  les  instructions  dont  ils  ont  besoin  sur  ce  sujet,  et  avoir  soin 
qu'ils  assistent  au  service  divin  les  dimanches  et  fêtes.  » 

Art.  VI  :  «  Enjoignons  à  tous  les  pères,  mères,  tuteurs  ou  autres  per- 

xui.  —  11 


162  RECOUVREMENT    d'aMENDES 

sonnes  chargées  de  l'éducation  des  enfants,  et  nommément  de  ceux  dont  les 
pères  ou  les  mères  ont  fait  profession  de  la  R.  P.  R.,  ou  sont  nés  de  pa- 
rents religionnaires,  de  les  envoyer  aux  écoles  et  aux  catéchismes  jusqu'à 
l'âge  de  quatorze  ans,  même  pour  ceux  qui  sont  au-dessus  de  cet  âge  jus- 
qu'à celui  de  vingt  ans,  aux  instructions  qui  se  font  les  diii);mches  et  les 
fêtes ;  enjoignons  aux  curés  de  veiller  avec  une  attention  particu- 
lière sur  rinstruclion  desdits  enfants  dans  leurs  paroisses.  » 

Art.  VII  :  >'  Pour  assurer  encore  plus  l'exécution  de  l'art,  précédent, 
voulons  que  nos  procureurs  et  des  sieurs  hauts-justiciers  se  fassent  re- 
mettre tous  les  mois  par  les  curés,  vicaires,  maîtres  ou  maîtresses  d'école, 
ou  autres  qu'ils  chargeront  de  ce  soin,  un  état  exact  de  tous  les  enfants 
qui  n'iro7itpas  aux  écoles  et  aux  catéchismes  et  instructions,  de  leurs 
noms,  âges,  sexes,  et  des  noms  de  leurs  pères  et  mères,  pour  faire  ensuite 
les  poursuites  nécessaires  contre  les  pères  et  mères,  tuteurs  ou  curateurs, 
pu  autres  chargés  de  leur  éducation,  et  qu'ils  ayent  soin  de  rendre  compte, 
au  moins  tous  les  six  mois,  à  nos  procureurs  généraux,  chacun  dans  leur 
ressort,  des  diligences  qu'ils  auront  faites  à  cet  égard,  pour  recevoir  d'eux 
les  ordres  et  les  instructions  nécessaires.  » 

'  Cet  édit  n'a  pas  été  une  lettre  morte  pour  l'Eglise  de  Meauzac,  ainsi  que 
cela  résulte  des  pièces  ci-jointes,  que  j'ai  découvertes  parmi  de  vieux  pa- 
piers de  famille  appartenant  à  M.  Belluc,  Français,  et  descendant  de  ce 
mêine  Jean  Belluc,  premier  consul  et  collecteur  de  Meauzac,  qui  a  rédigé 
les  deux  certificats  ci-joints  et  qui  fut  condamné  à  dix  sols  d'amende,  parce 
que  son  fils  avait  manqué  une  fois  d'assister  à  la  messe. 

J'ai  la  satisfaction  de  constater  que,  malgré  les  persécutions  exercées 
contre  eux,  aucun  des  individus  nommés  dans  l'état  ci-joint  n'aban- 
donna la  foi  de  ses  pères,  du  moins  intérieurement,  puisque  leurs  descen- 
dants aujourd'hui  appartiennent  tous  à  l'Eglise  protestante. 


MEAUZAC. 

Septembre 
1729. 

6  liv.  10  sols. 


DIOCÈSE  DE  MONTAUBAN. 
ETAT  contenant  les  noms  des  particuliers,  nouveaux  convertis,  de 
la  communauté  de  Meauzac,  diocèse  de  Montauban,  qui  doivent 
être  condamnés  en  V amende  de  1 0  sols  pour  chaque  fois  que  leurs 
enfans  ont  manqué  d'assister  aux  écoles ,  messes  et  instructions 
pendant  le  mois  de  septembre  dernier,  savoir  : 


NOMS  DES  ENFANS,  DE  LEURS  PÈRES, 
MÈRES  ET  TUTEURS. 

NOMBRE 
Messes. 

DES  FOIS. 
Instructions. 

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II 

"  a 

A  'payé.  Jean,  fils  du  consul  (Belluc),  laboureur. 
A  payé.  Jean,  fils  de  Guillaume  Aché.    .     .     . 
A  payé.  Jean,  fils  d'Antoine  Nauges    .... 
A  payé.  Jeanne,  fille  de  Guillaume  Nogc.     .    . 

A  payé.  Doumenge,  sa  sœur 

A  payé.  Marguerite,  fille  de  Jean  Alègre.     .     . 
A  payé.  Marguerite,  fille  de  Jeanne-Marie    .    . 

2 

1 

2 

2 
2 
2 

1 

»1.  10s. 
1       10 

»      10 
61.  10  s. 

6f. 

7f. 

nf. 

CONTRE    LES    NOUVEAUX    CONVERTIS.  163 

Nous  soussigné.  M"  d'écolle  de  la  communauté,  certiffions  le  pré- 
sent véritable,  le  le»-  octobre  1729. 

Veu  la  déclaration  du  roy  et  l'ordonnance  de  M.  l'intendant,  en 
forme  d'instruction  du  1"  février  1729. 

Nous,  subdélégué  del'intendance  du  Languedoc  au  département 
de  Montauban,  avons  condamnéetcondamnonsles  compris  et  nommés 
audit  état  en  l'amende  de  dix  sols  pour  chaque  fois  que  leurs  enfants 
ont  manqué  aux  écolles,  messes  et  instructions  pendant  \e  mois  de 
septembre  dernier,  toutes  lesquelles  condamnations  se  montent  en- 
semble à  la  somme  de  six  livres  dix  sols,  au  payement  de  laquelle 
ils  seront  contraints  par  toutes  voyes  deuës  et  raisonnables,  et  sera 
notre  présente  ordonnance  exécutée  nonobstant  oppositions  ou  ap- 
pellations quelconques.  Fait  à  Montauban,  le  27  février  1730.  Signé  : 
Çahuzac. 

Je  soussigné,  receveur  général  des  amendes,  certiffie  la  copie  du 
présent  véritable  et  avoir  été  par  moy  çoUationnée  sur  le  jugement 
prononcé  par  M.  Cahuzac,  dont  l'original  est  entre  mes  mams,  pour 
être  ledit  état,  envoyé  à  M.  Domingon,  receveur  chargé  par  arrest 
du  16  novembre  1728,  d'en  faire  le  recouvrement  et  jes  y  Renommés 
contraints  au  payement  par  établissement  de  garnison  militaire, 
après  un  simple  avertissement,  conformément  à  l'instruction  de 
M.  l'intendant,  du  1"  février  1729. 

Fait  à  Montpellier  le  12^  mars  1730. 

Je  soussigné,  faisant  la  recette  des  tailles  du  diocèse  Bas-Monlau- 
ban,  certifie  avoir  coilationné  cest  état  sur  celuy  à  moy  adressé  par 
M.  l'intendant  pour  être  remis  au  collecteur  des  tailles  de  la  com- 
munauté de  Meauzac,  de  l'année  dernière  1729,  et  être  par  luy  faite 
la  levée  des  amendes  y  contenues  sur  les  particuliers  y  dénommés, 
pour  ensuite  le  montant  m'en  être  remis,  à  peine  de  garnison  mili- 
taire d'un  ou  plusieurs  dragons. 

Fait  à  Castelsarrasin,  le  1"  may  mil  sept  cent  trente. 

Domingon. 

A  Monsieur  Belluc,  collecteur  de  Meauzac,  pour  l'année  1729. 

Castelsarrasin,  le  2  décembre  1730. 

Je  vous  envoie.  Monsieur,  ci-joint  coppie  de  l'état  des  amandes 
4écernées  par  M.  l'intendant  contre  les  maître  et  maîtresse  d'écolle 


i6h       RECOUVRKMENT    d'aMENDES    CONTRE    LES   NOUVEAUX    CONVERTIS. 

de  votre  communauté,  du  mois  d'avril  1729,  qui  monte  à  vingt  li- 
vres pour  chacun.  Je  vous  donne  avis  de  les  leur  communiquer  et 
leur  en  faire  payer  à  chacun  le  montant  dans  quinsène  que  vous 
pourrés  me  remettre,  sans  quoy  je  serois  obligé  d'agir  contre 
vous. 

S'il  se  trouve  que  pour  lors  il  n'y  avoit  point  de  M^  ny  M^-*^  d'é- 
colle,  il  vous  suffira  pour  votre  décharge  de  me  remettre  un  certiffi- 
cat  signé  par  les  consuls  de  l'année  1729,  comme  quoy  il  n'y  avoit 
pendant  ce  mois-là  ny  M^  ny  M^^^  d'écolle. 

Si,  au  contraire,  il  n'y  en  avoit  qu'un  des  deux,  vous  pouvez  faire 
payer  celuy  qui  y  étoit  pour  lors  et  rapporter  un  certificat  pour  celuy 
ou  celle  qui  manquoit. 

Et  si  le  maître  ou  maîtresse  d'écolle  ont  eu  des  raisons  pour  ne 
point  faire  des  états  pendant  ledit  mois  ils  peuvent  s'adresser  à 
M.  l'intendant  et  luy  exposer  leurs  raisons  en  luy  présentant  un 
placet  qui  sera  répondu  d'une  modération  ou  décharge,  lequel  pla- 
cet  répondu  vous  leur  prendrez  pour  argent  comptant  et  que  je 
vous  recevrai  de  même. 

Il  ne  faut  point  perdre  du  temps  parce  que  je  ne  puis  donner  que 
la  quinsène. 

Je  suis  très  parfaitement.  Monsieur,  votre  très  humble  et  très 
obéissant  serviteur,  Domingon. 

Envoyez-moi  incessamment  le  montant  des  amendes  des  mois  de 
l'année  dernière  ou  des  décharges  de  M.  l'intendant,  puisque  les  par- 
ticuliers ont  eu  le  temps  de  les  obtenir,  si  vous  ne  voulez  me  forcer 
à  vous  envoyer  des  dragons. 

Nous  soussignés  Jean  Béluc,  premier  consul,  et  Jean  Paisseran, 
segon  consul,  qui  n'a  signé  pour  ne  savoir,  ayant  fait  la  fonction  de 
consuls  pendant  l'année  dernière  1729,  certifions  à  tous  ceux  qu'il 
appartiendra  que  pendant  le  mois  d'avril  de  ladite  année  il  n'y  a  eu 
dans  nostre  communauté  M-'  ny  M''""-'  d'écolle,  et  pour  le  justifier  de 
plus  fort  est  l'ordonnance  du  23  avril  1730,  de  M.  de  Cahuzac,  sub- 
délégué de  monseignçur  l'intendant  qui  décharge  nostre  commu- 
nauté de  payer  de  régent  pendant  ledit  temps  pour  n'avoir  point 
fait  le  service  de  ladite  année  172'.>.  Hkul. 

Nous,  consul  du  lieu  de  Mcauzac,  certifions  avoir  receu  le  2»  jan- 
vier 1730,  de  M.  Cahuzac,  deux  instructions  sur  ce  qui  doit  estre 


JEAN  LE  FOURNIER-MONTMORENCY.  165 

observé  pour  l'exécution  de  l'ordonnance  du  roy  du  30^  septembre 
1729,  portant  défenses  aux  nouveaux  convertis  de  la  province  de 
Languedoc  d'en  sortir  sans  permission  ;  le  5»  de  ce  mois  nous  l'avons 
fait  lire  et  publier  et  afficher.  A  Meauzac,  ce  6  janvier  1730, 

Béluc,  consul. 

Et  ennote :  J'ai  remis  une  copie  du  présent  à  M.  de  Cahuzac. 


JEAN  LE  FOURNIERmONTRIORENCY 

BAHON   DK    NEUVILLE    ET   SEIGNEUR   d'aULISY  ,    EN    CUAMPAaNB 

RÉFUGIÉ   A   DALHEM,    PAYS   DE    LIÈGE 

1?4:0. 

Monsieur  le  Président,  voici  quelques  renseignements  sur  un  personnage 
qui  ne  ligure  pas  dans  la  France  protestante  de  MM.  Haag.  Le  registre 
11°  4  des  Résolutions  et  Actes  du  Consistoire  de  l'Eglise  (wallonne)  réfor- 
mée de  Dalhem,  province  de  Liège,  est  le  seul  qui  ait  échappé  à  la  des- 
truction ;  j'aurais  eu  sans  cela  de  nombreux  renseignements  à  vous  donner 
sur  les  victimes  de  la  révocation  de  l'Edit  de  Nantes.  Tout  ce  que  j'ai  pu 
savoir  de  Jean  Le  Fournier,  dont  il  est  question  dans  le  document  ci-joint, 
extrait  de  ce  registre,  c'est  qu'il  signait  :  Jean  Le  Fournier-Montmorency, 
baron  de  Neuville,  et  qu'il  accepta,  le  2  juin  1741,  la  charge  d'ancien  de 
l'Eglise  de  Dalhem.  Les  noms  français  que  je  rencontre  dans  le  registre 
que  j'ai  à  ma  disposition  sont  ceux  de  Monestier,  pasteur;  Guinosau, 
maître  d'école;  Charles  Guion  de  la  Tour,  diacre;  Coilotte,  de  Saini- 
Ouentin,  et  Antoine  Bousquet,  dont  les  descendants  habitent  la  Hollande. 

Cit.  Rahlenbeck, 

Consul  de  Saxe-Weimar  à  Bruxelles. 
Daihem,  près  Visé,  24  juin  1864. 

CONSISTOIRE   TENU   A  DALHEM,   LE    17   SEPTEMBRE    174'0. 

Art,  1er.  Après  l'invocation  du  saint  nom  de  Dieu,  la  compagnie  a 
délibéré  si  elle  pouvoit  admettre  à  la  participation  de  la  sainte  Cène 
Messire  Jean  le  Fournier,  baron  de  Neuville  et  seigneur  d'Aulisy  en 
Champagne  qui,  étant  sorti  passé  quelques  mois  de  ce  pays-là,  est 
venu  se  réfugier  en  ce  lieu  où  il  a  pris  résidence  et  fréquenté  nos 
saintes  assemblées. 


166  JEAN    LE   FOIRNIER-MONTMORENCY . 

Art.  II.  Sur  quoi  la  compagnie  a  examiné  l'attestation  dontle  con- 
tenu sera  au  bas  transcrit,  et  réfléchissant  que  depuis  la  date  de 
cette  attestation,  il  s'est  écoulé  un  long  laps  de  temps  pendant  lequel 
ce  seigneur  a  continué  son  séjour  en  France,  elle  a  souhaité  d'être 
certiorée,  au  moins  de  la  bouche  dudit  seigneur,  s'il  ne  lui  est  point 
arrivé  par  séduction  ou  autrement,  d'y  faire  quelque  acte  de  la  reli- 
gion romaine,  à  quelle  fin  elle  lui  a  député  nos  très  chers  frères, 
iMM.  Matthieu  Franck  et  Germain  Déranger,  anciens. 

Suit  l'attestation  susdite  : 

«  Nous,  les  conducteurs  de  l'Eglise  wallonne  de  Namur,  témoi- 
«  gnons  que  M.  Jean  LeFournier,  chevalier,  baron  de  Neuville,  étant 
«  sorti  de  France  pour  cause  de  religion  il  y  a  environ  six  mois,  solli- 
«  cité  à  faire  cette  démarche  par  la  persécution  renouvelée  en  France 
«  avec  beaucoup  de  rigueur,  a  passé  au  milieu  de  nous  six  mois  environ, 
c(  se  conduisant  toujours  d'une  manière  édifiante  et  irréprochable,  et 
«  donnant  des  marques  d'une  grande  piété  tant  à  l'égard  de  son  zèle 
«  pour  notre  sainte  religion,  qu'à  l'égard  de  tous  les  actes  publics  de 
«  dévotion  qu'il  a  exactement  remplis,  comme  la  fréquentation  des 
«  saintes  assemblées,  et  la  participation  au  sacrement  de  la  sainte 
«  Cène.  Et  comme  nous  avons  été  avec  un  très  grand  plaisir  et  par- 
ce ticulière  satisfaction,  témoins  de  ces  beaux  sentiments  de  piété, 
«  nous  prions  toutes  les  Eglises  où  il  pourroit  se  retirer,  de  le  recon- 
«  noître  pour  un  très  digne  membre  de  l'Eglise  chrétienne,  et  de  lui 
a  accorder  en  cette  qualité  tous  les  bons  olfices  qu'il  pourroit  de- 
«  mander.  En  foi  de  quoi  nous  avons  signé  le  présent  témoignage.    . 

«  Fait  à  Namur,  le  21  janvier  1725. 

«  Trosseillier,  pasteur;  Kiswetter,  ancien;  Laubonnier,  seigneur 
«  de  Rivecourt,  diacre;  Des  Prler,  diacre;  4.  Maigin,  diacre.  » 

Art.  m.  Nos  députés,  nommés  ci-dessus,  ont  fait  rapport  que  s'é- 
tant  rendus  chez  ledit  seigneur,  et  lui  ayant  exposé  le  sujet  de  leur 
commission,  il  leur  a  déclaré  cl  protesté  sur  sa  conscience  que  depuis 
la  date  de  ladite  attestation,  et  même  dès  longtemps  auparavant,  il 
n'a  assisté  à  aucun  service  de  la  religion  romaine,  et  qu'il  n'en  a  fait 
aucun  acte,  ni  public  ni  privé.  Ajoutant  que  passé  '25  ans  il  fit  abju- 
ration du  pjipisme  devant  le  consistoire  de  l'Eglise  réformée  de  La 
Hnye  où  il  fut  reçu  et  participa  à  la  table  sacrée,  et  qu'ensuite  il 
s'est  rendu  de  temps  en  temps  et  a  étj  reçu  à  noire  sainte  commu- 
nion  dans  les  Eglises  réformées  de  Tournay  et  de  Namur,  enfin  que, 


DEUX    LETTRES   DE   BOISSY   D  ANGLA3   A   RULHIERE.  167 

passé  trois  ans,  il  est  venu  assister  à  nos  exercices  de  piété  à  Maas- 
tricht, de  quoi  quelques  membres  de  cette  compagnie  rendent  té- 
moignage. 

Art.  IV.  Le  tout  mûrement  considéré,  et  que  ledit  seigneur,  baron 
de  Neuville,  a  fait  pour  la  religion  le  sacrifice  d'abandonner  sa 
femme,  ses  enfants,  et  des  biens  considérables,  la  compagnie  dé- 
clare l'admettre  à  la  participation  du  sacrement  de  la  sainte  Cène. 

Art.  V.  Les  mêmes  députés  sont  chargés  de  communiquer  ce 
dernier  article  sus  couché  audit  baron  de  Neuville,  et  de  l'assurer 
que  la  compagnie  prie  le  Seigneur  de  répandre  sa  bénédiction  sur  sa 
personne,  et  de  le  fortifier  de  plus  en  plus  afin  qu'il  persévère  dans 
notre  sainte  religion. 

Jean  George  Câron,  pasteur.  M.  Franck,  ancien.  G.  Beranger,  an- 
cien. B.  Desrez,  diacre. 


DEUX  LETTRES  DE  BOISSY  D'ANGLAS 

A   RULHIERE 


DS   L  ACADEMIE   FRANÇAISE. 


Il  existe  parmi  les  manuscrits  de  la  Bibliothèque  impériale  deux  volumes 
in-folio  cotés  aujourd'hui  :  Supplément  français,  4026,  et  intitulés  :  Jf~ 
/aires  du  Calvinisme,  depuis  ]  QQ^  jusqu' au  rétablissement  de  la  tolé- 
rance en  ] 188. 

Ces  deux  volumes  ne  sont  reliés  que  depuis  quelques  années;  les  pièces 
dont  ils  se  composent  étaient  encore,  il  y  a  dix  ans,  renfermées  dans  deux 
cartons  et  on  lisait  en  tète  une  note  ainsi  conçue  : 

«  Cette  collection  de  pièces  était  restée  dans  le  département  des  livres 
«■  imprimés,  depuis  le  jour  où  elle  avait  été  déposée  à  la  Bibliothèque 
«  royale  jusqu'au  commencement  de  l'année  1836,  qu'elle  fut  renvoyée, 
«  par  erreur,  aux  Estampes,  avec  d'autres  portefeuilles  de  gravures  égale- 
«  ment  conservés  jusqu'alors  parmi  les  livres  imprimés.  M.  Duchesne,  con- 
«  serva'eur  des  estampes,  renvoya  la  collection  des  pièces  au  département 
«  des  Livres  manuscrits  où  sa  place  était  marquée.  » 

L'Avertissement  qu'on  va  lire,  et  qui  formait  la  première  pièce  du  recueil, 
va  en  expliquer  la  nature  et  la  provenance  : 


168  DEUX  LETTRES   DE   BOISSY    d'aNGLAS 

Cette  collection  a  été  faite  pour  servir  de  matériaux  et  de  piè(;es 
justificatives  :  1°  au  Mémoire  ou  rapport  général  sur  la  sitvation  des 
Calvinistes  en  France,  sur  les  causes  de  cette  situation  et  sur  les  moyens 
d'y  remédier.  Mis  sous  les  yeux  du  roi  au  mois  d'octobre  1786,  par 
M.  le  baron  de  Breteuil,  ministre  et  secrétaire  d'Etat. 

Ce  rapport  a  été  donné  au  public  dans  la  seconde  partie  d'un  ou- 
vrage intitulé  :  Eclaircissements  historiques  sur  les  causes  de  la  révo' 
cation  de  l'Edit  de  Nantes,  et  sur  la  situation  des  Calvinistes  en  France 
depuis  le  comînencement  du  règne  de  Louis  XJV  jusqu'à  nos  jours, 
tirée  de  différentes  archives  du  gouvernement.  1788. 

Le  ministre  qui  a  fait  ce  rapport  au  roi  y  parle  en  ces  termes  : 
«  Toultes  ces  pièces  secrettes,  mais  authentiques;,  composent  le  corps 
«  de  preuves  de  ces  vérités  pour  la  plupart  ignorées  jusqu'à  présent; 
«  et  comme  elles  forment  une  partie  curieuse  de  notre  histoire,  j'ai 
«  eu  soin  qu'elles  fussent  receuiliies.  J'ai  même  le  dessein  de  faire 
«  déposer  cette  collection  à  la  bibliothèque  du  roi.  Si  quelques-unes 
«  de  ces  pièces  originales  doivent  rentrer  dans  les  différentes  ar- 
ec chives  auxquelles  elles  appartiennent,  chaque  copie  déposée  à  la 
«  bibliothèque  du  roi,  indiquera  le  lieu  où  se  trouvera  l'original  dont 
«  elle  sera  copiée.  Jamais  monuments  plus  surs  et  plus  incontestables 
«  n'auront  été  offerts  aux  historiens.  » 

2»  Cette  collection  contient  aussi  presque  toutes  les  pièces  justifi- 
catives de  l'ouvrage  intitulé  :  Eclaircissements  historiques,  etc.,  com- 
posé par  M.  deRulhière,  capitaine  de  cavalerie,  chevalier  de  l'ordre 
royal  et  militaire  de  Saint-Louis,  et  l'un  des  quarante  de  l'Académie 
française.  L'auteur  s'exprime  ainsi  dans  le  premier  chapitre  de  cet 
ouvrage  :  «  Enfin,  la  sagesse  du  gouvernement  ayant  voulu  depuis 
«  peu  s'instruire  à  fond  de  tout  ce  qui  regarde  les  calvinistes  fran- 
«  çais,  j'ai  profité  de  cette  disposition  favorable  pour  étendre  mes 
«  recherches  dans  les  plus  secrètes  archives,  au  Louvre,  aux  Augus- 
«  tins,  à  rHôlel  de  la  guerre,  au  dépôt  des  Affaires  étrangères.  J'ai 
«  rassemblé  les  différentes  instructions  adressées  aux  intendants  des 
0  provinces  et  jusqu'à  présent  inconnues,  les  ordres  aux  conunan- 
«  dants  des  troupes,  les  lettres  aux  évêques,  aux  magistrats,  à  quel- 
«  ques  ambassadeurs,  tous   les  comptes  rendus  au  roi   et   à  ses 
«  ministres,  les  mémoires  qui  ont  déterminé  presque  toutes  les  réso- 
a  lotions  et  ceux  où  l'on  a  discuté  les  motifs  et  les  intentions  de  cette 
«  multitude  de  lois  qu'on  vit  se  succéder  avec  tant  de  rapidité.  Telles 


A    UULHIÈRE.  169 

«  sont  les  pièces  justificatives  que  je  puis  offrir  au  public  en  écrivant 
«  sur  une  matière  qui  a  déjà  produit  un  grand  nombre  d'écrits  et  qui, 
«  à  ce  que  j'espère,  paraîtra  encore  neuve.  » 

Voilà  ce  que  contient  la  collection  suivante  dont  ledit  sieur  aca- 
démicien soussigné  a  fait  le  dépôt  à  la  bibliothèque  du  roi,  entre  les 
mains  de 

Cet  écrit,  resté  inachevé,  est,  on  le  voit,  de  la  main  de  Rulhière,  et  ap- 
prend qu'il  s'agit  de  copies  de  pièces  qu'il  avait  recueillies  aux  sources  offi- 
cielles pour  composer  son  célèbre  ouvrage  publié  en  4  788,  sous  le  titre 
d'Eclaircissements  historiques,  etc.  Il  s'y  trouve,  mêlé  à  ces  copies,  quel- 
ques documents  originaux,  telles  que  les  deux  lettres  suivantes  de  Boissy 
d'Anglas  qu'on  lira  avec  intérêt.  Elles  sont  en  tête  du  tome  I'^'". 

A  M.  le  chevalier  de  fiulhières,  de  l' Académie  française,  etc., 
rue  du  Dauphin,  à  Paris, 

Vous  m'avez  demandé.  Monsieur,  des  détails  sur  l'origine  et  sur 
l'histoire  de  l'Académie  de  Nismes  dont  j'ai  l'honneur  d'être  membre; 
je  vais  m'efforcer  de  remplir  vos  vues,  en  vous  priant  d'être  persuadé 
de  tout  le  plaisir  que  j'ai  de  faire  quelque  chose  qui  puisse  vous  être 
agréable;  je  suis  persuadé  depuis  long-temps  de  l'estime  que  méri- 
tent vos  qualités  personnelles  et  vos  talens  distingués  ;  et  c'est  avec 
une  véritable  satisfaction  que  je  saisis  l'occasion  de  vous  en  présenter 
le  témoignage. 

L'origine  de  l'Académie  de  Nismes  est  semblable  à  celle  de  l'Aca- 
démie française.  Ses  premières  séances  se  tenaient  chez  un  gentil- 
homme de  Nismes,  nommé  le  Marquis  de  Peraud,  et  ce  n'était 
d'abord  que  des  assemblées  de  gens  de  lettres  unis  par  l'amitié  et 
qui  se  communiquaient  sans  prétention  leurs  lumières  et  leurs  avis. 
Le  Marquis  de  Peraud  proposa  d'ériger  cette  société  en  Académie. 
Il  y  appela  plusieurs  autres  personnes  d'un  mérite  distingué,  parmi 
lesquelles  étaient  Cassagnas,  père  de  l'abbé  Gassagnas  de  l'Académie 
française  ;  Graverai,  jurisconsulte  très  célèbre  et  qui  était  aussi  érudit 
et  poète  ;  Saurin,  père  du  ministre  Jacques  Saurin,  le  plus  éloquent 
des  prédicateurs  protestants;  Guiraud,  homme  très  versé  dans  la 
connaissance  de  l'antiquité  et  qui  était  conseiller  au  parlement 
d'Orange  ;  Teissier,  avocat  au  présidial  de  Nismes,  mort  au  commen- 


170  DEUX    LETTRES    DE    BOISSY    d'aNGLAS 

cernent  de  ce  siècle  à  la  cour  de  Prusse,  après  avoir  publié  quelques 
ouvrages  liistoriques  et  plusieurs  écrits  en  faveur  de  la  religion  pro- 
testante; Faure  de  Fondaments,  ami  et  compatriote  de  Pélisson  et 
celui  à  qui  ce  dernier  a  dédié  son  Histoù^e  de  l'Académie  fran- 
çaise, etc. 

Les  premières  assemblées  régulières  de  l'Académie  sont  du  mois 
,d'avril  1682;  TAcadémie  y  choisit  pour  son  protecteur  l'évêque  de 
Nismes,  Séguier,  parent  du  chancelier  de  ce  nom  qui  avait  été  un  des 
premiers  protecteurs  de  l'Académie  française.  Elle  fixa  le  nombre 
de  ses  membres  à  vingt-six  qui  doivent  résider  à  Nismes,  et  elle  en 
députa  deux  auprès  du  ministre  pour  demander  des  lettres  patentes. 
Nous  voyons  dans  les  registres  de  cette  compagnie,  qu'elle  adopta 
entièrement  les  statuts  et  les  usages  de  l'Académie  française, 
qu'elle  élut  les  mêmes  officiers  qu'elle;  et  qu'enfui  elle  prit  pour 
devise  une  palme  avec  ces  mots  Simula  Lauri  qui  font  allusion  au 
laurier  de  l'Académie  française,  et  qui  témoignent  le  désir  qu'elle 
avait  de  la  prendre  pour  son  modèle. 

Louis  XIV,  par  ses  lettres  patentes  du  mois  d'août  1682,  rappor- 
tées en  entier  par  l'historien  de  Nismes,  Menard,  aux  Preuves  du 
tome  VI  de  son  histoire,  page  13-2,  confirma  cet  établissement  en 
donnant  à  la  compagnie  le  titre  à' Académie  royale,  au  lieu  de  celui 
d'Académie  française  qu'elle  avait  demandé.  Il  autorisa  ses  assem- 
blées comme  propres  à  maintenir  la  pureté  de  la  langue  française,  et 
à  faire  naître  de  plus  en  plus  le  goût  des  arts  et  des  lettres  :  il 
accorda  aux  membres  de  l'Académie,  les  mêmes  privilèges,  honneurs, 
libertés  et  franchises,  dont  jouissaient  ceux  de  l'Académie  française  ; 
et  approuva  leurs  statuts,  en  les  autorisant  à  les  changer  ou  modi- 
fier à  leur  gré. 

Les  premières  séances  de  l'Académie  de  Nismes  furent  remplies 
par  la  lecture  et  par  l'examen  critique  des  livres  nouveaux  ;  plusieurs 
savants  étrangers  et  nationaux  s'empressèrent  de  lui  adresser  leurs 
ouvrages  et  de  demander  son  jugement. 

La  mort  de  Vévêque  Séguier  permit  à  l'Académie  de  mettre  à  sa 
tête  un  homme  dont  la  gloire  devait  lui  dnnocr  un  nouveau  lustre. 
Elle  élut  pour  son  protecteur  l'illustre  Fléchier  alors  évêque  de 
Nismes,  et  déclara  en  môme  temps  que  ce  n'était  point  à  sa  dignité 
qu'elle  rendait  hommage,  mais  à  son  talent  et  à  son  mérite  supé- 
rieur. 


A   RULHÎÈRE.  itl 


Ce  fut  à  Flèchier,  Monsieur,  que  l'Académie  de  Nismes  dut  l'hon- 
neur d'être  associée  à  l'Académie  française.  On  voit  en  effet  dans  les 
registres  de  cette  illustre  compagnie  à  laquelle  vous  appartenez  à  si 
juste  titre,  et  sous  la  date  du  septembre  1692,  «  que  sur  la 
«  demande  qui  lui  en  avait  été  faite  par  M.  l'évêque  de  Nismes,  et 
«  pour  témoigner  son  estime  pour  un  académicien  aussi  distingué, 
«  elle  consentit  à  s'associer  l'Académie  de  Nismes,  de  la  même  ma- 
«  nière  qu'elle  s'était  déjà  associé  l'Académie  d'Arles.  » 

Le  30  octobre  suivant  les  députés  de  l'Académie  de  Nismes,  vin- 
rent prendre  séance  à  l'Académie  française  dans  une  assemblée 
publique  qui  fut  tenue  pour  ce  seul  objet.  M.  l'abbé  Bégaut  porta  la 
parole  pour  l'Académie  de  Nismes,  et  M.  Tourreil,  alors  directeur  de 
l'Académie  française,  lui  répondit  au  nom  de  sa  compagnie  ;  et  il  est 
à  remarquer  que  les  deux  discours  qui  furent  imprimés,  et  qu'on 
trouve  dans  les  recueils  de  l'Académie  française  et  dans  les  œuvres 
de  leurs  auteurs,  furent  presque  entièrement  consacrés  à  la  louange 
du  roi,  et  dictés  par  l'adulation  et  la  flatterie. 

L'Académie  de  Nismes  dut  trouver  un  puissant  tnotif  d'émulation 
dans  l'association  glorieuse  qu'elle  venait  d'obtenir;  et  sans  doute 
elle  n'aurait  pas  manqué  de  prouver  bientôt  qu'elle  était  digne  de 
cet  honneur,  si  les  calamités  des  temps  et  des  lieux  ne  s'étaient 
opposées  avec  trop  de  succès  à  ses  études  et  à  ses  travaux.  Les  pre- 
miers membres  de  l'Académie  avaient  été  choisis  indistinctement 
parmi  les  protestants  et  les  catholiques;  et  le  nombre  des  uns  était 
à  peu  près  égal  à  celui  des  autres.  La  révocation  de  l'Edit  de  Nantes, 
en  élevant  un  mur  de  séparation  entre  les  deux  partis,  bannit  né- 
cessairement du  sein  de  l'Académie  la  concorde  et  l'union  sans  les- 
quelles on  ne  peut  voir  fleurir  les  lettres  et  les  arts.  Les  persécutions 
et  les  troubles  qui  suivirent  cet  événement  trop  remarquable  por- 
tèrent l'eff'roî  et  les  allarmes  jusques  dans  le  temple  des  Muses,  et 
leur  sanctuaire  fut  bientôt  abandonné. 

Ceux  des  membres  de  l'Académie  qui  professaient  la  religion 
protestante,  ou  s'étaient  réfugiés  chez  l'étranger  comme  Teissier,  ou 
comme  Gravens,  étaient  tour  à  tour  condamnés  à  la  fuite  ou  à  la 
captivité.  On  voit  dans  les  registres  de  l'Académie  qu'une  de  ses 
séances  fut  interrompue  par  la  nouvelle  qui  y  fut  apportée,  que  les 
dragons  feraient  des  perquisitions  dans  les  maisons  des  académiciens 
pour  s'assurer  s'ils  n'avaient  pas  des  amas  d'armes.  L'Académie 


172  DEUX    LETTRES   DE    BOISSY   d'aNGLAS 

possède  dans  ses  chartes  une  sauvegarde  qu'elle  fut  obligée  de 
demander  pour  tous  ses  membres  au  gouverneur  de  la  province,  afin 
que  ses  privilèges  fussent  respectés,  et  que  les  académiciens  ne  fus- 
sent pas  obligés  de  loger  chez  eux  des  gens  de  guerre. 

La  présidence  dont  Fléchier  s'imposa  l'obligation  pendant  les 
dernières  années  de  son  épiscopat,  ne  put  pas  ranimer  le  zèle  et 
faire  revivre  les  travaux  de  l'Académie.  Ses  séances  ne  se  tenaient 
plus  que  très  rarement  :  elle  avait  cherché  en  vain  à  remplacer  les 
membres  qu'elle  avait  perdus,  et  dont  la  plupart  étaient  allés  porter 
à  l'étranger  leurs  talens  et  le  fruit  de  leurs  études.  Nous  voyons 
dans  ses  registres  qu'elle  avait  adopté  Paidian  et  Chéron,  qui  tous 
les  deux  avaient  abjuré  la  religion  protestante,  et  qui  de  ministres 
protestans  s'étaient  faits  avocats  au  présidial  et  ensuite  conseillers 
dans  cette  cour.  Mais  la  fin  du  dernier  siècle  vit  s'interrompre  abso- 
lument tous  les  travaux  académiques;  il  n'y  eut  plus  de  séances,  on 
ne  nomma  plus  les  officiers  de  l'Académie,  et  les  places  que  la  mort 
fit  vaquer  restèrent  sans  être  remplies.  Ce  ne  fut  que  plus  de  trente 
ans  après  que,  sous  l'épiscopat  de  la  Painsière,  l'abbé  Begans  ras- 
sembla les  membres  de  l'Académie  qui  vivaient  encore,  et  leur  pro- 
posa de  nommer  aux  places  vacantes  depuis  si  long-temps  et  de  se 
choisir  un  protecteur.  Mais  il  paraît  que  cette  tentative  n'eut  pas  un 
grand  succès  et  qu'on  se  borna  à  ces  élections,  sans  que  l'Académie 
reprît  son  activité  et  ses  études.  Enfin  la  paix  étant  revenue  dans 
ces  belles  contrées,  trop  long-temps  le  théâtre  des  persécutions 
et  des  attentats  du  fanatisme,  on  vit  renaître  le  goût  des  lettres 
et  fleurir  de  nouveau  les  arts.  11  restait  encore  un  très  petit  nombre 
des  académiciens  élus  sous  l'épiscopat  de  la  Parisière  ;  ils  se  réuni- 
rent à  plusieurs  autres  amis  des  lettres  qui  s'assemblaient  déjà  en 
très  grand  nombre  sous  le  nom  d'Ecole  littéraire,  et  l'Académie  fut 
bientôt  complctte.  C'était  en  1752;  et  depuis  lors  l'Académie  n'a 
pas  interrompu  ses  travaux,  et  le  nombre  de  ses  membres  a  toujours 
été  complet. 

L'illustre  Ségnifr,  à  la  mémoire  duquel  j'ai  osé  payer  un  faible 
tribut  dans  une  lettre  imprimée  dans  le  journal  de  Paris  du  12  octo- 
bre 1784,  après  avoir  fait  la  gloire  de  l'Académie  par  ses  immenses 
travaux  et  par  son  érudition  véritabKincnt  étonnante,  a  voulu  par 
ses  bienfaits  fixer  à  jamais  son  existence  jusques  alors  incertaine  et 
précaire.  Il  lui  a  légué  la  maison  qu'il  habitait,  et  qui  est  maintenant 


A    RULHIÈRE.  173 

Vflôtel  de  V Académie  :  il  a  joint  à  ce  don  celui  de  sa  bibliothèque,  et 
de  ses  cabinets  d'histoire  naturelle  et  d'antiquités.  Le  roi  Louis  XVI 
a  permis  à  l'Académie  d'accepter  ces  dons,  en  lui  accordant 
Texemption  des  droits  d'amortissement;  et  les  parlemens  qui  ont 
enregistré  ces  lettres  patentes  ont  imité  la  générosité  du  roi  en 
n'exigeant  point  d'épices. 

L'Académie  ne  possède  aucuns  fonds;  elle  trouve  dans  le  zèle  de 
ses  membres  ceux  qui  lui  sont  nécessaires  pour  l'entretien  de  son 
hôtel  et  de  ses  cabinets.  Elle  veut  néanmoins  solliciter  les  bienfaits 
du  roi,  moins  pour  elle  que  pour  l'honneur  de  la  mémoire  de  M.  Sé- 
guier  et  pour  l'avantage  des  savans.  M.  Séguier  a  légué  à  l'Aca- 
démie ses  manuscrits;  l'un  d'eux  est  un  ouvrage  complet  sur  les 
inscriptions  anciennes.  Il  renferme,  outre  un  volume  entier  de  pro- 
légomènes écrits  en  latin,  un  répertoire  complet  de  toutes  les  in- 
scriptions grecques  et  latines  qui  existent,  avec  leur  explication  et 
l'indication  du  lieu  où  elles  se  trouvent.  Cet  ouvrage,  dans  lequel 
on  trouve  plus  de  trente  mille  inscriptions  qui  n'avaient  été  connues 
d'aucun  autre  savant,  et  que  M.  Séguier  a  recueillies  le  premier, 
manque  absolument  aux  érudits  :  il  pourrait  former  deux  gros 
volumes  in-folio  ;  l'Académie  est  hors  d'état  de  le  pubher,  si  le  gou- 
vernement ne  daigne  venir  à  son  secours  en  souscrivant  au  moins 
pour  un  certain  nombre  d'exemplaires. 

L'Académie  est  toujours  composée  de  vingt-six  académiciens  rési- 
dans  à  Nismes,  et  d'un  nombre  illimité  d'associés  étrangers.  Elle  a 
les  mêmes  officiers  que  l'Académie  française  de  qui  elle  tient  à  grand 
honneur  d'être  l'associée  et  l'émule  {A^mula  Lauri).  Elle  se  livre 
sans  exclusion  à  tous  les  genre  d'étude  :  elle  a  un  prix  à  distribuer 
et  qui  a  été  fondé  par  M.  l'abbé  de  Saint-Marcel  un  de  ses  membres. 
Elle  s'assemble  toutes  les  semaines^,  et  tient  une  assemblée  publique 
tous  les  ans.  Mgr  l'évêque  de  Nismes  actuel  est  son  protecteur. 

Voilà,  Monsieur,  tous  les  détails  qu'il  m'est  possible  de  vous 
donner,  et  que  j'ai  puisés  dans  les  registres  de  l'Académie  et  dans 
Y  Histoire  de  Nismes  de  Menan.  Je  n'ai  rien  omis  de  ce  que  j'ai  cru 
pouvoir  vous  intéresser  et  remplir  votre  objet  ;  et  vous  pouvez. 
Monsieur,  compter  sur  mon  exactitude  et  sur  ma  fidélité,  quoique  je 
n'aye  écrit  que  de  mémoire  et  loin  des  actes  originaux. 

Je  vous  prie.  Monsieur,  de  vouloir  bien  agréer  l^expression  des 
sentimens  d'estime  que  je  vous  dois. 


ilA  DEUX    LETTRES    DE    BOISSV    d'aNGLAS    A    RULHIÈRE. 

Je  suis  avec  respect,  Monsieur,  votre  très  humble  et  très  obéissant 

serviteur. 

De  Boissy  d'Anglas, 
Des  Académies  de  Nismes,  de  Lyon,  de  La  Rochelle,  etc., 
hôtel  de  Nismes,  rue  Grenelle-Sainl-Honoré. 
Paris,  15«  juillet  1787. 

A  M.  la  chevalier  de  Rulhieres,  etc. 

Je  suis  ravi,  Monsieur,  que  vous  ayez  été  satisfait  des  détails  que 
j'ai  eu  rhonneur  de  vous  adresser  relativement  à  l'Académie  de 
Nismes.  J'aurais  voulu  pouvoir  remplir  plus  particulièrement  vos 
vues;  mais  le  temps  qui  s'est  écoulé  depuis  celui  où  se  sont  passés 
les  faits  dont  je  vous  ai  rendu  compte,  jusques  à  aujourd'hui,  ne 
m'a  pas  permis  d'être  aussi  bien  instruit  que  je  l'aurais  voulu.  Je 
vais  écrire  à  Nismes  pour  avoir  une  copie  exacte  de  la  sauvegarde 
que  vous  désirez  connaître,  et  je  me  ferai  un  devoir  de  vous  l'adres- 
ser. J'ignore  si  le  marquis  de  Péraud  était  protestant;  sa  famille  est 
absolument  éteinte,  ou  du  moins  n'est  plus  établie  à  Nismes  :  per- 
sonne n'y  porte  le  nom  de  la  maison  qui  était  Fayn.  Il  paraît  que 
les  assemblées  qui  produisirent  l'Académie  avaient  lieu  depuis  plu- 
sieurs années,  lorsque  cette  compagnie  fut  érigée  sous  ce  nom.  Les 
lettres  patentes  accordées  par  Sa  Majesté  lors  du  don  fait  à  l'Aca- 
démie par  M.  Séguier,  il  y  a  sept  à  }îuit  ans,  parlent  de  l'Académie 
comme  ayant  été  établie  avant  1640;  mais  il  est  sûr  que  c'est  une 
erreur  :  les  lettres  patentes  d'érection  sont  de  1682,  et  je  ne  crois 
pas  que  même  les  assemblées  particulières  aient  commencé  si  long- 
temps avant.  Nous  voyons  dans  les  registres  de  l'Académie  que 
Saur'in,  le  père  du  ministre  mort  à  la  Haye,  n'était  pas  des  assem- 
blées du  marquis  de  Pcraud  ;  il  recevait  chez  lui  une  autre  société 
savante;  et  ces  deux  sociétés  se  réunirent  lorsqu'il  fut  question  de 
former  l'Académie. 

Voilà,  Monsieur,  tout  ce  qu'il  m'est  possible  de  vous  dire  à  ce 
sujet.  Lorsque  je  retournerai  fi  Nismes,  je  ferai  de  nouvelles  recher- 
ches dans  les  dépôts  de  l'Académie;  et  si  je  trouve  quelque  fait  qui 
soit  de  la  nature  de  ceux  dont  vous  désirez  la  connaissance,  je  m'em- 
presserai de  vous  le  conmiuiiiquer.  Je  suis  trop  flatté.  Monsieur,  de 
pouvoir  vous  être  bon  à  (]ucl(iue  chose,  pour  iie  pas  saisir  avec-  em- 
pressement les  occasions  qui  peuvent  me  procurer  ce  plaisir.  J'ai 


LES  THÉOLOGIENS  DU  NOM  DE  TRONCHIN.  175 

depuis  longtemps  l'avanlage  de  connaître  et  d'admirer  vos  talens; 
il  me  manquait.  Monsieur,  de  pouvoir  y  joindre  la  connaissance  de 
vos  qualités  personnelles.  Je  n'ai  maintenant  plus  rien  à  désirer  à 
cet  égard.  Permettez-moi  de  vous  demander  votre  bienveillance, 
non  à  cause  de  l'avantage  que  j'ai  eu  de  pouvoir  vous  être  de  quel- 
que secours,  mais  comme  l'un  de  ceux  qui  s'honorent  le  plus  d'être 
avec  autant  de  respect  pour  votre  personne  que  d'estime  pour  vos 
talens.  Monsieur,  votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur. 

De  Boissy  d'Anglas. 
Paris,  27e  juillet  1787. 


NOTICES  BIOGRAPHIQUES. 


LES  THÉOLOGIENS  DU  NOUl  PE  TRONCHIN. 

Ce  l'ut  après  la  Saint-Barthélémy  que  l'une  des  branches  de  la  famille 
Tropchin  se  transporta  de  la  province  de  Champagne,  où  elfe  était  établie, 
dans  la  cité  de  Calvin.  /îemi  Tronchin,  militaire  distingué,  qui  y  était  venu 
à  (;ette  époque,  se  maria,  le  5  juin  loSQ,  avec  Sara  florin,  et  il  en  eut  de 
nombreux  enfants,  dont  deux  embrassèrent  la  vocation  ecdésiastiqiie. 

Théodore  Tronchin  était  l'aîné  et  devait  s'illustrer  dans  cette  carrière. 
Né  à  Genève  le  17  avril  1582,11  fut  présenté  au  baptême  par  Théodore  de 
Bèze,  dont  il  devait  plus  tard  épouser  la  tille  adoptive,  Théodora  Rocca. 
Mais  ce  ne  fut  pas  seulement  à  (îfinève  qu'il  lit  les  études  par  lesquelles  il 
allait  se  préparera  sa  vocation.  A  dix-huit  ans,  il  partit  pour  Bàle,  où  il 
passa  deux  années,  et,  après  être  revenu,  de  1602  à  1604,  pour  étudier  la 
théologie  dans  sa  ville  natale,  il  partit  pour  Heidelberg,  d'où,  en  1606,  il 
se  rendit  en  Hollande.  Il  s'agissait  pour  lui  d'augmenter  le  trésor  de  ses 
connaissances,  les  universités  de  Franeker  et  de  Leyde  lui  en  fournissaient 
le  moyen.  Cependant,  il  y  resta  peu  de  temps,  et,  après  un  rapide  voyage 
en  Angleterre  et  en  France,  il  revint  à  Genève  où  il  fut  successivement 
nommé,  en  1606,  professeur  d'hébreu;  en  1608,  l'un  des  pasteurs  de  la 
ville;  en  1610,  recteur  de  l'Académie  ;  en  1618,  professeur  de  théologie  (1). 
Les  grands  événements  du  XVI«  siècle,  le  caractère  et  la  profession  de  son 

(1)  Ce  fut  lui  qui,  le  18  février  1621,  fut  chargé  de  prononcer  le  discours  d'inau- 
guration du  temple  du  Petit-Sacconcx. 


176  LES    THÉOLOGIENS    DU    NOM    DE   TRONCHIN. 

père,  les  mâles  convictions  de  l'époque,  tout  avait  préparé  Tronchin  à  être 
une  (le  ces  natures  énergiques  pour  lesquelles  les  doctrines  absolues  ont 
un  invincible  attrait  ;  et  son  front  relevé,  sa  figure  longue  et  maigre  (I)  ne 
démentaient  pas  les  pressentiments  que  pouvait  faire  naître  son  éducation. 
Aussi  ne  faut-il  pas  s'étonner  si,  quand  il  s'agit  de  condamner  Arminius, 
et  de  convoquer  dans  ce  but  le  synode  de  Dordrecht,  la  vénérable  Compa- 
gniedespasteursde  Genève,  ayantélé  invitéepar  les  Etats  généraux  de  Hol- 
lande à  y  envoyer  deux  députés,  Théodore  Tronchin  fut  choisi  par  elle, 
avec  son  collègue  Diodati,  pour  la  représenter  à  cette  célèbre  assemblée. 
On  sait  quelle  fut  la  décision  prise  parle  synode,  et  l'on  peut  aisément  pré- 
sumer que  Tronchin,  comme  Diodati.  se  i)rononça  en  faveur  des  doctrines 
de  Gomar  sur  la  prédestination.  »  Les  œuvres  de  Dordrecht,  dit-il,  ont  em- 
porté la  tête  des  Remontrants.  »  C'était  donc  un  fils  de  soldat  qui  ne  crai- 
gnait pas  la  lutte,  tin  jésuite  lui  fournit  une  autre  occasion  de  donner  es- 
sor à  ses  instincts  polémiques.  C'était  le  père  Cotton  qui  venait  de  publier, 
en  1618,  sous  le,  nom  de  Genève  plagiaire^  un  énorme  in-folio  contre  la 
traduction  de  la  Bible  qu'avaient  fait  paraître  les  pasteurs  et  professeurs 
de  cette  ville.  Tronchin  fut  invité  à  y  répondre,  et  il  le  fit  dans  un  solide 
ouvrage  intitulé  :  Cotton  plagiaire,  ou  la  ï'érité  de  Dieu  et  la  fidélité 
de  Genève  maintenue  contre  les  dépravations  et  accusations  du  P.  Cot- 
ton, jésicite  (Genè\e,  Chouet,  1620,  in-8°).  Enfin,  le  duc  de  Rohan  ayant, 
du  pays  des  Grisons  où  il  devait  défendre  la  Valteline  à  la  tête  d'une  ar- 
mée française,  demandé,  vers  la  fin  de  1631,  qu'on  lui  envoyât  pendant 
(pielque  temps  un  pasteur  pour  sa  maison,  et  ayant  spécialement  désigné 
Jean  Diodati,  sur  le  refus  de  celMi-ci,  comme  des  corps  dont  il  dépendait, 
la  Compagnie  des  pasteurs  lui  envoya  en  cette  qualité  Théodore  Tronchin 
auquel  cet  office  devait  plaire  encore  et  qui,  parti  le  9  janvier  1632,  resta 
à  ce  poste,  sur  les  instances  du  duc  lui-même,  plus  longtemps  qu'il  ne  l'a- 
vait d'abord  pensé,  c'est-à-dire  jusqu'au  mois  de  juillet.  Pendant  qu'il  rem- 
plissait cette  charge,  il  apprit  à  connaître  le  noble  caractère  du  prince  dont 
il  sut  se  concilier  l'alTeclion.  11  était  donc  tout  naturel  (pie,  Rohan  mort,  et 
lorsque,  le  t1  mai  I6;js,  on  eut  ramené  à  Genève  sa  dépouille  mortelle, 
Tronchin  fût  chargé  de  prononcer  son  oraison  funèbre,  qui,  récitée  en  la- 
tin, fut  imprimée  en  français  (juelque  temps  après  (2),  et  (pii  nous  montre 

(1)  Voir  son  portrait  dans  Grenus.  Fntgm.  biogr.  historiques,  extraits  des 
liegist.  du  Cons.  d'Etat  de  la  llép.  de  Genève,  dès  1535  «  179-2.  Genève,  1815, 
in-8",  p.  117. 

(2)  Haramue  fitnèfire,  fuite  à  Vlumneur  du  /;v'v  liant  et  très  illustre  prince 
Henry  duc  de  Kn/ian,  traduite  du  laliii  de  Tliûodure  Tronchin;  iinprim!''e  à  Ge- 
nève, par  .lean  de  Tournes,  inijiriMipur  de  la  Hi'|i\il)rKiuc  et  Académie,  1638.  Cette 
pièce  avait  paru  en  latin,  sous  le  titre  de  :  (Jmtio  funciris  qua  Henrico  duci 
lioliannio,  Franciœ  pari,prinri]H  Lroni'i,  putjlice  parenlavit  T/ieudorus  Troncinnus. 
Genevie,  1638. —  Les  lignes  suivantes, extraites  de  celte  harangue,  feront  connaître 


LES    THÉOLOGIENS    DU    NOM    DE    TRONCHIN.  177 

que,  si  Tronchin  était  homme  d'énergie  et  de  rude  nature,  il  était  pourtant 
aussi  sensible  à  la  douceur  et  à  la  bonté  (1). 

Il  était  pour  ce  motif  fort  considéré  dans  son  pays,  et  il  fut,  en -1634,  in- 
vité par  le  Conseil  d'Etat,  ainsi  que  les  pasteurs  Prévost,  Diodati,  Perrot 
et  Chabrey,  «  à  remédier  aux  partialités  et  divisions  qui  s'étoient  fourrées 
«  parmi  les  ministres,  jusque-là  qu'il  y  avoit  entre  eux  des  esprits  irrécon- 
«  ciliables  et  de  très  grandes  brigues  lorsqu'il  s'agissoit  de  quelque  charge 
«  à  pourvoir  dans  leur  corps.  «  En1655,  enfin,  il  fut  prié  d'entrer  en  confé- 
rence avec  l'Ecossais  Jean  Durv,  qui  s'était  proposé  pour  but  la  réunion 
des  différentes  Eglises néesde  la  Réforme,  et,  sous  l'empire  des  sentiments 
que  faisait  naître  une  pareille  idée,  il  paraît,  d'après  une  communication 
émanée  de  son  fils  et  faite  à  la  Compagnie  des  pasteurs  de  Genève,  le  20 
mars  1658,  qu'il  composa  un  ouvrage  intitulé  :  l'Harmonie  des  Confes- 
sions, qui,  malheureusement,  n'a  pas  été  publié.  Du  reste,  Tronchin  était 
arrivé  quand  il  s'en  occupa,  à  la  fin  d'une  carrière  assez  longue  ;  il  mourut 
le  19  novembre  1637,  à  l'âge  de  soixante-quinze  ans  et  sept  mois,  et   il  ne 
laissa  d'ailleurs  qu'un  assez  petit  nombre  d'ouvrages.  En  effet,  nous  n'a- 
vons à  mentionner,  après  ceux  que  nous  avons  déjà  cités,  que  les  suivants  : 
I.  De  peccato  originali.  Thèse  soutenue  à  Leyde,  en  1606,  et  imprimée  à 
Genève  en16o4,  in-i";  11.  Préface  -mx Opéra omnia  quxexstant  de  B.  Ke- 
kermann,  publiésà  Genève,  1 61 4,  t  vol. in-fol.  ;  III.  Disputatio  de  baptismo, 
]  628,  in-i"  ;  IV.  Disputatio  de  bonis  operibîis,  1628,  in-4''  ;  V.  Oratio  fu- 
nebris Simonis  Goulastii,  1628,  in-4°;  VI.  Nemo,  Genève,  1615,  pièce  de 
vers  latine  composée  pour  son  lils. 

à  la  fois  et  le  héros  et  l'orateur  dont  nous  parlons  :  «  Le  grand  prinre  dont  nous 
.(  parlons,  très  affectionné  à  la  lecture  et  inéditation  des  saintes  Ecritures,  s  y 
«  adressoit  comme  à  la  fontaine  de  toute  sagesse,  ici  oyant  Dieu  parlant,  il  s  y 
a  coni'ormoit,  soy.  ses  pensées,  ses  desseins,  ses  affaires,  au  compas  de  ses  com- 
«  mandemens,  et  rapportoit  tout  à  la  gloire  de  Dieu,  postposanl  à  icelle  tou- 
«  jours  la  sienne...  Qui  portoit  plus  de  révérence  à  la  volonté  de  Dieu  et  au  pur 
«  service  établi  selon  i"eile?  Qui  a  été  plus  constant  à  en  faire  profession?  Qui  a 
«  sceu  mieux  user  de  la  prospérité?  Combien  estoit-il  sourd  aux  flatteries! 
«  Combien  peu  s'esmouvoit-il  des  faux  blâmes!  Lorsque  la  Jérusalem  céleste 
«  estoit  abattue,  combien  avant  dans  le  cœur  avoit-il  engravé  ces  beaux  mots 
«  de  Cicéron  :  «  11  ne  faut  point  abandonner  la  patrie  affligée;  il  en  faut  tant 
«  plus  avoir  pitié  et  l'aider,  quelque  petit  que  soit  le  secours  que  nous  pouvons 
«  y  apporter.  »  Combien  grande  estoit  sa  douceur  en  ses  paroles  et  en  ses  ac- 
«  lions!  Quelle  bénignité' trouvait-on  en  sa  conversation!  On  l'eust  pris  pour 
«  un  particulier  conversant  avec  ses  pareils!  Combien  grande  et  desbonnaire 
«  estait  son  inclination  à  bien  faire  et  à  obliger  un  chacun  !  Es  guerres  étran- 
«  gères,  dans  les  civiles  fureurs,  toujours  très  modéré.  Autant  qu'il  estoit  prompt 
«  à  prendre  conseil,  diligent  en  l'exécution,  vaillant  au  combat,  autant  estoil-u 
«  débonnaire  après  la  victoire,  d'un  esprit  doux,  sans  liel,  sans  vengeance,  par- 
ce donnant  facilement  quand  on  l'offensoit.  » 

(1)  Il  paraît  que,  vers  1612,  il  eut  avec  un  gentilhomme  flamand  un  procès  qu'il 
<^agna;  car,  à  cette  occasion,  Jean  Mestrezat  écrit,  le  27  octobre  de  cette  année- 
fà  :  «  J'en  ay  esté  fort  joyeux,  pour  ce  que  ledict  Flamand  en  parloit  a  Saumur 
«  avecque  grand  déshonneur  et  désavantage  de  Monsieur  Tronchin.  »  [Lettres 
inédites  de  Jean  Mestrezat.) 

XIII.  —  12 


if  s  LES    THÉOLOGIENS    DV    NOM    DE    TRGNCHIN. 

Daniel  Tronchin  tut  le  second  fils  de  Rémi,  qui  se  voua  au  saint  niinis- 
lère  auquel  il  fui  consacré  en  1608.  Le  rôle  des  pasteurs  que  nous  avons 
publié  SOUS  le  nom  de  :  Ge7iéL-e ecclésiastique  {Geni'xe  \^(\\ ,  brodi.  in  8°), 
nous  le  moniie  successivement  placé  comme  pasteur  dans  deux  paroisses 
de  campagne  de  la  petite  république;  à  Cliêne,  en  1 61 3  ;  à  Jussy,  en  1614; 
et  de  nouveau  à  Chêne,  en  1641.  Mais  il  n'y  a  rien  de  saillant  à  mention- 
ner sur  son  compte  ;  il  paraît  avoir  rempli  son  poste  avec  quelque  négli- 
gence, et  n'avoir  dû  le  support  dont  il  était  l'objet  qu'à  la  nombreuse  fa-' 
mille  dont  il  était  chargé,  à  une  position  difficile  et  aux  égards  (pi'on 
avait  pour  son  frère.  Sans  ce  dernier  nous  n'en  aurions  cerlaiiiemenl  pas 
parlé.  Mieux  vaut  dou<-  en  venir  promptemeni  au  fils  de  Théodore,  à 
Lpmîs  Tronchin,  (iui  naquit  à  Genève  le  4  décembre  16^9.  L'époque  où  il 
vint  au  monde  allait  bientôt  imprimer  à  la  théologie  une  direction  diffé- 
rente de  celle  que  le  XV!»  siècle,  puis  le  synode  de  Dordrecht  lui  avaient 
fait  suivre.  En  1633,  Moyse  Amyraut,  Louis  Cappel  et  Josué  de  la  Place 
furent  nommés  professeurs  à  l'Académie  de  Saumur,  et  cette  triade 
d'hommes  distingués  ne  tarda  pas  à  animer  la  pensée  chrétienne  d'un 
souffle  plus  libéral  quecelui  qui  l'avait  inspirée  jusqu'alors.  Un  an  ne  s'était 
pas  écoulé  qu'Amyraut  publiait  son  Traité  de  la  prédestination  (Saumur, 

1634,  in-8"),  suivant  de  près  l'ouvrage  de  son  ami  Testard  sur  la  Nature  et 
la  Grâce  [Eirénikon  seu  Synopsis  doctrinx  ,de  nalura  et  gratia^  Blx- 
s«,  1630),  et  ces  deux  ouvrages  avaient  soulevé  de  vives  oppositions,  celle 
de  l'Académie  de  Sedan  et  celle  de  la  Compagnie  de  Genève.  En  novembre 

1635,  celle-ci  avait  improuvé  le  livre  d'Amyraut  comme  «  contenant  des 
«  doctrines  qui  ne  sont  pas  orthodoxes  et  qui  peuvent  causer  de  grands 
«  troubles,  le  conjurant  au  nom  de  Dieu  d'y  remédier.  La  Compagnie,  de 
plus,  écrivit,  en  1637,  au  synode  d'Alençon,  une  lettre  où  elle  manifestait 
les  mêmes  sentiments.  (Aymon,  Synodes  nationaux  de  France).  Le 
6aoùt  1647,  la  Compagnie  décida  que  tout  ministre  devrait,  (juand  il  serait 
consacré,  déclarer  qu'il  rejetait  la  nouvelle  doctrine  de  l'univirsalilé  de  la 
grâce  et  de  la  non-imputation  du  premier  péché  d'.\dam.  Enlin,  lors(ju'en 
1649,  Morus  eut  été  appelé  à  occuper  une  chaire  de  théologie  à  Middcl- 
bourg,  il  dut,  comme  garantie  de  sa  fui,  présenter  une  attestatinn  de  la 
Compagnie  de  Genève,  déclarant  qu'il  avait  signé  de  nouveaux  articles 
adoptés  à  Genève  le  U""  juin  de  la  nu'me  aiuu'e  (Alex.  Schvveizer,  Die  pru- 
testuntischen  Centraldogmrn,  Zurich,  1856,  il.  tiand, '*î;8:),  463,  u.  ff.}. 

Telle  était  donc  la  doctrine  officielle  rigoureusement  professée  à  Genève 
au  monient  où  Louis  Tr(jn(liin  y  commençait  ses  études  Ihéologiijues,  et 
l'on  sait  que  son  père  avait  coiUribuéà  faire  prendrez  la  Compagnie  cette 
position  dogmatique  et  avait,  en  particulier,  concouru  à  l;i  lédaclion  des 
derniers  articles.  Est-il  possible  de  compremlre  alors  c  oniment.  après  ses 


LES   ÎHÉOLUGIEISS    OU    NOM    DE    TRONCHIN.  179 

lirupies  antécédents  et  bien  instruit  de  la  situation  des  partis,  le  professeur 
Théodore  Tronchin  put,  de  gaieté  de  cœur,  jeterson  fils  dans  la  gueule  du 
lion,  et  consentir  à  ce  qu'il  allât  continuer  ses  études  à  Saunmr  et  demeu- 
rer chez  Moïse  Amyrautlui-même?  C'est  une  énigme  que  nous  ne  nous  char- 
geons pas  d'expliquer.  Toujours  est-il  que  douze  ou  treize  ans  plus  tard, 
on  dut  reconnaître  qu'oti  ne  pouvait  pas  dire  des  Tronchin,  quant  à  la  doc- 
trine :  Tel  père,  tel  fils. 

Mais,  en  attendant  que  le  jeune  Tronchin  se  dessinât  ainsi  dans  sa  ville 
natale,  bien  des  événements  devaient  se  passer  pour  lui.  Consacré  au  saint 
ministère  en  1651,  il  voyagea  durant  trois  années  en   France,   en   Angle- 
terre, en  Hollande,  en  Allemagne,  et,  à  son  retour,  il  fut  appelé  au  poste 
de  pasteur  de  l'Eglise  de  Lyon,  poste  pour  l'occupation  duquel  il  dut  préa- 
lablement subir  devant  les  pasteurs  de  Charenton  un  examen  qui  lui  valut 
l'éloge  de  Daillé  (J.-A.  Turrettini,  Oratio  de  Theol.  Ferit.  et  Pac.  Slud.). 
C'était  en  1654.  Trois  ans  plus  tard,  Cappel  et  Amyraut  l'appelèrent  à  rem- 
plir à  Saumur  la  chaire  de  Delà  Place  qui  venait  de  mourir.  Mais  il  resta  à 
Lyon,  jusqu'à  ce  qu'en  novembre  1661,  Genève  l'appelât  à  occuper  celle  de 
Léger  que  la  mort  venait  également  de  frapper.  Cette  fois,  il  accepta  la  vo- 
cation qui  lui  était  adressée.  Seulement,  il  allait  trouver,  en   arrivant,  un 
collègue  avec  lequel  il   ne  se  trouverait  pas  en   parfaite  sympathie  de 
croyances;  nous  voulons  parler  de  François  Turrettini,  qui  était,  depuis 
1648,  membre  de  la  Compagnie  des  pasteurs,  et,  depuis  1653,  membre  de 
la  Faculté  de  théologie.  Turrettiiii  était  un  zélé  calviniste;  il  s'était  pro- 
noncé avec  force  contre  les  doctrines  de  Saumur;  il  ne  pouvait  donc  pas 
voir  arriver  de  bon  œil  un  collègue  qui  en  serait  le  représentant.  Heureu- 
sement pour  Tronchin,  la  Compagnie  et  la  Faculté  comptaient  parmi  leurs 
membres  un  homme  plus  âgé  que  Turrettini,  Philippe  Mestrezat,  qui  par- 
tageait, au  contraire,  ces  doctrines,  qui  appuya  Tronchin  et  l'aida,  avec  le 
temps,  à  les  faire  prévaloir.  Ce  n'était  pas  facile.  Turrettini  occupait  dans 
l'Académie  une  haute  position.  Il  avait  été  recteur  de  1654  à  1657;  en 
IG68,  on  l'appelait  de  nouveau  à  cette  place  et,  dans  l'Eglise,  il  ne  jouis- 
sait pas  d'une  influence  moindre.  Même  avant  qu'il  fût  pasteur,  il  avait 
déjà  suscité  des  ennuis  à  Morus  (Lettre  adressée  à  J. -Rodolphe  Wetstein, 
professeur  à  Bàle,  26  avril  1646,  transcrite  dans  le  Did.  de  Chauffepié). 
C'était  lui  qui,  en  1647,  avait,  dit-on,   poussé  la  Compagnie  à  rendre  le 
règlement  doctrinal  que  devrait  signer  tout  candidat  au  saint  ministère  (1), 

(1)  «Avisé  qu'on  tirera  promesse  expresse  décelai  quiseroit  appelé  au  saint 
ministère,  lorsqu'il  serait  appelé  en  la  Compagnie,  outre  l'ordinaire,  qu  il  ensei- 
gneroit  conformément  à  ce  qui  a  été  arresté  au  synode  de  Dortdrecht,  et  aux 
synodes  nationaux  de  France,  jusqnes  à  présent,  et  particulièrement  rejetteroit 
cette  nouvelle  docirine  de  l'universalité  de  la  grâce  et  de  la  non-impulation  du 
premier  péché  d'Adam,  comme  elle  est  aujourd'hui  onseignée  par  quelques-uns 


180  LES   THÉOLOGIENS   DU   NOM  DE   TRONCHIN. 

et  ce  fut  lui,  paraît-il,  qui,  vingt  ans  plus  tard,  en  juin  1069,  le  fil  remettre 
en  honneur,  soit  quand  il  s'agit  de  donner  à  une  paroisse  un  nouveau  pas- 
teur, soit  quand  il  s'agit  de  vaquer  même  à  la  consécration  d'un  ministre. 
Mïï.  Mestrezat  et  Louis  Tronchin  déclarèrent  que  leur  conscience  leur  in- 
terdisait d'exiger  du  candidat  semblable  promesse,  puisqu'ils  partageaient 
eux-mêmes  la  doctrine  condamnée  (l).Mais  la  Compagnie,  cédant  à  d'autres 
suggestions,  devait  rester  sourde  à  leurs  paroles.  Alors,  le  même  jour,  ils 
se  rendirent  auprès  d'un  des  syndics  de  la  République,  et  le  petit  Conseil 
défendit  le  même  jour  encore  «  d'enseigner  la  doctrine  de  la  grâce  en  autre 
«  manière  qu'elle  a  esté  enseignée  en  ceste  Eglise,  conformément  aux  rè- 
«  glements  de  la  Vénérable  Compagnie  faicls  sur  ce  sujet  et  par  ledit  Conseil 
n  approuvés,  en  telle  sorte  néanlmoins  que  ce  soil  sans  dispute  et  user  des 
«  réfutations  des  raisons  contraires,  mais  se  contenteront  d'établir  la  doc- 
«  trine  reçue,  pour  éviter  toute  dispute  et  contestation.  »  I,e  fait  d'interdire 
toute  dispute  et  de  vouloir  empêcher  la  réfutation  des  raisons  contraires, 
était  un  blâme  jeté  sur  la  décision  de  la  Compagnie.  La  majorité  le  sentait 
bien.  Aussi,  quoique  l'arrêté  du  Conseil  dût  être  tenu  secret,  la  même  ma- 
jorité, afin  d'avoir  gain  de  cause  dans  cette  affaire,  ne  se  fit  aucun  scru- 
pule d'en  informer  les  Eglises  suisses,  qui  répondirent  sans  délai  par  la 
menace  de  ne  plus  envoyer  leurs  étudiants  à  Genève,  si  les  nouvelles  doc- 
trines trouvaient  des  représentants  dans  cette  Eglise.  La  querelle  allait 
donc  s'envcnimant.  Dans  une  séance  subséquente,  M.  Tronchin  s'élève 
contre  la  divulgation  du  secret,  et  par  conséquent  contre  la  violation  du 
serment  que  tous  ont  fait  de  le  garder.  M.  Turrettini  s'élève  conlre  l'infi- 
délité à  l'engagement  ([ue  tous  ont  signé  de  se  soumettre  aux  règlements. 
«  Je  n'ai  rien  promis  à  cet  égard,  répond  Tronchin,  et  quand  j'aurais 
promis,  serment  qulnest  pas  de  faire,  n'est  pas  de  tenir.  »  Mais  la  ma- 
jorité est  encore  en  force  auprès  des  Conseils,  et,  le  i  août,  le  Conseil 
d'Etat,  revenant  en  arrière  sur  la  décision  qu'il  a  prise,  arrête  qu'on  re- 
tranche la  clause  mise  audit  :  «  Arresl  portant  défenses  de  disputer  et 
user  de  réfutation  des  raisons  contraires.  »  Il  y  a  plus;  la  (".ompagnic  ren- 
ferme dans  son  sein  plusieurs  membres  qui  ont  déclaré  n'avoir  pas  signé. 
Le  Conseil,  sous  l'impulsion  (pii  l'anime,  les  y  obligera  le  ioaoùt,  en  les 
contraignant  à  promettre  d'enseigner  la  doctrine  de  la  grâce  suivant  l'an- 
cienne traditive  de  cette  Eglise,  et  le  2S  août  voit  apposer  à  ce  dernier 
décret  les  signatures  de  Philippe  Mestrezat,  Daniel,  Chabrey,  Ami  Mestre- 
zat, Louis  Tnmchin,  .lean  Martine,  David  Croppet,  .laciiues  Gallalin,  qui 
l>roiiiclt(wit  d'acciuicscer  et  de  satisfaire  au  présent  arrest. 

fie  dehors  d'ici.  »  (Extrait  des  Registres  de  la  V.  C.  des  Pasteurs  et  Prof.,  séance 
du  6  auiU  1647.) 

(1)   IhitL,  25  juin  1669. 


LES   THÉOLOGIENS    DU    NOM    DE    TRONCHIN.  181 

La  victoire  du  calvinisme  ou  des  carions  de  Dortdrecht  était  donc  désor- 
mais complète;  les  oppositions  étaient  toutes  mises  à  néant,  et  François 
Turretlini,  qui  avait  été  dans  celte  mêlée  le  principal  athlète,  pouvait  mon- 
ter au  Capitule  et  remercier  les  dieux.  Mais  ce  sont  toujours  des  victoires 
malheureuses  et,  en  réalité,  peu  solides  que  celles  que  l'on  remporte  sur 
les  consciences.  Rohert  Chouet,  quoique  simplement  professeur  de  philo- 
sophie, obligé  de  signer,  parce  qu'il  était  membre  de  la  Compagnie,  dé- 
clara qu'il  ne  signait  que  par  amour  de  la  paix,  mais  en  protestant  qu'il  se 
relâchait  de  son  droit  (sept.  -1669).  B.  Mussard,  de  1655  à  1671,  pasteur  à 
Lyon,  refusa,  quand  il  fut  de  retour  à  Genève,  de  signer  les  règlements 
du  7  août  1647  et  du  1"  juin  1649,  et  le  Conseil  des  Deux-Cents  avait  eu 
beau  décider,  le  10  décembre  1669,  que  tous  les  candidats  reçus  au  saint 
ministère  seraient  désormais  obligés  de  les   signer  avec  la  formule  :  Sic 
sentio,  sic  profiteor,  sic  docebo  et  non  conirarium  docebo,  le  coup  était 
désormais  porté.  Le  calvinisme  rigide  avait  remporté  sa  dernière  victoire. 
Mais  les  hommes  ne  sont  pas  éternels.  Le  chef  du  parti,  François  Turret- 
tini,  mourut  en  1687,  et  sa  mort  donna  à  Mestrezat,  qui  vécut   encore 
trois  ans,  à  Louis  Tronchin,  qui  en  vécut  encore  dix-huit,  le  moyen  de 
respirer  plus  librement.  Tronchin,  même  décédé  le  8  septembre  1705,  n'eut 
certainement  pas  le  bonheur  de  voir  abolir  le  règlement  du  10  décembre 
1669,  ni  le  Consensus  sanctionné  le  28  décembre  1678  par  autorité  du 
Conseil.  Mais  il  avait  préparé  l'abolition  de  ces  règlements  tyranniques,  et 
un  an  ne  s'était  pas  écoulé  depuis  sa  mort  que,  le  27  avril,  la  Compagnie 
détrônait  en  quelque  sorte  les  canons  de  Dortdrecht,   ses  règlements   de 
1647  et  49,  et  le  Co^isewsws,  en  exhortant  purement  et  simplement  à  ne 
rien  enseigner  qui  y  fût  contraire.  On  le  verra  du  reste  ci-dessous  à  l'ar- 
ticle Jean-Alphonse  Turrettini. 

Dans  sa  carrière  publique,  Tronchin  donna  toujours  des  preuves  d'un 
caractère  conciliant  ;  aussi  la  Compagnie  le  choisit-elle,  dans  une  circon- 
stance critique,  comme  médiateur  entre  le  Conseil  et  les  corps  ecclésiasti- 
ques, et  son  intervention  dans  cette  affaire  fut  couronnée  d'un  complet 
succès  (1).  Si  François  Turrettini  fut  deux  fois  honoré  du  rectorat,  Louis 
Tronchin  l'avait  été  durant  cinq  années,  de  1663  à  1668,  et  son  savoir 
comme  théologien,  son  éloquence  comme  prédicateur,  joints  à  un  jugement 
sain  et  à  une  grande  bonté,  lui  concilièrent  les  cœurs,  non-seulement  de 

ses  compatriotes,  mais  encore  des  étrangers  (2).  L'évêque  de  Salisbury, 

(1)  Gaberel,  Hist.  de  l'Eglise  de  Genève,  t.  III,  pp.  268-270. 

(2)  Ce  fut  pour  cette  raison  sûrement,  autant  qu'à  cause  du  nom  qu'il  portait, 
qu'il  fut  nomii\é  par  les  Conseils  de  la  République,  en  1667,  comme  devant  rem- 
plir une  mission  auprès  des  Etats  ejénc-raux  des  Provinces-Unies.  On  lit  en  effet, 
dans  les  Registres  du  Conseil,  en  date  du  13  décembre  de  cette  année-là,  les 
lignes  suivantes  :  «  Les  instructions  données  pour  S"-  Louis  Troncliin,  prof,  en 


182  LE»   THKOLOGIENS    DU    NOM    DE    TROîSCHIÎS. 

GilbiTt  Burnet,  qui  l'avait  connu  personnellemenl,  en  parle  avec  éloge 
dans  son  Voyage  de  Suisse,  d  Italie,  d'Allemagne  et  de  France  (i). 
D'autres  préiats  d'Angleterre,  Guillaume  Lloyd,  évèque  deSaint-Aspali, 
Complon,  évêque  de  Londres,  Tillotson  etTenison,  successivement  arche- 
vêques de  Cantorbéry,  soutinrent  avec  lui  des  relations  d'estime  et  d'a- 
mitié. La  Société  établie  à  Londres  pour  la  propagation  de  l'Evangile  dans 
les  colonies  anglaises,  lui  donna  même  une  preuve  de  la  considération 
qu'on  avait  pour  lui  en  l'inscrivant,  ainsi  que  Jean-Alphonse  Turrettini,  au 
nombre  de  ses  correspondants  et  en  le  priant,  comme  son  collègue,  de  lui 
faire  parvenir  ses  avis  et  ses  conseils  (Reg.  du  Conseil,  M  mars  1703). 
Le  temps  n'était  donc  plus  où  les  doctrines  de  Calvin  et  du  synode  de  Dort- 
drecht  régnaient  en  souveraines  sur  les  contrées  protestantes,  et  l'on  avait 
su  s'affranchir  des  doctrines  étroites  et  despotiques  pour  apprécier  l'éru- 
dition, la  piété,  la  vie  chrétienne  partout  où  on  les  rencontrait. 

Tronchin  n'a  laissé  d'ailleurs,  comme  son  père  et  son  petii-tils,  par  le- 
quel nous  terminerons  cet  article,  ([u'un  petit  nombre  d'ouvrages  :  \.  Thè- 
ses théologie,  Genevae,  1643,  in-4»;  H.  Disp.  de  provident  la  Del,  Genexin, 
1670,  in-i»;  IIL  Sermons  sur  le  Psaume  XCFII,  v.  7,  Genève,  1()70,in-8»; 
VS .  Sermons  sur  Hébreux,  lJ',l,\\\'i°  \  V.  Disputatio  de  auctoritate 
Scrlplursc  sacrœ,  1677,  in-4°  ;  VL  Relation  de  ce  gui  s'est  passé  en  dé- 
cembre 1667  à  l'occasion  de  Jean  Sarasin  (Mss.). 

La  famille  Charnier  conserve,  en  outre,  en  Angleti'rre,  un  volume  ma- 
nuscrit où  sont  renfermés  deux  traités,  l'un.  De  voluntate  Dei,  l'autre,  De 
libero  arbitrio  absoiute  cotisklcrato,  traités  d'ailleurs  inachevés,  que  la 
France  protestante  regarde  comme  étant  dus,  l'un  et  l'autre,  à  la  plume 
de  Louis  Tronchin. 

L'aîné  des  enfants  de  Louis  Tronchin,  Jntolne  Tronchin,  (pii  remplit  k 
Genève  les  premiers  oftices  de  la  magistrature,  eut  lui-même  un  fils  né  en 
1697,  et  qui  porta  pareillement  le  nom  de  Louis.  11  avait  connu  son 
aïeul  et  fut  peut-être  conduit  par  là  à  suivre  la  même  carrière.  Il  y  avait 
à  peine  trois  ans  qu'il  était  consacré  au  saint  ministère,  (jue  la  Vénérable 
«'ompagnie,  rendant  hommage  à  son  mérite  et  aux  longs  services  de  ses 
parents,  soit  dans  l'Ltat,  soit  dans  l'Kglise,  l'admit  (le  10  janvier  1724)  à 
siéger  dans  son  corps,  avant  niènic  qu'il  fût  pasteui'.  Et,  du  reste,  on  ne 
tarda  pas  à  lui  conlier  la  direction  d'une  paroisse.  Le  5  mai  1725,  il  fui  du 
à  celle  de  Satigny  ;  en  172'.),  il  fut  transféré  à  .Sacconex  ;  en  1731,  à  l'une 
des  paroisses  de  la  ville,  et  il  se  vil,  après  un  iniervalle  de  six  ans  (1737), 

«  théolopie,  dépiiti'!  fi  l-L.  AA.  les  Klats  généraux  des  Proviines-Unii'.':,  sont  lues 
«  el  apprcuvées.  »  Mais  il  ne  parait,  pas  qu'il  ail  été  donné  suite  à  ce  projet  de 
(Jéputalion. 

(1)  Rollerdaui,  Ifiuo.  ln-12,  p.  Mb. 


MÉLANGES.  183 

appelé  à  celte  chaire  de  théologie  qu'avaient,  l'un  après  l'autre,  occupée 
avec  dislinclion  son  aïeul  et  son  bisaïeul.  Sa  carrière  active  ne  tarda  pas  à 
être  marquée  par  un  grand  événement,  qui  vint  donner  aux  vues  de  son 
aïeul,  Louis  Tronchin,  sur  la  liberté  de  conscience,  une  victoire  complète  ; 
je  veux  parler  de  la  complète  abolition  des  confessions  de  foi  humaines, 
abolition  prononcée  le  22  mai  et  ratifiée  le  l"  juin  lltli,  en  ce  sens  que 
l'on  revenait  purement  et  simplement  à  la  stipulation  des  ordonnances  ec- 
clésiastiques de  1576,  titre  I""",  chap.  ^■^  art.  6  :  «  Vous  protestez  de  tenir 
«  la  doctrine  des  saints  prophètes  et  apôtres,  comme  elle  est  comprise  dans 
«  les  livres  du  Vieux  et  du  Nouveau  Testament,  de  laquelle  nous  avons  un 
H  sommaire  dans  notre  catéchisme.  »  Le  candidat  au  saint  ministère  se 
trouvait  donc  désormais  promettre  d'enseigner  suivant  la  Bible;  et,  quanl 
à  la  seconde  partie  de  la  déclaration,  elle  ne  faisait  qu'énoncer  un  fait,  plus 
ou  moins  avéré  d'ailleurs,  c'est  que  le  catéchisme  offrait  effectivement  un 
sommaire  de  la  doctrine  biblique.  C'était  bien  d'ailleurs  à  la  Bible  seule 
qu'il  fallait  en  revenir  dans  ce  siècle-là,  et  il  fallait  en  tenir  le  drapeau 
élevé  en  face  des  attaques  de  l'incrédulité.  Louis  Tronchin  ne  faillit  point 
à  la  tâche.  11  réussit  à  inspirer  du  respect  à  Voltaire  (Gaberel,  /.  c,  p.  79), 
et,  dans  une  carrière  trop  courte,  il  trouva  le  temps  de  publier  des  écrits 
apologétiques  qui  ne  sont  pas  sans  mérite,  mais  à  l'influence  desquels  la 
langue  dans  hi(|uelle  ils  étaient  écrits,  le  latin,  nuisit  grandement. 

Il  mourut  le  i  octobre  'lo76,  laissant  pour  tout  témoignage  de  son  sa- 
voir les  ouvrages  suivants  :  A.  Une  dissertation  de  physique,  intitulée  :  De 
aqtia, Gene.yx,  1710,  in-4°;B.  Etsix  trailés  sur  des  questions  théologi(|ues  : 
I.  Orailo  inauguralis  de  requisitis  doctoris  evangelici,  \\\-\%,  Tim.  11, 
:23-25,  Gen.,  1738;  II.  De  auriculari  confessione,  Gen.,  1739,  in-fol.;  III. 
Demiraculis,  ('.en.  1740,  in-fol.;  IV.  De  fide,  salutis  conditione,  Gen. 
1751,  in-fol.;  V.  De  excommmiicaf io7ie,  Gi^n  1752,  in-8°;  YI.  De  usi( 
rntiunis  in  revelafwne,  Gen.  1755,  in-fol.  A.  Archinard. 

Genève,  1863. 


MELANGES. 


CAIiVIIV    ÇIV    ITALIK    (1536). 

A  M.  ALBERT  RILLIET,  ANCIEN  PROFESSEUR  A  l' ACADÉMIE  DE  GENÈVE. 

Monsieur, 
Dans  une  lettre  adressée  le  20  mai  dernier  à  M.  Merle  d'Aubigné, 
vous  avez  exposé  des  vues  et  f  mis  des  doutes,  habilement  motivés, 


184-  MELANGES. 

sur  deux  points  obscurs  de  la  vie  de  Calvin  (1).  Il  ne  m'appartiendrait 
pas  d'y  répondre,  si  quelques-unes  des  opinions  que  vous  attaquez 
ne  m'étaient  communes  avec  l'éminent  auteur  de  VlJistoire  de  la 
Réformation,  si  je  n'étais  moi-même  directement  pris  à  partie  dans 
les  conclusions  de  votre  travail.  Je  ne  puis  donc  m'abstenir  de  relever 
le  gant  que  vous  me  jetez.  Puissé-je  le  faire  avec  une  courtoisie  égale 
à  la  vôtre  !  Je  ne  saurais  oublier  que  ces  lignes  sont  adressées  à  un 
écrivain  dont  Genève  s'honore,  et  qu'elles  sont  destinées  au  Bulletin 
de  la  Société  de  l'Histoire  du  Protestantisme  français. 

Partant  de  ce  l'ait,  désormais  placé  au-dessus  de  tout  débat,  que  la 
première  édition  de  V Institution  est  celle  de  Bàle  (1536)  en  latin  (2), 
je  m'étais  demandé  si  l'Epître  à  François  I"',  cet  incomparable  mo- 
nument d'éloquence  et  de  foi  sitôt  consacre  par  l'admiration  univer- 
selle, avait  été  primilivement  rédigée  en  une  seule  langue,  et  ine  fon- 
dant sur  la  différence  des  dates  (l"*'"  et  23  août)  que  présente  la  célèbre 
préface  dans  les  éditions  françaises  et  latines,  j'inclinais  à  penser  que 
ce  morceau  avait  été  composé  dans  les  deux  langues,  et  qu'il  avait 
reçu  peut-être  une  publicité  distincte  avant  l'apparition  de  V  Institu- 
tion sortie  des  presses  de  Thomas  Platter  en  mars  1536.  Vos  intéres- 
santes exphcations  à  cet  égard  satisferont  les  esprits  les  plus  exi- 
geants. Pour  ma  part,  il  ne  m'en  coûte  point  de  renoncer  à  une  hypo- 
thèse qui  naissait  naturellement  de  la  diversité  des  dates,  s'il  est  vra 
que  la  préface  des  deux  premières  éditions  connues,  en  latin  et  en 
français,  porte  une  date  identique.  Il  resterait  à  expliquer  alors  com- 
ment la  date  du  l*^»"  août,  que  vous  atlribuez  à  une  bévue  typogra- 
phique, a  pu  passer  inaperçue  sous  l'œil  vigilant  de  Calvin,  et  se 
reproduire  invariablement  dans  toutes  les  éditions  françaises,  autres 
que  celle  de  \^k\,  et  revues  par  l'auteur  lui-même.  Le  champ  est  ici 
ouvert  aux  conjectures.  Je  n'ose  y  rentrer;  vous  m'en  avez  trop  bien 
appris  le  péril. 

Vos  observations  sur  ce  point  ne  sont  d'ailleurs  qu'une  légère 
escarmouche,  par  laquelle  vous  préludez  à  un  débat  plus  sérieux, 
qui  porte  essentiellement  sur  le  voyage  de  Calvin  en  Italie.  Quelle  en 
est  la  date? Quels  en  ont  été  les  incidents  et  la  durée?  Quelle  foi  con- 


(1)  Brochure  gr.  in-8"  de  37  pages.  Librairie  Chcrbuliez.  Mai  1864. 

(2)  Voir  ma  lettre  à  la  Revue  chrétienne  du  15  juilfet  1857,  reproduite  dans 
le  bulletin  de  l'Histoire  du  Protestantisme  français,  août  de  la  même  année, 
p.  l:J7, 14ï!. 


MÉLANGES.  185 

vient-il  d'ajouter  au  séjour  de  Calvin  au  val  d'Aoste,  mystérieux 
épisode  sur  lequel  j'ai  essayé  de  jeter  quelques  lumières  dans  un 
Mémoire  lu  à  TAcadémie  des  sciences  morales  et  politiques,  et  repro- 
duit dans  mes  Récits  du  seizième  siècle?  Telles  sont  les  questions  que 
vous  soulevez  tour  à  tour  pour  arriver  à  des  conclusions  contraires 
aux  miennes.  Vous  me  donnez  les  raisons  de  vos  doutes;  je  vous  dois 
celles  (le  mes  affirmations.  Entre  deux  écrivains  également  inspirés 
de  Tamour  de  la  vérité,  le  public  jugera. 

Je  ne  sais  si  je  me  trompe,  Monsieur,  mais  il  me  semble  que  la 
préoccupation  dominante  dans  votre  lettre  à  M.  Merle  d'Aubigné,  est 
de  réduire  aux  plus  minimes  proportions  le  voyage  de  Calvin  en  Italie. 
Parti  de  Bàle,  selon  vous,  à  la  fin  de  mars  1536,  après  la  publication 
de  V Institution  chrétienne,  il  y  serait  de  retour  aux  premiers  jours 
de  mai,  après  une  courte  apparition  à  la  cour  de  Ferrare.  Je  n'exa- 
minerai pas  après  vous  s'il  n'avait  d'autre  but  que  de  visiter  la  duchesse 
Renée,  d'affermir  dans  la  foi  une  princesse  dont  l'éloge  était  dans 
toutes  les  bouches;  si  la  pensée  de  visiter  la  Florence  desMédicis,  la 
Rome  des  papes,  ne  s'était  pas  offerte  à  son  esprit.  Ce  qui  est  certain, 
c'est  qu'il  ne  dépassa  pas  Ferrare,  et  les  poursuites  de  l'inquisition, 
à  demi  dévoilées  par  Muratori,  expliquent  assez  son  brusque  retour. 
Toutefois,  même  réduite  à  ces  termes,  l'excursion  du  réformateur 
dans  la  Péninsule  ne  pouvait  s'accomplir  en  un  laps  aussi  court  que 
celui  que  vous  lui  assignez,  cinq  à  S2\r  semaines  au  plus.  Faut-il  vous 
rappeler  la  lenteur  des  voyages  à  cette  époque,  les  Alpes  à  franchir 
à  la  fin  de  l'hiver,  la  plaine  lombarde  à  traverser  dans  toute  sa  lon- 
gueur? Quinze  jours,  vous  en  conviendrez,  suffisaient  à  peine  pour 
atteindre  les  cités  voisines  de  l'Adriatique.  Il  n'en  fallait  pas  moins 
pour  revenir  à  Bâle  par  le  plus  court  chemin.  Que  reste-t-il  pour  le 
séjour  du  réformateur  dans  la  capitale  des  ducs  d'Esté?  C'est  pour 
vous  «  une  page  en  blanc  où  l'on  peut  écrire  tout  ce  que  l'on  veut,  » 
et  que  l'on  sacrifie  sans  trop  de  regret.  C'est  pour  moi  quelque  chose 
de  plus,  et  sans  pouvoir  soulever  ici  le  voile  qui  couvre  le  séjour  du 
réformateur  dans  une  cour  célèbre,  je  puis  affirmer  que  son  apo- 
stolat y  fut  des  plus  actifs,  des  plus  fructueux.  Entretiens,  prédica- 
tions, travaux  littéraires,  concoururent  également  à  ses  succès.  Pour 
ne  rappeler  qu'un  seul  fait,  n'est-ce  pas  en  Italie  que  Calvin  écrivit 
deux  traités  importants,  adressés  l'un  à  Nicolas  Duchemin  d'Orléans, 
l'autre  à  Gérard  Roussel,  prédicateur  de  la  reine  de  Navarre,  com- 


tfiÇ  MÉLANGES. 

positions  peu  conciliables  avec  la  brièveté  du  séjour  que  vous  l\ji 
attribuez  à  Ferrare  (1)? 

Je  crois  être  plus  resoectueux  pour  la  vérité  historique,  en  assignant 
au  voyage  de  Calvin  une  plus  longue  durée.  A  cet  égard,  je  ne  me 
sens  nullement  en  désaccord  avec  Th.  de  Bèze;  car  s'il  nous  apprend 
par  quelques  mots  d'autant  plus  dignes  d'attention  qu'ils  émanent 
presque  de  Calvin  lui-même,  que  celui-ci  ne  vit  l'Italie  que  de  loin 
«  et  n'y  entra  que  pour  en  sortir  (2);  »  tout  esprit  non  prévenu,  en- 
clin aux  interprétations  naturelles,  en  conclura  seulement  qu'au  lieu 
de  s'engager  dans  l'intérieur  de  la  Péninsule,  Calvin  ne  dépassa  pas 
les  limites  de  la  Lombardie. 

Comme  vous  le  dites  si  bien,  la  bibliogra|>hie  touche  ici  à  l'histoire, 
et  si  l'on  admet  que  Calvin  ne  quitta  Bàle  qu'après  avoir  publié  l'In- 
stitution, on  est  nécessairement  conduit  à  resserrer  son  voyage  dans 
les  bornes  si  étroites  de  mars  à  mai  1536.  C'est  ce  que  vous  faites. 
Monsieur,  en  invoquant  à  l'appui  de  votre  opinion  plusieurs  textes 
déjà  connus,  susceptibles  d'interprétations  très  diverses,  et  un  texte 
nouveau  dont  je  ne  méconnais  pas  la  gravité.  La  preuve  tirée  de 
l'épître  à  Grynée  ne  paraîtra  décisive  à  personne  (3).  La  déclaration 
de  la  préface  des  psaumes  n'est  pas  plus  concluante  (4).  Le  témoi- 
gnage de  Bèze  lui-mêm.e  ne  saurait  trancher  la  question  (5).  Je  m'in- 
cline avec  vous  devant  son  autorité.  C'est  un  contemporain,  et  dans 
bien  des  cas  un  témoin.  Ce  n'est  pas  cependant  un  guide  infaillible. 
Il  omet  des  points  importants  de  la  jeunesse  de  Calvin;  il  se  trompe 

(1)  «  Deux  «^pUrcs  de  Jeaii  Calvin  contenant  clioses  grandonient  uéci^ssairos  do 
co,Q:noislrc  pour  le  tem|)s  présent.  »  Opuscules,  édit.  de  15tiC.  In-f%  p.  57  et  96.  Ces 
épitres  parurent  d'abord  en  latin  (Bàle,  1537).  Nicolas  Des  Gallars  nous  apprend, 
dans  un  avertissement  placé  en  tète  de  l'édition  latine  de  1532,  que  le  réformateur 
les  avait  composées  en  Italie. 

(2)  «  Italia  in  cujus  fines  se  ingressum  esse  dicere  solebat,  ut  inde  exiret. ..  » 
(^Vifl  ri  fi  Cnlrin.) 

(3)  On  mr  saura  ;^ié  de  reiéqfuer  en  notes  d'arides  dissi'cliniis  de  textes.  Dans 
une  épltre  à  Simon  (irviiéi»,  du  is  octobre  15:i!),  Calvin  r;ippell(ï  à  celui-ci  les 
enlnaiens  qu'ils  avaient  eus  trois  ans  auparaviuit  à  LUile,  sur  rinlerprétalion  des 
livres  sacrés.  Si  celte  expression  [(tnti;  trieuuiuiii),  doit  èti'e  prise  i  la  l(>ttre,  c'est 
en  octobre  1536  ([U'il  faut  placer  les  entretiens  en  question.  Kst-ce  l'avis  de 
M.  Uillii'i':'  S'il  croit  devoir,  cl  pour  cause,  s'éloigner  d'un  liiléralisme  aussi 
rigoureux,  qu'il  ne  s'étonne  pas  ipje  j'imite  son  exemple,  en  commentant  libre- 
ment un  texte  qui  n'a  rien  de  précis. 

(4)  J'ai  b«!au  lire  et  relire  ce  |)assa[re  :  «  ...  patuit  rx  hvevi  r/iscessu,  prœseyin/i 
quum  rifinio  scucrit  me  (iuth())ew,n'y  n'y  trouve  qu'une  déclaration  assez  vague, 
attestant  lu  rar  ■  modestie  d'un  aul(;ur  qui  s'éloigii(!  delWI  ■  pour  demeurer  inconnu 
eu  dépit  di'  la  célébrité  (pii  va  s'attacher  à  son  livre. 

(5)  «  Kdito  hoc  libro  sua<pic  veluti  pra'slila  patria;  Dde,  Calvinnm  visenda- 
Fe.rrariensis  Ducissa;...  desiderium  incessil  »  {Vie  ilc Calvin). 


MÉLANGES.  187 

même  parfois.  C'est  ainsi  qu'il  se  tait  sur  le  séjour  de  Calvin  à  Poi- 
tiers, nié  par  Bayle,  mais  attesté  par  d'irrécusables  témoignages.  Son 
exactitude  chronologique  est  fort  en  défaut  quand  il  conduit  le  réfor- 
mateur de  Paris  à  Bâle  en  1535,  postérieurement  à  l'afTaire  des  Pla- 
cards et  aux  persécutions  dont  elle  fut  le  signa!,  tandis  que  dès  le 
11  septembre  1534-  Calvin  est  établi  sur  la  terre  d'exil,  comme  le 
prouve  la  lettre  à  Christophe  Fabri  que  j'ai  publiée  pour  la  première 
fois  (1).  C'est  vous  dire  assez.  Monsieur,  pourquoi,  dans  la  contro- 
verse qui  nous  occupe,  je  ne  puis  prendre  au  pied  de  la  lettre  le 
fameux  :  Edita  hoc  lihro,  dont  vous  vous  armez  contre  moi.  Calvin 
partant  pour  Ferrare,  avait  achevé  Y  Institution,  et  payé  sa  dette  à  la 
France.  Cela  suffit  à  sa  gloire. 

11  est  vrai  que  vous  produisez  ici  un  nouveau  texte  très  important, 
qui,  s'il  est  éclairci,  confirmé  par  des  révélations  ultérieures,  four- 
nira peut-être  la  date  précise,  et  jusqu'à  ce  jour  ignorée,  du  départ 
de  Calvin  pour  l'Italie.  Le  célèbre  ministre  de  Zurich,  BuUinger,  écri- 
vant au  réformateur,  vingt  et  un  ans  plus  tard,  le  22  mai  1557,  lui 
rappelle  qu'ils  se  sont  vus  à  Bàle  pour  la  première  fois  en  1536,  à 
l'époque  de  la  rédaction  de  la  première  Confession  helvétique  (2). 
On  sait  que  les  théologiens  des  cantons  réformés  se  réunirent  pour 
cet  objet  à  Bâle  le  30  janvier.  Si  le  texte  de  Bullinger,  qui  n'est 
pas  sans  obscurités  (3),  doit  être  interprété  avt  c  une  rigueur  que  ne 
comporte  pas  un  souvenir  aussi  éloigné,  s'il  est  parfaitement  établi 
que  le  ministre  zurichois  ne  retourna  pas  à  Bâle  pendant  l'élaboration 
d'un  formulaire  qui  donna  lieu  à  une  seconde  Conférence  le  27  mars, 
et  ne  fut  signé  qu'en  mai  1536  (i),  peut-être  alors  devra-t-on  recon- 
naître qu'il  y  a  là  un  point  fixe  dans  une  chronologie  longtemps  incer- 


(1)  Calvin's  Letlers,  édit.  d'Edimbourg,  t.  l,  p.  18. 

(2)  «  Conscriptam  anno  1336,  cum  primum  te  Bnsileœ  vidi  et  salufavi.  »  fCol- 
lect.  Simler,  t.  89.  Bibl.  de  Zurich.) 

(3)  Bullinger  écrit  à  Calvin  :  «  Si  tu  ne  connais  pas  [si  non  vidisti  dudum)  la 
Conlession  des  cités  de  l'Helvétie,  rédigée  en  1336,  à  l'époque  où  je  t'ai  vu  et 
salué  à  Bàle  pour  la  première  fois,  je  t'en  transmets  une  copi(!.  »  N'est-il  pas 
étonnant,  dans  l'hypothèse  du  séjour  de  Calvin  à  Bàle,  aux  premiers  mois  de  1336, 
qu'il  n'eût  pas  rneme  vu  la  Confession  rédigée  à  cette  époque,  presque  sous  ses 
yeux?  Le  souvenir  de  Bullinger  est-il  bien  exact?  Ne  suggere-t-il  aucun  doute  à 
l'esprit? 

(4)  Le  savant  historien  de  la  Confession  de  Bâle,  M.  le  professeur  Hagenbach, 
d'accord  à  cet  égard  avec  Pestalozzi  [Vie  de  Bullinger,  édit.  d'Elberfeld,'  p.  188), 
m'assure  que  dans  la  Conférence  de  mars  il  n'y  eut  pas  de  théologiens.  Mais 
Bullinger  ne  put-il  rencontrer  Calvin  à  Bâle  à  une  époque  ultérieure?  Ce  point 
ne  saurait  être  trop  éclairci. 


188  MÉLANGES. 

taine,  et  vous  aurez,  Monsieur,  l'honneur  de  l'avoir  le  premier  introduit 
dans  la  discussion.  En  ce  cas,  je  n'hésiterai  plus  à  déplacer  de  quel- 
ques mois  le  voyage  de  Calvin  en  Italie,  et  fixant  son  départ  de  Bàle 
aux  premiers  jours  de  février  1536,  je  le  conduirai  par  Aoste  à  Ferrare. 

Ce  n'est  pas  là  votre  compte,  je  le  sais,  car  il  vous  faut  absolument 
retrancher  une  page  de  l'histoire  du  réformateur.  Vous  avez  prononcé 
contre  son  séjour  au  val  d'Aoste  l'arrêt  de  Caton  :  c'est  votre  delenda 
Carthago.  Reste  à  savoir  si  le  texte  que  vous  alléguez  justifie  une 
telle  prétention,  s'il  contient  l'irrécusable  alibi  dont  votre  thèse  a 
besoin.  Je  ne  saurais  l'accorder.  Admettons,  si  vous  voulez,  que 
Bullinger  ne  se  trompe  pas,  que  son  souvenir  soit  fidèle,  ne  puis-je 
concilier  sa  déclaration  avec  les  principaux  faits  du  voyage  en  Italie, 
pour  lequel  il  me  reste  encore  trois  mois?  Calvin  n'a-t-il  pu,  sans 
recourir  au  miracle  de  l'ubiquité,  se  trouver  le  30  janvier  1536  à 
Bàle,  à  la  fin  de  février  ;:u  val  d'Aoste,  où  la  tradition,  un  monument 
et  des  textes  rappellent  son  passage? 

La  tradition!  vous  la  traitez  avec  un  superbe  mépris;  vous  lui 
déniez  toute  autorité  dans  la  question  en  litige.  Il  me  semble.  Mon- 
sieur, qu'elle  a  droit  à  plus  d'égards.  Que  de  lumières  n'a-t-elle  pas 
répandues  sur  la  jeunesse  du  réformateur,  bien  avant  la  découverte 
des  documents  originaux  qui  sont  venus  attester  la  vérité  de  ses  témoi- 
gnages! Angoulême  garde  encore  la  Vigne  de  Calvin,  et  cette  voix 
des  lieux  que  l'historien  ne  dédaigne  pas  d'interroger  a  été  confirmée 
par  les  lettres  de  Calvin  et  de  Louis  du  Tillet.  Les  (irottes  de  Saint- 
Benoît,  près  de  Poitiers,  ont  retenu  le  nom  de  Calvin,  et  fourni  un 
témoignage  à  l'histoire  avant  les  textes  authentiques  connus  ou  pu- 
bliés de  nos  jours.  Aoste  serait-il  seul  exclu  de  ce  privilège?  Mais  ici, 
remarquez-le  bien,  la  tradition  est  plus  précise,  plus  concordante 
qu'ailleurs.  Elle  lie  le  souvenir  du  i)assage  de  (y.ilvin  à  un  grand 
événement  national,  les  Etals  généraux  de  février  1536,  à  des  solen- 
nités religieuses  célébrées  depuis  trois  siècles.  Elle  montre  la  Ferme 
de  Calvin,  le  Pont  de  Calvin,  la  Fenêtre  de  Calvin,  et  s'appuie  sur 
un  monument  contemporain  des  faits  eux-mêmes.  J'ose  croire,  Mon- 
sieur, ()ue  si,  sortant  de  votre  cabinet,  vous  aviez  pris  la  peine  d'étu- 
dier la  (luestion  sur  les  lieux,  vous  seriez  arrive  à  d'autres  conclusions. 

Le  monument  érigé  sur  la  place  du  marché  d'Aoste,  en  souvenir 
du  passage  de  Cahin,  devait  vous  causer  (juclque  embarras.  Vous 
déployez  toutes  les  ressources  d'une  argumentation  savante,  d'une 


\ 


MÉLANGES.  i89 

critique  subtile  pour  lui  assigner  une  date  moderne.  Vains  efforts! 
La  date  de  1541  résiste  à  toutes  vos  attaques.  H  est  impossible,  dites- 
vous,  que  Calvin  ait  prêché  cette  année  au  val  d'Aoste;  j'en  con- 
viens, mais  aussi  le  monument  en  question  n'en  dit  mot.  11  atteste 
seulement  que  cinq  ans  après  le  passage  du  réformateur  une  croix 
fut  élevée  pour  attester  sa  fuite  et  la  persévérance  des  habitants 
dans  la  foi  catholique.  Sénebier  nous  apprend  que  c'était  de  son 
temps,  c'est-à-dire  vers  la  fin  du  siècle  dernier,  une  colonne  de  huit 
pieds  de  haut,  sur  laquelle  on  lisait  les  mots  suivants  : 

HaNC   CaLVINI    FUGA    EREXIT    ANNO    MDXLI. 

Religionis  Constantia  reparavit  anno  MDCCXLÏ  (1). 
Mais  ce  monument,  déjà  si  digne  d'attention,  n'était  pas  le  pre- 
mier. Il  avait  succédé  (l'inscription  en  fait  foi)  à  un  monument  plus 
ancien,  contemporain  de  l'événement  dont  il  devait  perpétuer  le  sou- 
venir. En  voulez-vous  une  preuve  de  plus?  Je  la  trouve  dans  le  pré- 
cieux document  que  m'ont  fourni  les  archives  de  M.  Martinet,  ancien 
député  d'Aoste  au  parlement  de  Turin,  document  du  dix-septième 
siècle,  antérieur  en  tous  cas  à  la  colonne  de  1741  décrite  par  Séne- 
bier. C'est  une  relation  très  précise  des  événements  accomplis  au  val 
d'Aoste  en  février  et  mars  1536  (2).  Le  langage,  le  ton  du  narrateur 
inconnu,  sont  ceux  d'un  homme  qui  raconte  ce  que  chacun  sait  dans 
le  pays,  ce  que  la  vue  d'un  monument  public  rappelle  à  tous  :  le 
séjour  de  Calvin  à  la  ferme  de  Bibian,  ses  furtives  prédications,  sa 
fuite;  et  voici  la  conclusion  de  ce  récit  qui  ne  saurait  être  trop  si- 
gnalée : 

«  Et  quelque  temps  après  a  esté  dressée  une  croix  de  pierre  taillée 
au  milieu  de  la  ville,  comme  se  remarque  par  escrit  au  pied  d'icelle  : 

DU  14  MAY  1541.   » 

Le  14  mai  1541,  telle  est  donc.  Monsieur,  la  date  du  monument 
primitif  dont  vous  essayez  en  vain  d'ébranler  l'antiquité  (3).  Qu'im- 

(1)  Si  l'on  tient  compte  de  l'addition  faite  de  nos  jours  :  «  CàHum  munificenf/a 
renovavit  et  adornavit.  unno  1841,  »  cette  inscription  présente  trois  époques  dis- 
tinctes, dont  la  première  (1541)  est  tout  près  de  l'événement.  11  n'est  pas  superflu 
d'en  donner  ici  la  traduction,  puisqu'un  humaniste  tel  que  M.  Rilliet  semble 
s'être  mépris  sur  le  sens  des  premiers  mots  :  «  Cette  croix,  érigée  l'an  1541 
par  (en  souvenir  de)  la  fuite  de  Calvin,  restaurée  Fan  1741  par  la  persévérance 
de  ta  foi,  a  été  renouvelée  l'an  1841  par  la  munificence  civique.  » 

(2)  Bulletin  de  l'Histoire  du  Protestantisme  français.  Ann.  1860,  p.  161, 163. 

(3)  «  Ce  monument  n'a  pu  être  érigé  qu'à  une  époque  bien  postérieure.  Je  ne 
pense  pas  en  effet  qu'il  ait  existé  avant  l'année  du  dix-huitième  siècle  dont  il 
porte  la  date  »  {Lettre  à  M.  Merle  d'Aubigné,  p.  31,  32).  Telles  sont  les  conclu- 


190  MÉLANGEï>. 

porte  que  le  chanoine  Besson  n'en  ait  pas  parlé;  que  le  docie  Mura- 
tori,  «  qui  savait  tout  ce  qui  concerne  son  Italie,  »  n'en  ait  rien  dit? 
Il  s'est  tu,  Monsieur,  sur  bien  d'autres  choses  encore,  et  il  suffit  de 
quelques  heures  d'étude  aux  archives  d'Esté  pour  apprécier  sa  haute 
discrétion.  Le  témoignage  d'un  bon  bourgeois  d'Aoste,  son  contem- 
porain,  peut-être  son  devancier,  ne  saurait-il  ici  suppléer  à  son 
silence?  J'incline  à  le  penser,  je  l'avoue,   et  à  croire  cet  obscur 
témoin  mieux  instruit  de  l'histoire  de  sa  ville  natale  que  bien  des 
savants  très  autorisés  qui  en  dissertent  si  pertinemment  aujourd'hui, 
.le  reconnais  que  le  nom  de  Calvin  n'est  mentionné  dans  aucun  des 
lares  documents  contemporains  parvenus  jusqu'à  nous,  qu'il  ne  figure 
pas  dans  le  procès-verbal  des  Etats  tenus  le  28  février  153G.  Il  n'y  a 
là  rien  d'étonnant,  si  l'on  songe  à  l'obscurité  qui  environnait  le  réfor- 
mateur traversant  les  Alpes  sous  un  pseudonyme,  caché  dans  une 
ferme  isolée,  à  peine  connu  de  quelques  disciples.  Le  mystère  de  la 
grange  de  Bibian  ne  s'éclaircit  que  peu  à  peu.  Il  était  dissipé,  le 
14.  mai  1541,  quand  le  nom  de  Calvin  fut  inscrit  sur  le  monument 
commémoratif  des  faits  survenus  au  val  d'Aoste  cinq  ans  auparavant. 
Ce  nom,  qui  eût  songé  à  le  graver  sur  le  second  monument,  celui  de 
1741,  s'il  n'eût  élé  déjà  écrit  sur  le  premier,  celui  de  1541?  L'in- 
scri[)tion  primitive  n'existe  plus,  il  est  vrai;  mais  le  sens  n'en  paraît 
pas  douteux.  Il  est  iixé  par  les  documents  antérieurs  à  1741.  On  y 
lisait  un  nom  qui  trouvait  un  vivant  commentaire  dans  tous  les  es- 
prits, qui  correspondait  aux  souvenirs  gravés  sur  les  lieux  eux-mêmes, 
et  conservés  jusqu'à  nous  par  la  tradition.  La  Fenne  de  Calvin,  le 
Pont  de  Calvin,  la  Fenêtre  de  Calvin  ne  peuvent  s'expliquer  sans  le 
monument  primitif  de  Calvin. 

Direz-vous  que  la  croix  érigée  a  Aoste  en  1541,  en  souvenir  de  la 
fuite  du  réformateur,  et  restaurée  à  ileux  reprises  depuis  cette  époque, 
n'est  qu'une  mystification  trois  fois  séculaire?  Cette  explication  ne 
satisfera  ni  les  Valdôtains,  ni  la  saine  critique.  Je  reconnais  la  ten- 
dance des  peuples  à  personnifier  d:ins  un  homme  célèbre  les  événe- 
ments politi(iues  on  religieux  (jni  ont  eu  un  retentissement  durable 
dans  un  pays.  Mais  ce  travail  de  l'imagination  populaire  ne  se  fait 
pas  en  un  jour.  Il  lui  faut  des  années,  des  siècles.  La  légende  de  1541, 
comme  vous  lappelez,  est  trop  près  de  15;«>  pour  mériter  ce  nom, 

sions  auxqui'llfs  alwutil  M.  Uillid,  on  païUiil  (ir  riiypoUiésu  ^^raliiit''  '!<•  pri^ili- 
caiioiis  (le  Calvin  au  val  d'Aoslc  on  1541  (|nc  j'ai  ivIpviS'  pins  haut. 


MÉLANGES.  19j 

Qui  ne  sait  d'ailleurs  qu'à  celte  époque  Calvin  n'avait  rien  qui  put 
le  désigner  à  l'attention  de  la  multitude?  L'auteur  de  V Institution 
chrétienne  n'était,  le  14  mai  Î541,  qu'un  ministre  banni  pour  Genève, 
qu'un  obseur  prédicant  pour  l'Italie. 

Traditions  et  monument,  tout  nous  ramène  doue,  Monsieur,  a  la 
réalité  du  séjour  de  Calvin  à  Aosle,  contre  lequel  vous  ne  produisez 
qu'un  illusoire  alibi.  Dans  le  silence  des  documents  contemporains 
jusqu'ici  connus,  ce  séjour  est  atteste  par  des  documents  moins  an- 
ciens, il  est  vrai,  mais  dont  les  indications  précises,  circonstanciées, 
garantissent  la  valeur.  La  Chronique  citée  par  M.  le  pasteur  Gaberel, 
et  dont  la  rédaction  rem  nte  aux  premières  années  du  dix-huitième 
siècle,  ne  me  semble  pas  à  dédaigner,  malgré  quelques  bizarres  ana- 
chronisines  dans  la  forme,  dont  vous  vous  prévalez  trop  contre  l'au- 
torité du  fond  (1).  Le  document  que  je  dois  à  M.  Martinet  et  dont 
vous  ne  laites  nulle  mention,  méritait  plus  d'honneur.  C'est  une  rela- 
tion quasi  officielle  des  événements  que  rappelait  la  croix  d'Aoste 
aux  habitants  du  pays,  avant  1741 ,  Date,  lieux,  personnes,  j'y  trouve 
tout  nettement  indiqué.  C'est  au  moment  de  la  réunion  des  Etats 
que  Calvin  arrive  dans  le  pays;  la  grange  de  Bibian,  hors  de  la  ville, 
est  le  théâtre  de  ses  prédications;  les  disciples  venus  pour  l'entendre 
ne  sont  pas  des  noms  pris  au  hasard  :  «  11  avoit  desjà  attiré  à  soy 
diverses  familles  de  condition,  en  particulier  un  de  la  maison  de  la 
Creste,  un  de  la  Visière,  de  Vaudan,  Borgnion,  Philippoii,  Chanvp- 
villain,  Chandieu,  Salluard,  Quay  et  plusieurs  autres  qu'on  n'a  pas 
pu  sçavoir,  pour  en  estre  desjà  le  nombre  assez  grand,  lesquels  Ira- 
vuilloient  par-dessous  main  pour  luy,  et  assistoient  aux  assemblée» 
générales  pour  en  apprendre  les  résolutions  audit  Calvin  (-2).  »  J'ouvre 
les  cahiers  des  Etats;  j'y  retrouve  les  mêmes  hommes  avec  l'indica- 
tion des  localités  dont  ils  étaient  les  représentants  à  l'assemblée  de 
1636  (3).  N'est-ce  pas  là  une  preuve  de  l'exactitude  du  narrateur  et 
de  la  fidélité  de  son  récit? 


(1)  Lettre  à  M.  Merle  d'Aubigné,  p.  33.  Que  prouve  l'associaliou  erronée  des 
noms  de  Luther  et  de  Calvin  en  153H,  contre  la  présence  de  ce  dernier  au  val 
d'Aoste  à  la  même  époque?  Avec  la  prétention  de  n'employer  que  des  textes 
exempts  d'erreur,  l'histoire  serait  tout  bonnement  impossible.  C'est  l'œuvre  d'une 
sage  critique  de  faire  la  part  de  l'erreur  et  de  la  vérité. 

(2)  Bulletin  de  VHistoire  du  Protestantisme  français.  Ann.  1860,  p.  ItU,  102. 

(3)  «  Nobilis  Nicolaus  de  Crista,  Antonius  Vaudan,  Bartolomeus  Borgnion  pro 
comraunitate  parochiee  sancti  Stephani  electi,  etc....  »  Conseil  général  dn  dernier 
février  1536.  Arch.  de  l'intendance  d'Aoste. 


192  MÉLANGES. 

Ainsi  l'ont  jugé  avant  moi  de  graves  historiens,  parmi  lesquels  il 
suffit  de  citer  l'auteur  du  Dictionnaire  géographique  du  Piémont, 
M.  Goffredo  Casalis  (1)  et  Téminent  annaliste  des  Etats  généraux, 
M.  Sclopis,  dont  je  reproduis  les  conclusions  :  «  Ces  Etats,  dit-il, 
donnèrent  d'éclatantes  preuves  de  leur  fidélité  au  souverain  et  de  leur 
attachement  à  la  foi  catholique,  lorsque  dans  l'assemblée  du  mois  de 
février  1536,  ils  s'opposèrent  énergiquement  à  la  propagation  de  la 
doctrine  calviniste,  et  que  Calvin  lui-même,  qui  s'était  secrètement 
introduit  dans  cette  vallée,...  vit  ses  eiïorts  déjoués  et  dut  s'enfuir 
précipitamment  (2).  »  Le  savant  chanoine  Gai,  en  qui  j'ai  retrouvé 
comme  la  vivante  histoire  d'Aoste,  a  consacré  ces  faits  de  son  autorité. 

Il  me  serait  aisé.  Monsieur,  de  multiplier  les  témoignages  empruntés 
aux  auteurs  les  plus  compétents.  J'en  ai  dit  assez,  je  l'espère,  pour 
montrer  les  sérieuses  raisons  sur  lesquelles  se  fonde  ma  croyance  au 
séjour  du  réformateur  dans  le  val  d'Aoste,  aux  premiers  mois  de 
l'an  1536.  Je  n'en  dissimule  pas  les  obscurités.  Peut-être  sont-elles 
fidèlement  reproduites  dans  le  Récit  que  j'ai  consacré  à  cet  épisode 
flottant  entre  la  légende  et  l'histoire,  quoique  très  digne  de  foi.  Vous 
aurai-je  convaincu?  Je  voudrais  l'espérer.  Je  ne  l'ose  pourtant.  Après 
le  chant  de  triomphe  (est-ce  trop  dire?)  que  vous  avez  entonné  dans 
les  dernières  pages  de  votre  lettre  à  M.  Merle  d'Aubigué  (3),  après 
les  ovations  que  vous  a  décernées  une  plume  amie  {k),  il  est  difficile 
d'espérer  un  abandon  de  la  thèse  pour  laquelle  vous  avez  dépensé 
tant  de  savoir  et  de  talent.  Si  j'ai  réussi  cependant  à  jeter  un  doute 
dans  votre  esprit,  je  croirai  n'avoir  pas  fait  une  œuvre  inutile.  La 
question  est  soumise,  en  tout  cas,  aux  vrais  arbitres  :  Subjudicelisestl 

Veuillez  agréer.  Monsieur,  l'assurance  de  ma  considération  très 
distinguée.  Jules  Bonnet. 

Paris, juin  1864. 

(1)  Dizionario  geografico  storicn.  Turin,  1833.  T.  1^  p.  318. 

(2)  Fcdfirico  Sclopis,  Degli  sttiti  f/nnerdtt  del  Piemontc  e  délia  Savoia.  1  vol. 
in-V.  Torino,  1851,  p.  308. 

(3)  «  Adieu  donc  la  frraniJfe  de  Hihian  ot  la  lencU'c  de  Calvin;  adieu  l'épée  nue 
du  comlo  de  Chalant  et  les  liasards  de  la  fuite  à  travers  les  neifïes  ;  adieu  la  mys- 
térieuse propagande!...  etc.  »  (p.  34.) 

(4)  Journal  de  denève  du  31  mai   18(14. 

Paris.  —  Ty|).  île  C.li.  Mcyrucis,  ruo  ilcs  (ires,  11.  —  1H6*. 


SOCIÉTÉ  DE  L'HISTOIRE 


PROTESTANTISME    FRANÇAIS. 


€tuf6ttiinô  si  Eépouôfô.  —  Cjjvrcspanîranct'. 

OBSERVATIONS    ET    COMMUNICATIONS    RELATIVES   A   DES    DOCUMENTS   PUBLIÉS. 
—  AVIS  DIVERS,    ETC. 

liC  uom.  de  fSalonion  de  Caus  tlonné  à  une  rue  de  Paris. 

Nos  lecteurs  se  rappellent  les  documents  publiés  par  nous  sur  la  date 
véritable  de  la  mort  de  Salomon  de  Caus  (1626)  et  sur  le  lieu  de  son  inhu- 
mation {Bull.^  XI,  30'l,  407,  443).  Ils  apprendront  avec  satisfaction  que  le 
nom  de  notre  illustre  coreligionnaire  vient  d'être  donné,  par  décret  im- 
périal du  2  mars  dernier,  à  une  des  rues  de  Paris,  celle  «  ouverte  au  nord 
du  jardin  des  Arts-el-Métiers,  »  à  quelques  centaines  de  mètres  de  l'em- 
placement de  l'ancien  cimetière  de  la  Trinité,  où  ont  reposé  ses  restes 
mortels. 

Espérons  que  ce  juste  hommage  rendu  à  la  mémoire  de  Salomon  de 
Caus  contribuera  à  le  faire  mieux  connaître  et  à  discréditer  l'absurde  lé- 
gende attachée  à  son  nom.  Espérons-le,  tout  en  reconnaissant  que  la  chose 
est  difficile,  car  ladite  légende  est  singulièrement  enracinée  dans  les 
esprits. 

On  nous  signalait  naguère  deux  ouvrages  dans  lesquels  le  faux  Salo- 
mon de  Caus  a  pris  une  place  inexpugnable.  C'est  d'abord  le  livre  inti- 
tulé :  Les  artisans  illustres,  par  Edouard  Foucaud,  sous  la  direction  de 
MM.  le  baron  Ch.  Dupin  et  Blanqui  aine  (Paris,  1841,  gr.  in-8°).  Marion 
Delorme  et  Saint-Mars,  Bicêtre  et  la  victime  de  Richelieu  dans  son  caba- 
non, remplissent  les  pages  80  à  84,  texte  et  gravures. 

En  second  lieu,  c'est  la  célèbre  Revue  comique  à  l'usage  des  gens  sé- 
rieux (publiée  en  1849),  et  où  l'on  trouve,  à  la  page  252  du  t.  I  (^/e  pu- 
blique et  privée  de  Mossieu  Réac),  ledit  Mossieu  Réac  représenté  sous  les 
traits  de  l'homme  qui  «  jeta  aux  cabanons  de  Bicêtre  Salomon  de  Caus, 
l'inventeur  de  la  vapeur.  »  On  voit  jusqu'à  quel  point  le  mensonge  histo- 
rique s'est  emparé  du  public  et  l'a  familiarisé  avec  un  type  dont  il  sera  mal- 
aisé de  le  déshabituer. 

Enfin,  dans  un  ouvrage  publié  il  y  a  trois  ans,  où  M.  Moreau  (de  Tours) 

1864.  Aovt,  Sept.  N"»  8,  et  9,  XIIl.   — ■    13 


loi  QUESTIONS   ET    REPONSES. 

clierclie  à  prouver  que  la  folio  est  une  névrose,  on  lit  ce  passage  curieux  qui 
rappelle  certain  endroit  de  M,  de  Pourceaugnac  :  «  Salomon  deCaus  a-t-il 
été  positivement  aliéné  ou  simplement  regardé  comme  tel.  Si  l'on  raisonne 
à  priori  on  ne  saurait  révoquer  en  doute  la  folie  de  ce  célèbre  inventeur.  » 
Ainsi  voilà  ce  pauvre  Salomon  de  Caus  qui,  non  content  d'avoit  été  fait  fou 
à  posteriori,  est  maintenant  déclaré,  de  par  la  science  aliénique,  fou  à 
priori  ! 

0  curas  hominuin!  0  quantum  est  in  rébus  inane! 

Voilà  pourtant  comment  s'est  trop  souvent  introduit  ce  que  M.  Ed.  Four- 
nier  a  appelé  VEsprit  dans  l'Histoire^  et  voilà  aussi  pourtiuoi  il  importe 
de  l'en  (tliasser,  si  l'on  veut  que  l'histoire  soit  l'histoire,  et  non  un  ramas- 
sis de  fables  et  de  puérilités  (l). 


Une  vision  singrulièrë  «le  Dom  Pranctsco  de  Queveitti. 

Il  existe  un  curieux  livre  :  Les  lisions  de  Dont  Francisco  de  Qiievedo 
Fillegas,  traduit  de  l'espagnol  parle  sieur  de  la  Geneste,  à  Rouen,  l6io. 
Voici  un  extrait  de  la  Vision  sixiesme  de  l'enfer  : 

«  Je  voy  tous  les  hérétiques  du  siècle  présent...  Calvin  que  ses  secta- 
teurs deschiroient  à  beaux  ongles,  recognoissant  qu'il  les  avoit  abusez  et 
trompez,  comme  son  nom  en  latin  l'accuse  :  Calvo,  je  trompe.  Auprès  de  lui 
estoit  le  Saxon  Luther,  renégat  de  saint  Augustin,  ayant  deux  diables  à 
costé  de  lui,  qui  lenoient  chacun  un  soufflet,  du(iuel  sortoient  des  flammes 
au  lieu  du  vent  qui  luy  entroient  dans  les  oreilles,  et  luy  brusloient  la  cer- 
velle sans  la  consommer,  parce  qu'il  avoit  advoué  en  son  livre,  que  le  dia- 
ble luy  avoit  soufflé  les  arguniens  qu'on  faisoit  contre  la  messe.  Mélanc- 
ton,  son  disciple,  estoit  auprès  de  lui,  qu'un  diable  Iravailloil  d'un 
tourment  qui  me  faisoit  rire  ;  il  ne  faisoit  autre  chose  que  le  retouiner,  lan- 
tosl  à  l'envers,  tantost  à  l'endroit,  comme  on  feroit  un  bas  de  chausse.  Je 
luy  demanday  pour(iuoi  il  le  tiaictoil  ansi  ;  il  me  dit  (\\\v  c'estoit  à  cause  de 
ce  qu'estant  au  monde,  il  cliaussoit  indiiféremment  toutes  religions,  et  que, 
pour  ce  sujet,  on  l'appelloit  I>rode(/iiin  d'  tllemaqne. 

«  Le  symoiiiaipie  lîèze,  législateur  et  niinislre  de  Genève,  estoit  assis,  et 
lisant  dedans  la  chaire  de  pestilence,  qui  enduroil  le  nouveau  tourment  de 
la  tigne  qui  luy  estoit  reveruie,  LKpielle  luy  estoit  un  siqiplîce  si  rigoureiix, 
(|ue  s'il  se  fust  trouvé  alors  sur  le  pont  aux  Meusnievsde  Paris,  il  n'eût  pas 

(1)  M.  !•:.  l*ronli(il  ;i,  dans  lu  numéro  du  20  juillet  1800  de  la  Revue  de  /'In- 
struction ijuhlirjue,  montré  la  fausseté  de  la  léj^unde  (!t  in<li(]ué  son  origine, 
o'est-à-dire  l'article  du  Musée  des  Familles  de  1834  (Bull.,  XI,  310). 


\ 


QUESTIONS   ET    REPONSES.  195 

tant  marchaiulé  à  se  jetter  dedans  la  Seine,  comme  il  le  pensa  faire  avec 
son  cousin,  en  allant  chez  le  chirurgien  qui  le  pansoit.  » 


Un  descendant  de  tffeanne  «l'Arc  professant  la  R.  P.  R. 
en  1666. 

Dans  une  Recherche  de  la  Noblesse  de  Normandie,  faite  par  le  commis- 
saire du  roi  Chamillart,  en  1666  (Bibliothèque  de  l'Arsenal,  Mss.  in-fol. 
754),  on  trouve  l'article  suivant,  concernant  un  descendant  de  la  famille  de 
Jeanne  d'Arc  qui  professait  la  religion  réformée  : 

Brunet.  Jean  Le  Brunet,  escuyer,  sieur  de  Sainct-Morice,  fils  de 
Pierre,  lequel  avoit  espousé  habeau  Potier,  fille  d'Ursin  Potier,  et 
de  Marie  Du  Chemin,  qui  estoit  de  la  race  de  Jeanne  d'Arc,  dite  la 
Pucelle  d'Orléans,  aagé  de  quatre-vingts  ans,  de  la  religion  prétendue 
réformée,  demeurant  en  la  paroisse  de  Saincte-Mère-Eglise^  sergen- 
terie  dudit  lieu,  élection  de  Carentan. 

A  vériffîé  par  devant  Nous  Commissaire  soubssigné  estre  noble, 
comme  descendant  des  collatéraux  de  la  Pucelle  d'Orléans.  (Inven- 
taire produit  le  5<"  jour  d'aoust  1666.)  Chamillart. 

Armes  :  Porte  d'azur  à  l'espée  poignée  d'or  lamée  d'argent,  cou- 
ronnée d'or  et  accostée  de  deux  fleurs  de  lys  d'or. 


Quatre  âlijti rations  «  d'hérésie  »  à  Paris,  au  XV!!"^  siècle 
(1665-1693). 

Parmi  les  registres  de  baptêmes  des  anciennes  paroisses  de  Paris  con- 
servés aux  archives  de  l'Etat  civil,  il  s'en  rencontre  quelques-uns  qui  con- 
tiennent des  abjurations.  Nous  avons  déjà  cité  celui  de  l'église  Saint-Ger- 
main-1'Auxerrois,  dont  nous  avons  donné  deux  extraits  [Bull.,  XII,  309). 
Ces  abjurations  sont  généralement  peu  nombreuses. 

En  voici  quatre  qui  sont  tirées  d'un  registre  de  l'église  Saint-Barthélémy, 
oîi  l'on  paraît  avoir  déployé  un  zèle  assez  chaud,  à  en  juger  par  le  style 
des  rédacteurs  plutôt  que  par  le  nombre  des  actes. 

Extrait  du  registre  d'abjuration  de  la  paroisse  Saint-Barthélémy, 
rfe  1664  «1791. 

Le  24e  jour  de  mars  1665,  Daniel  de  Candolle,  Genevois,  orloger 


196  QUESTIONS   ET    REPONSES. 

de  profession,  a  fait  son  abjuration  publique  en  nos  mains  après 
avoir  été  soigneusement  instruit  par  31.  Treppier.  Il  est  fort  zélé  en 
sa  conversion. 

Le  dimanche,  24.e  jour  de  septembre  1665,  Marie  Prévost,  fille  na- 
tive de  Paris,  au  faubourg  de  Saint-Germain,  rue  des  Cannettes, 
fîlliole  de  Drelincourt,  a  faict  publiquement  abjuration  de  l'hérésie 
de  Calvin,  en  laquelle  elle  estoit  née,  ayant  encore  sa  mère,  laquelle 
par  désir  passionné  d'entendre  le  presche  de  Charenton,  a  quitté 
Paris  pour  aller  demeurer  à  Charenton.  Ceste  fille  a  souhaité  tou- 
jours de  quitter  ceste  maudite  religion,  et  il  y  avoit  quatre  ans  en- 
tiers qu'elle  n'avoit  pas  fait  ni  la  Cène  ni  autres  fonctions  à  Charen- 
ton, mais  au  contraire  hanté  les  églises,  entendu  les  sermons  et 
appris  les  exercices  de  la  religion  catholique. 

Un  homme  fort  sçavant  dont  on  ne  dit  pas  le  nom  tant  parce  qu'il 
est  à  présent  dans  Tordre  sacré  de  prestrise,  que  parce  qu'il  est  le 
nepveu  d'un  ministre  qu'on  espargne  de  nommer,  de  peur  de  le  cou- 
vrir de  honte  et  de  l'accuser  dignement  ou  d'infidélité  volontaire,  a 
renoncé  à  toutes  les  erreurs,  fourbes  et  mensonges  de  l'hérésie  qu'il 
avoit  jusque  là  professé  et  tenu  malitieusement. 

Le  mercredy  11'"  janvier  1673,  Louis-David  Jaussaud,  aagé  de 
23  ans,  natif  de  Castres,  en  Languedoc,  fils  de  Claude  Jaussaud, 
conseiller  en  la  chambre  de  l'Edict,  et  de  Suzanne  de  i'Evesque,  ses 
père  et  mère,  de  la  religion  prétendue  réformée,  ayant  fait  profes- 
sion de  la  même  religion  j)rétendue  réformée  dès  sa  naissance,  en  a 
faict  abjuration  publiquement  dans  l'église  paroissiale  de  Saint- 
Barthélerny,  entre  les  mains  de  moy  soubsigné  Pierre  Cureau  de 
la  Chambre,  curé  de  ladite  église,  en  présence  des  témoins  soub- 

signés. 

Claipk  de  Celliiïres,  prcstre.  La  Chamrre. 

L.  Ango.  Jaussald. 


Un  livre  allemand*  traduit  en  français  par  le  filH  d'un  ministre 
réfugié  au  cantun  «le  Vaud.  —  €|ucl  est  huii  nom? 

Dornliolzhaii?en,  10  juillet  1864. 
Martin  Mollcrus,  paskur  de  Sprottaii  (peliie  ville  de  la  Silésio  prus- 
sienne), est  i'auleur  d'un  ouvrage  allemand,  dont  voici  le  titre  :  nMatiuale 


I 


QUESTIONS  ET    REPONSES.  197 

de  pra?para^«o«eaf/mor/em.  Heilsameundsehr  nùtzliche  Betrachtung  wie 
ein  Mensch  christlich  leben  uncl  seliglich  sterben  soll.  —  Gt'Slellet  tlurch 
Martinum  Molleriiin  derchristlicheGemeinde  zu  Gœrlitz  Ministerium  prima- 
rium,  mit  Rœm.  Kays.  May.  Freylieit  nachzudrucken.  —  ZuGœrliiz  in  Ober- 
Lausilz,  beiJoh.Rhumbau»  (1).  —  Ladédicace,  quis'adresseà  Mad.Polyxèiie 
Nacherin  deBuchwald,  veuve  de  feu  noble  M.BalihasarBuchler  de  Groditz, 
autrefois  seigneur  héréditaire  de  Faliicnberg.Kujau  etCantersdorf,  Pîc,  est 
datée  de  Sprottau,  dimanche  dit  Pâques  fleuries,  W  avril,  selon  le  nouveau 
Style,  lan  1S93.  —  Cet  ouvrage  a  été  traduit  (2)  par  le  fils  d'un  réfugié, 
qui  avait  trouvé  asile  et  assistance  dans  le  canton  de  Berne.  —  Quel  est 
SON  NOM,  EN  QUELLE  VILLE  ET  EN  QUELLE  ANNÉE  a-t-il  donné  Cette  traduc- 
tion, c'est  ce  que  je  ne  puis  dire,  parce  que  le  titre  et  les  dernières  pages 
de  la  dédicace  manquent.  —  Cependant  il  peut  n'être  pas  sans  intérêt,  ne 
serait-ce  qu'en  vue  de  la  bibliographie,  de  l'œuvre  si  méritoire  de  MM.  Uaag 
(Supplément),  de  rechercher,  si  toutefois  il  leur  est  inconnu,  ce  nom  d'un 
réfugié  français.  —  Pour  ce  motif,  je  m'en  vais  donner  quelques  extraits 
de  la  dédicace  du  traducteur,  dédicace  qui  porte  cette  inscription  :  Aux 
magnifiques  et  souverains  Seigneurs,  Messieurs  Vadvoyer  et  conseil  de 
la  république  et  canton  de  Berne,  nos  très  honorés  Seigneurs. 

«  Martin  Mollerus  a  rendu  de  grands  services  (c'est  le  traducteur  qui 
«  parle)  par  la  prédication  de  vive  voix  et  par  plusieurs  traités  (3) 
i(  écrits  et  mis  en  lumière,  et  ce  livre-ci  doit  avoir  aussi  ce  résultat.  Il 
«  offre  de  nombreuses  consolations  qui  louchent  un  chacun  ;  ceux  qui  sont 
«  en  bonne  santé,  comme  ceux  qui  sont  malades.  J'en  ai  fait  l'expérience 
«  moi-même,  il  y  a  \S  ans,  lors  de  mon  petit  pèlerinage  (4),  alors  que  je 
«  n'ay  pas  toujours  été  entre  les  roses.  Nous  avons  sans  doute  de  bons 
«  livres  dans  notre  langue,  mais  ce  n'est  pas  une  raison  pour  ne  pas  les  mul- 
«  tiplier,  même  au  moyen  de  traductions,  et  je  suis  persuadé  que  l'auteur, 
«  s'il  était  encore  en  vie,  ne  trouverait  pas  mauvais  que  je  l'eusse  traduit.  » 

Après  avoir  ainsi  expliqué  les  motifs  qui  l'ont  déterminé  à  donner  ce 
livre  en  français,  il  énonce  ceux  qui  l'engagent  à  le  dédier  à  Leurs  Excel- 
lences. —  «  Ce  sont,  dit-il,  vos  efforts  pour  l'édification  du  corps  de 
«  Christ,  témoins  votre  école  de  Lausanne,  de  laquelle  sont  sortis  ceux 

(1)  Cet  ouvrage  a  été  réimprimé,  il  n'y  a  que  quelques  années,  si  je  ne  me 
trompe.  (E.  C.) 

(2)  Voici  le  titre  français  :  «  Art  de  bien  mourir.  Considération  très  utile  et 
salutaire  des  choses  requises  pour  apprendre  à  vivre  chrétiennement  et  mourir 
heureusement.  Tirée  de  la  parole  de  Dieu  comprise  es  saintes  Ecritures.  (E.  C.) 

(3)  Outre  celui  qui  nous  occupe,  je  n'en  connais  qu'un,  dont  le  titre  est  : 
Solliloquia  de  passione  Jesu  Christi,  etc.,  1587;  aussi  en  allemand.    (E.  C.) 

(4)  Qu'était-ce  que  ce  pèlerinage?  Etait-ce  un  voyage  de  mission  en  France, 
des  prédications  au  Désert,  ou  bien  l'exil,  à  la  révocation  de  l'Edit  de  Nantes? 

(E.  C.) 


198  QUESTIONS    ET    REPONSES. 

a  qui  paissent  le  troupeau  du  Seigneur  sur  vos  terres  du  pays  de  Vaux 
«  et  encore  plusieurs  autres  qu'il  a  pieu  à  Vos  Excellences  de  gratifier  aux 

tt  Eglises  françaises ,  votre  collège,  dressé  nouvellement  à  Yyerdon, 

«  pour  avancer  de  plus  en  plus  la  gloire  de  Dieu  et  l'édification  de  son 
«  Eglise ,  qui  m'ont  porté  à  ce  faire.  » 

A  ces  considérants  généraux,  il  en  joint  encore  d'autres,  qui  le  touchent 
particulièrement.  —  ^  Vous  avez  reçu,  ajoute-t-il,  feu  mon  père  avec  toute 
«  sa  famille  en  votre  pays,  lorsqu'à  cause  des  persécutions  qui  aflligeolent 
«  les  Eglises  au  royaume  de  France,  il  fut  obligé  de  s'exiler;  vous  l'avez 
«  reçu  au  saint  ministère  et  même  il  a  fini  heureusement  ses  jours,  en 
«  votre  bonne  ville  de  Payerne,  l'an  'lo90.  —  Par  ces  moyens,  Dieu  a 
«  voulu  que  je  posasse  les  premiers  fondemens  de  mes  études  sous  votre 
«  protection » 

Je  ne  sais  si  Martin  Mollerouson  traducteur  peut  avoir  l'avantage  d'in- 
téresser, mais  j'ai  vu  un  vieux  livre,  bien  usé,  et  comme  je  ne  me  pique 
pas  d'être  bibliophile,  que  j'ignore  s'il  en  est  parlé  dans  la  France  protes- 
tante, j'ai  voulu,  dans  le  doute,  vous  le  signaler. 

Veuillez  agréer,  etc.  Emile  CoyTHAup,  pastejjjr. 


liCS  Mémoires  de  ^ir  Samuel  Romilly,  lils  de  réfug^iés. 

On  sait  que  sir  Samuel  Romilly,  qui  s'est  illustré  au  cp|ïimencemept  de 
ce  siècle  comme  avocat  du  barreau  de  Londres  e|  comme  membre  libéral 
de  la  Chambre  des  communes,  était  d'une  familje  de  réfugiés  originaire 
de  ÎVlontpellier.  Né  en  l757,  il  mourut  le  2  novembre  1818.  En  18'|5,  il 
lutta  avec  une  grande  éloijuence  contre  le  ministère  de  Castlereagh  au  sujet 
du  massacre  des  prolestanls  dans  le  midi  (je  la  france,  commp  si  le  sang 
qui  coulait  dans  ses  veines  se  fût  échauffé  en  faveur  de  la  bonne  cause. 

On  lira  avec  intérêt  ce  que  dil  lui-même  sir  Samuel  Romilly  dans  ses 
Mémoires^  publiés  par  son  fils,  à  Londres,  en  1840(3  vol.). 

«  Si  j'avais  le  désir,  dit-il,  do  parler  de  mes  ancêtres,  je  n'en  aurais  pas 
le  moyen  :  mon  arriêre-graiul-père  est  le  premier  dont  j'ai  oui  parler,  et  je 
ne  sais  de  lui  autre  chose,  sinon  (ju'il  avait  une  assez  bonne  propriété  ù 
Mi)nl|)eHicr,  au  midi  delà  France,  où  il  était  domicilié.  Il  était  protestant; 
mais,  sous  la  tyrannie  de  Louis  XIV  et  dans  une  |);irtie  de  la  France  où  la 
fureur  des  persécutions  exerçait  son  empire,  il  trouva  prudent  de  dissi- 
muler sa  loi,  et  il  ne  rendait  ;i  Dieu  le  service  qu'il  croyait  lui  plaiic  (|ue 
dans  le  sein  de  sa  famille.  Son  lils  unique,  mon  gi'and-père,  fut  élevé  dans 
les  mêmes  croyances.  Né  en  1(184,  il  tit,  en  17i)l,  un  voyage  à  Genève  dans 
le  seul  l)ul  d'y  reeev(tii'  la  coniiiiuiiiou,  tant  ses  convictions  étaient  fortes 


QUESTIONS   ET   REPONSES.  199 

et  sincères.  Ce  voyage  a  eu  les  suites  les  plus  importantes  pour  sa  posté- 
rité :  je  lui  dois  de  n'être  pas  né  sous  le  despotisme  de  la  monarchie  fran- 
çaise, et  de  n'être  pas  devenu  la  victime  du  despotisme  encore  plus  cruel 
qui  a  pris  sa  place  (sir  Samuel  Romilly  écrivait  ceci  en  4  796). 

«  A  Genève,  le  grand-père  de  Romilly  se  décida  à  abandonner  sa  patrie, 
ses  parents,  ses  amis  et  l'héritage  auquel  il  pouvait  prétendre,  pour  cher- 
cher une  existence  en  pays  étranger  et  y  jouir  de  la  liberté  civile  et  reli- 
gieuse qui  lui  était  refusée  en  France.  Au  lieu  de  retourner  à  Montpellier, 
il  se  rendit  à  Londres,  où  il  forma  un  établissement  et  épousa  Mademoi- 
selle Judith  de  Monsallier,  fille  d'un  autre  réfugié  français.  11  recevait  de 
temps  en  temps  quelques  secours  de  son  père;  mais,  à  la  mort  de  celui-ci, 
les  biens  qui  auraient  dû  échoir  au  fils  passèrent  entre  les  mains  du  plus 
proche  parent  catholique.  Le  fils  fit  des  pertes,  fut  accablé  de  malheur  et 
mourut  en  1733,  à  l'âge  de  quarante-neuf  ans,  laissant  huit  enfants.  L'un 
d'eux,  qui  fut  le  père  de  sir  Samuel  Romilly,  était  né  en  1712  et  avait  été 
mis  en  apprentissage  à  Londres  chez  un  joaillier  ;  après  avoir  quitté  son 
apprentissage,  il  voyagea  en  France  et  visita  Montpellier,  où  il  vit  les  biens 
de  sa  famille  possédés  par  des  étrangers  et  perdus  irrévocablement  pour 
lui  et  les  siens,  puisqu'ils  n'eussent  pu  être  regagnés  que  par  l'apostasie. 
A  son  retour  en  Angleterre,  il  se  maria  et  eut  plusieurs  enfants,  qu'il  per- 
dit tous  en  bas  âge,  à  l'exception  de  trois.  Ces  trois  étaient  Thomas,  Sa- 
muel et  Catherine,  » 


Rulliière  et  ses  «  Eclalreisseiuents  sur  les  cn.ugei$ 
«le  la  Révocation  «le  l'Ëdit  de  Nantes.  » 

Aux  détails  que  nous  avons  donnés  ci-dessus  (p.  167)  sur  les  manuscrits 
laissés  par  Rulhière  et  provenant  de  son  travail  sur  la  révocation  de  l'Edit 
de  Nantes,  il  nous  paraît  intéressant  de  joindre  le  passage  suivant  d'une 
Notice  biographique  qui  se  trouve  en  tête  de  son  Histoire  de  V Anarchie 
de  Pologne  et  du  démembrement  de  cette  rémiblique,  Paris,  1807, 
4  vol.  in-8°. 

!<  En  même  temps  qu'il  appréciait,  dans  ce  discours,  les  services  rendus 
aux  lettres  et  au  monde  par  la  philosophie,  il  travaillait  à  faire  prévaloir, 
au  sein  du  gouvernement,  ses  maximes  tolérantes.  Il  s'agissait  de  l'état  ci- 
vil des  protestants.  M.  de  Breteuil  présentait  au  roi  un  rapport  qui  tendait 
à  un  acte  de  justice,  et  Rulhière  ajoutait  à  ce  rapport  des  Eclaircissements 
historiques  sur  les  causes  de  la  révocation  de  l'Edit  de  Nantes.  Sans 
doute,  il  eût  suffi  pour  résoudre  une  telle  question,  de  consulter  l'équité 
ou  l'intérêt  public  qui  n'en  peut  jamais  différer;  et  il  pouvait  sembler  su- 
perflu de  rechercher  l'origine  et  le  progrès  du  mal  pour  sentir  la  nécessité 


200  QUESTIONS    ET   REPONSES. 

de  !e  réparer.  Mais  dans  les  matières  qui  dépendent  le  plus  immédiatement 
de  la  morale  naturelle ,  nos  légistes  et  nos  savants  nous  ont  accoutumés  à 
donner  aux  faits  une  autorité  prépondérante;  de  sorte  qu'en  presque  toute 
discussion  politique,  il  importe  à  la  raison  d'avoir  aussi  des  citations  à 
faire,  et  de  ressembler,  autant  qu'elle  peut,  à  la  science.  Rulhière  se  mil 
donc  à  fouiller  les  archives  les  plus  secrètes,  et  il  eut  le  bonheur  d'en  ex- 
traire des  faits,  dont  la  plupart  avaient  le  double  mérite  d'être  peu  connus, 
et  de  servir,  à  leur  manière,  la  cause  de  la  religion  réformée  et  opprimée. 
Il  était  prouvé  par  ces  faits,  que  l'injustice,  extrême  sans  doute,  avait  été 
de  plus  irréfléchie  et  commise  étourdiment,  à  la  suite  d'intrigues  incohé- 
rentes, où  s'étaient  égarées  des  ambitions  fort  étrangères  aux  choses  reli- 
gieuses. Rulhière  expliquait  comment  Madame  de  Maintenon,  née  calviniste, 
restée  tolérante  après  son  abjuration,  écrivant  à  son  frère  que  persécuter 
ou  même  convertir  n'était  pas  d'un  homme  de  qualité,  avait  eu  besoin, 
pour  soutenir  son  crédit  compromis  par  des  imprudents,  de  renoncer  peu 
à  peu  à  son  rôle  d'Esther,  et  de  former  enfin  contre  la  tribu,  une  sorte  de 
triumvirat  avec  Louvois  et  Lachaise;  comment  Louvois  impatient  d'arracher 
Louis  XIV  aux  tracasseries  ecclésiastiques,  et  de  le  rappeler  aux  soins  de 
l'administration  militaire,  n'avait  sacrifié  les  protestants,  qu'afin  qu'il  ne  fût 
plus  parlé  ni  d'eux,  ni  de  leurs  ennemis;  comment  Lachaise  lui-même  n'a- 
vait adopté  ces  mesures  violentes  que  pour  ne  pas  laisser  prévaloir  les 
jansénistes  qui  en  conseillaient  de  plus  scrupuleuses  ;  comment  enfin, 
Louis  XIV,  naturellement  équitable,  ami  de  l'ordre  autant  que  de  la  puis- 
sance, et  voulant  être,  s'il  se  pouvait,  aussi  humain  que  dévot,  ambitieux 
de  régner  sur  un  peuple  heureux,  et  destiné  à  être  félicité  de  tous  les  mal- 
heurs de  ses  sujets,  trompé  par  les  évêques,  par  les  intendants,  par  les  mi- 
nistres, trompé  sur  tous  les  détails  qu'il  lui  importail  de  connaître,  per- 
suadé qu'après  des  conversions  innombrables,  il  ne  s'agissait  plus  que  de 
réprimer  quelques  séditieux,  avait  cru  pacifier  son  royaume,  lorsqu'on 
l'entraînait  ù  le  dépeupler  et  à  l'appauvrir.  C'est  ainsi  qu'au  lieu  d'une  apo- 
logie des  protestants,  Rulhière  faisait  celle  de  leurs  adversaires,  et  que  sans 
montrer  aucun  zèle  pour  les  victimes,  il  mettait  leurs  droits  en  évidence 
p:ir  la  nature  même  des  excuses  (juil  alléguait  pour  les  oppresseurs.  Ingé- 
nieux ouvrage,  dont  l'inlérèt  liisiorique  ne  pouvait  man(|uer  de  survivre 
aux  circonstances  pour  les(|uelles  il  fut  composé.  Les  droits  des  protestants 
ne  redeviendront  pas  problématiques;  mais  ces  recherches,  ou  si  l'on  veut, 
ces  conjectures  sur  les  causes  de  leur  proscription,  seront  à  jamais  in- 
structives. 

«  Ces  discussions  de  1788,  sur  l'état  civil  des  protestants,  peuvent  se 
compter  au  nombre  des  |)réludes  de  la  révolution  qui  edala  dans  le  cours  de 
l'amiét'  suivante » 


QUESTIONS   ET    REPONSES. 


201 


Relation  d'une  dispute  publique  et  solennelle  qui  eut  lieu  en 
120;,  à  Réalmont,  entre  des  délégués  du  pape  (Innocent  III) 
et  des  ministres  albigeois. 

Document  lire  des  archives  de  Toulouse  et  communiqué  par  les  soins  de 
feu  M.  le  pasteur  Cliabrand  (1)  : 

De  solemni  disputatione  apud  Montem-Regalem  hinc  inde  scripta 
corani  judicibus  laids.  {Capitulum  IX.) 

Deinde  inter  plurimas  disputationes,  quas  in  diversis  iocis  liabiierunt 
cum  hœreticis,  una  fuit  solemnior  apud  Montem-Regalem,  ciii  interfuerunt 
prœdicli  nostri  pugiles,  et  venerabilis  vir  Petrus  de  Castello-Novo  legatus, 
et  coilega  suus  magister  Radulplius  ex  parte  sua,  et  plures  alii  boni  viri,  et 
ex  parte  altéra  hseresiarcha  Arnaldus  Othonis,  Guilhabertus  de  Castris,  Be- 
nedictus  de  Termino,  Photius  Jordani,  et  mulli  alii,  quorum  nomina  non  sunt 
scripta  in  libro  vitae,  anno  Domini  \ 207.  Fuitque  per  scripta  diebus  pluribus 
dispulatura  coram  arbitris  a  pariibus  electis  :  scilicet,  Bernardo  de  Villanova, 
et  Bernardo  de  Arcesis  mililibus,  et  Bernardo  Goli,  et  Arnaldo  Riberiae 
burgensibus,  quibus  sua  scripta  partes  undique  tradiderunt  :  fuitque  fun- 
damentum  a  parte  haereticorum  disputationis,  quod  Arnaldus  Othonis  ap- 
pellavit  Ecclesiam  romanam,  quam  episcopus  Oxoniensis  defendebat,  non 
esse  sanctam  Ecclesiam,  neque  sponsam  Christi,  sed  Ecclesiam  diaboli  et 
doctrinam  daemoniorum,  et  esse  illam  Babylonem  quam  Joannes  appellabat 
in  Apocalypsi  raatrem  fornicalionum  etabomlnationum,  ebriamque  sanguini 
sanctorum  et  marlyrum  Jesu  Christi,  ejusque  ordinationem  non  esse  sanc- 
tam, neque  bonam,  neque  slatulam  à  Domino  Jesu  Christo,  et  quod  nun- 
quam  Christus,  neque  apostoli  ordinaverunt  aut  posuerunt  ordinem  Missae, 
sicut  hodie  ordinalur.  Quibus  in  contrarium  probandum  obtulit  se  episcopus 
Novi  autorilatibus  Teslamenti.  Proh  dolor!  Quod  inter  christianos  ad  istam 
vililatem  status  Ecclesiae  fideique  catholicae  devenisset,  ut  de  tantis  oppro- 
bres esset  laicorum  judicio  discernendum.  Traditis  ergo  hinc  inde  scripiis 
prœdiclis  laids,  quibus  ditfinitionnis  data  erat  aulhoritas  ab  ipsis  partibus 
eisque  deliberare  volentibus,  ita  ad  invicem  discesserunt  negotio  imperfecto. 
Ego  autem  processu  annorum  plurimorum  inquisivi  Bernardum  de  Villa- 
nova  quid  de  scripiis  actum  fuerat  supradictis,  aut  an  fuisset  disputatio 
diffinila?  Qui  mihi  respondit,  quod  nihil  extitit  diffinitum  ;  nam  scripta 
fuerunt  perdita  in  adventu  cruce-signatorum  de  castro  illo  et  aliis,  fugien- 
tibus  universis  ;  dixit  tamen  quod,  intellectis  quse  dicta  erant,  haeretici  150 
circiter  ad  fidem  sunt  conversi.  Ego  vero  suspicor  quod  aliqui  collegae  ipso- 
rum,  quos  hserelici  habebant  favorabiles,  scripla  hujus  suppressissent,  nec 
multo  post  dominus  Petrus  de  Castro-ÎVovo  legatus  transiit  ad  Dominum  per 
gladios  impiorum,  cujus  rei  suspicione  cornes  non  caruit  Tolosanus.  Sunt 
ergo  judices  et  ipsi  principes  auferendi  qui  talia  sustinebant. 

(1)  Chronicon  magi  Guillelmi  de  Podio  Laurentii.  V.  Duchesne,  Script,  rer. 
franc.,  t.  V,  p.  672. 


DOCUMENTS  INÉDITS  ET  ORIGINAUX. 
L'HÉBËSiE  LUTHÉRIENNE  A  TOULOUSE 

en  1540. 

Nous  avions  depuis  longtemps  dans  nos  cartons  le  document  inédit  qu'on 
va  lire.  11  nous  avait  été  transmis  par  les  soins  de  feu  M.  le  pasteur  Clia- 
brand,  de  Toulouse, 

Extrait  des  registres  du  parlement  de  Toulouse. 

Du  lundi  21  avril  1540,  en  la  grand'chambre. 

Vu  la  requête  baillée  par  le  procureur  général  du  roy  aux  fins  y 
mentionnées,  et  attendu  que  par  inquisition  et  procédures  faites 
contre  aucunes  personnes  de  la  secte  et  hérésie  luthérienne,  est  ap- 
paru aucuns  maîtres  d'écoles,  sous  ombre  et  moyen  de  lire  et  inter- 
préter les  épîtres  de  saint  P^ul  en  livres  d'écoles,  avoir  donné  occa- 
sion invention  à  plusieurs  d'adhérer  à  ladite  secte  et  icelle  ensuivre, 
dogmatiser  et  divulguer  au  grand  scandale  de  la  sainte  foi  catho- 
lique :  L\  Cour,  pour  obvier  auxdites  occasions  et  scandales,  a  pro- 
hibé et  défendu  par  manière  de  provision,  et  jusques  à  ce  qu'autre- 
ment en  soit  ordonné,  à  tous  maistres  d'école  et  autres  ne  lire  et 
interpréter  publiquement  lesdites  épîtres  de  saint  Paul  et  autres  livres 
de  la  sainte  Escriture  et  foi  catholique,  sur  peine  de  prison  et  autre 
arbitraire,  si  n'est  tant  seulen)t'nt  cz  universités  approuvées,  sauf 
toutes  fois  que  hors  desdites  universités,  les  archevêques  et  évo- 
ques par  eux  ou  par  personnes  idonies  et  suftisans  à  ce  par  eux 
députés,  et  aussi  les  chanoines  ayant  prébende  théologale,  feront 
leur  lecture  et  interprétation  de  la  sainte  Escriture,  ez  églises  cathé- 
drales et  lieux  approuvés  et  convenables  suivant  les  saints  décrets  et 
conciles  et  pareillement  les  religieux  députés  pour  lire  et  interpréter 
dedans  les  monastères  et  couvents  de  leur  religion,  et  n'entend  la 
cour  en  cette  prohibition  comprendre  les  prédications  publiques  de 
la  Parole  de  Dieu  par  prélats,  recteurs  ou  vicaires  en  leurs  églises 
ou  paroisses,  ou  autre  personnage  à  ce  élu  et  député. 


ORDONIIANCE  DU  R03  CHULES  U 

EN  FAVEUR  JDES  PROTESTANTS  DE  NANTES. 

1564:. 

Voici  une  ordonnance  rendue  le  6  août  1564  (il  y  a  justement  trois  cents 
ans)  par  Gharles  IX.  Elle  est  conservée  aux  archives  municipales  de  Nantes, 
où  M.  Vaurigaud  en  a  pris  copie.  Elle  défend  de  contraindre  les  protes- 
tants de  cette  ville  à  tendre  devant  leurs  maisons  pour  la  Fête-Dieu,  et  pres- 
crit de  mettre  en  liberté  ceux  qui  avaient  été  emprisonnés  et  d'indemniser 
ceux  qui  avaient  été  condamnés  à  des  amendes  pour  refus  de  tendre  en 
celte  occasion. 

Charles,  par  la  grâce  de  Dieu  roy  de  France ,  au  premier  de  nos 
aimez  et  féaulx  conseillers  en  notre  court  de  parlement  de  Brelaigne, 
juge  de  Nantes,  ou  son  lieutenant  conseiller  au  siège  présidial  dudict 
Nantes,  et  chacun  d'eulx  sur  ce  requis.  Salut. 

Nos  bien -aimez  les  manans  et  habitans  de  notre  ville  dudict 
Nantes,  qui  sont  de  la  reiligion  que  l'on  dict  refformée,  nous  ont 
faict  exposer  que  combien  qu'il  soit  par  nostre  édict  de  pacification 
ordonné,  que  nos  subjects  pourront  vivre  en  liberté  de  leur  con- 
science, sans  estre  recherchez  pour  le  faict  d'icelle  et  de  la  reiligion, 
ni  forcez  en  leurs  consciences,  ce  néantmoins,  pour  n'avoir  faict  le 
jour  qu'on  appelle  la  Feste-Dieu,  tendre  de  la  tapisserie  devant  leurs 
maisons  auscuns  d'eulx  ont  esté  emprisonnés  par  espace  de  temps, 
les  autres  condamnez  en  certaines  anjendes  et  pour  icelles  exécutiez 
en  leurs  biens,  etd'aultant  que  icelles  condanipnations  et  exécutions 
sont  contre  nostre  dict  édict,  ils  nous  ont  faict  humblement  supplier 
et  requérir  leur  vouUoir  sur  ce  pourvoir.  Nons,  à  ces  causes,  voullant 
nos  subjects  et  lesdicts  exposans  jouyr  du  bénéfice  dudict  édict, 
vous  mandons  que  vous  apparaissant  sommairement  lesdicles  con- 
damnations n'estre  procédées,  sinon  à  faulte  d'avoir  ledict  jour  tendu 
des  tapisseries  au  devant  de  leurs  loges.  En  ce  cas,  casse  et  anulle  la 
présente  sentence  et  condamnation,  et  lesquelles  nous  avons  cassées 
et  anullées,  comme  contraires  à  nostre  dict  édict  de  pacification, 
faites-leur  rendre  et  restituer  les  sommes  èsquelles  pour  les  causes  et 
effets  susdites  ils  ont  été  condamnez,  et  mettre  à  déhvrance  leurs  per- 
sonnes, si  pour  les  mesmes  causes  elles  estoient  emprisonnées.  Con-? 


204  LETTRE    INÉDITE    DE    SULLY-AUJORRANT. 

traignez  à  soufFrir  et  obéir  tous  ceulx  qu'il  appartiendra,  et  pour  ce, 
seront  à  contraindre  par  toutes  voyes  et  manières  dues,  raisonnables 
et  accoutumées,  nonobstant  oppositions  et  appellations  quelconques, 
pour  lesquelles  et  sans  préjudice  d'icelles,  nous  voulions  estre  différé 
dont  est,  et  desquelles  nous  avons  retenu  et  réservé  à  nous  et  à 
nostre  conseil  pour  la  cognoissance  et  icelle  interdicte  et  deffendue, 
interdisons  et  deffendons  à  tous  aultres  nos  juges,  de  ce  faire  vous 
donnons  pouvoir,  car  tel  est  nostre  plaisir.  Nonobstant,  comme 
dessus  et  quelcomiues  lettres,  inandemens  et  deffences  à  ce  con- 
traire, mandons  et  ordonnons  à  tous  nos  aultres  justiciers,  officiers 
et  subjects  que  à  vous  et  ung  chacun  en  ce  faisant  obéissent  dili- 
gemment. Donné  à  Roussillon  en  Daulphiné,  le  6^  jour  d'aoust  l'an 
de  grâce  ibQï,  et  de  nostre  règne  le  quatrième.  Ainsi  signé  par  le 
roy  en  son  conseil ,  Lorgnet,  et  scellé  de  cire  jaulne. 


LETTRE  INÉDITE  DE  SULLÏ-AUJORRAHT 

A  SIR  THOMAS   PARRY. 
1603. 

Nous  devons  à  M.  G.  Masson  commuulcallon  de  celte  lettre,  transcrite 
sur  l'original  autographe  conservé  au  British-Museuni  ()ls.  Colton,  Cali- 
gula,  E.  XI). 

A  Monsieur  Thomas  Parry,  chevalier,  conseiller  du  roy,  ambassadeur 
pour  Sa  Majesté  d'Angleterre  près  le  roy  Très-Chrestien,  à  Paris. 

Monsieur, 
J'ay  ouï,  par  la  lettre  de  M.  Saint-Sauveur,  la  continuelle  souve- 
nance qu'avez  des  affaires  qui  me  sont  commises  pour  nostre  pauvre 
Eglise.  J'ay  sceu  comme  vous  en  avez  escript  à  M.  le  duc  de  Lenos 
(Lenno.x),  il  y  a  quelque  temps;  mais  tout  est  à  la  direction  de 
M.  de  Cecill,  lequel  cognoissant  aussi  mieux  qu'un  aultre  les  diffi- 
cultés que  le  temps  apporte  à  vostre  royaume;  suyvantes  des  dé- 
penses indispensables  à  une  plus  que  florissante  monarchie,  et  des 
libéralités  immenses,  lesquelles  on  sera  obligé  de  revoir  et  retran- 
cher, n'a  peu  s'estendre  à  conseiller  au  roy  aultic  chose  que  la  per- 


HENRI    IV    ET    I.E    R.    P.    JESUITE   GONTERY.  205 

mission  d'une  collecte  générale  pour  un  an.  A  ces  tins.  Sa  Majesté 
m'a  baillé  lettres  aux  archevesques,  desquelles  j'ay  envoyé  celles  à 
l'archevesque  d'York^  et  m'en  vais  veoir  l'archevesque  de  Canterbury 
à  Craiden  (Croydon),  où  la  peste  est  en  la  ville.  Seulement  j'eusse 
désiré  avoir  des  lettres  de  Sa  Majesté  à  la  noblesse,  d'autant  que  les 
évéques  le  désirent,  et  qu'ils  me  disent  franchement  que  le  reste  ne 
vaudra  la  dispence  et  s'en  ofFencent.  Mon  désir  aussi  eust  été,  puis- 
que l'apparence  est  que  la  peste  erapeschera  le  fruiet  de  cette  col- 
lecte, qu'il  eust  pieu  au  roy,  veu  aussi  qu'il  ne  peust  rien  don- 
ner de  ses  coffres,  que  la  collecte  se  fist  en  ses  aultres  royaumes, 
comme  il  semble  et  que  l'union  et  que  la  raison  le  veuille,  en  quoy. 
Monsieur,  si  vous  jugez  de  vous-mêmes  pouvoir  advencer  quelque 
chose,  comme  je  le  crois,  je  vous  supplie  de  continuer  à  obliger  une 
Eglise  à  vous,  et  moy  qui  suis.  Monsieur,  vostre  très  humble  servi- 
teur, De  Soully  Ajorrant. 

Winchester,  ce  xviiie  d'octobre  1603. 


HEHRI  IV  ET  LE  R.  P.  JÉSUITE  GONTERY. 

1608. 

Si  Henri  IV  a  péri  en  IS-IO  sous  le  poignard  d'un  disciple  des  jésuites, 
ce  n'esl  pas  pour  avoir  trop  peu  ménagé  et  caressé  ces  derniers.  Voici  une 
lettre,  non  comprise  dans  sa  Correspondance,  qu'il  écrivait  le  10  avril  1608 
au  célèbre  père  Gontéry. 

Père  Gontéry, 
Ayant  sçea  le  grand  fruicl  que  vous  avez  faict  par  vos 
prédications  en  ma  ville  de  Dieppe,  en  si  peu  de  temps  qu'il 
y  a  que  vous  y  estes,  et  recognoissanl,  pour  la  plus  grande 
gloire  de  Dieu  et  le  bien  de  mon  service,  qu'il  est  à  propos 
que  vous  y  demeuriez  encore  quelque  temps,  je  vous  ay  fait 
la  présente,  pour  vous  dire  que  je  désire  que  vous  y  séjour- 
niez jusques  à  ce  que  je  vous  donne  advis  de  ma  volonté  sur 
vostre  retour  :  et  m'asseurant  que  ce  commandement  vous 
servira  de  suffisante  descharge  envers  ceux  de  ma  ville  de 


^6  HENKI    IV    ET    LE    K.    P.    lÉSMTE    GUNTERY. 

Rennes,  ausquels  vous  avez  esté  promis  :  je  prieray  Dieu, 
père  Gontéry,  qu'il  vous  ait  en  sa  sainte  et  digne  garde. 
Ecrit  à  Fontainebleau,  ce  10'  jour  d'avril  1608. 

Signé  :         HENRY. 
Contresigné  :         De  Loménie. 

Celle  letlre  se  troHve  à  la  vingt-qualrième  et  dernière  page  d'une  pla- 
quette 111-8°,  intitulée  :  La  Responce  de  P.-J.  GonUry,  de  la  Compagnie 
de  Jésus,  à  la  demande  d'un  gentilhomme  de  la  religion  prétendue  ré- 
formée, touchant  l'usage  des  images.  Avec  une  coppie  de  la  lettre  que 
le  Roy  a  envoyée  audit  P.  Gontéry,  afin  de  coniimœr  ses  prédications 
en  sa  ville  de  Dieppe.  (Ecrite  de  la  maison  religieuse  des  Pères  Minimes 
de  Dieppe,  le  25  avril  1608.)  J  Lyon,  par  Léon  Savine.  1608.  Avec 
permission  des  supérieurs. 

Dans  un  soi-disant  avis  préliminaire  de  V Imprimeur  au  Lecteur,  il  est 
dit  que  celle  épître  a  paru  pouvoir  «  servir  à  l'édification  de  plusieurs,  tant 
«  de  l'une  que  de  l'autre  religion,  non-seulement  à  Dieppe ,  où  l'autheur 
»  continue  de  prescher,  par  l'exprès  commandement  du  roy,  contenu  en 
«  la  lettre  qu'il  luy  en  a  escrite  (que  j'ay  bien  voulu  insérer  cy-aprcs,  atin 
«  que  chacun  voye  le  zèle  que  Sa  Majesté  contribue  à  la  conversion  des 
<c  desvoyés),  mais  em^ore  par  tout  le  royaume,  pour  satisfaire  à  la  curiosité 
«  du  temps.  Voici  donc  la  défense  des  images,  que  les  nouveaux  icono- 
«  clastes  veulent  ravir  à  l'Eglise  catholique.  L'autheur  l'a  dressée  pour  un 
«  seul  et  m'a  pressé  la  donner  au  public,  en  tesmoignage  qu'elle  et  moy 
«  sommes  dédiés  à  ton  salut  et  service.  Adieu.  » 

Toute  la  controverse  de  cette  brochure  tourne  dans  le  perpétuel  cercle 
vicieux  de  la  distinction  entre  idole  et  image,  distinction  qui  s'évanouit 
dès  que  l'on  passe  de  la  théorie  théologique  à  la  pratique  populaire.  La 
réponse  du  père  Gontéry  débute  en  ces  termes  :  «  Je  n'ay  point  accouslumé, 
«  Monsieur,  de  voir  les  escrits  de  nos  adversaires  les  ministres,  comme 
•'  aussi  je  ne  leur  en  envoyé  jamais,  d'autant  que  ce  n'est  (juc  peine  perdue, 
«  sauf  que  quelque  homme  d'honneur  catholique  se  trouvast  en  peine  et  en 
<<  désirast  la  satisfaction,  ce  que  je  fais  sur-le-champ,  .l'use  de  même  cour- 
V  loisie  envers  ceux  de  votre  religion  oii  il  se  trouve  (jueUjue  espérance  de 
«  prolil...  " 

Autre  cercle  vicieux ,  car  c'est  assurément  un  étrange  moyen  de  faire 
avancer  la  (piestioii  (jue  ne  pas  lire  les  écrits  de  ses  adversaires,  de  n'en 
tenir  par  conséquent  nul  eom|>le  !  Et  pourtant  il  tant  reconnaître,  qu'en 
cette  matière  du  moins,  ce  mode  de  procéder,  pnsipie  toujours  en  usage, 
ne  fait  aucun  tort  à  la  discussion,  ou  du  moins  à  ses  résultats  probables, 


L'ÉbTf  BE   NANTES   EN   BOURBONNAIS.  207 

les  adversaires  tliéologiques  n'ayant  guère  souci  que  de  leurs  propres  argu- 
ments, et  n'arrivant  presque  jamais  à  s'entamer  les  uns  les  autres.  N'en 
est-il  pas  de  cette  polémique  religieuse  comme  de  ces  discussions  politi- 
ques, oîi  nous  voyons  des  journalistes  s'épuiser  en  réfutations  sans  cesse 
renaissantes,  où  une  profonde  conviction  est  bien  rarement  de  mise,  où 
les  deux  partis  chantent  également  victoire,  où  enfin  le  lecteur,  qui  a  le 
dernier  mot,  se  demande  :  Qui  trompe-t-on  ici  ? 


LEDIT  DE  NANTES  EN  BOURBONNAIS 

d'après    des    documents   originaux. 

1600-1618. 

(Suite  et  Dn.) 

1%°  Signiffîcation  faicte  à  la  requeste  de  maist.re  Ferault,  de  la 
lettre  à  luy  escrite  par  MM.  Téviii  et  de  Rouvray,  commissaires 
députés  par  Sa  Majesté^  pour  le  faict  (sic)  de  la  prétandue  religion, 
par  laquelle  il  prétand  avoir  droict  de  tenir  un  presche. 

(Archives  communales  de  Moulins  C-^  107-5.) 
Monsieur,  hier  peu  auparavant  la  réception  de  la  vostre,  nous 
avions  rcceu  la  respouce  du  roy,  par  laquelle  il  nous  faict  entendre 
la  defférence  qu'il  veult  rendre  à  la  royne  sa  mère,  en  l'intervention 
qu'elle  a  faicte  auprès  de  luy,  par  le  sieur  de  Villeserin,  contre  l'es- 
tablissement  poursuivy  par  vous  en  la  paroisse  de  Verme  (Averme), 
où  il  nous  mande  ne  point  exécuter  vostre  arrest ,  puis  que  ladite 
dame  désire  en  cela  estre  gratiffiée  de  luy,  et  qu'ainsy  nous  regar- 
dions de  faire  vostre  establissement  en  quelque  autre  lieu  plus 
esloigné,  et  de  l'autre  costé  du  chasteau.  A  quoy  nous  satisferons 
estans  sur  les  lieux,  et,  le  plus  qu'il  se  pourra,  à  vostre  contente- 
ment, comme  aussy  sur  le  faict  de  vos  plainctes,  et  dont  vous  et  ceux 
de  vostre  religion  debvez  estre  en  repos.  Cependant  nous  escrivons 
aux  magistralz,  maire  et  eschevins  de  vostre  ville,  à  ce  qu'ils  veillent 
songneusement  que  vous  soyés  maintenus  en  paix  et  continuiés 
vostre  exercice,  comme  vous  l'avez  faict  jusques  à  ce  que  l'on  vous 
aye  estably  ailleurs.  En  vostre  particulier  nous  serons  tousjours  très 
aises  de  vous  tesmoigner  nostre  affection,  comme  estans  vos  plus 


208  l'ÉpIT    de  NANTES   EN    BOURBONNAIS. 

affectionnés  pour  vous  faire  service.  Tévin  et  Rouvray.  A  Lyon,  le 
29«  juin  1618.  Férault  {par  coppie). 

A  la  requête  de  Jean  Férault,  sieur  de  Cressance,  je,  sergent  royal,  me 
suis  exprès  transporté  au  domicilie  de  noble  Nicolas  Palierne ,  premier 
eschevin  de  ceste  ville  de  Molins,  auquel,  tant  pour  luy  que  pour  M.  Fran- 
çois Guillaud,  greffier  au  doramaine  et  eschevin  du  faulboiirg  de  Bour- 
goiigne,  je  leur  ay  signifié,  parlant  à  sa  personne,  une  lettre  cy-dessuz 
transcriple,  escrite  audicl  sieur  Férault,  par  Messieurs  Thévin  et  do  Rou- 
verai,  afin  qu'ilz  n'en  prétendent  cause  d'ignorance;  et  ce,  suivant  le  juge- 
ment du  sieur  lieutenant-particulier,  sans  aprouver  icelluy.  Faict  ce  dernier 
octobre  mil  six  cent  dix-huit,  présent  aiathurin  Pinault.  (Signé)  Camus. 

X»  A  Messieurs  les  maire  et  eschevins  de  la  ville  de  Moulins. 
(Arch.  comm.  de  Moulins  C*  107  (3).) 

Messieurs,  je  vous  envoyé  des  lettres  de  Monsieur  de  Seaux  [du 
roy,  etc.];  autre  de  Monsieur  de  Saint-Géran,  lequel  m'a  escript.  Par 
la  lettre  du  roy  [appert  que]  Sa  Majesté  veult,  en  tout  et  par  tout, 
gratiffier  la  royne  pour  l'exemption  de  l'exécution  de  l'exercice  du 
presche,  laquelle  elle  a  instament  demandée  et  obtenue  par  le  sieur 
de  Villeserin,  envoyé  exprès.  Reste  que  le  roy  nous  mande  d'adviser 
à  des  lieux  plus  éloignés  que  Vcrme  (\verme),  et,  cependant,  défaire 
contenir  toute  chose  en  bon  ordre,  jusquesàcequc  nous  ayons  pour- 
veuà  cequ'ilfaudera.  Ne  falotes  doncques,  s'il  vous  plaist,  rien  inno- 
ver, que  ceux  de  ceste  religion  ne  reçoivent  aucun  déplaisir.  Je  croy 
que  vous  y  donnerez  ordre;  Monsieur  de  Seaux, suivant  ma  lettre,  se 
montre  fort  affectionné  à  terminer  vostre  différend,  et  à  vous  obli- 
ger :  vous  avez  subject  de  l'en  remercier;  me  recommandant  à  voslre 
bonne  grâce,  pour  demeurer  toujours.  Messieurs,  Vostre  très  affec- 
tionné et  bien  humble  serviteur,  Thevvn. 

A  Lyon  ce  29  jung  1618. 

XI"  Lettre  de  la  royne-mère  tout-haut  rcmi)Csohemcnt  d  un  presche 
en  ceste  ville  de  Moulins. 

(Arcliivcs  communales  du  Moulins.  Ci    107-7.) 

A  Messieurs  les  maire,  eschevins  et  luibitmis  de  la  ville  de  Moulins. 

Messieurs,  j'ay  veu  par  vostre  lettre  et  par  ce  que  m'a  rapporté 
cchiy  (jue  vous  m'avez  dépcsché,  ce  qui  s'est  passé  à  Moulins  sur 


LKTTRE    INÉDITE    d'aîSDRÉ    RIVKT.  209 

l'establissement  qu'on  y  vouloit  faire  d'ungpresclie,  et  les  moïeiis  (jue 
vous  avez  tenus  pour  retarder  l'exécution,  ce  que  je  vousdiray  avoir 
trouvé  fort  à  propos,  et  aussi  l'advis  que  vous  m'en  avez  donné, 
ayant  aussi  tost  escrit  au  roy,  monsieur  mon  filz,  et  à  quelques-ungs 
de  son  conseil,  pour  les  prier  d'avoir  cette  affaire  en  considération, 
pour  le  bien  et  le  repos  de  la  ville,  et  du  pais,  et  mon  particulier  in- 
térest.  Je  me  remetz  à  ce  dit  porteur  de  vous  dire  la  résolution  qui 
y  a  esté  prise  au  conseil  du  roy,  mon  dict  sieur  et  filz,  à  vostre  con- 
tentement, et  l'affection  que  j'y  ai  contribué,  non-seullement  pour 
son  mérite,  mais  aussi  à  la  supplication  que  vous  m'en  avez  faicte. 
Vous  devez  aussi  croire  que  je  la  désire  conserver  toute  entière  pour 
vous  en  rendre  toutes  sortes  de  bons  effects  en  ce  qui  se  présentera, 
pour  le  bien  commun  et  advantage  de  vostre  ville  et  d'un  chacun  de 
vous  en  particulier.  Escrit  à  Bloys,  le  2e  jour  de  juillet  1618.  Signé  : 
MARIE. 

Phélypeaux. 


LETTRE  IHEOITE  D'ANDRE  RIVET 

A  LA  DUCHESSE  DE  LA  TRÉMOUILLE. 
163d. 

Cette  lettre,  provenant  des  archives  de  Tliouars,  nous  a  été  communi- 
quée par  M.  P.  Marchegay. 

A  Madame  la  duchesse  de  la  Ti^émoille. 

Madame,  ces  jours,  M.  de  Chasteauneuf  m'estant  venu  veoir,  sur 
le  propos  des  coustumes  d'Angleterre  touchant  les  mariages,  je  luy 
leu  un  chapitre  d'un  livre  latin,  imprimé  ici  depuis  peu  de  la  répu- 
blique d'Angleterre,  et  m'offrit  de  le  traduire  en  françois  afin  que 
vous  vissiez  comme  il  en  parle.  11  estima  que  vous  l'auriez  agréable, 
et,  après  son  départ,  me  le  fit  remémorer  par  La  Mazure.  Vous 
l'avez  donques  en  ce  paquet,  traduit  presque  de  mot  à  mot.  S'il  y  a 
quelque  autre  chose  on  laquelle  je  vous  puisse  renciro  quelque  petit 
service,  je  vous  prie  croire,  qu'après  celuy  auquel  je  suis  consacré, 
il  n'y  a  personne  à  qui  j'obéisse  avec  plus  d'affection.  Je  déplore  la 

XIII.  —  14 


210  LETTRE    INÉDITE   d' ANDRE    RIVET. 

perte  très  grande  de  lEglise  de  Paris^  précédée  du  décès  de  M.  Fla- 
meron.   Ce  sont  témoignages  de  l'ire  de  Dieu  contre  le  mespris  de 
sa   Parole.  J'estimerois  que  l'Eglise  de  Paris  feroit  bien   de  jetter 
les  yeux  sur  Ï>1.  Daillé.  C'est  un  homme  meur,  bien  entendu  en  la 
conversation  et  accoit,  au  reste  docte  et  bon  prescheur,  et  l'Eglise 
de  Saumur  s'en  pourroit  mieux  passer.  Je  suis  en  grande  peine  sur 
les  incertitudes  du   traicté  de  La  Rochelle  et  crains  bien  qu'après 
tout  nous  sentions  les  etfecls  de  la  doctrine  du  pape  Clément  VIII, 
qu'on  loue  comme  un  des  meilleurs,  duquel  toutes  fois  le  cardinal 
dOssat  escrivoit  au  feu  roy  que  le  pape  le  sollicitant  à  rompre  avec 
la  reyne  d'Angleterre  et  luy  respondant  que  le  roy,  qui  faisoit  par- 
ticulière profession  de  tenir  sa  [)arole,  ne  se  pouvoit  départir  de  cette 
alliance  :  Le  serment,  dit  le  pape,  avait  été  (faict)  à  un  hérétique, 
et  le  roy  en  avoit  faict  un  autre  à  Dieu  et  au  pape.  —  Et  puis,  dit  ce 
cardinal,  adjousta  ce  qu'il  ni  avoit  dit  autre  fois,  et  en  l'audience  pré- 
cédente, que  les  roys  et  autres  princes  souverains  se  permettaient  toutes 
choses  qui  tournoient  à  leur  proffît,  et  que  la  chose  en  estait  venue  si 
avant  qu'on  ne  leur  imputait  point  et  ne  leur  en  sçavoit-on  point  de 
mauvais  gré.  Et  allégua  un  dire  de  Francesco-Maria,  duc  d'Urbain, 
qui  voulait  dire  que  si  un  simple  gentilhomme  ou  un  seigneur  non 
souverain  manquait  de  parole,  il  en  serait  deshonoré  et  blasmé  d'un 
chascun  ;  mais  les  princes  souverains,  pour  raison  d' Estât,  pouvaient, 
sans  autre  grand  hlasme,  faire  des  traités  et  s'en  départir,  prendre 
des  alliances  et  les  laisser,  mentir,  trahir  et  toutes  telles  autres  choses. 
—  Je  nuvoy  que  trop,  dit  ce  cardinal,  à  répliquer  sur  cela,  mais  je 
m'esliinoy  de  me  devoir  arrester  en  un  lieu  si  glissant  et  mat  sen- 
tant, etc.  — Et  sur  la  fin  de  sa  lettre  :  La  haine  des  hérétiques  le  trans- 
poi^te  si  avant  qu'il  se  laisse  cschapper  de  la  bouche,  bien  que  sous  le 
nom  d'autruy,  des  maximes  pernicieuses  et  indignes  de  tout  homme  de 
bien.  — Ceiic  haine  n'est  pas  diminuée  à  Rome,  ni  telles  maximes 
abolies,  desquelles  nous  avons  veu  et  devons  attendre  la  pratique. 
Un  mien  ami,  ni'ayaiit  pour  (juclques  jours  prêté  ce  livre,  je  me  suis 
estonné  comment  à  Paris  a  esté  permise  la  publication  de  tous  les 
secrets  de  la  cour  de  Rome  et  de  l'Estat  de  France  durant  dix  ans. 
Si  Son  Excellence  n'a  point  vou  ce  livre,  il  est  digne  de  son  cabinet, 
car  au  reste  cet  homme-là  estoit  un  grand  homme  d'Estat   et  bon 
Français,  mais  qui  nous  descouvre  d'étranges  mystères.  Si  vous  avez 
quchpic  chose  de  meilleur  et  de  plus  asscuré  que  par  les  dernières, 


LETTRES    DE   CONSOLATION.  211 

je  VOUS  supplie,  Madame,  que,  par  un  extrait  de  vostre  secrétaire,  je 
puisse  estre  consolé;  et  Dieu  veuille  que  vous  le  soyez  la  première  et 
bientost.  Je  le  prie  qu'il  bénie  toutes  vos  sainctes  pensées  et  vos  bons 
désirs,  et  suis.  Madame,  vostre  très  humble,  très  obéissant  et  très 
fidèle  serviteur.  André  Rivet. 

De  Leyden,  le  25  janvier  1625. 


LETTRES  APPORTEES  AVEC  LE  CORPS  DE  M.  DE  SÂIHCT-HERPflIliE 

ESCRITES  A  MONSIEUR  ET  MADAJNIE  DE  LA  TABARIÈRE. 
1629-1630. 

Xlll.  Lettre  de  Monsieur  Daillé j  pasteur  en  l'Eglise  de  Paris,  escritte 
à  Madame  de  la  Tabarière. 

Madame, 
J'ay  appris  par  celles  dont  vous  m'avez  honoré,  le  danger  qu'a 
couru  Madamoiselle  de  la  Tabarière  vostre  fille,  et  loué  Dieu  de  loutes 
mes  affections  de  ce  qu'il  l'a  encore  une  fois  tirée  du  tombeau,  le 
suppliant  très  humblement  qu'il  la  vous  conserve  longuement,  et 
vous  en  doint  autant  de  consolation,  que  son  frère  vous  a  laissé  d'en- 
nuy.  Les  extrêmes  ressentimens  qu'elle  a  eus  de  sa  perte,  joints  aux 
compassions  qu'elle  avoit  des  vostres,  lui  ont  sans  doute  causé  cet 
accident  ;  tout  exprès  ce  me  semble.  Madame,  pour  vous  advertir 
divinement  de  modérer  désormais,  autant  qu'il  se  peut  en  une  si  rude 
espreuve,  vos  larmes  et  vos  ennuis;  voyant  les  tristes  et  funestes 
effects  de  cette  passion  là  où  elle  est  excessive.  Je  ne  doute  pas  que 
tant  de  coups  si  rudes,  et  redoublez  de  si  près  à  près  n'ayent  produit 
en  vous  de  merveilleux  mouvemens;  et  souhaitterois  passionnément 
d'en  pouvoir  une  fois  ouyr  le  discours  de  vostre  bouche,  pour  tirer 
de  ce  qui  vous  est  arrivé,  le  profit^  l'édification,  et  consolation,  que 
vous  y  avez  trouvée,  je  m'en  asseure  par  la  grâce  de  Dieu,  qui  ne 
tente  jamais  les  siens  outre  ce  qu'ils  peuvent,  et  sçait  par  des  voyes 
incompréhensibles  à  l'homme,  tirer  la  plus  vive  lumière  des  plus 
espaisses  ténèbres.  Bénit  soit-il,  de  ce  qu'il  a,  comme  vous  dites, 
parfait,  sa  vertu  en  vos  infirmitez;  vous  ayant  durant  l'effroy  d'une 


212  LETTRES    DE   CONSOLATION. 

si  noire  niiict  continué  lesasseurances  de  vostre  saincte  et  immuable 
élection,  la  source  de  toutes  nos  joyes;  l'ancre  ferme  et  immobile  de 
nostre  salut.  Je  luy  rends  grâces  aussi,  de  ce  que  les  vifs  senlimens 
que  j'ay  eus  de  vos  peines,  et  que  j'ay  tasché  de  vous  tesmoigner  en 
mes  lettres,  vous  ont  apporté  quelque  soulagement,  Timputant  à  sa 
seule  bénédiction,  qui  pour  édifier  et  consoler  les  siens,  se  sert  sou- 
vent des  moyens  les  plusfoibles.  Je  les  accompagne  tousjours  de  mes 
prières;  à  ce  qu'il  luy  plaise  vous  mesurer  en  cette  tentation  les 
forces  de  son  esprit  selon  le  besoin  que  vous  en  avez,  et  vous  fortifier 
et  affermir  de  plus  en  plus  en  la  saincte  etchrestienne  résolution  que 
vous  prenez  de  suivre  doucement  sa  vocation,  et  chercher  vostre 
consolation  en  cette  excellente  et  bien  née  famille  qu'il  vous  a  don- 
née, en  attendant  paisiblement  que  de  cette  valée  de  larmes  il  vous 
eslcve  en  son  royaume  de  gloire.  Au  reste,  Madame,  puis  que  vous 
l'avez  ainsi  ordonné,  j'ay  travaillé  grossièrement,  et  selon  ma  portée, 
à  l'inscription  de  cette  funeste  tombe,  n'ayant  peu  manquer  de  vous 
rendre  en  un  si  juste,  bien  que  si  terrible  sujet,  la  très  humble  obéis- 
sance que  je  vous  y  dois,  et  en  tout  autre.  Je  regrette  seulement  que 
ma  mauvaise  main  face  tort  à  une  si  riche  estofTe,  digne  des  meilleurs 
et  des  plus  heureux  esprits,  qui  soyent  au  monde.  Je  vous  l'envoyé 
cy-jointe,  vous  suppliant  encore  une  fois  d'y  employer  un  meilleur 
maistre,  car  pour  moy  j'auray  assez  de  satisfaction  de  mon  travail  de 
vous  avoir  obéy  en  le  faisant;  ettiendray  à  bonheur  de  voir  quelque 
chose  de  plus  parfait  sur  un  sujet  de  si  grand  mérite.  J'en  dis  autant 
de  ces  lettres,  auxquelles  vous  faites  trop  d'honneur  de  vouloir  donner 
quelque  place  parmy  tant  d'excellentes  pièces  qui  vous  ont  esté 
escrites  sur  cette  lamentable  occasion.  Et  n'estoit  que  vostre  dessein 
est  de  dresser  un  monument  de  vostre  dueil,  dans  lequel  il  meseroit 
mal  séant  de  ne  point  |)aroistre,  puis  qu'après  vous  j'y  suis  le  |)lus 
intéressé,  je  vous  suiiplierois  de  me  laisser  dans  les  ténèbres  d'un 
cabinet,  plustost  que  de  me  tirer  en  lumière.  Mais  je  sousmets  le  tout 
à  vostre  jugement,  estant  très  raisonnable  que  vous  en  faciez  comme 
il  sera  à  propos  pour  vostre  plus  grande  consolation,  à  laquelle  nous 
devons  tout;  et  moi,  Madame,  plus  qu'aucun  autre,  tant  pour  la 
cognoissance  particulière  (pie  j'ay  de  vostre  excellente  vertu  et  piété, 
que  pour  riionneiu-  que  vous  me  faites  de  me  tesmoigner  continuel- 
lement tant  de  honte/..  J'ai  parlé  à  Madanic  de  la  Trcuiouille  selon 
les  termes  que  vous  m'cscrivez,  et  vous  envoyé  cy-jointe  la  lettre 


LETTRES    DE    CONSOLATION.  213 

qu'elle  vous  escrit.  Je  vous  puis  asseurer  qu'elle  a  pris  beaucoup  de 
part  en  vostre  affliction,  ayant  eu  l'honneur  de  la  voir  assez  souvent 
depuis  ce  temps-là.  Dieu  veuille  vous  consoler.  Madame,  et  exaucer 
tant  de  prières,  qui  de  toutes  parts  luy  demandent  vostre  repos.  Je 
vous  baise  très  humblement  les  mains,  en  qualité,  s'il  vous  plaist. 
Madame, 

De  vostre  très  humble  et  très  obéyssant  serviteur,  Daillé. 

De  Paris,  le  28  de  janvier  1630. 

XIV.  Lettre  de  Monsieur  Drelincourt,  pasteur  de  V Eglise  de  Paris, 
escritte  à  Madame  de  la  Tabarière. 

Madame, 

Encor  que  je  soy'  le  dernier  à  vous  escrire,  je  n'estime  pas  qu'il 
y  ayt  personne  qui  vous  honore  plus  que  moy,  ou  qui  ayt  esté 
plus  vivement  touché  de  vostre  perte,  ou  qui  chérisse  davantage 
la  mémoire  de  feu  Monsieur  vostre  fils.  Mais  l'affliction  estoit  si 
griefve  et  amère  qu'il  m'a  semblé  juste  et  raisonnable  de  bailler 
quelque  temps  à  vos  pleurs.  Car  si  nostre  Seigneur  Jésus-Christ  a 
pleuré  la  mort  de  son  amy,  auquel  au  mesme  instant  il  alloit  rendre 
la  vie,  on  ne  pourroit,  sans  une  espèce  de  cruauté,  condamner  les 
larmes  d'une  bonne  mère  qui  pleure  sur  le  tombeau  d'un  fils  bien- 
aynié  qu'elle  ne  reverra  jamais,  qu'en  cette  grande  journée,  en  la- 
quelle nostre  Sauveur  viendra  nous  resveiller  au  son  de  la  trompette 
de  l'Archange. 

J'ay  aussi  considéré,  que  comme  ce  n'est  pas  aux  apprentifs  à 
mettre  le  premier  appareil  sur  une  plaie  profonde  :  mais  après  que 
la  playe  est  aucunement  consolidée  par  la  cure  et  le  remède  des 
experts,  ils  y  peuvent  librement  mettre  la  main,  et  parachever  la 
guérison  encommencée;  ainsi  ce  n'estoit  pas  à  moy  qui  suis  des 
moindres  en  l'œuvre  du  Seigneur  à  entreprendre  de  vous  consoler  au 
plus  fort  de  vostre  angoisse.  Mais  à  présent  que  plusieurs  de  mes 
frères  y  ont  travaillé  avec  succez  (comme  j'espère)  et  que  le  temps, 
et  surtout  la  crainte  de  Dieu  a  deu  alléger  vos  ennuys,  j'ay  pensé 
qu'il  estoit  à  propos  d'essuyer  vos  dernières  larmes  ?  ou  plustost  de 
m'esjouyr  avec  vous  de  vos  sainctes  consolations. 

Car  je  veux  croire  de  vostre  piété,  que  tant  d'excellens  discours 
qui  vous  ont  esté  adressez,  auront  fait  une  très  forte  impression  en 


214  LETTRES    DE   CONSOLATION. 

vostre  àine,  et  que  si  les  afflictions  abondent  en  vous  de  par  Jésus- 
Christ,  aussi  de  par  lui  mesme  abonde  vostre  consolation. 

Toutes  choses,  Madame,  vous  convient  à  cette  résolution  chré- 
tienne. Et  premièrement  la  qualité  d'enfant  de  Dieu  dont  vous  estes 
honorée.  Car  comme  c'est  un  signe  de  bon  naturel  en  un  enfant  de 
pleurer  modérément  lors  que  son  père  le  tance  ou  le  chastie;  et  au 
contraire  c'est  une  marque  d'un  naturel  opiniâtre  et  malin  de  ne 
pouvoir  appaiserses  pleurs  et  de  s'irriter  contrôle  chastiment.  Ainsi 
lors  que  Dieu  nous  frappe  il  veut  bien  que  nous  en  sentions  la  dou- 
leur, et  que  nous  en  gémissions  ;  mais  il  ne  peut  soufTrir  un  pleur 
opiniastre,  et  un  murmure  caché  qui  tacitement  accuse  sa  provi- 
dence. 

L'apostre  saint  Paul  nous  apprend  ccste  belle  leçon.  Car  il  ne 
nous  défend  pas  absolument  de  pleurer  ceux  qui  dorment  :  mais  il 
ne  veut  pas  que  nous  soyons  coutristez  connue  les  autres  qui  n'ont 
point  d'espérance. 

L'enfant  qui  ne  plie  point  sous  la  verge  de  son  père  l'oblige  à  re- 
doubler les  coups  et  appesantir  sa  main.  Aussi  ceux  qui  n'acquiescent 
point  au  chastiment  de  leur  Père  céleste  attirent  sur  eux  un  juge- 
ment plus  rigoureux.  Car  jamais  son  carquois  n'est  dégarny  de 
flesches. 

C'est  en  vain  que  nous  sommes  instruits  en  l'eschole  de  la  sapience 
ctorncllc,  que  nous  faisons  profession  de  croire  l'immoitalilé  de 
l'âme  et  les  gloires  du  paradis;  et  que  nous  avons  devant  nos  yeux 
tant  de  riches  et  illustres  exemples  de  patience  et  de  conslance,  si 
nous  nous  affligeons  en  nos  maux  comme  le  reste  des  humains.  C'est 
en  vain  que  nous  nous  vantons  d'avoir  appris  Jésus-Christ,  si  nous 
ne  gotistons  et  savourons  les  joyes  et  les  consolations  de  son  Esprit. 

Que  si  Job  se  consola  sur-le-champ  de  la  perte  de  dix  cnfans,  ou 
plustost  de  dix  familles,  adorant  les  conseils  de  ce  grand  Dieu  qui  le 
visiloit;  quelle  cxrusc  pourrons-nous  alléguer  devant  Dieu  el  les 
hommes,  si  après  des  mois  et  des  années  entières,  nous  refusons 
d'estre  consolez  de  la  perte  de  deux  ou  trois  cnftms?  Car  Job  n'avoit 
apperccu  de  loin  que  quelque  petit  rayon  de  ce  soleil  de  justice  qui 
nous  esclaire  en  l'Evangile. 

Que  si  le  Porc  des  croyans  obéit  si  prumptcnicnt  au  commande- 
mont  que  Dieu  lui  fil  d'oiïrir  son  fils  Isaac  en  holocauste,  comment 
vous  pourrie» NOUS  dire  lille  d'Abraham  et  héritière  de  sa  foy,  si 


LETTRES    DE    CONSOLATION.  2i5 

VOUS  résistez  encore  à  la  volonté  de  ce  bon  Dieu  qui  a  retiré  vostre 
fils  en  son  repos?  Vostre  espreuve.  Madame,  est  beaucoup  moindre 
que  celle  d'Abraham.  Car  Abraham  n'avoit  qu'un  enfant  :  mais  grâces 
à  Dieu  vous  en  avez  plusieurs.  Dieu  commandoit  à  Abraham  de 
mettre  luy-mesme  la  main  sur  son  fils  uuique  :  mais  Dieu  vous  de- 
mande seulement  que  par  vos  regrets  et  vos  souspirs  continuels  vous 
ne  taschiez  point  d'arracher  celuy  qu'il  a  receu  entre  ses  bras.  Il 
veut  qu'avec  une  âme  constante  vous  disiez  :  Ze  Seigneur  me  l'ovoit 
donné,  le  Seigneur  me  l'a  osté,  le  nom  du  Seigneur  soit  bénit. 

Et  quand  mesmeil  ne  vousresteroit  aucun  enfant,  faudroitescouter 
vostre  Espoux  céleste  criant  d'en  haut  au  domicile  de  vostre  âme,  ce 
que  disoit  autrefois  Elcana  à  Anne  sa  femme,  Ne  te  vaux-je  pas 
mieux  que  dix  fds?  Ne  trouves-tu  pas  en  moy  et  en  la  méditation  de 
ma  grâce  mille  fois  plus  de  douceur  et  de  consolation  qu'en  tous  les 
enfans  du  monde? 

Monsieur  vostre  mary  et  vous.  Madame,  n'estes  que  les  faibles 
instruments  desquels  Dieu  s'estoit  servy  pour  mettre  cet  enfant  au 
monde.  Mais  Dieu  en  estoit  le  vray  père  et  le  souverain  Seigneur. 
Car  il  en  avoit  créé  l'âme,  formé  le  corps,  et  qui  plus  est  racheté  l'un 
et  l'autre.  Or  si  nous  croyons  estre  bien  fondés  de  disposer  comme  il 
nous  plaist  de  ce  qui  nous  appartient,  sur  tout  quand  nous  l'avons 
bien  et  chèrement  acheté,  pourquoy  trouverons-nous  estrange  que 
Dieu  nous  redemande  une  âme  qu'il  a  rachetée,  non  point  par  choses 
corruptibles,  comme  par  argent  ou  par  or,  mais  par  le  sang  précieux 
de  Jésus-Christ,  comme  de  l'Agneau  sans  souilleure  et  sans  tache? 

Dieu  a  un  droict  très  absolu  sur  nous  et  sur  tous  nos  enfans:  mais 
il  s'est  particulièrement  réservé  les  aisnez  des  fnmillcs.  Car  tout  ainsi 
que  jadis  il  vouloit  qu'on  luy  offrît  les  premiers  fruicts  de  la  terre  de 
Canaan  :  aussi  avait-il  ordonné  que  les  aisnez  luy  fussent  spéciale- 
ment consacrez.  Et  en  cet  endroit.  Madame,  j'oseray  vous  promettre 
que  si  vous  asquiescez  à  la  volonté  de  nostre  souverain  Seigneur,  si 
vous  luy  faites  ceste  offrande  de  bon  cœur,  ces  prémices-là  serviront 
à  sanctifier  toute  la  masse.  Et  vous  verrez  la  bénédiction  du  ciel  dé- 
couler abondamment  sur  le  reste  de  vostre  famille. 

Nostre  bon  Dieu  ne  nous  ayant  point  espargné  son  Fils  unique,  en 
qui  de  toute  éternité  il  a  pris  son  bon  plaisir,  luy  refuserions-nous, 
ou  luy  donnerions-nous  à  regret  nos  plus  chers  enfans?  Il  a  envoyé 
son  bien-aymé  au  monde  pour  y  endurer  une  mort  ignominieuse  et 


216  LETTRES    DE    CONSOLATION. 

cruelle  :  mais  il  nous  demande  nos  enfans  pour  les  couronner  d'une 
vie  glorieuse  et  triomphante. 

Vous  sçavez,  Madame^  qu'il  est  ordonné  à  tous  hommes  de  mourir 
une  Ibis.  C'est  le  ciiemin  de  toute  la  terre,  et  le  tribut,  lequel  tost 
ou  tard  il  nous  faut  payer  à  la  nature.  Nous  entrons  tous  au  monde 
avec  ceste  condition.  Tellement  qu'il  nous  faut  considérer  nos  enfans 
comme  des  vaisseaux  fragiles^  et  les  posséder  comme  ne  les  possédant 
point.  C'est  ce  que  les  payens  mesmes  ont  très  sagement  considéré. 
Et  qui  fait  qu'un  célèbre  philosophe  ayant  ap|)ris  la  mort  d'un  fils 
unique,  s'escria  d'un  visage  constant  :  Je  sçavois  bien  que  je  l'avais 
engendré  mortel. 

Il  vous  semble  que  Dieu  vous  traitte  plus  rudement  que  le  reste  des 
fidèles,  et  qu'il  fait  passer  sur  vostre  teste  les  plus  grands  flots  de  sa 
tempeste.  Mais  jettez  les  yeux  sur  la  face  de  la  terre,  et  considérez 
les  maux  qui  regorgent  de  tous  costez;  et  vous  trouverez  qu'il  vous 
visite  en  sa  douceur,  et  que  ses  compassions  envers  vous  ne  sont 
point  dél'aillies.  Comme  la  verge  d'Aaron  engloutit  les  autres  verges, 
la  douleur  que  vous  sentirez  en  vous-mesmes  des  afflictions  publiques, 
vous  rendra  comme  insensible  à  vos  afflictions  particulières.  Car  en 
vain  faisons-nous  profession  de  craindre  Dieu  et  d'aymer  l'advance- 
ment  de  son  règne,  si  nous  sommes  plus  vivement  touchez  des  verges 
domestiques  que  des  playes  de  l'Eglise.  Si  nous  ne  sonnnes  point 
malades  de  la  froissure  de  Joseph,  et  que  le  moindre  coup  dont  Dieu 
nous  frappe  nous  mette  aux  portes  de  la  mort. 

Combien  y  a-t-il  aujourd'huy  par  le  monde  de  pauvres  femmes 
désolées,  qui  pleurent  en  mesme  temps  leurs  maris,  leurs  enfans,  et 
la  perte  de  tous  les  biens  qu'elles  possédoient  icy-bas?  Mais  sur  tout, 
combien  y  a-t-il  de  pauvres  mères  qui  pleurent  la  révolte,  la  des- 
bauohe  et  ralhéisme  de  leius  enfans  ?  C'est  là  véritablement  où  je 
permets  d'espandre  des  larmes  en  abondance.  Car  il  y  a  sujet  de 
pleurer  de  larmes  de  sang,  quand  on  voit  ses  enfans  prendre  le  che- 
min des  enfers.  Mais  c'est  un  grand  sujet  de  joye  et  de  consolation 
d'cstre  asseuré  qu'ils  sont  parvenus  au  roi)os  des  bien  heureux. 

Que  si  vous  pesez  à  la  balance  du  sanctuaire  les  arilietious  dont 
Dieu  vous  visite,  vous  trouveiez  (|ue  les  bénédictions  et  les  faveurs 
(|u'il  vous  a  faites  l'emporlcut  de  beaucoup.  On^md  il  n"y  auroit  (pic 
ceste  grâce  singulière  qui  comi)rcnd  toutes  les  autres,  ou  qui  les  sur- 
passe autant  que  les  deux  sont  eslevez  par-dessus  la  terre,  que  Dieu 


LETTRES   DE   CONSOLATION.  217 

VOUS  a  faitnaistre  en  son  Eglise^,  qu'il  vous  a  scellée  pour  le  jour  de 
la  rédemption,  qu'il  vous  appelle  à  la  jouyssance  d'une  couronne 
incorruptible  de  gloire  et  d'immortalité,  etquedesjàila  misen  vostre 
âme  les  semences  de  vie  éternelle,  et  les  avant-goûts  de  sa  béatitude  : 
vous  avez  la  seule  chose  nécessaire  :  la  bonne  part  qui  ne  vous  sera 
jamais  ostée;  l'union  avec  Dieu  qui  ne  sera  jamais  rompue,  ny  par 
vie  ny  par  mort.  Il  faut  que  ceste  seule  pensée  qu'un  jour  nous  ver- 
rons Dieu  en  face  engloutisse  toutes  nos  tristesses,  et  nous  incite  en 
nos  plus  grandes  angoisses  à  nous  escrier  avec  l'Âpostre  :  Je  suis 
rempli  de  consolation.  Je  suis  plein  de  joye  tant  et  plus  en  toute  mon 
affliction. 

Joint  que  ceste  affliction-là  mesme  fait  partie  de  ses  grâces.  Car 
Dieu  commence  ses  chastimens  par  sa  maison.  Il  chastie  plus  soi- 
gneusement ceux  qu'il  ayme  le  plus  tendrement.  La  plus  grande  afflic- 
tion est  de  n'estre  jamais  affligé.  Car  si  nous  sommes  sans  discipline 
de  laquelle  tous  sont  participans,  nous  ne  sommes  point  enfans  légi- 
times, mais  supposez.  Je  vous  prie,  Madame,  de  bien  méditer  ces 
choses,  et  de  remarquer  que  l'Apostre  ne  dit  pas  simplement,  si 
vous  estes  chastiez,  mais  si  voies  endurez  le  chastiment,  Dieu  se  présente 
à  vous  comme  à  ses  enfans.  Car  tous  les  hommes  du  monde  sont  sujets 
aux  afflictions.  Un  niesme  accident  arrive  au  juste  et  au  meschant. 
Mais  au  lieu  que  les  profanes  et  les  hypocrites  murmurent  contre 
Dieu  et  se  despitent  en  leurs  maux,  les  vrays  fldèles  les  souffrent 
avec  patience  et  constance,  en  disant  avec  le  sainct  homme  de  Dieu 
Job  :  Quand  Dieu  me  tueroit  j'espéi^eray  en  lui.  Ils  disent  du  cœur  ce 
que  tous  les  jours  ils  prononcent  de  la  bouche  :  Ta  volonté  soit  faite 
en  la  ten^e  comme  au  ciel.  Et  à  l'imitation  de  Jésus-Christ  au  jardin 
des  Olives  :  Non  point,  ô  Père,  ce  que  Je  veux,  mais  ce  que  tu  veux. 

Vouloir  estre  icy-bas  sans  afflictions,  c'est  vouloir  abolir  les  prin- 
cipales fonctions  du  Sainct-Esprit;  et  se  priver  de  ses  plus  grandes 
douceurs.  Car  il  est  appelé  le  Consolateur.  Or,  où  il  n'y  a  point  d'al- 
fliction,  il  n'y  peut  aussi  avoir  de  consolation.  Cet  amy  fidèle  n'ha- 
bite que  sous  le  toict  de  l'affligé.  Il  ne  resjouit  que  les  os  brisez.  C'est 
une  huile  de  liesse  qui  ne  se  verse  que  dans  les  cœurs  froissez. 

lise  peut  dire  que  dans  l'adversité  Dieu  nous  donne  des  senlimens 
plus  vifs  de  son  Esprit  d'adoption,  qu'au  milieu  de  nos  plus  grandes 
et  de  nos  plus  florissantes  prospéritez;  et  que  lors  mesme  qu'il  nous 
verse  à  plein  verre  des  eaux  d'amertume,  il  nous  fait  savourer  ses 


218  LETTRES    TE    CONSOLATION. 

plaisirs  les  plus  délicieux.  Et  j'estime  que  c'est  la  raison  poiir  laquelle 
l'apostre  saiiict  Paul  préfère  ses  afflictions  non-seulement  aux  pros- 
péritez  des  mondains,  mais  aussi  à  son  ravissement  au  troisiesme  ciel. 
Car  encore  que  ce  ravissement  admirable  et  ceste  contemplation  des 
divines  beautez  et  des  richesses  inénarrables  du  Paradis  eiist  en- 
gendré en  son  âme  un  contentement  indicible,  si  est-ce  que  d'ouyr  la 
voix  de  l'Esprit  de  Dieu  criant  en  son  cœur  Abba  Père,  et  le  conso- 
lant en  son  angoisse:  sentir  la  vertu  de  Dieu  se  parfaisant  en  son 
infirmité,  luy  apportoit  encore  une  plus  grande  joye.  Ce  Iny  estoit 
un  argument  et  une  asseurance  de  son  salut  plus  ferme  et  plus  inva- 
riable. 

Nous  aymons  nos  enfans,  mais  Dieu  les  ayme  encore  plus  ardem- 
ment que  les  meilleurs  pères  et  les  plus  tendres  mères.  Et  sçait 
mieux  ce  qu'il  leur  est  propre  et  salutaire.  Voire  il  nous  ayme  beau- 
coup plus  que  nous  ne  nous  aymons  nous-mesmes.  Et  nous  liaille 
par-dessus  tout  ce  que  nous  pouvons  demander  et  penser. 

Ce  jeune  gentilhomme,  pour  faire  paroistre  son- courage  et  sa  gé- 
nérosité, vouloit  prendre  part  aux  fatigues  du  monde.  Mais  Dieu  (;ui 
l'aymoit  d'un  amour  éternel  l'a  voulu  faire  jouyr  du  grand  repos  qui 
est  sur  tous  les  cieux.  Il  faisoit  estât  de  passer  quelques  années  à  la 
guerre;  mais  Dieu  a  jugé  qu'il  estoit  temps  qu'il  entrast  en  la  paix 
de  nostre  vray  Salomon.  Il  estoit  allé  pour  combattre  des  hommes 
mortels  :  mais  il  a  vaincu  la  mort  mesme,  et  a  esté  mis  à  couvert  de 
tous  ses  traits.  11  n'a  point  veu  la  prise  de  Boisleduc  ny  le  triomphe 
du  prince  d'Oranges  et  de  son  armée  victorieuse  j  mais  il  est  allé 
faire  son  entrée  dans  la  Jérusalem  céleste,  là  où  il  n'y  a  point  de  voix 
do  pleur  ny  de  voix  de  crierie,  mais  une  joye  et  liesse  éternelle  qui 
couronne  la  teste  de  tous  ses  hahitans.  Il  est  allé  contempler  fitce  à 
face  le  Prince  de  nostre  salut;  et  se  joindre  à  l'armée  triomphante  de 
tous  les  esprits  bien-heureux  cpii  environnent  sou  thrône.  Il  est  allé 
recevoir  luy-mcsme  une  couronne  incorruptd)le  de  gloire;  et  par- 
ticiper aux  triomphes  magnifiques  de  nostre  souverain  Monarque. 

Si  de  ce  haut  ciel  où  il  rogne  à  présent,  si  du  sein  du  Père  des 
Esprits  dans  lo(|ucl  il  repose,  il  pouvoit  regarder  les  choses  humaines 
et  prendre  part  à  ce  ([ui  se  fait  sous  le  soleil,  il  censureroit  vostre 
du'  il.  il  vous  advortiroit  (}uo  vostre  amitié  est  cruolle.  H  vous  diroit 
comme  Jésus-Christ  à  ses  disciples  :  Si  vous  m'aymioz  vous  seriez 
joyeuse  de  ce  que  je  suisuionlé  à  i\ion  Dieu  et  à  vostre  Dieu,  à  mon 


LETTRES   DE    CONSOLATION.  219 

Père  et  à  vostie  Père;  car  nion  Dieu  et  mon  Père  est  plus  grand  que 
vous. 

Et  de  faict.  Madame^,  qu'est-ce  de  tout  ce  qu'il  pouvoii  espérer  de 
vostre  succession  au  regard  de  ce  qu'il  possède  à  présent^  veu  que 
toute  la  terre  au  regard  du  ciel  n'est  qu'un  poinct?  Qu'est-ce  de  vos 
maisons  au  prix  de  ceste  maison  céleste  où  il  y  a  plusieurs  demeu- 
rances?  De  ce  palais  royal  dont  Dieu  est  l'architecte?  Et  de  ceste 
cité  éternelle  dont  les  fondemens  sont  pierres  précieuses  et  la  masse 
d'or  pur  ?  Qu'est-ce  de  vos  héritages  et  de  vos  parterres  au  prix  de 
cet  héritage  incorruptible  qui  ne  peut  estre  coiitaminé  ny  flestry  ?  Où 
est  l'arbre  de  vie  qui  produit  ses  fruicts  chasque  mois  de  l'année;  et 
le  fleuve  d'eau  vive  qui  découle  du  thrône  de  Dieu  et  de  l'Agneau? 
Certes,  c'est  peu  de  choses  de  partager  quelque  bien  périssable  entre 
cinq  ou  six  frères,  au  lieu  de  posséder  le  royaume  des  cieux  par  in- 
divis avec  les  saincts  qui  sont  par  millions? 

Bref,  tous  les  plaisirs  que  la  terre  luy  pouvoit  promettre  ne  sont 
point  à  comparer  à  la  moindre  estincelle  du  contentement  dont  il 
est  à  présent  rassassié.  Car  le  plus  beau  de  nos  jours  n'est  rien  que 
vanité  et  tourment,  et  il  s'en  va  soudain.  Tout  ce  qui  se  fait  sous  le 
soleil  n'est  rien  que  vanité  et  rongement  d'esprit.  Mesmes  en  riant, 
le  cœur  est  dolent,  et  la  joye  tinit  par  ennuy.  Surtout  à  un  homme 
qui  craint  Dieu  et  qui  nage  contre  le  torrent,  qui  s'oppose  aux  cous- 
tumes  du  monde,  et  qui  se  recognoissant  estranger  et  voyager  au 
monde,  s'abstient  des  convoitises  charnelles  qui  guerroyent  contre 
l'àme,  la  vie  ne  peut  estre  qu'un  combat  très  amer,  et  un  exercice 
pénible  et  douloureux. 

Au  reste,  Madame,  ne  tournez  point  contre  vous-mesme  la  pointe 
de  vostre  esprit.  Ne  nourricez  point  en  vostre  âme  des  chagrins  ter- 
riens. Ne  vous  consumez  point  de  regrets  inutiles  qui  sont  à  pardonner 
aux  enfans  de  ce  siècle  qui  adorent  la  roue  d'une  fortune  aveugle.  Ne 
dites  point  en  vous-mesme:  Si  mon  fils  ne  fust  point  allé  en  ce  pays, 
peut-estre  ne  seroit-il  pas  mort.  Car  comme  en  parlent  les  prophètes, 
il  n'y  a  point  de  mal  en  la  Ci!é  que  le  Seigneur  ne  face.  C'est-à-diie 
qu'il  n'y  a  point  d'affliction  qui  ne  soit  dirigée  par  sa  providence,  car 
il  crée  la  lumière  et  les  ténèbres.  Les  biens  et  les  maux  viennent  de 
son  mandement.  C'est,  son  conseil  éternel  et  invariable  qui  calcule 
nos  jours  et  qui  prescrit  les  limites  de  nostre  vie.  C'est  sa  divine  main 
qui  nous  ouvre  le  guichet  de  ceste  prison  roulante.  Que  s'il  conte 


220  LETTRES    DE    CONSOLATION. 

jusques  à  nos  cheveux,  s'il  reseire  nos  larmes  en  ses  précieux  vais- 
seaux; et  si  un  passereau  ne  tombe  point  en  terre  sans  sa  volonté, 
y  a-t-il  aucun  accident  qui  peust  arriver  à  radvanture  à  ceux  que 
Dieu  advoue  pour  ses  enfans,  et  qu'il  tient  aussi  chers  que  la  prunelle 
de  son  œil  ?  Sans  doute  que  selon  sa  sagesse  il  avoit  disposé  de  ce 
voyage  pour  la  gloire  de  son  grand  nom  et  le  salut  de  son  serviteur, 
et  pour  le  vostre  propre.  Comme  Dieu  retira  à  l'escart  le  prophète 
Elie  lors  qu'il  le  voulut  enlever  au  ciel  en  un  tourbillon,  il  semble 
qu'il  ayt  voulu  esloigner  de  vostre  veue  Monsieur  vostre  fils,  de  peur 
que  de  vos  yeux,  mais  plustost  de  vos  gémissemens  et  de  vos  sanglots 
vous  ne  taschiez  à  l'arrester  icy-bas. 

Joint  que  l'on  peut  aussi  bien  mourir  en  sa  patrie  qu'en  un  pays 
estranger.  La  mort  nous  tire  du  lict  aussi  tost  que  de  la  tranchée. 
Noslre  âme  sort  par  la  bouche  aussi  facilement  que  par  la  playe.  Ce 
jeune  seigneur  ne  pouvoit  mourir  plus  glorieusement  qu'en  combat- 
tant pour  le  service  de  son  roy,  sous  les  enseignes  d'un  des  plus 
grands  capitaines  du  monde;  et  pour  une  cause  que  le  ciel  et  la  terre 
favorisent  visiblement. 

Ne  m'alléguez  point  la  grande  jeunesse  en  laquelle  il  est  décédé. 
Car  tout  ainsi  qu'en  jetlant  nos  yeux  sur  la  face  de  la  terre,  nous  re- 
marquons une  notable  différence  entre  les  vallées  et  les  hautes  mon- 
tagnes :  mais  au  regard  du  ciel,  ceste  inesgalité  s'esvanouyt.  Car 
tout  ensemble  ne  paroist  que  comme  un  poinct.  Ainsi  nos  jours  com- 
parez les  uns  aux  autres,  sont  plus  longs  ou  plus  courts ,  mais  com- 
parez avec  la  vie  de  Dieu,  ils  ne  sont  tous  ensemble  qu'un  moment, 
et  la  vie  d'un  Mathusalé  ne  paroist  no!i  plus  longue  que  celle  d'un 
enfant  qui  reçoit  et  qui  perd  à  mesme  heure  la  lumière  du  jour, 
Cestuy-là  a  assez  vescu  qui  a  appris  à  bien  vivre  et  à  bien  mourir. 
Mourir  tost  et  mourir  heureusement,  c'est eslre  doublement  heureux. 
Car  c'est  cstre  couronné  au  milieu  de  la  course.  C'est  recevoir  le 
salaire  avant  le  hasle  du  jour.  C'est  se  reposer  au  commencement 
de  son  voyage.  Les  enfans  d'Israël  se  fussent  estimez  heureux  d'en- 
trer en  Canaan  aussi  tost  après  leur  sortie  d'Egypte.  Ils  eussent  esvité 
beaucoup  de  tourment  et  d'ameitume. 

Le  souvenir  de  son  hou  natmcl  et  de  toutes  les  grâces  dont  il  avoit 
pieu  à  Dieu  de  l'enrichir  au  lieu  d'accroistre  vostre  dueil,  y  doit  ser- 
vir de  lénitif.  Car  quand  on  perd  un  enfant  (jui  laisse  des  marques 
de  sa  réprobation,  on  ne  sauroit  jetter  des  larmes  assez  amères.  Mais 


LETTRES    DE    CONSOLATION-  221 

ce  nous  doit  estre  une  consolation  indicible  d'avoir  recogneu  en  nos 
enfans  des  tesmoignages  de  leur  adoption;  et  d'estre  persuadez,  que 
Dieu  les  retirant  d'entre  nous,  les  a  logés  en  ses  Tabernacles  éternels. 
Et  j'estime  que  c'est  la  raison  pour  laquelle  David  pleura  si  amère- 
ment la  mort  d'Absalon,  et  au  contraire  se  consola  si  facilement  de 
la  mort  de  son  petit  enfant.  Car  voyant  cestuy-là  mourir  dans  les 
fureurs  de  la  rébellion,  il  avoit  horreur  de  ceste  mort  tragique,  et  en 
appréhendoitles  suittes.  Mais  voyant  l'autre  mourir  en  un  âge  inno- 
cent, il  ne  révoquoit  point  en  doute  le  salut  de  son  âme. 

Ordinairement  Dieu  retire  à  soy  ceux  qu'il  ayme,  et  ausquels  il 
porte  plus  de  faveur.  Hénoch,  septième  homme  après  Adam,  chemina 
devant  Dieu.  Et  Dieu  qui  prit  plaisir  en  l'intégrité  de  sa  vie,  l'enleva 
au  ciel,  de  peur  que  la  malice  du  monde  ne  corrompît  son  cœur.  Et 
pour  ce  qu'à  une  âme  si  saincte  et  innocente  estoit  requise  une  de- 
meure bien-heureuse.  Josias  estoit  un  prince  pieux  et  zélé  au  possible. 
Mais  en  la  fleur  do  son  aage  Dieu  le  retira  en  paix,  afin  que  ses  yeux 
ne  vissent  point  le  mal  qui  alloit  fondre  sur  la  ville  de  Jérusalem.  Et 
touchant  Abiia,  il  est  dit  formellement,  que  Dieu  le  retira  à  soy 
pour  ce  qu'il  avoit  veu  quelque  chose  de  bon  en  luy.  Bien-heureux 
sont  les  morts  qui  meurent  au  Seigneur.  Voire  pour  certain,  dit  l'Es- 
prit :  car  ils  se  reposent  de  leurs  labeurs,  et  leurs  œuvres  les  suivent. 

Vous  me  direz  (peut-estre)  que  toutes  ces  choses-là  sont  véritables, 
que  vous  croyez  Monsieur  vostre  fils  très  heureux,  mais  que  vous 
vous  plaignez  vous-mesmes,  et  regrettez  son  absence.  Surquoy, 
Madame,  permettez-moy  de  vous  dire  que  sous  ce  riche  voile  se  cache 
quelque  espèce  d'incrédulité  et  d'afTection  charnelle.  Car  si  Dieu  qui 
hausse  et  qui  baisse  le  degré,  l'eust  eslevé  aux  grands  honneurs  du 
monde;  particulièrement  s'il  eust  mis  sur  sa  teste  quelque  riche  cou- 
ronne, exempte  des  soaicis  et  des  craintes  qui  accompagnent  d'ordi- 
naire les  diadèmes  des  roys,  je  m'asseure  que  vous  eussiez  facilement 
supporté  son  absence.  Sur  tout  si  cette  grandeur  extraordinaire  eust 
servy  à  advancer  le  règne  de  Dieu.  Or  celuy  que  vous  pleurez  est  allé 
posséder  en  héritage  le  royaume  qui  lui  estoit  préparé  dès  la  fonda- 
tion du  monde.  11  est  allé  glorifier  Dieu  avec  les  miUiers  d'anges. 

Joint  que  nosire  vie  est  si  courte,  que  cet  esloignement  ne  peut 
estre  de  longue  durée.  Il  ne  reviendra  pas  vers  nous,  mais  nous 
irons  vers  luy.  Nous  ressemblons  à  des  personnes  qui  voguent  sur 
une  mesme  mer,  qui  voyagent  par  un  mesme  chemin,  et  qui  combat- 


22â  LKTTRES    DE   COrsSOLAThJN. 

tent  sous  les  enseignes  d'un  niesme  capitaine.  Encore  que  les  uns 
achèvent  leur  navigation,  leur  pèlerinage  et  leurs  combats  plustost 
que  les  autres,  si  e:-.t-ce  que  nous  aborderons  tous  finalement  à  un 
mesme  port  de  saint.  Nous  entrerons  en  un  mesme  lieu  de  repos. 
Nous  serons  eslevez  sur  un  mesme  char  de  triomphe. 

Au  lieu  donc  de  nous  opiniastrer  à  pleurer  la  mort  d'autruy,  pré- 
parons nous  nous-mcsmes  à  mourir.  Eslevons  nos  cœurs  au  ciel  où 
est  nostre  vray  thrésor;  et  une  partie  de  nous-mesnies.  Laissons  les 
choses  qui  sont  en  arrière,  tendons  au  but  et  au  prix  de  nostre  super- 
nelle  vocation.  Et  nous  acheminons  par  œuvres  de  piété,  de  charité 
et  de  miséricorde  vers  Dieu  qui  nous  tend  les  bras.  Mais  aussi  d'autre 
costé  gardons  nous  bien  de  précipiter  no.stre  dernier  départ,  de  nous 
consumer  d'ennuys;  et  d'estre  homicides  de  nous-mesmes.  Attendons 
en  patience  l'heure  bienheureuse  sn  laquelle  nostre  souverain  Capi- 
taine nous  lèvera  de  sentinelle,  et  le  son  de  ceste  douce  et  agréable 
voix  du  Père  céleste  qui  nous  tirera  de  ceste  vallée  de  larmes.  Bref, 
soyons  esgalement  disposez  à  glorifier  Dieu,  soit  par  vie,  soit  par 
mort,  sçachans  que  Jésus-Christ  nous  est  gain  à  vivre  et  à  mourir. 
Je  pensois,  Madame,  vous  escrire  peu  de  chose  ou  mesmes  ne  vous 
faire  que  des  excuses  de  ne  vous  avoir  point  escrit.  Mais  insensible- 
ment ma  plume  a  pris  l'ossort.  Le  but  de  ce  discours  est,  que  suivant 
l'exhortation  de  nostre  Sauveur,  vous  possédiez  vostre  àmepar  vostre 
patience,  et  en  banissiez  pour  jamais  les  chagrins  qui  vous  dévorent, 
qu'à  la  gloire  de  Dieu  et  à  l'édification  de  son  Eglise,  vous  faciez 
cognoistre  à  un  chacun  qu'il  n'y  a  point  de  playe  si  cuisante  et  si 
profonde  (\m  ne  puisse  estre  adoucie  et  consolidée  par  le  baume  de 
Galaad.  Que  non-seulement  vous  mettiez  la  main  sur  la  bouche  et 
arrcsticz  ic  cours  de  vos  soupirs,  pour  ce  que  c'est  Dieu  qui  l'a  faict; 
mais  aussi  (pic  vous  ouvriez  vos  lèvres  et  esclatiez  en  voix  de  louan- 
ges et  d'actions  de  grâces.  Seigneur,  je  suis  ta  très  humble  servante 
fille  de  ton  serviteur  et  héritière  de  sa  piété  et  de  sa  sainctc  con- 
stance. Je  te  sacriftcray  sacrifices  d'action  de  grâces  et  invoqucray  le 
nom  de  mon  Dieu.  Je  rendray  mes  vœux  à  l'Eternel  devant  tout  son 
peuple,  au  milieu  de  toy,  6  Jérusalem.  Je  vous  exhorte.  Madame,  à 
ceste  sainte  joyc  ot  à  ces  divines  louanges.  Et  vous  sunplic  de  me 
croire, 

Vostre  très  humble  et  obéyssant  serviteur,  Drf.lincourt. 

De  Paris,  ce  i  février  1630. 


REPONSE  DU  DUC  HENRI  DE  BQH&N 

AU   PETIT-COXSEIL  DE   LA   RÉPUBLIQUE   DE   GENÈVE. 
1638. 

On  connaît  très  peu,  bien  qu'elle  ail  été  publiée  en  1844  par  M.  A  Cra- 
mi.'r  (1),  la  belle  et  noble  réponse  adressée  en  leas  par  le  duc  de  Rohan  au 
Pelit-Conseil  de  Genève,  qui  lui  avait  écrit  une  lettre  de  félicitations  sur  le 
fait  d'armes  par  lequel  il  venait  de  se  signaler  à  Rhinfeld  et  de  coiidoléance 
sur  la  blessure  qu'il  y  avait  reçue  et  à  laquelle  il  ne  survécut  que  six  se- 
maines. Transporté  d'abord  à  Lauffenbourg,  puis  à  l'abbaye  de  Kœnigsfeld, 
en  Argovie,  il  y  succomba  le  13  avril  1638  à  l'extraclion  de  la  balle  qu'il 
avait  au  pied.  La  lettre  qu'on  va  lire  est  du  15  mars.  C'est  en  quelque  sorte 
une  page  testamentaire,  et  elle  est  bien  digne  d'un  homme  dont  la  vie  avait 
été  si  héroïque  et  qui  avait  fait  entendre  à  nos  ancêtres  de  si  mâles  accents. 

«  Ce  grand  homme  (dit  de  lui  Saint-Simon,  si  peu  favorable  à  la  Réforme), 
ce  grand  homme  fut  le  dernier  chef  des  huguenots  en  France;  c'est  lui  qui 
se  distingua  tant  à  la  tète  du  parti  abattu  et  laissa  la  réputation  d'un 
grand  capitaine  et  d'un  grand  homme  de  cabinet.  »  {Mémoires,  t.  H, 
p.  159.) 

Le  duc  de  Rohan  avait  écrit  dès  l'année  1627  ces  belles  paroles  :  «  .Je 
<t  suis  prest  de  m'exiler,  do  passer  ma  vie  parmi  les  estrangers  en  homme 
«  privé,  dussé-je  y  mendier  mon  pain,  pourvu  que  je  puisse  célébrer  la 
«  bonté  de  Dieu  de  m'avoir  rendu  instrument  de  la  délivrance  de  ce  pauvre 
«  peuple  qui  gémit  sous  une  dure  et  servile  persécution.  » 

On  remarquera,  dans  la  lettre  qu'on  va  lire,  ce  beau  passage  :  «  Lors- 
«  qu'on  ne  peut  être  au  gouvernail,  il  faut  servir  aux  cordages,  et  il  n'im- 
«  porte  quelle  qualité  on  soutienne,  quand  c'est  pour  une  bonne  cause.  « 

Henri  de  Rohan  est  là  tout  entier. 

A  Messeigneurs  du  Pelit-Conseil  de  Genève. 

Magnifiques  Seigneurs, 
Je  m'estime  bien  heureux  clem'estrerenconlré  en  un  lieu 
où  les  armes  du  Roy  mon  Seigneur  ont  acquis  tant  de  gloire. 
Etj  bien  que  je  m'y  sois  trouvé  sans  commandement,  je  n'en 

(1)  Frarjment  historique  sur  le  duc  Henri  de  Rohan,  son  séjour  à  Genève  et  sa 
sépulture,  dans  la  Bibliothèque  univ.  de  Genève,  juillet  et  -août  1844,  pp.  44 
et  231. 


!22i.  CIMETIÈRES    DES    Ht'GLENOTS    A    PAK18, 

estime  pas  moins  l'occasion  honorable  ;  lorsqu'on  ne  peut 
eslre  au  gouvernail  il  faut  servir  aux  cordages,  et  il  n'im- 
porte quelle  qualité  on  soutienne,  quand  c'est  pour  une 
bonne  cause.  Quant  à  mes  blessures,  elles  sont  peu  de 
chose,  et  l'appareil  que  vous  y  apportez  est  plus  grand  que 
la  playe.  Néantmoins  l'otTice  de  condoléance  que  vous  avez 
voulu  passer  avec  moy  à  l'occasion  d'icelles  est  une  manjue 
de  la  bonne  volonté  que  vous  avez  pour  moy.  Je  vous  prie 
de  la  conserver  et  vous  asseure  qu'elle  est  rencontrée  d'un 
ressentiment  qui  lui  est  entièrement  proportionné.  Il  n'est 
pas  besoin  que  je  vous  réytère  ce  dont  je  vous  ay  assuré  de 
vive  voix  à  mon  départ  de  voslre  ville,  car  je  sçai  que  vous 
laites  fondement  sur  mes  paroles,  aussy  viennent-elles  du 
cœur.  Noslre  Seigneur  vous  comble  de  tant  de  prospérité  et 
bonheur  que  ne  me  trouve  jamais  obligé  de  vous  en  faire  pa- 
roistre  les  effects,  ce  que  je  ferois  avec  autant  d'afléction  que 
je  suis,  Magnifiques  Seigneurs, 

Vostre  très  affectionné  et  obligé  serviteur. 
Henry  de  Rouan. 
Lauffenbourg  ce  15  mars  1638. 


CilYIETIERES  DES  HUGUENOTS  A  PARIS 

AUX  xvF,  xvne  ET  xvnF  siècles. 

15G3-i;92. 

(Voir  t.  XI,  p.  i:!2,  :!;U,  et  ci-dossus,  p.  '.iS,  1/<I  t't  274.' 

II.    De  VEdit.  de  Nanlr^  (1598)  à  la  Révocation  (1085). 

6"    LES    REGISTRES    DES    QUATRE   CIMETIERES    PARISIENS.  [Suite.) 

VI.  ne  1G42  à  1G4C;. 

Le  liuiticme  rogi-.lrc,  in-folio  do  147  pages,  porte  sur  sa  couvcrlurc  cii 
parclicmin  : 


CIMETIÈRES   DES    HUGUENOTS   A   PARIS.  225 

EîiTERRmiK^s  à  Sainf-Pére,  Saint-Marcel,  Trinité,  depuis  janvier  1G42 
jusqu'au  dernier  juin  1646,  dressé  et  compilé  par  d'IIuysseau,  ancien. 

Et  à  la  p.  1  :  «  Registre  des  enterremens  des  morts  de  la  religion  de 
«  tous  âges  et  sexes  èscymetières  de  la  Trinité,  Saint-Père  et  Saint-Marcel, 
«  (!e  Paris,  depuis  \e^^^  janvier  1 642,  compilé  par  d'HuTSSEAO,  ancien.  » 

Voici  les  actes  à  signaler  : 

3  sept.  \ei'i.Jvdith  de  laRougeraie,  damoiselle  veuve,  âgée  de  74  ans, 
de  noble  bomme  François  de  Loberan,  s\e\iv  ùe,  Montigny  et  d'Ablon, 
ministre  du  saint  Evangile  en  l'Eglise  réformée  de  Paris,  décédée  le  mardi 
2  septembre  1642,  a  été  enterrée  au  cymetière  Saint-Père,  fauxbourg 
Saint-Germain,  le  lendemain  matin  3  desdils  mois  et  an.  (Bull.,  IX,  '193.) 

16  sept.  1642.  César  de  Plaix  fds,  âgé  de  12  ans,  de  noble  bomme 
César  de  Plaix,  sieur  de  Lormoye,  advocat  à  la  Cour,  enterré  à  Saint-Père. 
(Cet  avocat  est,  d'après  Bayle,  l'auteur  du  célèbre  pamphlet  V Anti-Cotton.) 

'Il  nov.  1642.  ÎNoble  homme  Jacques  Tardif,  advocat  au  parlement,  an- 
cien de  l'Eglise,  âgé  de  72  ans,  a  esté  enterré  à  Saint- Père  le  samedy. 

ISjanv.  1643.  Judith  de  Choisenl,me  âgée  de  dix-huit  mois,  de  Fran- 
çois de  Choiseul,  escuyer,  baron  dePressigny,  enterré  à  Saint-Père. 

29  nov.  1643.  Pierre  Guillemard,  médecin,  tilsâgé  de  28ans  demaistre 
Daniel  Guillemard,  procureur  au  parlement,  et  de  Suzanne  Gobelln,  en- 
terré à  Saint-Père.  (Voir  le  BîilL,  IV,  494.) 

4  mars  1644.  Gaspar  Fienot,  sieur  de  Fienne,  fils  âgé  de  16  ans,  de  Je- 
han Claude  de  Vienne,  et  de  Anne  Jacquemar,  dame  de  Pressigny,  assas- 
siné, enterré  à  Saint-Père  le  vendredi  4  mars  1644. 

4  juin  1644.  Jean  Toutin,  marchant  orfèvre,  âgé  de  66  ans,  natif  de  Chà- 
teaudun,  a  esté  enterré  à  Saint-Père.  (Aïeul  maternel  de  JeanRou,  voir  ses 
Méjn.,  II,  88.) 

17  juillet  1644.  Suzanne  Soidjeyran,  fille  âgée  de  onze  mois,  de  Jean 
Soubeyran,  sirurgien  {sic)  de  Mgr  le  duc  d'Orléans,  et  de  Suzanne  Taver- 
nier,  enterrée  à  Saint-Père. 

26  août  1644.  Esther  de  IFicguefort,  fille  âgée  de  18  mois,  de  maislre 
Abraham  de  Wicquefort,  advocat  au  parlement,  et  de  Marie  Bouleau,  ibid. 

26  sept.  ]G4:i.  Jean  Jiidrouet  du  Cerceau,  vivant  architecte  natif  de 
Verneuil-sur-Oise,  fils  de  Moïse  Androuet  du  Cerceau  et  de  Madelaine  du 
Courty,  enterré  à  Saint-Père.  Henri  Burdos,  forgeron.  (V.  Bull.,  IV,  632.) 

8  oct.  1644.  Messire/e«?i  Texicr,  âgé  de  66  ans,  vivant  receveur  géné- 
ral des  finances  sur  la  généralité  de  Montpellier,  natif  de  la  ville  d'Uzès, 
enterré  à  Saint-Père. 

17  oct.  1644.  Anne  Marie,  fille  âgée  de  2  ans,  de  feu  messire  Jean  Eus- 
herken,  vivant  chevalier  et  secrétaire  de  MM.  les  Etats  généraux  du  Pays- 
Bas,  et  Anne  Androuet  du  Cerceau,  enterrée  à  Saint-Père. 

xni.  —  lîj 


226  CIMETIÈRES    DES    HUGUENOTS    A   PARIS. 

16  janv.  1645.  Marguerite  Gobelln,  âgée  de  bo  ans^  veuve  de  Mathieu 
Langlois,  procureur  à  la  Chambre  des  comptes  à  Paris,  enterrée  à  Saint- 
Père.  (Voir  le  Bulletin,  lY,  496.) 

21  février  1645.  M.  Duchesne,  vivant  médecin  du  Roy,  natif  de  Blois, 
âgé  de  80  ans  environ,  enterré  à  Saint-Père. 

9  mars  1645.  Jean-Georges  Salomon,  maître  puisatier  à  Paris,  natif  de 
Monlbéliard,  enterré  à  Saint-Père. 

25  juin  1645.  Daniel  Busse,  fils  âgé  de  27  mois,  ii.' Abraham  Bosse,  et 
de  Catherine  Sarab^it,  enterré  à  Saint-Père. 

7  déc.  1645.  Marie  de  Bréquigny,  fille  âgée  de  19  ans,  de  Jean  de  Bré- 
quigny,  sculpteur,  et  de  Anne  Villeba,  enterré  à  Saint-Père. 

15  février  1 646.  Paul  Elle,  fils  âgé  de  3  semaines,  de  Louis  Elle,  peintre, 
etd'Elisabelh  d'Allemagne,  enterré  à  Saint-Père. 

17fév.  i646.  Jacques  Muysson,  sieur  du  Thoillon,  de  la  ville  de  Valen- 
ciennes,  âgé  de  62  ans,  enterré  à  Saint-Père.  (V.  Bull.,  Xll,  3U6.) 

Il  y  a  à  la  fin  de  ce  registre  une  table  rédigée  par  d'Huysseau. 

VU.  De  1646  à  1C51. 

Registre  de  181  pages,  couvert  en  parchemin,  intitulé  : 

Enterremens  à  Saint-Père,  Saint-Marcel  et  Trinité,  depuis  juillet  1616 
jusqu'en  may  1651. 

Et  au  feuillet  1,  on  lit  :  «  Régis! re  des  enterremens  faits  es  cimetières 
«  Sainct-Père,  sis  au  faubourg  Saint-Germain-des-Prez,  Saint- Marceau  et 
«  Trinité,  appartcnans  à  l'Eglise  réformée  de  Paris,  qui  a  son  exercice  à 
<(  Charenion-Saint-Maurice.  Commencé  en  juillet  1 646,  el  finy  en  may  1 651 .  » 

Actes  à  signaler: 

18  aoùl  1846.  Michel  de  Launay,  fils  Sgé  de  7  ans,  de  Daniel  de  Launay, 
peintre,  et  de  Judicq  Noiret,  enterré  à  Saint-Père. 

'20  août  1646.  Jeayme  Fendosme,  fdle  âgée  de  32  mois,  de  Louis  Ae/t- 
dusme,  marchand  libraire,  et  de  Marie  Damet,  enterrée  à  Saint-Père. 

3  sept.  1646.  Jacques  de  la  Planche,  sieur  de  Mortières  cl  de  t'ouque- 
linatj,  décédé  à  Chalou,  enterré  à  Saint-Père. 

9  ocl.  1646.  Madeleine  Sarau,  fille  àgéc!  de  6  mois,  de  nu'ssire  Claude 
Sarau.,  conseiller  au  Parlement,  et  de  dame  Françoise  du  Caudal,  en- 
terrée à  Saint-Père. 

30  janv.  1647.  Jean  Bosse,  lils  âgé  de  16  mois,  de  JbraÂant  Bosse, 
graveur,  et  de  Catherine  Sarabat,  enterré  à  Saint-l'ère. 

a  IV'V.  1647.  Damoiselle  Catherine  l.emberville,  l'emuie  àgce  de  58  ans, 
de  Jnlhoinn  Fauché,  ingénieur  du  Uoy,  enterrée  à  Sainl-l'ère. 


CIMETIÈRES    DES    HUGUENOTS    A   PAKIS.  ^27 

15  fév.  1647.  Marie  Lambert,  vivante  veufve  âgée  de  82  ans,  de  feu 
M.  Hessin,  valet  de  chambre  du  Roy,  enterrée  à  Saint-Père. 

17  fév.  1647.  Salomon  Marot,  âgé  de  33  ans,  peintre,  ibid. 

25  fév,  1 647.  Anthoine  Fauchet,  vivant  ingénieur  du  Roy,  âgé  de  76  ans, 
natif  de  Ternay,  en  Dauphiné,  enterré  à  Saint-Père. 

14  mars  1647.  Anne  de  Fenelson,  femme  âgée  de  38  ans,  de  Isaac  Pou- 
part,  docteur  en  médecine,  enterrée  à  Saint-Père. 

15  mars  1647.  Suzanne  Dauteville,  vivante  veuve  de  î\l.  Courtin,  con- 
seiller du  Roy  et  refférendaire  de  la  Chancellerie  du  Palais,  ibid. 

24  mars  1647.  Jacques  Ron^  viv;uit  [jrocureur  au  Parlement  de  Paris, 
âgé  de  55  ans,  a  esté  enterré  à  Saint-Père  le  dimanche  24  mars  1 647.  (C'est 
le  père  de  Jean  Rou,  l'auteur  des  Mémoires.  Il  avait  été  assassiné.) 

12  avril  1647.  Barbe  Maciet,  âgée  de  65  ans,  veufve  de  feu  Jea7i  Bcr- 
(juier,  peintre,  enterrée  à  Saint-Père. 

17  may  1647.  Marie  Fippy,  âgée  de  81  ans,  veufve  de  feu  François 
Frétant,  piqueur  de  la  grande  fauconnerie  du  Roy, ibid. 

31  may  1647.  Stizanne  Bouton,  fille  âgée  de  23  mois,  de  David  Bouton, 
ingénieur  du  Roy,  enterré  à  Saint-Père. 

9  juin  1647.  Abraham  Dupré,  âgé  de  43  ans,  vivant  commissaire  géné- 
ral des  fonies  de  l'artillerie  de  France  et  conseiller  génér;;!  des  poinsons 
et  effigies  des  monnoyes,  enterré  à  Saint-Père. 

25  juin  1647.  Dominique  de  la  Fonrf*-,  vivant  massoi;,  âgé  de  63  ans. 

8  juillet  1647.  Corneille  de  f'olf,  femme  âgée  de  50  ans,  du  sieur 
Charles  du  Ry,  architecte  des  b:istimens  du  Roy,  enterrée  à  Saint-Père. 

11  juillet  1647.  Maurice  Ruthven,  âgé  de  45  ans,  Allemand,  serviteur 
de  M.  le  comte  de  Branford,  gouverneur  de  monseigneur  le  prince  de 
Galles,  enterré  à  Saint-Père. 

5  août  1647.  Georges  Arbant,  âgé  de  77  ans,  conseiller  médecin  ordi- 
naire du  Roy,  enterré  à  Saint-Père. 

15  août  1647.  Nicolas  Joulin,  examinateur  au  siège  royal  de  Miillc,  en 
Poitou,  âgé  de  53  ans,  enterré  à  Sainl-Pere. 

30  août  1647.  Isaac  de  Beringhen,  fils  âgé  de  il  mois,  de  Jean  de  Be- 
rinrjhen.,  et  de  damoiselle  Marie  de  Menou,  enterré  à  Sainî-Père, 

29  nov.  1647.  Isabet  Toutin,  âgée  de  3  ans,  liil.-  tie  Jean  Touli/i,  or- 
l'évre,  et  de  Sara  Cullviller,  enterrée  à  Saint-Père. 

2  déc.  '1647.  Pierre  de  Lignon,  âgé  de  22  ans,  111s  de  M.  de  I.igiion, 
apoli(iuaire  à  Angoulesme,  mort  de  mort  violente,  enterré  à  Saint- i'èrc. 

9  (léc.  1647.  Estienne  Levasseur,  tils  âgé  de  5  ans,  d'Ezécliiel  Levas- 
seur,  commissaire  des  guerres,  et  de  Marie  Le  Gendre,  ibid. 

24  fév.  1648.  Isaac  de  Caus,  natif  de  Dieiipe,  âgé  de  58  ans,  archi- 
lecque  {sic),  enterré  à  Saint-Père.  (Voirie  Bulletin,Xl,  407,  488.) 


228  CIMETIÈRES    DES    HUGUENOTS   A    PARIS. 

23  mars  1648.  M.  Estienne  Girardeau,  marchand  de  bois,  enterre  au 
cimelière  Saint-Marceau. 

9  avril  -1648.  Adam  de  la  Planche,  escuyer,  sieur  de  Coco  cl  de  Mor- 
tiere,  âgé  de  66  ans,  enterré  à  Saint-Père. 

44  avril  1648.  Jean  Mutel,  conseiller  en  la  Cour  de  Parlement  de  Paris, 
âgé  de  60  ans,  enterré  à  Saint-Père. 

11  mai  1648.  Raoul  de  Douhin,  escuyer  sieur  de  Belleveue,  âgé  de 
80  ans,  enterré  à  Saint-Père. 

23  mai  1648.  Pierre  Cruikshank,  âgé  de  36  ans,  natif  d<'  Buglian,  en 
Ecosse,  enterré  à  Saint-Père. 

16  juin.  1648.  Madeleine  Tesfelin,  tille  âgée  de  27  ans,  de  dell'unt  Gille 
Testelin,  enterrée  à  Saint-Père. 

25  juill.  1648.  Jean  de  Bédé,  sieur  de  la  Gourmandière,  advocat  au 
Parlement,  ancien  de  l'Eglise  réformée  de  Paris,  âgé  de  83  ans,  enterré  à 
Saint-Père. 

7  août  1 648.  Jnthoine  Ifuguet,  advocat  au  Parlement,  lils  âgé  de  23  ans, 
de  Pierre  Huguet,  sieur  de  Champabon,  conseiller  du  Roy  et  eslu  à  Poi- 
tiers, enterré  à  Saint-Père. 

26  août  1648.  Marie  de  Launay,  tille  âgée  de  2  ans  et  demi,  de  doffunt 
Isaac  de  Launafj,  maître  maçon  à  Paris,  cl  de  Alfoncine  3Ienoit,  ibid. 

12  sept.  '1648.  Judicq  de  Launay,  fille  âgée  de  3  ans,  de  Daniel  de 
Laimay,  maître  peintre  à  Paris,  et  de  Judicq  Nouret,  ibid. 

23  oct.  1648.  Noble  homme  Pierre  Guenault,  docteur  en  médecine,  âgé 
de  43  ans,  enterré  à  Saint-Père. 

y  fév.  1649.  Samuel  Michelin,  âgé  de  4  mois,  ûl^  ûc  Jean  Michelin, 
maîire  peintre,  et  de  Elisabeth  de  La  Ferté,  enterré  à  Saint-Père. 

13  fév.  1649.  Marie  Ferdinand,  veufve  de  deffunt  Ferdinand  Elle, 
vivant  peintre  ordinain;  du  Roy,  âgée  de  64  ans,  enterrée  à  Saint-Père. 

Même  j(jur.  Marie  Elle,  tille  de  Louis  Elle,  peintre  ordinaire  du  Roy. 

16  fev.  1G49.  Mathieu  Lespagnandelle,  âgé  de  4  mois,  lils  de  Mathieu 
Lcspagnaiidclle  et  de  Périne  Proult,  enterré  à  Saint-Marceau. 

9  avril  164!t.  M.  Paul,  Italien,  enterré  à  Saint-Père. 

2  août  1649.  Elizabeth  Louvain,  âgée  de  6  mois,  lillc  de  Jacques  Luu- 
vain,  maître  peintre  à  Paris,  et  de  Suzanne  Manusier,  ibid. 

23  sept.  164!).  Louise  Le  Bas,  âgée  de  5  ans,  liile  de  .Samuel  Le  lias, 
maître  peintre,  et  de  liOuise  Manessié,  enterrée  à  Saint-Père. 

26  sept.  1649.  PcnclupeDavisson,  âgée  de  3  ans,  fille  de  M.  Darisson, 
conseiller  et  médecin  du  Hoy,  et  de  damoisellc  Charlotte  de  Thcgnij,  en- 
terrée à  Saint-Père. 

6  oct.  1649.  Abraham  de  la  Place,  vivant  graveur,  natif  de  Amsterdam, 
en  Hollande,  enterré  à  Saint-Père. 


CIMETIÈRES  DES    HUGUENOTS   A    PARIS.  229 

i4oct.  1649.  Barbe  Bivelat,  âgée  de  10  mois,  fille  de  Jean  Bivelat, 
sculteiir,  demeurant  au  faubourg  Saint-Antoine,  enterrée  à  Saint-Père. 

3  nov.  1649.  Marie  Noblet^  âgée  de  4  ans,  tille  de  Mathieu  Noblet, 
graveur,  et  de  Marie  Le  Clerc. 

1"  déc.  1649.  Guitlawne  Briot,  vivant  maître  peintre  à  Paris,  âgé  de 
60  ans,  natif  de  Monbéliart,  enterré  à  Saint-Père. 

6  déc.  1649.  Ester  Fanderban,  âgée  de  3  ans,  tille  à'Jmoul  J'ander- 
ban,  tapissier  du  Roy,  et  de  Marie  Rousseau,  enterrée  à  Saint-Père. 

7  déc.  1649.  Marie  Elle,  âgée  de  5  ans,  fille  de  Pierre  Elle,  peintre  du 
Roy,  et  de  Anne  Cattier,  enterrée  à  Saint-Père. 

15  janv.  1650.  Pierre  Fanloc,  âgé  de  22  ans,  vivant  graveur  et  impri- 
meur du  Roy,  fils  de  défunct  Michel  Fanluc,  aussi  graveur,  et  de  Mar- 
guerite Le  Noir. 

23  fév.  1650.  Elizabet  Bigorne,  âgée  de  4  ans,  fille  de  Simon  Bigorne, 
maître  sculteur  au  faubourg  Saint-Germain,  et  de  Anne  Le  Jarre,  enterrée 
à  Saint-Père. 

15  mars  1650.  Gabriel  Bernard,  âgé  de  8  jours,  fils  de  Samuel  Ber- 
nard, peintre,  et  de  Madelaine  Lequeux,  enterré  â  Saint-Père.  (C'est  un 
frère  du  fameux  financier  Samuel  Bernard.) 

21  mars  1650.  Suzanne  Rolin,  âgée  de  46  ans.  femme  de  Jean  Bois- 
seau, enlumineur  du  Roy,  enterrée  à  Saint-Père. 

2  avril  1650.  Jaques  Guenault,  apoticaire  du  Roy,  ibid. 

8  avril  1650.  Marie  Joly,  âgée  de  71  ans,  femme  de  Pierre  Falet,  bro- 
deur et  valet  de  chambre  ordinaire  du  Roy,  enterrée  à  Saint-Père. 

14  avril  1650.  Louis  du  Garnier,  âgé  de  4  mois,  fils  de  Louis  du  Gar- 
nier,  peintre  ordinaire  du  Roy,  et  de  Marguerite  du  Clou,  ibid. 

19  avril  1630.  Marie  Cassiopin,  âgée  de  3  ans,  fille  de  Jean  Cassiopin, 
peintre  du  Roy,  et  de  Catherine  Elle,  enterrée  à  Saint-Père. 

4  may  1650.  Abel  Souberan,  âgé  de  15  jours,  fils  de  Jean  Souberan, 
chirurgien  de  monseigneur  le  duc  d'Orléans,  et  de  Suzanne  Tavernier. 

8  may  1C50.  Pierre  Rozemont,  âgé  de  8  ans.  fils  de  Jaques  Hozemont, 
secrétaire  de  monseigneur  le  duc  de  la  Trémoille,  et  de  Elizabet  Jouar. 

6  juin.  1650.  Marie  de  Ruvigny,  âgée  de  1  jour,  fille  de  Henri/,  mar- 
quis de  Ruvigny,  et  de  dame  Mar%je  Talleman. 

17  juin.  1650.  Paul  Colin,  médecin,  âgé  de  35  ans,  natif  de  "Vitry-le- 
Français,  mort  de  mort  violente,  enterré  à  Saint-Père. 

23  juin.  1650.  Estienne  du  Cloux,  orfèvre  et  garde  des  curiosités  de 
monseigneur  de  Metz,  natif  de  Sedan,  âgé  de  50  ans,  enterré  à  Saint- 
Père. 

11  août  1650.  Henriette  Misson,  âgée  de  17  jours,  fille  de  Henrij  Mis- 
son  et  de  daraoiselle  Péronne  Conrart,  enterrée  à  Saint-Père.  (C'est  Muis- 


230  LETTRE    ET    HUITAIN    DE   MADEMOISELLE    HE   SCl'nF.KY. 

son,  sieur  du  Toillon,  conseiller  secrétaire  du  Roy,  qui  avait  épousé  la 
sœur  de  Valeniin  Conrart,  l'acadéinicion.  V.  svpr.,  au  17  oct.  I6i4.) 

29  août  4  600.  Isaac  d'Huisseau,  âgé  de  87  ans,  ancien  de  l'Eglise  réfor- 
mée de  Paris,  enterré  à  Saint-Père.  (C'est  lui  qui  a  transcrit  les  registres 
précédents.) 

29  août  1650.  Jaques  du  Pal,  conseiller  et  médecin  ordinaire  de  Son 
Altesse  royale. 

3  nov.  4650.  Marie  de  la  Fond,  âgée  de  29  ans,  femme  de  André  Mon- 
goherf,  peintre  à  Paris,  enterrée  à  Saint-Père. 

24  déc.  1630.  Damoiselle  Mane  Du  Cerceau,  âgée  de  40  ans,  femme  de 
M.  Des  Fougerais,  docteur  régent  en  la  faculté  de  médecine  à  Paris,  en- 
terrée à  Saint-Père. 

24  déc.  1650.  Jean  .Ï7iice,  sieur  des  Bruères,  âgé  de  47  ans,  g;irde  du 
corps  de  Son  Altesse  royalle,  enterré  à  Saint-Père. 

24  janv.  1651.  Marguerite  Rondeau,  âgée  de  9  mois,  fille  de  Jean  Ron- 
deau, secrétaire  de  Madame  la  duchesse  douairière  de  Rohan,  et  de  Mar- 
guerite Le  Roy. 

11  avril  1651.  Fleuren  DendriUon,  âgé  de  30  ans,  peintre,  natif  d'Or- 
léans. 

6  may  1651.  François  Des  Martins,  âgé  de  27  mois,  fils  de  Jaques  Des 
Martins,  maître  peintre  à  Paris,  et  do  Renée  Forestier. 


LETTRE  ET  HUIT&IH  DE  WADEniOISEUE  DE  SCUOERY 

SUR    LES  CONVERSTONS. 
l«w.  (?) 

M.  Tiust.  Masson  nous  communique  la  lettre  suivante  qu'il  a  copiée  sur 
l'autographe  conservé  au  Hrilisli  Muséum  (Mss.  addit.,  n"  24310),  et  le 
huilain  (|ui  s'y  trouve  joint  en  copie. 

Lettre  de  Mademoiselle  de  Scudéry,  éerite  à  

Tout  ce  que  vous  me  dittcs,  Monsieur,  me  donne  beaucoup  de 
joye,  car  vous  ayant  tousjours  beaucoup  estimé  dans  le  temps  que 
vous  |)aroissiés  esjoigné  de  l'épiscopat,  il  m'est  fort  aisé  de  vous  ho- 
norer et  (le  joindre  le  respect  à  l'amitié,  .le  vous  ad  voue  uiesine 
qii'dutre  vostrc  inérilo,  c'en  est  encore  un  pour  moy  d'avoir  eu  part 
il  r.imilié  d'une  |)orsonn(!  que  je  regrette  t(uis  les  join's.  A|)rès  cela, 


PIÈCES    SUR    LA  RÉVOCATION    DE   l'ÉDIT   DE    NANTES.  231 

je  prends  la  liberté  de  vous  envoyer  je  ne  sçay  quoy  que  j'ay  fait 
sur  les  conversions,  à  condition  que  vous  ne  le  montrerez  à  personne 
jusqu'à  demain,  si  toutefois  vous  jugez  cela  digne  d'estre  monstre. 
Le  Roy  ne  l'aura  que  ce  soir  ou  demain  au  matin.  C'est  fort  peu  de 
chose,  mais  le  succès  est  trop  grand  pour  y  pouvoir  rien  dire  de 
proportionné.  Je  suis,  Monsieur,  autant  que  je  le  dois  et  que  vous  le 
mérités,  votre  très  humble  et  très  obéissante  servante. 

Madeleine  de  Scudért. 

sur  les  conversions. 

D'un  zèle  sans  pareil  j'ay  chanté  mille  fois 

La  gloire  de  Louis  et  ses  fameux  exploits, 

J'ay  loué  ses  vertus,  j'ay  vanté  son  courage, 

Et  ma  main  sans  trembler  a  tracé  son  image. 

Mais  cent  peuples  rendus  au  Roy  de  l'univers 

Sont  un  trop  grand  sujet  pour  tous  nos  foibles  vers  ; 

La  terre  doit  se  taire  :  à  de  telles  louanges 

Il  faut  la  voix  du  ciel  et  le  concert  des  anges! 


PIECES  SUR  LA  REVOCATION  DE  LEDIT  DE  NANTES 

AYANT  SERVI  A  RULIIIÈRE  POUR  SES  C(  ÉCLAIRCISSEMENTS  HISTORIQUES.  » 

16S5-1686. 

Voici  quelques  pièces  ompruiitét^snu  tome  ^ï"  (pp.  167, 105, 4  53, 175, 197, 
198,  210,  211,  225,  232,  275)  du  Recueil  dont  nous  avons  parlé  ci-dessus, 
p.  167  (Biblioth.  imp.,  Mss.  Suppl.  franc.,  4026).  Ce  sont  en  quelque  sorte 
les  pièces  justiticatives  du  célèbre  ouvrage  de  Rulhière,  souvent  annotées 
de  sa  main.  Elles  offrent  donc  un  véritable  intérêt,  surtout  si  on  les  veut 
faire  servir  à  contrôler  le  travail  fait  par  l'académicien  d'après  ces  mêmes 
matériaux,  dans  un  but  donné  (voir  ci-dessus,  p.  199).  Les  copies  2  à  6  et 
la  8«  sont  tirées  «  du  Dépôt  de  la  Guerre,  »  la  7%  «  du  Dépôt  de  M.  Che- 
vin,  »  les  l""",  9^  et  10<',  «  du  Dépôt  du  Louvre  »  (1j. 

(1)  Voir  aussi  ci-après,  page  239. 


2o2  PIÈCES    SUR   LA    RÉVOCATION    DE    l'ÉDIT   DR    NANTES. 

I.  Lettre  de  M.  de  Louvois  à  M.  de  Vrevin. 

Fontainebleau,  le  23  octobre  1685. 

Monsieur,  la  maladie  de  Monsieur  le  Chancelier  ayant  obligé  Mon- 
sieur de  Reims  à  s'en  revenir  à  Paris,  il  me  mande  qu'il  a  chargé  un 
de  ses  grands-vicaires,  avec  plusieurs  prêtres  très  capables,  de  se 
rendre  à  Sedan,  et  comme  vous  aviez  oidre  de  faire  à  l'égard  des 
troupes  qui  doivent  arriver  à  Sedan  ou  à  Hanspac  dans  les  derniers 
jours  de  ce  mois  ce  que  Monsieur  de  Reims  vous  diroit  être  des  in- 
tentions du  roy,  je  dois  vous  dire  par  cette  lettre  que  Sa  Majesté 
désire  que  vous  essayiez  de  porter  les  religionnaires  de  Sedan  à  se 
convertir;  que  si  vous  le  pouvez  faire  par  l'appréhension  des  troupes, 
et  sans  qu'on  soit  obligé  de  faire  entrer  de  la  cavalerie,  en  sorte  que 
la  plus  grande  partie  des  religionnaires  de  la  ville  se  convertisse  par 
délibération,  vous  feriez  une  chose  fort  agréable  à  Sa  Jdajesté,  et  en 
ce  cas  vous  pourriez  assurer  lesdits  religionnaires  que  le  roi  les  feroit 
rembourser  de  la  dépense  qu'ils  ont  faite  jusqu'à  présent  pour  le 
bâtiment  de  leur  nouveau  temple;  que  si  vous  ne  pouvez  pas  les 
persuader,  l'intention  de  S.  M.  est  que  les  300  chevaux  entrent  dans 
la  ville  avec  le  régiment  de  Champagne,  et  soient  logés  chez  les  reli- 
gionnaires; et  (lu'à  mesure  qu'ils  prendront  le  parti  de  se  convertir, 
vous  les  en  fassiez  décharger,  et  que,  quand  la  plus  grande  partie 
des  religionnaires  seront  convertis,  vous  avertissiez  M.  du  Bourg  de 
se  servir  des  ordres  qu'il  a  de  M.  de  Prissy,  pour  faire  marcher  la 
cavalerie  et  les  dragons  qui  sont  à  ses  ordres,  s'il  y  en  a  dans  ses 
quartiers,  d'où  ils  sont  venus;  et  qu'à  l'égard  du  régiment  de  Cham- 
pagne, vous  l'envoyiez  a  Saint-Quentin,  en  vertu  des  ordres  de  Sa 
Majesté,  lorsque  vous  croirez  que  son  service  ne  sera  plus  nécessaire. 
Vous  aurez  soin  de  m'avcrtir,  {)ar  tous  les  ordinaires,  de  tout  ce  qui 
se  passera,  et  ménager  les  chefs  des  manufactures  le  plus  possible, 
sans  néanmoins  vous  explicjuer  (jne  vous  en  ayez  reçu  l'ordre. 

Je  suis,  etc. 

II.  Lettre  de  M.  de  Lonvois  ù  .1/.  de  ISdsrille. 

l'oiilciiiicbif.ni,  II'  lij  octobre  1685. 

Monsieur,  j'ai  reçu  par  les  ordinaiies  et  par  le  courrier  de  M.  le 
àwc  (lo  Noailles  les  cpiatre   lettres  que  vous  avez  pris  la  peine  de 


PIÈCES    SUh    LA    RÉVOCATION    DE    l'ÉDIT   DE   NANTES.  233 

m'écrire,  la  date  d'une  desquelles  est  en  blanc  et  les  trois  autres 
des  5,  6  et  7  de  ce  mois.  Le  roi  a  appris  avec  beaucoup  de  joie  par  ce 
qu'elles  contiennent  la  continuation  des  conversions;,  et  Sa  Majesté 
attendra  des  nouvelles  de  la  suite  desdites  conversions  avec  beau- 
coup de  patience. 

Vous  apprendrez,  par  M.  de  Chaunes,  les  pensions  qu'il  plaît  à 
Sa  Majesté  de  faire  aux  ministres  convertis  ;  j'y  ajouterai  seulement 
que  sur  le  Mémoire  qui  vous  a  été  présenté  par  les  sieurs  Chelat  et 
Paulhau,  le  roi  a  trouvé  bon  de  faire  insérer  dans  la  déclaration  qui 
doit  être  publiée  au  premier  jour  pour  abolir  l'exercice  de  laR.  P.  Pi. 
dans  tout  le  royaume,  faire  raser  tous  les  temples  et  faire  chasser 
tous  les  ministres  du  royaume;  que  ceux  qui  se  voudront  convertir 
jouiront  leur  vie  durant  et,  après  leur  mort,  leurs  veuves,  tant 
qu'elles  demeureront  en  viduité,  de  l'exemption  des  tailles  et  du  lo- 
gement des  gens  de  guerre,  qu'elle  auront  des  pensions  d'un  tiers 
plus  fort  que  n'étaient  celles  qu'elles  avoient  des  consistoires,  et  que 
ceux  desdits  ministres  qui  voudront  se  faire  recevoir  docteurs  ez 
loix  seront  dispensés  de  trois  années  de  licence  et  pourront  être  reçus 
docteurs  en  payant  la  moitié  des  droits  que  l'on  a  coutume  de  rece- 
voir dans  chaque  université. 

Le  roi  est  persuadé  qu'il  ne  convient  point  de  songer  à  convertir 
en  églises  des  temples,  qu'il  faut  les  faire  raser  tous  à  mesure  que  les 
habitans  des  lieux  où  ils  sont  situés  se  convertissent.  C'est  à  quoi 
Sa  Majesté  vous  recommande  de  tenir  la  main. 

Vous  apprendrez,  peu  de  temps  après  avoir  reçu  cette  lettre, 
l'arrivée  de  M.  le  comte  de  Tesse  à  Orange  avec  des  ordres  du  roi; 
vous  en  ferez  raser  les  temples  et  obliger  les  sujets  à  sortir  de  la 
ville  et  de  ses  dépendances. 

Vous  aurez  vu,  par  une  de  mes  précédentes  lettres,  que  le  roi  ne 
juge  pas  à  propos  de  laisser  la  province  sans  troupes,  et  qu'au  con- 
traire Sa  Majesté  croit  qu'il  est  bien  d'y  laisser  un  corps  raisonnable 
pour  punir  ceux  qui  voudraient  faire  quelque  folie. 

Je  suis,  etc. 

IIL  Note  de  la  main  de  Rulliière. 

«  Mars  '168.^.  — 11  ya  quelques  lettres  pour  faire  le  procès  à  divers  temples 
qui  y  sont  nommés.  Les  intendants  cberchaientà  les  trouver  en  coiitraveii- 


234  PIÈCES    SUR    LA    RÉVOCATION    DE    LEDIT    DE   NANTES. 

lion,  VU  que  par  les  conversions  faites  le  nombre  des  familles  n'était  pas 
suffisant.  «  Sa  Majesté  verra  avec  plaisir  qu'on  en  puisse  prononcer  la 
«  destitution.  » 


IV.  M.  de  Lùuvois  à  M.  de  Basville  {ou,  en  son  absence, 
à  M.  Foucault). 

8  septembre  1685. 

Je  dois  vous  répéter  seulement  qu'il  faut  se  contenter  de 

convertir  la  plus  grande  partie  des  religionnaires,  et  de  ne  point 
vouloir  les  convertir  tous  tout  d'un  coup,  étant  important  de  ne  pas 
obliger  à  quitter  le  pays  les  familles  puissantes,  lesquelles  faisant  le 
commerce  de  la  province,  y  procurent  un  grand  avantage. 

V  et  VI.  M.  de  Louvois  à  AI.  de  Corheron. 

8  novembre  1685. 
J'ai  reçu  votre  lettre  du  2  de  ce  mois.  Si  les  deux  ministres  qui  ne 
sont  plus  en  fonctions  sont  imbécilles  et  hors  d'état  de  pouvoir  plus 
parler  de  religion,  le  roy  pourroit  peut-être  permettre  qu'on  les  lais- 
sât mourir  dans  la  ville  de  Metz;  mais,  pour  peu  qu'ils  ayenl  l'usage 
de  la  raison,  Sa  Majesté  désire  qu'on  les  oblige  à  en  sortir 

16  novemlire  1685. 

Le  roy  ayant  été  informé  que  les  gens  de  la  R.  P.  R.  de  Metz  qui 
ont  des  charges  que  Ton  nomme  Aman  ne  croyent  pas  être  compris 
dans  l'ordre  que  l'on  a  donné  aux  bas  officiers  de  l'hùtel  de  ville  de 
se  défaire  de  leurs  charges.  Sa  Majesté  m'a  commandé  de  vous  faire 
savoir  que  cet  ordre  les  regarde  aussi  bien  que  les  autres,  et  que 
vous  les  en  avertissiez  alin  qu'ils  s'y  conrorntcnt  incessamment. 

Vil.  Lettre  du  Ministre  à  M.  de  La  Jleynie. 

3  di^cembre  1G85. 

On  a  donné  avis  au  roi  qu'il  y  a  encore  trois  ministres  à  Paris,  et 
que  les  commissaires  ne  font  pas  leur  devoir  à  l'égard  des  P.  R.  Sur 
(piny  Sa  Majesté  m'onloiiiie  de  vous  ('crirc  d(i  vous  informer  s'il  est 
vrai  que  ces  trois  ministres  soiciil  à  Paris,  et  de  vous  exciter  de  nou- 


PIÈCES    SUR    LA    RÉVOCATION    DE    l'ÉDIT    DE   NANTES.  235 

veau  à  tenir  la  main  à  ce  que  les  commissaires  s'acquittent  soigneu- 
sement des  ordres  que  vous  leur  donnerez  au  sujet  des  religion- 
naires. 

(De  la  main  de  Rulhière  :  ISloia.  Selon  plusieurs  autres  pièces  conservées 
en  original  à  ce  même  dépôt,  on  ne  se  sert  jamais,  en  parlant  du  bannisse- 
ment des  ministres  après  la  révocation,  que  du  mot  de  «  Permission  de 
sortir.  »  Après  le  départ  de  quelques-uns  d'eux,  on  s'informe  s'ils  sont  sor- 
tis avec  permission.) 

VIII.  M .  Louvots  à  M.  de  Vrevin. 

4  décembre  1685. 
Il  n'est  point  possil)le  d'empêcher  le  commerce  des  lettres  avec 
les  pays  étrangers;  ainsi  il  faut  chercher  quelque  autre  expédient  que 
celui  d'ouvrir  les  lettres  pour  découvrir  la  correspondance  des  mi- 
nistres. 

{Note  de  Rulhière  :  On  veut  éviter  l'inquisition  et  laisser  le  commerce 
libre.  —  On  contredit  ce  qu'on  fait.) 

IX.  A  M.  le  marquis  de  Seignelay. 

A  Versailles,  le  11  février  1686. 
Monsieur,  je  vous  envoyai  le  mois  dernier  la  copie  d'une  lettre 
que  le  roy  avoit  résolu  qui  seroit  écritte  à  tous  messeigneurs  les 
archevêques  et  les  évêques  du  royaume  par  MM.  les  secrétaires 
d'Etat,  chacun  dans  son  département,  afin  qu'ils  apportassent  dans 
leurs  diocèses  les  remèdes  les  plus  convenables,  non-seulement  pour 
que  les  convertis  n'eussent  plus  chez  eux  des  Bibles  de  Calvin  et 
autres  concernant  sa  fausse  doctrine,  mais  aussi  pour  leur  faire 
perdre  l'habitude  de  chanter  en  particulier  les  Psaumes  de  Marot, 
et,  par  la  même  lettre,  il  leur  étoit  marqué  que  Sa  Majesté  avoit 
ordonné  à  M.  Pélisson  de  ne  point  envoyer  dans  les  provinces  de 
livres  contenant  la  traduction  en  vers  des  Psaumes  faite  par  feu 
M.  Godeau,  évêque  de  Vence,  crainte  que  cela  n'entretînt  les  nou- 
veaux catholiques  dans  la  forme  de  chanter  les  Psaumes  en  com- 
mun et  en  langue  vulgaire,  qui  les  détourne  des  cérémonies  et  autres 
prières  usitées  dans  l'Eglise.  Comme  un  évêque  de  Guyenne,  en  me 
répondant  sur  ce  dernier  article,  m'a  mandé  qu'ayant  verbalement 


236  PIÈCES    SUR    LA    RÉVOCATION    DE    l'ÉDIT    DE   NANTES. 

fait  deffenses  à  quelques  libraires  de  son  diocèse  de  débiter  ledit 
livre,  ils  lui  ont  donné  avis  qu'on  i'imprimoit  à  Bordeaux,  notté  en 
musi(iue  sur  les  exemplaires  qu'on  a  envoyés  de  Paris  de  l'impres- 
sion de  Thierry.  J'en  ai  rendu  compte  à  Sa  Majesté,  laquelle  nfa 
ordonné  d'écrire  à  M.  de  Ris  de  le  supprimer  entièrement,  en  sorte 
qu'on  n'en  puisse  débiter,  et  nv'a  commandé  en  même  temps  de  vous 
avertir  de  prendre  ses  oidres  pour  la  suppression  dudit  livre  chez  le 
dit  Thierry.  Je  suis  toujours.  Monsieur,  votre  très  humble  et  très 
obéissant  serviteur. 

Signé  :  CiiATEAiNErF. 

X.  Rapport  mis  f^ous  les  yeux  de  Louis  XIV. 

"  Au  dos  de  la  minute  du  présent  rapport,  il  est  écrit  de  la  main  du  roi/  : 
Louvois,  Seignelay  et  Chasteauneuf.  »  {i\ote  de  B.) 

3  janvier  1686. 

Vous  savez.  Monseigneur,  en  quel  état  vous  laissâtes  hier  M.  Mon- 
ginot,  le  médecin;  mais  depuis  ce  temps-là,  j'ai  reçu  le  billet  dont 
voici  copie  que  j'ai  cru  que  vous  seriez  bien  aise  de  voir.  Celui  qui 
l'a  écrit  suit  de  près  la  Jambe  de  Bois  que  vous  avez  vu,  qui  l'informe 
de  toutes  les  démarches  du  sieur  Monginot,  et  de  ce  qui  se  passe 
dans  son  domestique,  on  peut  faire  fond  là-dessus  et  y  compter 
sûrement  (1). 

Il  y  a  plusieurs  gentilshonunes  de  Normandie  qui  se  cachent,  (\\\i 
cherchent  les  moyens  de  se  retirer  du  royaume  et  qui  tâchent  à  cet 
effet  d'engager  ou  de  vendre  le  tout  ou  en  partie  leurs  effets.  Un 
d'entre  eux  m'est  venu  voir  deux  fois  de  la  part  d'une  personne  de 
mes  amies  qui  me  l'a  adressé.  Je  l'ai  laissé  dans  les  sentimens  «lu'il 
doit  être  pour  (aire  profession  de  foy  au  premier  jour.  Il  s'appelle 
de  Cayeux  sieur  de  Mezières-le-Cadet,  il  est  d'auprès  d'Alençon  et 
à  ce  que  je  vois  sa  plus  grande  peine  est  de  savoir  s'il  plaira  au  roy 
de  le  faire  recevoir  dans  sa  compagnie  des  chevaux-légers.  Il  a  été 
autrefois  dans  les  gendarmes  d'où  il  n'est  sorti,  à  ce  qu'il  dit,  (pie 
par  sa  religion.  S'il  plaisoit  à  Sa  Majesté  de  s'expliquer  là-dessus, 
cela  avancera  bien  la  chose. 

Mademoiselle  la  princesse  de  Quinlin  a  auprès  d'elle  une  fille  de 

(1)  «  Un  vil  espionnaj^e  rendiiil  compte  du  tout  coqui  se  passait  duns  leurs  la- 
inilles,  et  res  espions »  (Note  inaclicvée  de  Uulhierc,  au  crayon,  à  la  marge.) 


PIÈCES    SUR    LA    RÉVOCATION    DE   l'ÉDIT    DE    NANTES.  237 

qualité  nommée  Mademoiselle  de  Vins,  de  la  province  de  Nivernais, 
proche  Clamecy,  dont  le  frère  est  capitaine  d'infanterie  dans  le  régi- 
ment de...  Cette  fille  est  sollicitée  dese  cacher  jusqu'à  ce  qu'elle  ait 
une  occasion  de  sortir  hors  du  royaume.  Une  personne  de  mérite  et 
d'esprit  la  détourne  de  ce  dessein,  l'engage  à  entendre  raison  sur  sa 
conversion,  et  m'a  assuré  que  s'il  plaisoit  au  roy  qu'on  lui  donnât 
Hne  fois  paie  vingt  ou  trente  pistoles  pour  se  retirer  chez  ses  parents, 
elle  feroit  dans  peu  de  jours  sa  profession  de  foy,  et  la  feroit  faire  à 
une  autre  fille  qui  est  encore  chez  Madame  de  Quintin.  pour  laquelle 
on  no  demande  rien.  Il  y  a  dans  la  rue  des  Ciseaux,  faubourg  Saint- 
Germain,  chez  un  ébéniste  une  femme  de  qualité  nommée  Madame 
de  Pontolin,  de  Normandie,  dont  le  mary  etune  de  ses  filles  se  sont 
tait  catholiques;  elle  a  avec  elle  une  de  ses  filles  bien  raisonnable, 
qui  voit  avec  chagrin  le  dessein  qu'a  sa  mère  de  se  cacher  jusqu'à 
ce  qu'elle  trouve  l'occasion  de  sortir  hors  le  royaume.  Si  Sa  Majesté 
trouvoit  bon  de  les  faire  retourner  en  sûreté  auprès  dudit  sieur  de 
Pontolin,  et  lui  faire  ordonner  de  s'en  charger  ce  seroit  le  moyen  le 
plus  innocent  pour  faire  revenir  ces  deux  personnes  de  leur  éga- 
rement. 

11  faudroit  aussi,  sous  le  bon  plaisir  de  Sa  Majesté,  s'assurer  de  la 
veuve  Gendreau  qui  se  cache,  qui  change  tous  les  quatre  jours  de 
lieu  oîi  elle  loge,  qui  a  tâché  de  suborner  un  de  ses  fermiers  géné- 
raux pour  lui  faciliter  son  voyage  en  Angleterre  ou  en  Hollande,  et 
qui  l'a  prié  de  retirer  chez  lui  tous  ses  meubles,  à  quoi  il  n'a  voulu 
consentir. 

Il  y  a  proche  les  Théatins,  à  la  Grenouillère,  un  nommé  Torse, 
Suisse  de  naissance,  naturalisé  français  depuis  dix  ans,  qui  pour  ne 
se  point  convertir  a  repris  depuis  peu  l'habit  suisse.  C'est  un  homme  à 
réduire  par  autorité,  car  il  est  mutin  et  séditieux. 

Les  irrévérences  qui  se  commettent  dans  les  églises,  principale- 
ment pendant  le  saint  sacrifice,  scandalisent  les  nouveaux  convertis 
et  empêchent  plusieurs  de  se  convertir;  elles  leur  font  dire  que  les 
catholiques  naturels  ne  croient  pas  la  présence  réelle,  parce  que  s'ils 
la  croyoientils  se  comporteroient  avec  plus  de  respect  et  de  dévotion 
dans  les  églises  (1).  Ils  regardent  même  cela  comme  une  profanation  à 
laquelle  on  ne  remédie  pas.  S'il  vous  plaisoit,  Monseigneur,  d'en 

(1)  Dans  les  grandes  villes,  les  (Note  de  R.  ut  suprù,  restée  inachevée). 


"ISS  PIÈCES    SUU    LA    RÉVOCATION    DE    l'ÉDIT    DE    NANTES. 

parler  et  de  faire  exécuter  la  déclaration  de  Sa  Majesté  vérifiée  en 
parlement,  qui  défend  de  se  promener  dans  les  églises,  d'y  être 
debout  et  d'y  causer,  cela  feroit  un  très  bon  effet.  Il  est  sur  que 
modestie  dansles  Eglises  est  un  éloquent  prédicateur  pour  persuader 
la  présence  de  notre  Seigneur  dans  le  saint  sacrement  (1). 

Il  y  a  des  soldats  aux  gardes  qui  ont  déterré  depuis  peu  les  hugue- 
nots qu'on  avoit  enterrés  dans  la  plaine  de  Grenelle,  les  ont  dépouillés 
et  les  ont  exposés  nuds,  et  joint  les  corps  de  différents  sexes  avec 
des  postures  indécentes  qui  blessent  l'honncfeté.  Au  fond,  ce  sont 
des  corps  de  chrétiens,  que  nous  reconnaissons  pour  l'être,  qu'on  doit 
traiter  avec  plus  de  charité.  Ce  désordre  est  grand  dans  tous  les  fau- 
bourgs, et  il  mérite  attention. 

M.  de  la  Mothe  d'Argelos,  capitaine  dans  le  régiment  de  Lan- 
guedoc, duquel  vous  avez  ce  matin,  Monseigneur,  reçu  l'abjuration, 
supplie  très  humblement  Sa  Majesté  de  faire  grâce  à  M.  de  Bachelet, 
son  beau-frère,  capitaine  dans  le  régiment  de  la  Sarre,  qui  a  été  pris 
|)ar  M.  de  la  Bretache.  Il  ne  doute  pas  qu'il  ne  soit  très  repentant 
de  son  crime,  qu'il  supplie  très  respectueusement  Sa  Majesté  de  lui 
pardonner  après  qu'il  sera  fait  catholique. 

Ledit  sieur  de  la  Mothe  assure  que  s'il  plaît  à  Sa  Majesté  de  lui 
faire  espérer  cette  grâce,  il  s'en  retournera  à  Meiz  d'où  il  est  venu 
icy  exprès  pour  la  demander,  et  il  espère  d'y  servir  si  utilement  Sa 
Majesté  que  dans  peu,  il  n'y  aura  que  peu  ou  [)oint  de  huguenots  qui 
ne  se  convertissent.  Il  fonde  cela  sur  l'estime  et  la  croyance  qu'il 
s'est  acquis  sur  leurs  esprits,  pourvu  que  pendant  quinze  jours  on 
tienne  sa  conversion  secrète. 

XI.   Noie  de  llalldèrc. 

«  Différenles  listes  (le  ciilvinislesciui  suiileneore  à  k'aris,  et  avec  les(iiicls 
tics  personnes,  auteurs  de  ces  listes  et  (jui  ne  s'y  sunt  pas  nommées,  oui 
coid'éré  ponr  savoir  leur.s  S('iilimeiils  :  f|uel(iiies-uiis  oui  iimniis  de  se  coii- 
vcrlir,  d'autres  sont  notés  comme  opiiiiûlres,  (|iiel(iues  autres  ont  demandé 
du  temps  et  le  secret.  Les  auteurs  des  listes  pioiioseiit  d'eu  envoyer,  l'un 
dans  une  li  ii:'  (pi'il  a  eu  pr(»vince,  d'en  chasser  un  autre  ([u'ils  iudiiiuent 
pour  faire  «  xcmph^,  d'envoyer  un  mari  et  uiu'  femme  dans  di'S  lii'ux  diU'é- 

M}  \'A  ils  s'(''loiin;tic  lit  (iii'oii  ciU  mis  laiil  de  /.c'r  à  li;s  faire  cniiiiMsser  une 
retiLîion  k  liupiellu  ucux-méiiies  qui  la  proiessaieulsuiubliiienl  iio  [las  croire.  (Noie 
(le  H.,  ut  sujuà.) 


MÉMOIRE    DU   ROY    AUX    INTENDANS    ET    COMMISSAiaES.  239 

rents.  Dans  ces  listes,  qui  se  montent  à  une  centaine  de  personnes,  on  voit 
les  noms  des  principales  personnes  qui  exercent  aujourd'hui  la  banque  dans 
Paris,  et  qui  sont  encore  connues  comme  protestantes.  » 


ffîÉRlOIRE  DU  BOY  AUX  IHTËIIDAHS  ET  COifSHIISSAIRES 

DÉPARTIS  DAiS"S  LES  PROVINCES   ET   GÉNÉRALITÉS  DU  ROYAUME 
POUR  LEUR  SERVIR  D'iNSTRUGTION  (1). 

3  699. 

Quoique  les  intentions  du  roy  sur  tout  ce  qui  regarde  l'interdiction 
de  l'exercice  de  la  religion  prétendue  réformée,  le  culte  de  la  religion 
catholique,  apostolique  et  romaine,  et  les  obligations  tant  des  anciens 
catholiques  que  des  nouveaux  convertis,  soient  clairement  marquées 
dans  la  déclaration  du  13  décembre  1698;  néanmoins,  Sa  Majesté  a  jugé 
à  propos  d'y  joindre  la  présente  instruction  pour  les  intendans  et 
commissaires  départis  dans  les  provinces,  afin  qu'ils  connoissent  ce 
qu'elle  exige  particulièrement  de  leurs  soins  dans  l'exécution  de  cette 
déclaration. 

Tous  les  sujets  du  roy,  étant  à  présent  réunis  dans  le  sein  de  l'E- 
glise, Sa  Majesté  a  du  devoir  établir  des  règles  communes  et  uni- 
formes, tant  pour  les  nouveaux  convertis  que  pour  les  anciens  catiio- 
liques,  sans  aucune  différence  ni  distinction;  elle  veut  aussi  que  les 
iniendans  et  commissaires  départis  tiennent  la  même  conduite  et 
qu'ils  s'apphqueut  à  faire  observer  également  ces  règles  par  les  uns 
et  par  les  autres  :  outre  que  le  bon  exemple  des  anciens  catholiques 
contribuera  beaucoup  à  affermir  les  nouveaux  convertis  dans  la  foy 
de  l'Eglise  et  dans  la  pratique  de  ses  loix;  il  est  encore  important 
qu'ils  tâchent,  par  cette  uniformité,  de  faire  perdre  peu  à  peu  aux 
nouveaux  convertis  le  souvenir  de  leur  ancienne  séparation,  de  les 
accoutumer  à  se  regarder  comme  ne  faisant  qu'un  même  corps  avec 
les  catholiques,  et  d'éviter  soigneusement  tout  ce  qui  pourroit  ré- 
veiller en  eux  des  idées  de  schisme  et  de  division. 

Dans  les  premières  années,  après  la  révocation  de  l'Edit  de 
Nantes,  le  roy  a  chargé  directement  les  intendans  et  ses  commis- 
saires départis  de  tout  ce  qui  regardoit  la  religion  et  la  conduite  des 

(1)  Cette  pièce  fait  aussi  partie  du  Recueil  de  Kultiière  (t.  11,  p.  228.)  Il  l'avait 
tirée  du  Dépôt  du  Louvre.  Klle  se  rattactie  à  celles  qui  précèdent. 


240  MÉMOIRE    DU    ROY    AUX   INTENDANS    ET   COMMISSAIRES. 

nouveaux  convertis;  il  y  avoit  dans  ces  commencemens  et  dans  la 
conjoncture  d'un  si  heureux  changement,  une  infinité  de  choses  qui 
dépendoient  phis  de  rœconomie  et  de  la  direction  que  de  la  justice 
distributive  et  de  l'ordre  judiciaire,  et  celles  même  qui  sembloicnt  avoir 
quelque  raport  à  celte  dernière  fonction,  ne  pouvoient  être  réglées 
que  par  une  autorité  prompte  et  sommaire,  non  sujete  aux  longueurs 
et  aux  suites  des  appellations;  on  n'a  pas  pu  changer  pendant  la 
guerre  un  ordre  si  nécessaire,  mais  à  présent,  que  par  la  paix  toutes 
les  parties  du  royaume  doivent  être  remises  dans  leur  état  naturel, 
l'intention  du  roy  est  que  les  intendans  et  commissaires  départis 
laissent  agir  les  officiers  des  justices  royales  et  ceux  des  seigneurs 
particuliers  dans  les  cas  qui  leur  sont  attrib\iés,  surtout  ce  qui  peut 
être  de  l'exécution  tant  de  l'édit  du  mois  d'octobre  1685  et  du  13  dé- 
cembre 1698,  ainsi  que  sur  toutes  les  autres  matières  delà  justice 
ordinaire,  sauf  l'appel  aux  Parlemens. 

Ces  édits  et  particulièrement  la  dernière  déclaration,  devant  avoir 
leur  entière  exécution  en  tous  les  lieux  du  royaume  et  faisant  partie 
de  la  police  générale  qui  doit  être  observée  en  tous  les  temps  et  par 
toutes  sortes  de  personnes;  le  soin  de  veiller  à  un  si  grand  détail  ne 
peut  être  commis  à  un  trop  grand  nombre  d'officiers  qui  seront  plus  à 
portée  de  découvrir  les  contraventions,  de  les  réprimer  et  de  les  punir. 

Le  roy  ne  veut  pas  néantmoins  que  les  intendans  et  commissaires 
départis,  perdent  entièrement  de  vue  ces  sortes  d'affaires,  et  Sa 
Majesté  leur  recommande  à  cet  égard  deux  choses  en  général. 

L'une  est  d'exciter  le  ministère  de  ces  officiers  d'avoir  une  grande 
attention  sur  leur  conduite,  et  de  prendre  garde  que  d'un  côté,  ils 
ne  tolèrent  pas  par  leur  négligence  et  ne  favorisent  peut-être  pas  par 
leur  connivence,  des  désordres  contraires  à  ces  édits  et  déclarations, 
et  (juc  de  l'autre  ils  ne  fassent  pas  par  des  démarches  imprudentes 
dégénérer  leur  vigilance  en  vexation. 

L'autre  est  s'il  arrive  des  occasions  extraordinaires  et  éclatantes, 
oii  les  intendans  et  commissaires  dé|)artis  croyent  qu'un  prompt 
exemple  est  nécessaire,  ou  dans  lesquelles  les  juges  i\u\  en  doivent 
connoîtrc,  sont  suspects,  d'en  informer  Sa  Majesté  afin  qu'elle  leur 
donne,  si  <llc  le  juge  à  propos,  les  ordres  et  le  pouvoir  dont  ils 
auioiil  besoin  pour  y  pourvoir. 

Après  avoir  expliqué  aux  intendans  et  connuissaires  départis,  les 
principes  généraux  sur  lesquels  ils  doivent  régler  leur  conduite  en 


MÉMOIRE    Df    ROY    AUX    INTENDANS    ET    COMMISSAIRES.  2il 

ces  matières^  Sa  Majesté  a  jugé  nécessaire  de  leur  marquer  aussi  en 
détail,  ce  qu'elle  désire  qu'ils  fassent  sur  chacun  des  principaux  ar- 
ticles contenus  dans  la  déclaration  du  13  décembre  1698. 

Le  roy  étant  informé  qu'une  des  choses  qui  contribue  le  plus  à 
entretenir  dans  l'esprit  de  plusieurs  nouveaux  convertis,  un  reste  de 
penchant  secret  vers  leurs  anciennes  erreurs,  est  l'espérance  dont  ils 
se  flattent  du  rétablissement  de  quelque  portion  d'exercice  de  la 
religion  prétendue  réformée,  Sa  Majesté  veut  que  les  intendans  et 
commissaires  départis  s'appliquent  particulièrement  à  les  désabuser 
de  cette  fausse  impression,  que  les  ministres  fugitifs  leur  ont  inspirée 
et  qu'ils  tâchent  de  fomenter  par  leurs  lettres  et  leurs  libelles. 

Gomme  rien  n'est  plus  propre  à  les  détromper  que  l'exécution 
sévère  des  édits  et  déclarations  qui  deff"endent  les  assemblées,  des 
attroupemens,  les  prêches  et  généralement  tout  exercice  de  la  reli- 
gion prétendue  réformée,  les  intendans  et  commissaires  départis  tien- 
dront exactement  la  main,  si  ces  cas  arrivent,  à  ce  que  les  officiers 
de  justices  royales  en  informent,  qu'ils  décrètent  contre  les  coupables 
et  qu'ils  instruisent  et  jugent  les  procès  suivant  toute  la  rigueur  des 
ordonnances. 

Le  roy  fait  savoir  sur  cela  ses  intentions  aux  premiers  présidens 
et  procureurs  généraux  des  parlemens,  et,  charge  les  derniers  de 
se  faire  remettre  par  leurs  substituts  dans  les  bailliages  et  autres 
sièges  inférieurs  les  extraits  de  ce  qui  résultera  des  informations  faites 
en  ces  cas,  à  mesure  qu'ils  seront  arrivés,  avec  ordre  aux  procureurs 
généraux  d'envoyer  au  secrétaire  d'Etat  ayant  le  département  delà 
province,  les  extraits  de  celles  qui  contiendront  des  faits  graves  et 
ezquels  il  écherra  peine  capitale,  afin  que  sur  le  compte  qui  en  sera 
rendu  à  Sa  Majesté,  elle  puisse  non-seulement  connoître  si  les  juges 
auront  fait  justice,  mais  encore  profiter  des  connoissances  générales 
qu'elle  aura  par  cette  voye,  de  ce  qui  se  passera  de  plus  consi- 
dérable en  cette  matière  dans  toute  l'étendue  de  son  royaume,  pour 
y  pourvoir  par  les  expédients  généraux  qu'elle  jugera  les  plus  con- 
venables. 

Et  pour  concourir  à  la  même  fin,  Sa  Majesté  veut  aussi  que  les 
intendans  et  commissaires  départis  se  fassent  remettre  par  les  pro- 
cureurs du  roy  des  justices  royales,  de  pareils  extraits  des  informa- 
tions faites  sur  ces  matières,  et  qu'ils  donnent  avis  au  secrétaire 

d'Etat  des  contraventions  qui  leur  paraîtront  les  plus  fortes,  de  ceux 

XIII.  —  16 


242  MÉMOlllE    DU    KOY    ALX    INTENDANS    ET    CO.MMISSAIRES. 

qui  peuvent  y  avoir  eu  part  directement  ou  indirectement,  et  qui 
ne  sont  pas  nommés  dans  les  informations,  et  des  autres  circonstances 
qui  peuvent  rendre  le  crime  plus  ou  moins  grave. 

Le  roy  entend  qu^il  en  soit  usé  de  même  pour  les  irrévérences 
envers  le  saint  sacrement,  les  profanations  des  choses  saintes,  les 
insultes  contres  les  ecclésiastiques,  les  impiétés  et  autres  cas  sem- 
blables qui  blessent  le  respect  dû  à  la  Majesté  divine,  à  la  religion 
catholique  et  à  ses  ministres,  voulant  que  ces  sortes  d'attentats  soient 
réprimés  avec  toute  la  sévérité  et  l'éclat  nécessaires,  pour  inspirer 
l'honeur  de  ces  crimes  et  en  prévenir  au  moins  par  la  crainte  les 
suites  dangereuses. 

S'il  y  a  des  dogmatisans,  des  chefs  de  parti,  des  gens  qui  inti- 
mident les  nouveaux  convertis,  qui  répandent  et  distribuent  les 
lettres  et  écrits  des  ministres  de  la  religion  prétendue  réfurrnée,  et 
autres  libelles  tendans  à  sédition  et  à  entretenir  l'esprit  de  schisme 
et  d'erreur,  les  intendans  et  commissaires  départis  en  doimeront  avis 
au  secrétaire  d'Etat  pour  en  rendre  compte  au  roy,  et  pourront 
cependant  les  l'aire  arrèier  s'ils  le  jugent  à  propos. 

Si  dans  les  lieux  où  le  nombre  de  nouveaux  convertis  est  grand, 
on  examine  bien  ce  qui  les  empêche  presque  tous  de  remplir  les  de- 
voirs de  la  religion  catholique,  on  trouvera  qu'ils  n'en  sont  détournés 
contre  leur  propre  volonté,  que  par  l'autorité,  l'impression  et 
l'exemple  de  quelques-uns  des  principaux  et  des  plus  riches  des 
mêmes  lieux,  obstinés  dans  leurs  anciennes  erreurs,  qui  leur  ont 
prêté  de  l'argent,  qui  leur  donnent  de  l'emploi  et  de  (juoi  gagner 
leur  vie,  et  qui  les  tiennent  dans  leur  dépendance  par  quelque  autre 
moyen.  Le  roy  veut  que  les  intendans  et  commissaires  départis  décla- 
rent eux-mêmes  fortement  aux  personnes  accréditées,  qu'ils  les  ren- 
dront responsables  de  toutes  les  suites  de  leur  mauvaise  conduite, 
et  faute  par  eux  de  profiter  des  avertissemens,  ils  en  informeront 
Sa  Majesté  pour  y  être  par  elle  pourvu. 

Le  roy  a  été  averti  qu'il  y  a  en  plusieurs  villes  des  espèces  de  con- 
sistoires secrets  qui  représentent  encore  la  forme  de  gouvernement 
pratiquée  dans  la  religion  prétendue  réformée,  en  entretiennent 
l'esprit  dans  les  nouveaux  convcrlis  des  mêmes  villes  et  conservent 
des  correspondances  et  des  liaisons  avec  do  pareils  consistoires  qui 
sont  en  d'autres  villes;  le  roy  veut(iuc  les  intendans  etcommissai.es 
départis  s'apli(iucnt  exactement  à  découvrir  les  noms,  les  cabales. 


MÉMOÎRK    DU    lUn    ALX    INTEKDANS    ET    COMMISSAIRES.  2i3 

et  les  relations  de  ceux  qui  composent  ces  sortes  de  conveiiticules  et 
qu'ils  en  informent  Sa  Majesté,  afin  qu'elle  y  pourvoye  avec  toute 
la  sévérité  que  mérite  une  telle  contravention  à  ces  ordres.  Le  roy 
a  été  informé  qu'en  certains  endroits  quelques  officiers  peu  éclairés 
avoient  voulu   par  un  faux  zèle  obliger  les  nouveaux  convertis  à 
s'aprocher  des  sacremcnS;,  avant  qu'on  leur  eût  donné  le  temps  de 
laisser  croître  et  fortifier  leur  foy.  Sa  Majesté,  qui  sait  qu'il  n'y  a 
point  de  crime  plus  grand,  ni  plus  capable  d'attirer  la  colère  de  Dieu 
que  le  sacrilège,  a  cru  devoir  déclarer  aux  intendans  et  commissaires 
départis  qu'elle  ne  veut  point  qu'on  use  d'aucune  contrainte  contre 
eux,  pour  les  porter  à  recevoir  les  sacremens.    Il  n'y  a  point  de 
différence  à  faire  à  cet  égard  entre  eux  et  les  anciens  catholiques. 
Les  magistrats  doivent  laisser  aux  supérieurs  ecclésiastiques  et  aux 
confesseurs,  le  soin  de  discerner  les  dispositions  intérieures  de  ceux 
(iu'ils  jugent  suivant  les  règles  de  l'Eglise  pouvoir  être  admis  à  la 
participation  des  sacremens.  Et,  quant  aux  intendans  et  aux  com- 
missaires départis,  ils  se  renferment  à  cet  égard   dans  ce  qui  est 
porté  par  la  déclaration  du  13  décembre  1698,  et  par  la  suite  de  la 
présente  instruction. 

Ils  tiendront  la  main  à  ce  que  les  médecins,  chirurgiens  et  apo- 
tiquaires  qui  verront  des  malades,  soit  nouveaux  convertis,  soit 
anciens  catholiques  en  danger,  en  avertissent  les  curés,  vicaires  ou 
autres  ecclésiastiques  attachés  au  service  des  paroisses;  ils  employè- 
rent leur  autorité  si  besoin  est,  et  obligeront  les  officiers  des  lieux  à 
prêter  la  leur,  pour  donner  aux  curés  et  autres  ecclésiastiques  la 
liberté  toute  entière  de  visiter  le  malade,  de  l'entretenir  seu!  et  exa- 
miner ses  dispositions,  pour  en  user,  à  l'égard  des  sacremens  selon 
les  règles  de  l'Eglise,  et  ils  les  exhorteront  à  se  conduire  en  ces 
occasions  avec  toute  la  prudence  et  la  sagesse  qui  convient  à  leur 
ministère. 

Le  roy  a  été  averti  que  quelques-uns  des  nouveaux  convertis  mal 
intentionnés,  osent  aller  dans  les  maisons  des  malades  aussy  nou- 
veaux convertis  pour  les  exhorter  à  mourir  dans  les  sentiments  de 
la  R.  P.  R.,  ou  après  que  les  curés  ou  autres  ecclésiastiques  en  sont 
sortis  ils  affectent  de  s'y  rendre  pour  abuser  de  la  faiblesse  des 
malades,  et  détruire  en  eux  les  bonnes  impressioins  qu'ils  ont  reçues; 
les  intendans  et  les  commissaires  départis  veilleront  avec  une  très 
grande  attention  sur  la  conduite  de  ces  faux  zélés,  et  si  après  les 


244  MÉMOIRE    DC    ROY    AUX    INTENDANS    ET    COMMISSAIRES. 

deffenses  très  expresses  qu'ils  leur  feront  d'aller  chez  les  malades 
dont  ils  ne  seront  pas  très  proches  parens,  ils  apprennent  qu'ils  y 
ont  contrevenu,  ils  en  informeront  Sa  Majesté,  pour  y  être  pourvu 
avec  toute  la  rigueur  que  leur  désobéissance  aura  méritée. 

Le  roy  a  eu  pour  objet  principal  dans  la  révocation  de  l'Edit  de 
Nantes  et  dans  les  soins  que  Sa  Majesté  a  pris  pour  les  conversions, 
le  salut  d'un  si  grand  nombre  de  ses  sujets  que  le  malheur  de  la 
naissance  et  les  préjugés  de  l'éducation  avoient  engagés  dans  l'hé- 
résie :  il  a  plu  à  Dieu  d'éclairer  l'esprit  et  de  toucher  le  cœur  de 
plusieurs  d'entre  eux  qui  édifient  a\ijourd'hui  l'Eglise  par  leur  piété 
et  par  leurs  bons  exemples;  mais  Sa  Majesté  sçait  qu'il  y  en  a  d'au- 
tres qui  ne  sont  pas  encore  bien  affermis  dans  la  foy  catholique,  et 
qui  ont  de  la  peuie  à  en  prendre  l'esprit  et  les  maximes.  L'amour 
paternel  de  Sa  Majesté  pour  tous  ses  sujets,  fait  qu'elle  s'attendrit 
particulièrement  sur  ceux-ci  par  la  compassion  de  leur  état;  ainsi 
ses  soins  el  ses  désirs  ne  se  bornent  pas  à  la  seule  satisfaction  de  leur 
voir  observer  les  pratiques  extérieures  de  la  religion  catholique;  ils 
vont  jusqu'à  tâcher  de  procurer  par  toutes  sortes  de  moyens  la 
sincère  et  parfaite  conversion  de  leurs  cœurs.  Mais  Sa  Miijesté 
reconnoît  en  même  tems  que  ce  changement  est  l'ouvrage  de  la  droite 
du  Très-Haut  et  le  fruit  de  sa  parole,  et  comme  cette  sainte  parole 
ne  se  communique  que  par  la  voye  de  l'instruction  faite  au  nom  et 
avec  la  mission  de  l'Eglise,  le  roy  veut  que  les  intendans  et  les  com- 
missaires départis  donnent  aux  archevesqucs  et  évesques  qui  en  sont 
les  dispensateurs,  tous  les  secours  dont  ils  auront  besoin  pour  s'ac- 
quiler  de  cette  partie  si  importante  de  leur  devoir. 

Quoique  les  instructions  regardent  principalement  les  nouveaux 
convertis,  il  est  important  néantmoins  que  les  anciens  catholiques  y 
assistent  le  plus  exactement  qu'ils  pourront;  ils  le  doivent  faire  pour 
leur  propre  sanctification,  mais  ils  le  doivent  encore  pour  donner 
l'exemple  aux  premiers.  Le  roy  veut  donc  que  les  intendans  et  com- 
missaires départis  tiennent  la  main  à  faire  en  sorte  que  les  uns  et  les 
autres  s'y  rendent  assidus.  Sa  Majesté  souhaite  qu'ils  le  fassent  libre- 
ment et  volontairement,  mais  elle  se  réserve  en  cas  de  refus  et 
d'opiniâtreté,  à  employer  son  autorité  pour  les  y  obliger. 

S'il  y  a  des  lieux  où  les  curés  ne  soient  pasen  état  par  leur  âge,  leurs 
infirmités  ou  autres  einpêchemens  de  faire  autant  d'instructions  qu'il 
seroit  nécessaire,  par  raport  a  1  étendue  des  paroisses,  ou  au  nombre 


MÉMOIRE    DU    ROY  AUX    INTENDANS    ET    COMMISSAIRES.  245 

des  habitans,  les  archevêques  et  évêqnes  pourront  ménager  leur 
consentement  à  la  résignation  de  leurs  cures,  en  faveur  de  personnes 
capables,  par  permutation  avec  des  bénéfices  simples,  ou  moyennant 
des  pensions;  et  cependant  pour  supléer  au  défaut  des  curés  en  cette 
partie  de  leurs  fonctions,  y  envoyer  d'autres  prêtres,  dont  le  royfera 
payer  la  rétribution  pour  le  tems  qu'ils  auront  été  employés  à  faire 
les  instructions  sur  les  avis  qui  en  seront  donnés  à  Sa  Majesté,  par 
les  archevêques  et  évêques  et  par  les  intendans  et  commissaires 
départis- 
Les  intendans  et  les  commissaires  départis  connoîtront,  par  la 
déclaration  particulière  qui  a  été  faite  pour  les  séminaires,  le  désir 
que  le  roy  a  d'en  procurer  l'augmentation;  et  conmie  une  des  prin- 
cipales utilités  de  cet  étabUssement,  est  de  former  des  ecclésiastiques 
et  de  les  rendre  capables  d'instruire  les  peuples  et  principalement 
les  nouveaux  convertis,  Sa  Majesté  ordonne  aux  intendans  et  com- 
missaires départis,  d'examiner  avec  les  archevêques  et  évêques  les 
moyens  qui  se  pourront  prendre  soit  pour  augmenter  le  fond  des  sé- 
minaires qui  sont  déjà  établis,  soit  pour  en  établir  dans  les  diocèses 
où  il  n'y  en  a  pas  et  où  ils  seront  jugés  nécessaires,  d'y  concourir  en 
tout  ce  qui  dépendra  de  leurs  soins  et  d'envoyer  au  secrétaire  d'Etat 
leur  avis,  sur  tous  les  secours  qu'elle  y  pourra  donner  par  son  auto- 
rité, pour  sur  le  raport  qui  lui  en  sera  fait,  y  être  pourvu  ainsi  qu'il 
appartiendra. 

Afin  de  faire  cesser  tout  ce  qui  pourroit  servir  d'occasion  aux  peu- 
ples pour  les  détourner  de  leur  devoir,  les  intendans  et  commissaires 
départis  auront  soin  d'empêcher  que  les  foires  et  les  marchés  ne  se 
tiennent  les  fêtes  et  les  dimanches,  et  de  faire  que  les  cabarets  soient 
fermés  les  mêmes  jours  pendant  les  heures  du  service  divin  et  des 
instructions.  Us  recommanderont  aux  juges  des  lieux  et  officiers  de 
poHce,  d'y  tenir  la  main  et  d'y  pourvoir,  en  cas  de  contravention, 
conformément  aux  anciennes  ordonnances  et  à  la  déclaration  parti- 
culière du  13  décembre  1698. 

S'il  arrive  qu'il  y  ait  des  gens  assez  hardis  pour  oser  détourner  par 
menaces  ou  autres  voyes  publiques  les  nouveaux  convertis  d'assister 
aux  instructions  et  de  remplir  les  autres  devoirs  de  la  religion,  le 
roy  enjoint  aux  intendans  et  commissaires  départis  de  les  faire 
arrêter,  pour  leur  être  le  procès  fait  par  les  juges  qui  en  doivent 
connoître  à  la  diligence  des  procureurs  de  Sa  Majesté. 


246  MÉMOIRE   DU    ROY    AUX    INTENDAKS   ET    COMMISSAIRES. 

Ceux  qui  sont  détenus  dans  les  prisons,  pour  crimes  ou  pour 
dettes,  ne  pouvant  aller  aux  instructions,  ne  doivent  pas  en  être 
privés,  leur  état  les  rend  peut-être  même  plus  disposés  à  en  protiter; 
les  interidans  et  commissaires  départis  donneront  et  feront  donner 
par  tous  les  magistrats  qui  ont  quelque  inspection  et  quelque  autorité 
sur  les  prisons  des  présidiaux  et  autres  justices  royales  et  subal- 
ternes, les  ordres  nécessaires  pour  y  donner  l'entrée  aux  curés  et 
ecclésiastiques  qui  seront  chargés  par  les  archevêques  et  cvêques  de 
consoler  et  d'instruire  tous  les  prisonniers,  soit  anciens  catholiques 
ou  nouveaux  convertis,  en  prenant  néantmoins  les  précautions 
nécessaires,  à  l'égard  des  accusés  des  crimes  capitaux  qui  n'auront 
pas  encore  subi  la  confrontation  des  témoins. 

L'attention  du  roy  sur  tout  ce  qui  regarde  le  bien  spirituel  des 
peuples,  l'oblige  d'étendre  ses  soins  jusqu'aux  enfans,  dont  l'éduca- 
tion dans  la  piété  et  les  bonnes  mœurs,  est  si  utile  à  la  religion  et  à 
l'Etat.  Le  premier  devoir  des  pères  et  des  mère§,  est  de  les  faire 
porter  à  réglise  pour  y  être  batisés  :  les  intendans  et  comnqiissaires 
départis  chargeront  les  magistrats  et  officiers  d'y  tenir  exacte- 
ment la  main,  et  d'obliger  les  sages-femmes  et  autres  personnes 
qui  assistent  les  fcnimes  dans  leurs  accouchements,  de  satisfaire  à 
l'ordre  qu'elles  ont  d'avertir  les  curés  de  la  naissance  des  enfans 
soit  qu'ils  soient  nés  de  parons  anciens  cathohques  ou  nouveaux 
convertis. 

I.es  intendans  et  copirpissaires  départis  auront  soin  de  s'informer 
dans  tous  les  lieux  de  leurs  départemens,  s'il  y  a  des  maîtres  et  des 
maîtresses  d'écolo  pour  l'instruction  des  enfans  et  s'ils  saquitent  bien 
tle  cette  fonction.  Et  en  cas  qu'il  n'y  eu  ait  point  en  quelques  lieux, 
il§  prencjroni  les  ;;  esures  nécessçiires  pour  y  en  établir,  soit  sur  le 
fond  des  deniers  communs  et  d'octroy,  soit  par  imposition,  soi!  par 
les  contributions  volontaires  des  particuliers,  soit  par  les  autres 
voyes  qui  se  prcseuterout. 

Ils  veilleront  soigneusement  à  ce  qi^e  les  maîtres  et  maîtresses 
d'école  soient  sages,  de  bonnes  mœurs,  capables,  et  qu'ils  ayent 
l'aprohation  des  archcvê(|ues  et  évoques  diocésains. 

On  ne  dit  rien  ici  des  catéchismes  qu'ils  enseigneront  et  feront 
aprendre  aux  enfans,  ny  de  la  méthode  (ju'ils  tiendront  pour  leur 
inspirer  les  principes  et  les  prenners  élémens  de  la  religion  et  de  la 
morale  qui  leur  peuvent  convenir,  parce  que  c'est  un  détail  qui 


MÉMomE  DU  aoy  aux  intendans  et  commissaires.  247 

dépend  principalenaent  du  soin  et  de  l'inspection  des  archevêques  et 
évèques  et  des  curés  des  lieux. 

Les  parens  tant  anciens  catholiques  que  nouveaux  convertis  doi- 
vent envoyer  leur  enfans,  savoir  :  les  garçons  chez  les  maîtres  et  )es 
filles  chez  les  maîtresses  d'écoles^  aux  heures  réglées;  les  tuteurs 
doivent  faire  la  même  chose  pour  les  enfans  dont  ils  sont  chargés  et 
les  maîtres  pour  leur  domestiques;  les  intendans  et  commissaires 
départis  y  tiendront  exactement  la  main,  tant  par  eux-mêmes  que 
par  les  juges  et  officiers  des  lieux,  lesquels  ils  chargeront  d'y  veiller 
avec  une  aplication  suivie  et  continuelle  et  de  condamner  ceux  qui 
y  contreviendront  aux  peines  portées  par  la  déclaration  du  13  dé- 
cembre 1698. 

S'ils  ont  avis  que  quelques  parens  nouveaux  convertis  détournent 
leurs  enfans  de  la  religion  catholique,  par  promesses,  par  intimida- 
tions ou  autres  voyes  directement  ou  indirectement,  ils  y  pour- 
yoyeront  avec  toute  la  force  et  la  fermeté  nécessaires,  lorsqu'ils  juge- 
ront le  devoir  faire  par  eux-mêmes,  et  feront  mettre  dans  des  collèges 
ou  dans  des  monastères  les  enfans  de  qualité  à  y  être  élevés,  et  fe- 
ront payer  des  pensions  pour  leur  nourriture  et  entretenemenl  sur 
les  biens  de  leurs  pères  et  mères,  et  à  défaut  de  bien,  ils  les  feront 
mettre  dans  des  hôpitaux  pendant  le  tems  qui  sera  suffisant  pour 
leur  instruction  seulement;  ils  recommanderont  aux  juges  et  officiers 
d'en  user  de  môme  dans  l'étendue  de  leur  juridiction,  et  s'ils  ont 
besoin  de  leuF  autorité,  d'y  avoir  recours  sans  préjudice  de?  pour- 
suites qui  seront  faites  extraordinairement  contre  les  coupables  à 
la  diligence  des  procureurs  de  Sa  Majesté;  ils  feront  pareillement 
mettre  dans  des  «oîléges  ou  descouvens  ou  dans  des  maisons  catho- 
liques, les  enfans  dont  les  pères  et  mères  n'assisteront  pas  aux 
instructions  et  ne  feront  pas  le  devoir  de  catholiques,  après  qu'ils 
les  en  auront  avertis,  comme  aussi  les  enfans  qui  marqueront  par 
leurs  actions  et  parleurs  paroles  beaucoup  d'éloignemept  de  la  reli- 
gion catholique,  le  tout  aux  dépens  des  pères  et  mères,  en  faisant 
payer  des  pensions  sur  leurs  biens,  et  en  cas  de  pauvreté,  il  lesteront 
mettre  dans  des  hôpitaux  ainsi  qu'il  est  dit  cy-dessus. 

Et  pour  finir  tout  ce  qui  regarde  les  enfans,  les  intendans  et  com- 
missaires départis  s'apliqueront  pareillement  à  faire  en  sorte  que 
l'éducation  de  ceux  qui  n'ont  ny  pères  ny  mères,  ne  soient  confiée 
qu'à  des  parens  bons  catholiques  et  qu'il  ne  leur  soit  donné  que  des 


248  MÉMOIRE    DU    ROY    AUX    INTENDÀNS    ET    COMMISSAIRES. 

tuteurs  tels.  lis  s'informeront  même  de  la  conduite  des  tuteurs  qui 
ont  été  nommés  par  le  passé,  et  en  cas  qu'elle  ne  fût  pas  bonne,  ny 
conforme  aux  intentions  de  Sa  Majesté  sur  le  fait  de  la  religion,  ils 
exciteront  le  ministère  des  juges  ordinaires  pour  en  faire  nommer 
d'autres  dans  les  formes  accoutumées.  Et  si  les  enfans  n'ayant  ny 
pères  ny  mères,  n'avoient  point  de  biens  pour  subsister,  ils  les  feront 
mettre  dans  des  hôpitaux  et  autres  lieux  où  ils  soient  élevés  dans  la 
religion  catholique  et  où  ils  puissent  apprendre  à  travailler  et  à 
gagner  leur  vie. 

Et  néantmoins  s'il  y  a  des  enfans  dont  les  pères,  mères,  tuteurs 
et  curateurs,  ne  puissent  pas  payer  les  pensions  et  entretien  en  tout 
ou  en  partie  dans  tous  les  cas  cy-dessus  exprimés  et  qui  soient  de 
qualité  à  ne  devoir  pas  être  mis  dans  des  hôpitaux,  les  intendans  et 
commissaires  départis  en  rendront  compte  au  roy,  pour  y  être 
pourvu  par  Sa  Majesté  ainsy  qu'elle  jugera  à  propos. 

Le  roy  ayant  par  la  déclaration  du  13  décembre  1698,  chargé  les 
juges  ordinaires  de  tenir  la  main  à  toutes  les  dispositions  qui  y  sont 
contenues,  les  intendans  et  commissaires  départis  auront  un  grand 
soin  de  veiller  sur  ces  juges,  sur  les  maires  des  villes  et  sur  tous  les 
autres  officiers  principaux,  tant  de  Sa  Majesté  que  des  seigneurs 
haut  justiciers;  ils  s'informeront  le  plus  exactement  et  le  plus  fré- 
quemment qu'ils  pourront,  de  leur  conduite  particulière  et  publique, 
s'ils  mènent  une  vie  réglée  et  ocupée  de  leurs  devoirs,  s'ils  assi.^tent 
en  l'habit  de  leur  état  aux  messes  de  paroisse,  aux  offices  de  l'Eglise 
et  aux  instructions,  s'ils  satisfont  régulièrement  aux  autres  devoirs 
de  la  religion,  et  à  tout  ce  qui  leur  est  prescrit  par  les  ordonnances  et 
particulièrement  par  la  déclaration  du  13  décembre  1698;  et  en  cas 
de  négligence  notable,  ou  de  contravention  à  quelqu'une  de  ces 
choses,  s'ils  ne  se  corrigent  pas,  après  les  en  avoir  avertis,  ils  en 
donneront  avis  à  Sa  Majesté  pour  y  être  par  elle  pourvu  ainsy 
qu'elle  jugera  à  propos. 

Ils  s'informeront  pareillement  si  les  médecins,  chirurgiens,  apoti- 
(juaires  et  sages-femmes,  s'acquittent  des  devoirs  de  la  religion  ca- 
tholique et  de  ce  qui  leur  est  prescrit  par  la  déclaration  du  13  dé- 
cembre 1698.  Et,  en  cas  qu'ils  y  manquent,  ils  pourront,  après  les 
avoir  avertis  inutilement,  les  interdire  de  leurs  ronctiuns. 

I^e  roy  a  été  informé  que  plusieurs  de  ceux  qui  jouissent  des  biens 
des    religionnaires    sortis   du  royaume,  en  qualité  de   leurs   héri- 


MÉMOIRE   DU    ROY    AUX    INTENDANS    ET    COMMISSAIRES.  249 

tiers,  ne  sont  pas  mieux  convertis  que  ceux  à  qui  ils  ont  succédé, 
que  quelques-uns  même  prêtent  leur  nom  à  ces  religionnaires 
fugitifs,  et  leur  font  remettre  dans  les  pays  étrangers,  où  ils  se  sont 
retirés,  les  revenus  de  ces  biens.  Le  roy  veut  que  les  intendans  et 
commissaires  départis  examinent  soigneusement  la  vérité  de  ces  faits 
et  en  rendent  compte  à  Sa  Majesté,  et,  cependant,  s'ils  trouvent  que 
ceux  qui  jouissent  de  ces  biens,  ne  s'acquittent  pas  dos  devoirs  de  la 
religion,  après  en  avoir  été  avertis,  ils  donneront  les  ordres  néces- 
saires pour  en  faire  saisir  et  séquestrer  les  fruits. 

Au  surplus,  ils  tiendront  exactement  la  main  à  l'exécution  de 
toutes  les  dispositions  contenues  dans  la  déclaration  du  13  décembre 
1698,  encore  qu'elles  ne  soient  exprimées  particulièrement  dans  la 
présente  instruction. 

Ils  comprendront  assez  par  la  lecture  qu'ils  feront  de  l'une  et  de 
l'autre,  que  la  fin  que  le  roy  se  propose,  est  d'achever  la  conversion 
de  ceux  qui  faisoient  profession  de  la  religion  prétendue  réformée  et 
de  les  rendre  véritables  autant  qu'il  se  pourra,  et  qu'il  plaira  à  Dieu 
de  bénir  les  moyens  qui  y  seront  employés;  Sa  Majesté  est  d'ailleurs 
persuadée  qu'entre  les  instrumens  dont  on  se  peut  servir  utilement 
à  cette  fin,  il  n'y  en  a  guère  de  plus  propres  que  ceux  des  nouveaux 
convertis  dont  le  cœur  est  vraiment  touché,  et  qui  sont  également 
convaincus  de  la  fausseté  de  la  religion  qu'ils  ont  quittée  et  de  la 
vérité  de  celle  qu'ils  ont  embrassée.  Les  intendans  et  commissaires 
départis  ne  peuvent  rien  faire  de  plus  agréable  à  Sa  Majesté  que  de 
faire  agir  ces  sortes  de  personnes  auprès  de  leurs  parens,  de  leurs 
amis,  et  de  tous  ceux  qui  ont  quelque  confiance  en  eux,  pour  tâcher 
de  les  désabuser  de  leurs  anciennes  préventions  contre  la  religion 
catholique,  les  disposer  à  écouter  les  instructions  et  les  convaincre 
qu'ils  ne  peuvent  faire  leur  salut  que  dans  l'Eglise.  Ces  sortes 
d'exhortations  secrètes  et  domestiques  ne  seront  peut-être  pas  d'un 
moindre  fruit  que  celles  qu'ils  font  en  public  :  ceux  sur  qui  elles 
auront  fait  impression  en  attireront  d'autres  à  leur  tour,  et,  peu  à 
peu,  leur  effet  se  multipUant  par  un  heureux  progrès,  remplira 
abondamment  les  vœux  et  les  désirs  de  Sa  Majesté. 

Une  autre  chose,  qui  peut  beaucoup  contribuer  à  la  même  fin  et 
que  Sa  Majesté  recommande  très  expressément  aux  intendans  et 
commissaires  départis,  est  de  marquer,  en  toutes  manières,  une 
grande  distinction  en  faveur  des  nouveaux  convertis,  dont  la  bonne 


2§ô  MÉMOIRE    DU    ilOV    AUX    INTENDANS    ET    COMMISSAIRES. 

conduite  rendra  témoignage  de  la  sincérité  de  leur  conversion,  de 
leur  accorder  toutes  les  grâces  qui  pourront  dépendre  de  leur  auto- 
rité, et  de  leur  faire  espérer  tontes  celles  qu'ils  pourroient  désirer  de 
Sa  Majesté,  qui  sera  toujours  très  disposée  à  leur  faire  ressentir  des 
effets  de  sa  protection  et  de  sa  bienveillance,  lorsqu'ils  y  auront 
recours,  ce  qu'ils  pourront  faire  par  la  voyedes  intendans  et  des  com- 
missaires départis,  qui  se  chargeront  de  leurs  mémoires  et  demandes 
et  en  rendront  compte  à  Sa  Majesté. 

Les  intendans  et  commissaires  départis  doivent,  sur  toutes  choses, 
se  bien  mettre  dans  l'esprit  que  ce  n'est  pas  icy  l'affaire  d'un  jour  ny 
qui  puisse  être  consommée  par  un  effort  passager  et  par  'une  exécu- 
tion momentanée.  Elle  ne  doit  point  non  plus  être  entreprise  par  sail- 
lies, ny  par  secousses,  ny  par  des  mouvemens  violens  pendant  un 
tems  qui  se  rallentissent  dans  la  suite;  elle  a  besoin  d'une  aplica- 
tion  longue  et  suivie,  et  d'une  attention  continuelle.  Ils  y  donneront 
donc  toute  celle  qui  est  nécessaire  en  tout  tems,  en  tous  lieux,  ils  y 
aporteront  une  vigilance  toujours  égale,  sans  relàahe  ny  interrup- 
tion, ayant  incessamment  les  yeux  ouverts  sur  tout  ce  qui  se  passe 
dans  toute  l'étendue  de  leur  département  en  matière  de  religion, 
éclairant  de  près  la  conduite  des  magistrats,  officiers  et  autres  qui 
ont  quelque  autorité,  et  entrant  jusques  dans  la  connaissance  exacte 
de  celle  de  tous  les  particuliers  et  tâchant  de  les  porter,  par  tous  les 
divers  moyens  qui  sont  en  leurs  mains,  à  s'acquitter  fidèlement  des 
devoirs  qui  leur  sont  prescrits  par  la  déclaration  du  13  décembre 
1698.  Us  en  feront  leur  principale  et  plus  importante  occupation, 
assurés  que  c'est  par  cet  endroit,  plus  que  par  aucun  autre,  qu'ils 
se  distingueront  auprès  de  Sa  Majesté,  et  qu'ils  mériteront  d'elle  des 
marques  particulières  de  son  estime  et  de  sa  bienveillance. 

Enfin,  le  roy  désire  que  les  intendans  et  commissaires  départis 
s'entendent  avec  les  archevêques  et  évêques  sur  tout  ce  qui  est  eon- 
tenu  dans  la  présente  instniction,  qu'ils  ne  se  contentent  pas  d'en 
concerter  simplement  et  pour  une  seule  fois  avec  eux  l'exécution, 
mais  encore  qu'ils  la  suivent  par  une  relation  et  correspondance  con- 
tinuelle et  qu'ils  concourent  par  toutes  les  voyes  qui  sont  en  leur 
pouvoir,  à  seconder  leur  zèle  et  leurs  soins  pour  l'augmentation  du 
culte  de  Dieu  cl.  de  la  foy  ciitliolique  dans  le  royaume. 

Fait  à  Versiiilles,  le  7  juivicr  1001).  Signé  :  LOUIS,  et  plus  bas  : 

l'ilEI-UM'AIX. 


LA  FARIILLE  D'ASSAS. 

1693-174:8. 

Cette,  le  16  juillet  1864. 

Monsieur  le  Président,  j'ai  l'honneur  de  vous  transmettre  la  copie  de 
quatre  pièces  originales  que  j'ai  entre  les  mains.  Ce  sont  :  4"  Le  testament 
(l'un  M.  Lévesque  de  Ponronce,  et  comme  pièces  à  l'appui  :  t°  son  acte  de 
mariage  avec  Mademoiselle  Bénigne  de  Royère;  3"  l'acte  de  mariage  de 
sa  fille  Bénigne  de  Ponronce  avec  M.  Claude  d'Assas;  4°  l'acte  de  l)aptème 
de  Louis  Claude  d'Assas,  leur  fils. 

Le  testament  et  les  trois  autres  pièces  sont  écrites  en  anglais,  sur  par- 
chemin ou  papier  timbré  de  l'époque,  avec  la  traduction  française  en  re- 
gard. —  La  plus  remarquable,  le  testament,  est  sur  une  seule  feuille  en 
parchemin  carrée  de  80  centimètres  de  côté,  le  français  en  dessus  et  l'an- 
glais au-dessous,  en  beaux  caractères  gothiques;  c'est  sans  doute  la  fa- 
mille qui  a  fait  recopier  ce  document  avec  un  certain  lux(!.  Ces  pièces  me 
semblent  intéressantes  en  ce  qu'elles  servent  à  établir  comment  s'est  rat- 
tachée au  protestantisme  la  famille  d'Assas,  l'une  de  nos  familles  impor- 
tantes du  Midi. 

La  Finance  protestante  ne  parle  d'aucun  membre  de  la  famille  de  Pon- 
ronce. Je  n'ai  pas  en  ce  moment  l'ouvrage  sous  les  yeux,  et  je  ne  sais  pas 
s'il  y  est  question  d'une  famille  de  Royère.  Quoi  qu'il  en  soit,  M.  Louis 
Lévesque  de  Ponronce  a  dû  être  militaire  et  a  dû  émigrer  de  bien  bonne 
heure  s'il  n'est  point  né  en  Angleterre,  puisqu'il  se  marie  le  16  juin  1603 
et  fait  son  testament  en  1743. 

Mademoiselle  Bénigne  de  Ponronce,  sa  fille,  est  devenue,  le  18  dé- 
cembre 1724,  la  femme  d'un  Claude  d'Assas,  qui  est  sans  doute  le  même 
que  celui  dont  parle  la  France  protestante,  t.  IV,  p.  206,  le  seul  membre 
de  la  famille  d'Assas  dont  il  y  soit  fait  mention. 

PourquoiM.de  Ponronce  déshérite-t-il  Louis-Claude  d'Assas,  son  petit- 
fils?  Ne  serait-ce  pas  parce  qu'il  est  rentré  en  France,  puisqu'il  a  été  bap- 
tisé en  Angleterre  le  21  septembre  1726,  que  le  testament  semble  faire 
supposer  qu'il  est  rentré  en  possession  des  biens  de  sa  famille,  sans  doute 
parce  qu'il  a  dû  y  abjurer  la  foi  de  ses  pères  et  devenir  sans  doute  par  là 
la  souche  de  la  famille  d'Assas,  qui  est  aujourd'hui  catholique. 

J'ai,  dans  mon  Eglise,  l'arrière-petite-fille  de  Marie-Anne-Bénigne  d'As- 
sas, qui  est  protestante  ei  Anglaise.  C'est  elle  qui  est  en  possession  des 
documents  dont  je  vous  envoie  la  copie. 

Veuillez  agréer,  etc.  Ldcien  Benoît,  P. 


252  LA    FAMILLE    p'aSSAS. 


I.  Testament  de  M.  Lévesque  de  Ponronce. 

Au  NOM  DE  Dieu,  Amen.  Comme  j'ai  fait  plusieurs  testamens  cy- 
devant,  suivant  les  raisons  que  j'avais  de  les  faire  alors,  je  les  révoque 
présentement,  je  les  casse  et  annulle  :  voici  ma  dernière  volonté. 
Après  avoir  imploré  la  miséricorde  de  Dieu  parle  mérite  de  notre  Sei- 
gneur Jésus-Christ,  je  laisse  mon  corps  à  la  terre  dans  l'espérance  de 
la  résurection  bienheureuse.  Et  pour  mes  biens  temporels  qui  sont  en 
ma  légitime  possession,  je  donne  à  ma  petite-fille  Marie-Anne-Bénigne 
Dassas  l'aînée,  40  livres  sterling  de  rente  sur  une  longue  annuité  de 
50  livres  sterling  de  rente,  créée  en  1706  sur  le  tonnage  Chabon 
Extize  et  n»  2961,  plus  500  livres  sterling  que  j'ai  sur  les  3  pour  100 
à  la  banque  d'Angleterre,  plus  les  boucles  d'oreilles  de  diamant  de  sa 
mère  que  je  lui  avais  déjà  données,  avec  deux  bagues,  l'une  d'un 
rubis  avec  dix-huit  diamants  et  l'autre  de  cinq  brillants,  de  même 
qu'un  collier  de  perles  fines  à  trois  rangs,  mon  lit  de  camp;  lesquels 
susdits  effets,  les  40  livres  sterling  de  rente  sur  la  longue  annuité  de 
50  livres  sterling  de  rente,  les  500  livres  sterling  à  !a  banque  d'An- 
gleterre, perles,  bagues,  le  lit  de  camp  mentionnés,  je  lui  donne  pour 
en  jouir  comme  d'un  bien  à  elle  appartenant.  Je  donne  à  Jeanne 
Dassas,  sa  sœur,  une  longue  annuité  créée  en  1708  sur  le  tonnage 
Poundage  et  de  20  livres  sterling  de  rente,  n"  2236;  je  lui  donne  les 
10  livres  sterling  de  rente  qui  restent  de  la  longue  annuité  de  50  livres 
sterling  ci-dessus  mentionnée;  je  lui  donne  aussi  la  moitié  à  par- 
tager avec  sa  sœur  de  tous  mes  meubles,  argenterie,  tableaux,  livres 
et  de  tout  ce  qui  est  de  plus  en  ma  possession.  Je  les  charge  de 
vivre  ensemble  en  paix,  en  union  et  dans  la  crainte  de  Dieu,  et  si 
leur  frère,  Louis-Claude  Dassas  venait  en  Angleterre  pour  les  trou- 
bler, je  lui  donne  un  scheling  par  mon  testament.  Je  conjure  mes 
petites-filles  de  no  jamais  passer  en  France,  pour  hériter  des  terres 
et  biens  que  nous  y  avons  laissés  pour  la  religion,  à  moins  que  cette 
sainte  religion  n'y  soit  rétablie;  je  leur  donne  ma  bénédiction  de 
même  qu'à  leur  frère,  et  je  prie  Dieu  qu'il  la  ratifie  dans  son  ciel; 
je  rends  par  cet  écrit  ma  petite-fille  Marie-Anne-Bénigne  Dassas 
l'aînée,  seule  et  unique  exécutrice  et  administratrice  de  mon  testa- 
ment. Je  ne  souhaite  qu'un  médiocre  enterrement.  Fait  à  Taddingtou 


LA    FAMILLE    D  ASSAS. 


253 


près  de  Londres,  le  25  de  mars  1743,  signé  et  cachette  en  présence 
des  tesmoins  soussignés  : 

Louis LÉvESQUE  de  Ponronce,  S.;  témoins,  L.  0.  Guiteau,  P.Bernin. 

Je  donne  et  lègue  à  Jeanne  Dassas  ma  petite-fille,  16  livres  sterling 
sur  l'annuité  de  50  livres  sterling  au  lieu  des  dix  mentionnés  dans 
mon  testament  contenu  de  l'autre  côté  de  la  feuille.  Fait  et  signé  et 
scellé  à  Sainte-Marie-la-Bonne,  le  28^avril  1743. 

Louis Lévesque de  Ponronce,  S.;  témoins,  Jean-Joseph  de  Montignac, 
Jean  Fauriau. 

IL  Mariage  de  M.  de  Ponronce. 

Ceci  est  pour  certifier  que  M.  Lévesque  et  Mademoiselle  Bénigne 
de  Royère,  furent  mariés  par  licence  de  Tarchevêque  de  Cantorbéry 
dans  la  chapelle  de  Highgate, comté  deMiddlesex,  le  16dejuin  1G93. 
Dan.  Latham;  témoins.  Samuel  de  Daillon,  John  Hartwel. 

IIL  Mariage  d'Assas  de  Ponronce. 

Ces  présentes  sont  pour  certifier  à  tous  ceux  à  qui  il  appartiendra 
que  Claudio  d'Assas,  escuyer  de  la  paroisse  de  Saint-Jacques  West- 
minster, dans  la  province  de  Middlesex,  garçon;  et  Bénigne  Pon- 
ronce, de  ladite  paroisse,  fille;  furent  mariés  en  vertu  d'une  licence 
dans  la  paroisse  de  Saint-Octave-Hart-Street,  à  Londres,  le  8  de 
décembre  1724,  comme  il  appert  par  les  registres  de  la  dite  paroisse, 
en  foy  de  quoy  j'ai  signé, 

Edward  Arrowsmith,  recteur,  Jean  Harries,  marguiller,  Thomas 

LowE,  marguiller, 

IV.  Baptême  de  Claude-Louis  d'Assas. 

Les  présentes  ^ontpour  certifier  à  tous  ceux  à  qui  il  appartiendra, 
que  François-Louis-Claude  d'Assas,  fils  de  Claude  et  de  Bénigne  fut 
baptisé  le  21^  jour  de  septembre  1726,  dans  la  paroisse  de  Saint- 
Jacques-Westminster,  dans  la  province  de  Middlesex,  comme  il  paraît 
par  les  registres  de  ladite  paroisse,  présentement  en  ma  garde;  en 
foy  de  quoy  j'ai  signé  à  Londres  le  15^  jour  d'avrill'an  de  grâce  1748. 
Thomas  Bonney,  curé  de  ladite  paroisse. 


LETTRE  DE  RABAUT-LEJEUî!E  k  POBTUIS 

SUR  l'organisation    du    culte    réformé. 

3803. 

Voici  une  pièce  inédite,  croyons-nous,  et  fort  intéressante  qui  nous  a  été 
communiquée  par  M.  Lefebvrc.  C'est  une  lettre  écrite  par  Rabaut-Dupuis, 
dit  le  Jeune,  frère  cadet  de  Rabaut-Saint-Etienne  et  de  Rabaul-Pommier,  à 
Portalis,  au  moment  où  ce  conseiller  d'Etat  s'occupait  de  l'organisation 
définitive  des  Eglises  réformées,  en  l'an  XI,  pour  la  misi-  en  pratique  des 
articles  organiques  du  18  germinal  an  X.  Ce  document  a  une  réelle  impor- 
tance pour  l'histoire  de  nos  Eglises  au  dix-neuvième  siècle,  étudiée  à  son 
point  de  départ. 

Paris,  frimaire  an  XI. 

Au  citoijen  Portalis,  conseiller  et  État,  chargé  de  tout  ce  qui  concerne 

les  cultes, 
Rabaut,  membre  du  Corps  législatif. 

Citoyen  conseiller  d'Etat, 

Au  moment  où  vous  vous  occuppés  de  Torganisation  définitive  des 
Eglises  réformées,  je  regarde  comme  un  de  mes  premiers  devoirs  de 
vous  adresser  sur  cet  objet  quelques  observations  qui  m'ont  paru 
importantes,  et  dont  je  réclame  un  sérieux  examen  de  votre  imi)ar- 
tiale  justice. 

Vous  avés  dit,  dans  vdlre  rapport  sur  l'organisation  des  cultes  : 
«  Une  grande  maxime  d'Etat,  consacrée  par  tous  ceux  qui  ont  seù 
«  gouverner,  est  qu'il  ne  faut  point  chercher  mal  à  propos  à  changer 
«  une  religion  établie,  qui  a  de  profondes  racines  dans  les  esprits  et 
«  dans  les  cœurs,  lorsque  cette  religion  s'est  maintenue  à  travers  les 
«  cvciiemcns  et  les  tempêtes  d'une  révolution.  » 

Cette  maxime  d'Etat  a  été  scrupuleusemei\t  observée  dans  la  loi 
du  18  irerniinal  dernier  pour  ce  (jui  concerne  le  culte  catlioliquo- 
romaiu.  Ses  dogmes,  ses  cérémonies,  sa  hiérarchie  et  sa  jurisdiction 
ecclésiastique,  tout  lui  a  été  conservé  ou  rendu.  Lors  mèm.e  qu'on  a 
voulu  changer  (jnelque  chose  dans  la  circonscription  des  cures  et  des 
diocèses  ou  dans  le  droit  des  nominations,  on  a  (ru  nécessaire  de 
l'aire  concourir  à  ces  changenicns  l'autorité  spirituelle,  le  pape. 


LETTRE    DE    RABAUT-LE-.IEUNE    A    PORTALIS.  355 

11  n'en  a  pas  été  de  même  pour  le  culte  catholique  réformé  ou 
protestant.  Contre  l'intention  du  gouvernement  et  la  vôtre,  notre 
discipline  ecclésiastique  a  été  dénaturée,  détruite  dans  ses  bases, 
par  des  innovations  qui  ne  peuvent  s'allier  avec  son  organisation 
actuelle,  ses  usages,  ses  coutumes,  les  droits  et  les  prérogatives  des 
pasteurs,  des  Eglises  et  de  ses  membres. 

Si  on  ne  remédiait  aux  inconvéniens  que  présentent  ces  innova- 
tions, il  en  résulterait  qu'un  grand  nombre  de  prolestans,  et  des 
Eglises  entières,  seraient  privées  de  l'exercice  du  culte;  que  la 
liberté  qu'on  a  voulu  leur  donner  ne  serait  qu'illusoire  ;  que  l'éga- 
lité qu'on  a  voulu  établir  entre  tous  les  cultes  ciirétiens,  n'existerait 
pas. 

Lorsque  vous  voulûtes  bien,  citoyen  conseiller  d'Etat,  demander 
à  quelques  protestans  des  renseignemens  sur  l'organisation  du  culte 
réformé,  ils  vous  fournirent  un  mémoire,  dans  lequel  ils  s'étaient 
particulièrement  attachés  au  maintien  de  l'organisation  primitive  des 
Eglises  réformées;  ils  ne  proposèrent  d'autre  innovation  que  celle  de 
la  suppression  des  colloques,  et  ils  en  ont  été  blâmés  depuis.  Ce  mé- 
moire, vous  voulûtes  bien  le  discuter  avec  nous,  et  il  parut  avoir 
votre  assentiment.  La  discussion  de  votre  rapport  eut  lieu  dans  le 
conseil  d'Etat  et  amena  des  changemens  qui  ont  dénaturé  l'organi- 
sation actuelle  de  nos  Eglises,  et  nous  en  donnent  une  nouvelle. 

Les  protestans  ont  dû  sentir  sans  doute  tout  le  prix  de  la  loi  bien- 
faisante qui  les  affranchit  de  la  domination  d'un  culte,  qui  leur  res- 
titue le  droit  d'égalité,  et  leur  donne  la  liberté  au  lieu  de  la  tolé- 
rance. Mais  en  adressant  au  gouvernement  leurs  sincères  actions  de 
grâces  pour  ce  grand  acte  de  justice,  les  protestans  ont  dû  se  réser- 
ver de  faire  de  justes  et  respectueuses  réclamations  contre  des  inno- 
vations qui  changent  totalement  leur  manière  d'être,  privent  les 
Eglises  et  les  pasteurs  des  droits  et  des  avantages  qu'ils  trouvaient 
dans  leur  discipline  ecclésiastique. 

Ces  réclamations  des  protestans  vous  ont  été  adressées  deplusieurs 
lieux,  et  notamment  dans  un  Mémoire  signé  par  les  membres  du 
Corps  législatif  et  du  Tribunat  qui  sont  protestans  et  qui  se  sont 
trouvés  à  Paris,  par  le  Consistoire  de  l'Eglise  de  Paris,  et  plusieurs 
pasteurs  et  anciens  à  qui  il  a  été  communiqué. 

Lorsque  M.  Marron  et  moi  nous  vous  présentâmes  ce  Mémoire, 
vous  eûtes  la  bonté  de  nous  promettre  que  vous  le  liriés  et  le  diseu- 


256  LETTRE    DE    RABAUT-LE-JEUNE   A    PORTALIS. 

teriés  avec  nous.  C'est  cette  bienveuillante  promesse,  dont  nous  ré- 
clamons l'exécution,  avant  que  vous  fassiés  votre  raport.  La  certitude 
que  nous  avons  que  ni  le  premier  consul  ni  vous  ne  voulés  pas  don- 
ner aux  protestans  une  constitution  ecclésiastique  qu'ils  n'auraient 
pas  consentie,  nous  fait  espérer  que  notre  demande  sera  favorable- 
ment accueillie. 

Après  vous  avoir  entretenu,  citoyen  ministre,  de  l'objet  général, 
permettés-moi  de  vous  faire  encore  quelques  observations  sur  l'or- 
ganisation particulière  de  l'Eglise  protestante  de  Paris. 

Le  préfet  de  la  Seine  fixe  la  population  protestante  de  Paris  à  20 
ou  25,000  âmes,  par  aproximation,  et  il  vous  propose  d'y  établir 
une  Eglise  consistoriale  et  deux  Eglises  de  secours  ou  succursales. 
Je  pense  que  cette  proposition  ne  peut  être  admise  : 

Parce  que  le  régime  des  Eglises  protestantes  n'admet  point  les 
succursales  ou  Eglises  de  secours,  et  qu'il  leur  manque  les  élémcns 
nécessaires  pour  les  former. 

Parce  que  toutes  les  Eglises  sont  égales  entre  elles,  quelle  que 
soit  leur  population,  et  que  les  Eglises  consistoriales  seraient  les  su- 
périeures de  celles  qui  ne  seraient  que  succursales. 

Parce  que  les  pasteurs  sont  égaux  entre  eux;  qu'on  les  priverait 
de  ce  droit  sans  leur  adhésion;  qu'on  rendrait  inférieur  ou  supérieur 
celui  qui  ne  reconnaît  que  des  égaux. 

Parce  que  ce  serait  établir  une  hiérarchie  personnelle  là  où  il  n'en 
existe  pas,  et  sans  l'adhésion  nécessaire  des  parties  intéressées  à  con- 
server ou  à  sacrifier  leurs  droits. 

On  ne  peut  pas  non  plus  établir  plusieurs  Eglises  consistoriales 
dans  une  même  ville.  Cette  innovation  contrarierait  le  régime  actuel 
de  nos  Eglises,  et  nuirait  beaucoup  à  l'utilité  commune. 

Chacpie  Iiglise  n'a  qu'un  Consistoire,  quelle  que  soit  sa  population 
et  l'étendue  de  son  territoire;  lorsque  cette  étendue  et  celte  popula- 
tion sont  trop  considérables,  on  y  appelle  plusieurs  pasteurs,  mais 
ils  sont  tous  égaux,  et  aucun  n'oserait  usurper  l'autorité  sur  les 
autres.  Pour  obéir  au  texte  de  la  loi,  il  faudiait  établir  quatre  ou 
cinq  consistoires  à  Paris,  cinq  ou  six  à  Genève,  trois  à  Nismcs,  etc. 
Ce  serait  compliquer  une  miichine  fort  simple,  rendre  abstrait  ce 
qui  est  clair  et  d'une  conception  facile.  Ce  serait  surtout  créer  ce 
qui  n'existe  pas. 

Il  est  important,  citoyen  ministre,  d'établir  une  parfaite  unifor- 


MÉLANGE;».  ^57 

mité  dans  Torganisation  et  le  régime  administratif  des  Eglises  léfor- 
mées  de  l'ancienne  France  et  des  départemens  réunis.  Le  meilleur 
moyen  pour  y  parvenir,  c'est  de  maintenir  leur  statu  quo,  et  de  le 
faire  coïncider,  autant  que  possible,  avec  la  loi  du  18  germinal. 

Ainsi,  par  exemple,  pour  l'Eglise  réformée  de  Paris,  ce  gouverne- 
ment est  autorisé  à  accorder  à  son  Consistoire  les  trois  pasteurs 
qu'il  demande;  c'est  ce  qui  résulte  des  articles  18,  19  et  21  de  la  loi 
du  18  germinal. 

Pourquoi  donc  ne  diriés-vous  pas  : 

Il  y  aura  à  Paris  une  Eglise  consistoriale  du  culte  réformé. 

Elle  sera  déservie  par  trois  pasteurs. 

Ces  pasteurs  s'entendront  entre  eux  pour  la  division  du  travail  re- 
latif à  leurs  fonctions,  et  sur  les  églises  où  ils  célébreront  le  culte. 

Il  est  accordé  à  l'Eglise  consistoriale  réformée  de  Paris  trois  édi- 
fices nationaux  pour  la  célébration  du  culte,  savoir  : 

Le  traitement  des  trois  pasteurs  de  l'Eglise  réformée  de  Paris  est 
fixé  à  par  année  pour  chacun  d'eux. 

Telles  sontj  citoyen  ministre,  les  observations  que  j'ai  cru  devoir 
soumettre  à  votre  méditation.  Elles  sont  beaucoup  plus  développées 
dans  le  Mémoire  que  nous  avons  eu  l'honneur  de  vous  remettre  et 
qui  contient  les  vrais  besoins  des  Eglises  protestantes  pour  leur  or- 
ganisation définitive. 

J'ay  l'honneur,  citoyen  ministre,  de  vous  saluer  respectueuse- 
ment. 

Rabaut  le  Jeune. 


LES  PJKÉliBMir^'AIEgSi^  »S3  E.'Éi^fi'ff  MEi  If  S? 

SUR  L'ÉTAT  CIVIL  DES  PROTESTANTS. 

1ÎÎ5-1Ç8Î. 

M  octobre  1775.  —  C'est  par  une  requête  présentée  au  Conseil,  c'est- 
à-dire  au  roi,  que  les  protestants  devaient  enîamer  leur  demande.  M"  Lé- 
gourée,  célèbre  avocat,  était  chargé  de  la  rédaction,  mais  qui,  faite  de 
concert  avec  le  ministère,  ne  devait  rouler  que  sur  un  point  :  la  validité  de 
leurs  mariages  quant  à  l'état  civil.  Neuf  des  religionnaires  les  plus  accré- 
dités conférèrent  avec  l'orateur,  et  sa  besogne  était  faite.  Il  en  était  même 

xiii.  —  17 


258  MÉLANGES. 

content.  Lorsqu'il  a  été  question  de  la  faire  souscrire  par  les  réclamants;  les 
neuf  ont  alors  formé  un  comité  de  soixante  de  leurs  partisans,  au^si  im- 
portants et  très  éclairés.  Le  Comité  voyant  qu'il  n'était  question  que  du  seul 
point  meniionné  ci  dessus,  ont  refusé  à  signer  la  requête  et  à  la  faire 
adopter.  Ils  ont  trouvé  que  ne  réclamer  que  sur  une  vexation,  ce  serait  re- 
connaîlre  la  justice  des  autres,  ce  serait  s'avouer  coupables  et  passer  con- 
damnation sur  les.chefs  de  plainte  qui  y  ont  donné  lieu  autrefois.  li  a  été 
arrêté  qu'il  valait  mieux  soutïrir  encore  et  attendre  un  moment  plus  favo- 
rable où  ils  pourraient  avoir  satisfaction  sur  le  tout.  Au  moyen  de  quoi, 
le  travail  de  P.  Legourée  reste  inutile^  quant  à  présent. 

Suivant  cette  requête,  les  protestants  en  France  sont  encore  au  nombre 
de  trois  millions,  ce  qui  fait  environ  un  sixième  des  habitants  du  royaume, 
dont  les  enfants  ou  naisrent  sans  éiat,  s'ils  sont  conçus  d'après  des  ma- 
riages faits  ce  qu'on  appelle  au  désert,  ou  par  une  union  criminelle,  lors- 
qu'elle est  formée  en  face  de  l'Eglise  sur  de  faux  certificats  de  catholiciié. 

C'est  le  bruit  de  cette  requête  qui  avait  allarmé  le  clergé,  et  qui  a  donné 
lieu  à  l'article  de  leurs  cahiers  concernant  les  protestants,  dont  ils  ne  par- 
laient plus  depuis  longtemps.  Ceux  qui  ont  confiance  à  la  sagesse,  à  l'in- 
tégrité et  aux  lumières  du  ministère,  se  flattent  qu'il  attend  la  dissolution 
de  l'assemblée  du  clergé  pour  renouer  la  négociation  et  l'embrasser  sous 
un  plan  plus  vaste  et  plus  conforme  à  la  justice  complète  qu'attendent  des 
Français  traités  depuis  longtemps  comme  s'ils  ne  l'étaient  pas,  ou  comme 
s'ils  n'étaient  que  de  mauvais  citoyens.  (BACHAUMOiNT,iT/em.  secrets,  t. \IU, 
236-238.) 

lo  octobre  177o.  —  La  fermentation  occasionnée  dans  le  public  au  su- 
jet des  protestants,  dont  il  est  tant  question  depuis  quelque  temps,  a  sans 
doute  fait  naître  une  brochure  nouvelle,  intitulée  :  Dialogue  entre  un  évo- 
que et  un  curé  sur  les  mariages  des  protestants.  Quoique  cet  ouvrage 
soit  extrêmement  sage  et  modéré,  Messeigneurs  de  l'assemblée  ne  veulent 
pas  (lu'on  le  ré[)ande  sous  leurs  yeux,  et  il  se  vend  sous  le  manteau, 
comme  si  c'était  un  mauvais  livre-,  ce  (jui  le  rend  doublement  intéressant. 
Il  est  étendu  et  mérite  une  discussion  plus  développée.  (Bachadmont,  Mem. 
secrets,  l.  YIII,  i38-"239.j 

ii  octobre  177(3.  —  Cet  ouvrage  est  composé  de  deux  dialogues,  dont  le 
deuxième  est  daté  du  l^aoùt  177o.  —  L'auteur,  dans  un  court  avertisse- 
ment, annonce  qu'il  ne  s'est  déterminé  à  rendre  publiques  ses  vues  sur 
l'obiet  en  question  qu'après  le  bruit  répandu  cjne  le  gouvernement  s'en 
occupait  sérieusement,  et  (lu'il  avait  invité  l'assemblée  du  clergé  à  en  exa- 
miner attentivement  la  justice,  les  avantages  et  les  inconvénienis. 


MÉLANGES.  259 

Dans  le  premier,  les  interlocuteurs  entrent  en  matière  à  l'occasion  d'une 
requête  que  le  curé,  poussé  par  son  zèle  pour  rhunianité  et  même  pour  la 
religion,  présenta  à  l'évcque  en  faveur  des  protestants,  en  engageant  de  la 
communiquera  l'assemblée  du  clergé.  Celui-ci  déclare  (}ui!  n'a  garde;  qu'il 
est,  au  contraire,  chargé  d'une  requête  à  son  ordre  pour  l'objet  opposé,  quoi- 
qu'il convienne  qu'en  ayant  beaucoup  dans  son  diocèse,  il  n'a  cependant  point 
à  s'en  plaindre.  Mais  il  prétend  qu'ayant  épuisé  la  voie  des  menaces  pour  les 
intimider,  et  de  la  controverse  pour  les  éclairer,  il  n'y  a  plus  rien  à  faire  ; 
que  ce  qu'on  peut  leur  accorder  de  mieux,  c'est  de  les  laisser  tranquilles. 
Le  curé  charitable  n'est  pas  de  cet  avis.  11  assure  que  leur  éloignement 
pour  l'Eglise  romaine  est  moins  fondé  sur  l'entêtement  dans  leur  doctrine, 
dont  ils  connaissent  le  faible  et  les  variations,  que  sur  l'antipathie  qu'ils 
ont  pour  nos  prêtres  qu'ils  regardent  avec  raison  comme  les  boute-feux 
des  persécutions  exercées  contre  eux  ;  qu'il  faut  donc  que  le  ckrgé  com- 
mence par  renverser  ce  mur  de  division,  en  travnillani.  lui-même  à  obtenir 
du  gouvernement  que  les  protestants  recouvrent  leur  état  civil  en  France. 
Il  prouve  ensuite  qu'il  peut  le  faire  sans  préjudicier  en  rien  à  l'Egiisc  ro- 
maine. Le  prélat  fait  à  cet  égard  toutes  les  objections  que  lui  suggère  son 
fanatisme.  L'adversaire  les  pulvérise  toutes,  et  le  premier  est  réduit  à  n'a- 
voir point  de  réplique.  Il  consent  à  sonder  le  terrain  auprès  de  quelques- 
uns  de  ses  confrères,  et  charge  en  même  temps  le  curé  de  voiries  pi-oies- 
lants  et  de  conférer  avec  eux,  pour  savoir  s'ils  ne  seraient  pas  disposés  à 
laisser  élever  leurs  enfants  dans  la  catholicité,  dans  le  cas  où  Ion  ferait 
jouir  les  pères  de  tous  les  droits  du  citoyen . 

Au  second  dialogue,  le  curé  rend  compte  de  sa  conversalion  avec  les  chefs 
des  protestants,  entièrement  conforme  aux  sentiments  (iu'il  leur  a  déjà  op- 
posés. 11  n'y  est  pas  question  de  leur  acquiescement  à  l'enlèvement  de 
leurs  enfants,  parce  que  l'interlocuteur  avait  déjà  réprouvé  cette  proposi- 
tion comme  barbai'e  et  contraire  à  la  nature.  De  leur  et  té,  les  capucins  aux- 
quels le  prélat  a  parlé,  répugnent  à  la  démarche  qu'on  veut  leur  faire  faire, 
en  ce  qu'elle  serait  injurieuse  à  l'épiscopat,  en  ce  qu'il  serait  scandaleux 
qu'ils  contribuassent  eux-mêmes  à  perpétuer  une  secle  déjà  trop  nom- 
breuse, sans  être  sûr  de  son  retour;  en  un  mot,  en  ce  que  la  religion  ne 
permet  pas  de  favoriser  un  culte  différent  du  sien.  «  D'ailleurs,  ajoute  le 
prélat,  les  jésuites,  si  utiles  à  la  France,  viennent  d'être  supprimés.  Que  di- 
rait-on si  nou^  proposions  de  rétablir  les  protestants?  Ce  serait  en  outre 
exposer  les  simples  aux  pièges  d'une  séduction  puissante,  par  les  appas 
flatteurs  qu'elle  présente.  Que  ne  doit-on  pas  craindre  aussi  pour  notre 
culte  de  cette  inondation  d'hérétiques  dans  le  royaume  qui  bientôt,  fiers  de 
leur  nombre,  voudraient  dans  la  suite  y  donner  le  ton?  » 

Telles  sont  les  quatre  difficultés  proposées  par  nos  seigneurs,  que  résout 


^60  MÉLANGES. 

!e  curé,  en  prouvant  que  la  première  n'a  pour  objet  ([u'une  cliimère,  puis- 
qu'il n'est  pas  question  de  eulle,  mais  d'humanilé  ;  que  la  seeoncle  n'est  pas 
moins  illusoire,  les  jésuites  ne  pouvant  être  tolérés  dans  aucun  Etat,  ni 
comme  religieux,  ni  comme  citoyens, ni  comme  hommes;  ce  qui  donne  lieu 
à  l'orateur  de  tracer  un  portrait  étendu,  vigoureux  et  terrible  de  la  société, 
qu'il  représente  comme  une  compagnie  de  séditieux,  de  persécuteurs,  de 
régicides,  d'empoisonneurs;  (jue  la  troisième  n'a  pas  plus  de  fondement; 
que,  dans  les  circonstances  actuelles,  le  rétablissement  légal  des  religion- 
n.aires  ne  ferait  aucun  tort  à  l'Eglise;  que  leur  hérésie,  bien  loin  de  faire 
de  nouveaux  progrès,  perdrait  plutôt  de  ses  partisans  qu'elle  n'en  acquer- 
rait; que,  d'ailleurs,  ils  ne  sont  pas  dogmatisants  ;  que  le  patriotisme  l'em- 
porte chez  eux  sur  l'esprit  de  parti,  au  point  que,  dans  deux  cents  ans,  i! 
n'y  aurait  plus  de  protestants,  si  leurs  conversions  pouvaient  être  libres  et 
ne  plus  avoir  l'air  forcé,  comme  auparavant,  ce  qui  répond  à  la  dernière  ob- 
jection, et  réduit  le  prélat  à  ne  savoir  plus  que  répliquer. 

On  ne  peut  qu'applaudir  à  l'esprit  de  sagesse,  de  tolérance,  d'humanité 
de  l'écrivain,  à  ses  raisonnements  méthodiques  et  lumineux;  mais  ils  ne 
convaincront  point  Nosseigneurs,  décidés  à  cet  égard  comme  on  a  vu.  Du 
reste,  l'ouvrage,  quoi(|ue  bien  fait,  est  verbeux.  L'auteur  revient  souvent 
sur  les  mêmes  idées,  qu'il  retourne  en  différentes  manières,  sans  doute  par 
l'espoir  de  les  mieux  inculquer  dans  les  têtes  des  prélats,  dures  sur  un  pa- 
reil article.  11  est  <à  espérer  que  le  gouvernement  sentira  mieux  qu'eux  la 
nécessité  de  ménager  une  portion  de  l'Etat  aussi  considérable,  et  de  ne  pas 
mettre  au  désespoir  trois  millions  de  citoyens.  (Bachaumont,  Mém.  secrets, 
t.  VIII,  250-233.) 

21  novembre  '1773.  —  Messieurs  de  l'assemblée  du  c'ergé  ontappelédes 
casuisies  et  docteurs  étrangers,  suivant  l'usage  dans  les  cas  importants, 
pour  avoir  leur  avis  sur  le  proj-.'t  de  légaliser  civilement  les  mariages  des 
proieslanis.  Entre  ceux-ci  l'iibbé  Tliierri,  chancelier  de  l'Eglise  de  Paris,  a 
prétendu  (pie  le  clergé  ne  pouvait  acquieseerà  cette  tournure,  en  ce  qu'elle 
entraînait  nécessairement  des  suites  funestes  à  la  religion.  Les  prélats  em- 
barrassés par  son  discours  adroit  et  éloquent,  ont  eu  recours  à  M.  de 
Maurepas,  el  en  ont  léféré  à  ce  ministre  ([ui,  l'on  ne  sait  pourquoi,  les  a 
raff.rmis  dans  leur  résistance,  en  leur  remettant  sous  les  yeux  l'ineonsé- 
quenci!  de  la  (  niiduite  aeluelle  du  clergé  avec  celle  de  celui  qui,  sous 
Louis  Xl\  ,  s'était  mis  à  genoux  devant  ce  mouaripie,  pour  (d)i(nir  la  révo- 
cation de  lEdit  de  Nantes;  en  sorte  que  cet  objet  est  absolument  écarté, 
el  l'assemblée  n(î  s'en  oeciq»' plus,  laissant  à  la  sagesse  du  gouvernement 
faire  ce  (|u'elle  jugera  le  plus  convenable.  (Hachai'.mont,  Mém.    secrets. 

t.  Vin,  p.  300.) 


MÉLANGES.  261 

24  mai  1776.  —  Le  Père  Richarrl,  jacobin,  esU'écrivain  fanatique,  au- 
teur do  la  brochure  iiililulée  :  Les  Protestants  déboulés  de  leurs  préten- 
tions. C'est  un  gagiste  du  clergé,  que  celui-ci  met  en  œuvre,  mais  qui  pa- 
raît avoir  plus  de  zèle  que  de  bon  sens. 

26  mai.  —  L'auteur  de  la  réfutation  du  livre  du  père  Richard,  à  l'occa- 
sion des  bruits  répandus  que  le  gouvernement  allait  faire  une  loi  pour  va- 
lider le  mariage  des  protestants,  fait  voir  d'abord  à  ce  fougueux  adversaire 
que  son  zèle  n'est  rien  moins  que  charitable.  11  lui  prouve  ensuite  que  ses 
raisonnements  ne  valent  rien  ;  il  établit  que  le  mariage  est  avant  le  sacre- 
ment, qu'il  est  dans  l'ordre  social  sans  lui,  que  c'est  une  ignorance  de 
proscrire  l'un,  une  hérésie  de  rejeter  l'autre,  un  défaut  de  jugement  de  les 
identifier;  que,  s'ils  sont  séparables,  dans  le  mariage  tout  le  civil  est  du 
for  extérieur,  tout  le  spirituel  dans  le  sacrement  est  du  for  intérieur;  que 
le  premier  appartient  au  corps  politique,  elle  second  est  tout  entier  au 
cor|)s  ecclésiastique.  Or,  l'Eglise  étant  dans  l'Etat  et  non  pas  l'Etat  dans 
l'Eglise,  il  est  évident  que  le  prince,  à  la  tète  de  l'Etat,  étendra  juridiction 
sur  tous  les  intérêts  du  corps  civil,  et  que  l'Eglise  doit  borner  la  sienne  au 
rit  établi  pour  l'administration  des  sacrements.  Nul  doute  donc  que  le  roi 
Très-Chrétien  ne  puisse,  sans  compromettre  la  religion,  autoriser  l'union 
matrimoniale  des  protestants  par  telle  forme  civile  et  judiciaire  qu'il  vou- 
dra introduire;  mais  le  doii--il?  Le  redoutable  adversaire  détruit  également 
les  raisons  du  moine,  qui  prétend  que  non,  et  lui  fait  voir  qu'il  ne  s'en- 
tend pas  mieux  en  politique  qu'en  théologie.  Tout  ce  traité  est  rempli  de 
sagesse,  d'érudition  et  delogi(iue;  il  est  diffus,  comme  la  première  partie. 
On  y  trouve  un  morceau  philosophi(iue  sur  la  liberté  de  la  presse,  néces- 
saire du  moins  à  l'égard  des  livres  de  controverse,  d'autant  meilleur  que 
c'est  un  point  de  liberté  sur  lequel  ses  partisans  modernes  n'ont  pas  en- 
core insisté  et  d'autant  plus  nécessaire,  qu'il  est  le  plus  propre  à  contri- 
buer à  la  destruction  des  préjugés  auxquels  ils  font  la  guerre.  (Bachau- 
MONT,  Mém.  secrets,  IX,  132  et  133.) 

21  août  1778.  —  Le  Parlement  s'occupe  toujours  de  l'affaire  des  protes- 
tants. M.  Dionis  Duséjour  et  M.  d'Eprémesnil  sont  les  plus  ardents  à  sa 
poursuite.  On  connaît  le  zèle  du  dernier,  contre  lequel  sa  Compagnie  est 
en  garde  ;  quant  à  l'autre,  c'est  un  philosophe  froid  sur  toutes  les  matières 
publiques,  en  sorte  que  ses  confrères  ont  été  surpris  de  le  voir  prendre  feu 
en  cette  occasion;  et  comme  il  passe  pour  un  homme  peu  croyant,  le  parti 
janséniste  n'est  pas  moins  disposé  à  le  contrarier.  Il  n'y  a  pas  d'apparence 
que  les  comités,  qui  se  tiennent  à  ce  sujet  chez  le  premier  président,  con- 
cluent rien  avant  les  vacances.  En  attendant,  on  a  fait  répandre  dans  le 


262  MÉLANGES. 

publie  «ne  broeluire  composée  dans  l'esprit  qui  dirige  aujourd'hui  le  gou- 
veruement.  Elle  a  pour  titre  :  Dialogue  sur  l'état  ciril  des  protestants 
en  France,  et  ne  se  vend  que  sourdement,  pour  ne  pas  trop  scandaliser 
Messeigneurs  du  clergé,  contre  lequel  elle  est  spécialement  dirigée.  (Ba- 
cnAUMO>'T,  Mém.  secrets,  Xll,  93.) 

31  août  iTTS.  —  Le  Dialogue  sur  l'état  cUnl  des  protestants  en 
France,  se  passe  eutrt!  un  président  du  Parlement,  un  conseiller  d'Etal  et 
le  curé  de  Saint-...  Par  un  arrangement  assez  bizarre,  c'est  le  curé  qui  dé- 
fend la  cause  des  religionnaires,  et  soutient  que  la  réhabilitation  des  pro- 
testants dans  le  corps  civil,  loin  de  préjudicier  aux  intérêts  de  l'Eglise  et 
de  l'Etal,  ne  pourrait  que  contribuer  à  la  gloire  de  l'une  et  au  bien  de 
l'autre;  le  magistrat,  au  contraire,  veut  que  ce  soit  un  paradoxe  insoute- 
nable, capable  de  révolter  tout  Français  qui  sait  l'histoire,  et  d'indigner  tout 
catholique  qui  sait  son  catéchisme;  que  l'assertion  du  pasteur  est  (surtout 
dans  la  bouche  d'un  prêtre)  une  erreur  grossière  en  fait  de  politique,  et 
un  blasphème  en  fait  de  religion,  en  ce  que  la  paix  du  royaume  ne  pourrait 
subsister  avec  des  citoyens  protestants,  et  le  scandale  serait  trop  mons- 
trueux de  marier  des  hérétiques  sans  sacrement. 

Le  membre  du  Conseil  joue  son  lôle  en  pesant  de  part  etd'autre  les  rai- 
sons et  en  les  conciliant  par  une  discussion,  savoir  qu'il  ne  s'agit  pas  des 
protestants  du  XV"  ou  du  XVK'  siècle,  mais  de  ceux  du  XVUI'',  décide  en- 
lin  que  ce  qui  aurait  été  dangereux  à  l'égard  des  premiers,  serait  très  sa- 
lutaire à  l'égard  des  seconds.  (Baciiaumcnt,  3fém.  secrets,  XII,  111,  112.) 

13  dtcembre  1778.  —  Au  moment  où  les  bons  patriotes  se  flattaient  que 
les  protestants  allaient  recouvrer  enfin  un  état  légal  en  France  par  le  con- 
cours de  la  magistrature  avec  le  ministère,  et  même  avec  des  meuibres 
philosophes  du  clergé,  le  parlement  a  reçu  défense  de  s'en  occuper.  Le  roi 
a  envoyé  chercher  le  premier  président  ;  il  lui  a  dit  que  sa  sagesse  lui  sug- 
gérait de  différer  en  cette  occurren/e  l'exécution  d'un  projet  qu'il  désirait, 
mais  pour  lacjuelle  le  moment  n'était  pas  venu,  et  qu'il  attendait  de  l'obéis- 
sance de  son  parlement  que  la  matière  ne  serait  point  mise  en  délibération 
aux  chambres  assemblées  qu'il  ntî  lui  ait  fait  connaître  ses  intentions  par 
une  loi  expresse. 

On  croit  (jue  la  crainlc  d'indisposer  le  clergé,  lorsqu'on  est  sur  le  point 
de  lui  demander  un  secours  extraordinaire,  a  été  le  motif  de  cette  variation 
du  gouvernement.  Omnit  au  roi,  ou  s'it  qu'il  est  persotim^llemenl  peu  zélé 
pour  ou  contre  relativement  à  la  religion  sur  la(|uetle  les  mauvais  docu- 
ments du  duc  de  L""'  d'une  part,  et  les  maximes  pl)ilosoi>liiqnes  du  comte 
de  Ma'irepas,  de  M.  Turgot,de  M.  Necker  de  l'autre  paît,  lonf  réduit  ;;  une 
parfiiiie  indifl'éreiiec   {]].kc\i,\vw>-st.  Afém.  srrrrfx   Xll,  210.) 


MÉLANGES.  263* 

t^  décembre  1778.  —  Dans  les  Réflexions  d'un  citoyen  catholique  sur 
les  lois  de  France  relatives  aux  protestants,  on  rappelle  toutes  ces  lois 
en  grand  nombre,  et  il  n'en  est  aucune  depuis  1665  qui  ne  soit  marquée 
au  coin  du  fanatisme,  du  ridicule,  de  l'absurdité  ou  de  la  barbarie.  C'est 
l'abrogation  de  ces  lois  que  sollicitent  déjà  la  tolérance,  le  bon  sens,  l'hu- 
manité, la  religion  même  qu'on  demande;  et  le  moment  présent,  bien  loin 
d'être  défavorable,  comme  l'exprime  une  fausse  ou  perlide  politique,  est 
celui  au  contraire  où  elle  peut  procurer  plus  sûrement  les  plus  grands 
avantages,  et  où  la  conservation  de  ces  lois  peut  être  la  plus  dangereuse 
pour  la  prospérité  "publique. 

Tel  est  le  résultat  de  cet  écrit  long  et  lumineux,  composé  sous  les  aus- 
pices du  parlement  et  propagé  par  les  zélés  qui  espèrent  éclairer  ainsi  le 
gouvernement.  (Bachaumont,  Mém.  secrets,  XII,  244.) 

il  décembre  1778.  —Les  considérations  puissantes  dont  se  sert  Tau- 
leur  de  la  brochure  en  faveur  des  protestants,  sont  que  l'Etat  a  besoin  de 
ressources  nouvelles  ;  que  cent  mille  familles,  rapportant  en  France  leurs 
richesses  et  leur  indusii  ie,  offrent  des  ressources  plus  durables,  des  se- 
cours plus  réels  que  tout  le  crédit  apparent  qu'on  peut  se  procurer  par  les 
ruses  d'agiotage,  honorées  de  nos  jours  du  nom  d'opérations  de  finances; 
que  la  séparation  de  l'Amérique  a  jeté  le  découragement  dans  le  commerce 
et  dans  les  manufactures  anglaises,  que  ceux  des  réfugiés  français,  qui  se- 
raient restés  dans  cette,  nouvelle  patrie,  s'empresseront  de  la  quitter  pour 
rentrer  chez  eux;  qu'autrement  l'Amérique,  offrant  aux  protestants  fran- 
çais un  vaste  pays  habité  par  les  alliés  de  la  France,  où  régnent  la  liberté 
de  conscience  et  la  liberté  politique,  où  tous  les  hommes  sont  égaux,  où 
les  ouvriers  de  toute  espèce  peuvent  espérer  du  travail  et  même  de  la  for- 
tune, où  des  terrains  immenses  attendent  des  mains  pour  les  cultiver, 
faute  d'user  dans  le  moment  présent  du  véritable  moyen  de  les  conte- 
nir, nous  sommes  menacés  d'une  émigration  nouvelle;  qu'enlin,  pour  l'é- 
viter, i!  ne  restera  que  deux  partis,  ou  de  conserver  des  lois  sanglantes  et 
souvent  inutiles,  ou  doter  aux  protestants  ie  désir  de  chercher  une  nou- 
velle patrie  en  les  rétablissant  dans  les  droits  que  la  loi  ne  peut  ravir  avec 
justice  qu'aux  hommes  qui  ont  mérité  de  les  perdre  par  un  crime.  (Ba- 
chaumont, Mém.  secrets,  X\l,  248,249.) 

25  novembre  1778.  —  Les  protestants  sont  dans  l'attente  de  ce  qui  va 
se  passer,  et  l'on  a  tout  lieu  de  croire  qu'ils  ont  obtenu  enfin  un  état  lé- 
gal en  France.  Le  parlement  continue  <à  s'en  occuper  sous  l'influence  du 
ministère;  on  a  gagné  plusieurs  prélats,  et  la  faveur  de  M.  Necker,  jointe 
aux  sollicitations  du  docteur  Franklin  au  nom  des  Elats-IInis  de  l'Amérique, 


'i6k-  MÉLANGES. 

est  plus  que  suffisante  pour  étouffer  les  clameurs  du  clergé.  (Bachaumont, 
Mém.  secrets,  XII,  197.) 

30  mai  1782.  —  Le  gouvernement  sans  faire  de  loi  expresse  pour 
donner  un  état  légal  aux  enfants  des  protestants  en  France,  en  reconnais- 
sant la  validité  des  mariages,  tend  indirectement  au  même  but  par  des 
lois  plus  générales  et  plus  adroites.  C'est  de  cet  esprit  de  tolérance  qu'on 
regarde  comme  émanée  une  déclaration  du  12  de  ce  mois,  enregistrée  le 
14  au  parlement.  Le  roi  y  a  enjoint  à  tous  curés  et  vicaires,  qui  rédigeront 
les  actes  de  baptêmes,  de  recevoir  et  écrire  les  déclarations  de  ceux  qui 
présenteraient  les  enfants;  leur  faisant  défense  d'insérer  par  leur  propre 
fait,  soit  dans  les  registres  sur  lesquels  ils  sont  transcrits  ou  autrement, 
aucunes  clauses,  notes  ou  énonciations  autres  que  celles  contenues  aux  dé- 
clarations de  ceux  qui  auront  présenté  les  enfants  au  baptême,  pour  pou- 
voir faire  eux-mêmes  aux  personnes  aucune  interpellation  sur  les  décla- 
rations faites  par  elles. 

On  voit  que  l'objet  de  la  déclaration  est  de  réprimer  le  zèle  indiscret  de 
certains  curés  ou  prêtres  encore  trop  pleins  du  fanatisme  de  nos  pères,  et 
qui  jetaient  des  nuages  sur  la  légitimité  des  enianls  des  protestants,  ou 
soupçonnés  tels,  par  des  restrictions  équivoques,  ou  l'inlirmaient  par  des 
assertions  contraires.  (Bachaumoist,  Mém.  secrets,  XX,  27o,  276.) 

\%  juillet  1787.  —  La  marquise  d'Anglure,  fillo  d'un  père  protestant  et 
d'une  mère  catholique,  faute  d'acte  de  célébration  de  mariage  entre  eux  a 
été  déclarée  bâtarde  au  parlement  de  Bordeaux,  quoique  31'"  de  Seize,  alors 
avocat  au  barreau  de  cette  cour,  l'eut  défendue  avec  beaucoup  de  logique, 
d'éloquence  et  de  zèle.  Elle  en  a  appelé  au  conseil  oi'i  l'affaire  est  pendante 
actuellement. 

M«  Target,  sans  (|ualité  à  ce  tribunal,  puisqu'il  n'est  qu'avocat  au  parle- 
ment, a  jugé  à  propos  de  saisir  l'ocxasion  de  celte  grande  affaire  pour  y 
publier  une  consultation  très  volumineuse  en  date  du  20  juin.  Elle  a  164 
pages.  Il  y  traite  la  matière  en  grand  et  généralisant  la  cause,  \°  Discute 
de  la  nature  et  des  lois  du  mariage  et  de  l'état  des  hommes;  2°  établit  que 
les  lois  du  royaume  sur  les  mariages  n'ont  point  été  faites  pour  les  sujets 
(lu  roi  de  la  religion  prétendue  réformée,  et  ne  leur  sont  point  appli- 
quables;  3"  que  les  lois  françaises  reconnaissent  qu'il  y  a  des  protestants 
en  France;  4°  agite  la  question  particulière  du  mariage  d'un  hérétique  avec 
une  lalliolique;  5°  enfin  après  un  résumé  de  ces  principes,  en  fait  rai)pli- 
calioii  au  cas  dont  il  s'agit. 

C'est  un  excellent  traiti'  en  laveur  des  protestants,  moins  d'un  ju- 
risconsulte que  d'un  philosophe,  écrit  avec  une  siniplicité  noble,  dcg-igé  de 


MÉLANGES.  265 

l'enflure,  de  l'obscurité  qu'on  reprochait  au  style  de  M*  Target.  I!  y  règne 
même  une  pureté  dont  il  n'avait  jamais  fait  profession  et  qu'on  doit  attri- 
buer à  ses  conférences  académiques.  (Bachaumont,  Mém.  secrets,  XXXV, 
335-336.) 

Il  y  a  grande  apparence  qu'en  composant  ce  mémoire,  31"  Target  ne 
s'est  pas  flatté  de  faire  gagner  à  la  comtesse  d'Anglure  une  cause  évidem- 
ment jugée  par  la  loi.  Mais  un  objet  plus  étendu  et  plus  patriotique  serait 
de  faire  abroger  cette  loi,  cette  fiction  absurde  et  barbare,  H  n'y  a  point 
de  Protestants  en  France,  lorsqu'on  y  en  compte  plusieurs  millions  ;  se- 
rait de  faire  corps  avec  la  réclamation  de  M.  de  Brélinières  en  1778,  et 
avec  celle  de  M.  Robert  Saint-Vincent  plus  récente  et  de  cette  année. 
Membre  de  l'Académie  française,  M«  Target  veut  prendre  rang  et  fin  parmi 
les  écrivains  philosophes  qui  depuis  longtemps  combattent  en  faveur  de  la 
tolérance,  et  tôt  ou  tard  obtiendront  le  rappel  des  protestants  dans  le 
royaume.  (Bachaumont,  Mém.  secrets^  XXXV,  343  et  340.) 

1«'-  mars  1787.  —  Le  discours  de  M.  Robert,  de  Saint-Vincent  tenu  aux 
chambres  assemblées,  le  9  février  dernier,  est  imprimé  et  répond  à  l'idée 
qu'on  en  avait  donnée.  On  y  trouve  un  historique  précieux  de  la  conduite 
du  ministère  envers  les  protestants  et  les  opinions  diverses  qui  ont  agité  l'ad- 
ministration depuis  qu'on  s'occupe  de  cette  matière  ou  plutôt  depuis  la  fa- 
meuse déclaration  du  8  mai  ^l^ï>,  où  l'on  fait  supposer  à  Louis  XIV  qu'il 
n'y  a  plus  de  protestants  en  France.  Le  célèbre  d'Aguesseau  avait  été  con- 
sulté sur  cette  loi,  et  son  premier  mot  fut  que  la  supposition  qu'il  n'y  avait 
plus  de  protestants  en  France  était  un  système  insoutenable.  Sa  lettre  sur 
ce  sujet  existe  encore  dans  les  bureaux  des  ministres;  mais  sa  modestie  fut 
bientôt  vaincue  par  l'autorité. 

Les  divisions  des  protestants  avec  les  évêques  de  Languedoc  firent  naître 
l'édit  de  1724,  qui^  en  supposant  toujours  qu'il  n'y  avait  plus  de  protes- 
tants en  France,  prononça  les  peines  les  plus  graves  contre  les  réligion- 
naires  et  contre  leurs  ministres. 

Dès  1726,  toutes  ces  lois  avaient  produit  si  peu  d'effet  qu'il  existait  tou- 
jours un  nombre  considérable  de  protestants  ;  ce  qu'atteste  le  grand-oncle 
de  M.  de  Saint-Vincent,  l'abbé  Robert,  docteur  de  Sorbonne,  prévôt  de 
l'église  cathédrale  de  Nîmes,  ami  et  conseil  de  M.  Fléchier.  C'est  dans  une 
lettre  du  mois  de  novembre  au  cardinal  de  Fleury,  qu'avec  une  liberté  noble, 
forte  et  religieuse  il  combat  les  lois  à  ce  sujet  et  en  prouve  l'insuflîsance. 

Une  lettre  du  \"  mai  475!  de  M.  de  Chabannes,  évêque  d'Agen,  à  M.  le 
conirôleur  général,  certifie  qu'il  y  avait  en  Languedoc  un  grand  nombre  de 
protestants,  contre  lesquels  cet  ardent  fanati(iue  sollicite  la  proscription 
la  pliis  éclatante. 


266  MÉLANGES. 

Le  procureur  général  Joly  tle  Fleuri,  consulté  sur  cette  matière  par  le 
gouvernement  en  4752,  fit  un  mémoire  où  l'on  apprend  l'existence  des 
troubles  de  la  part  des  protestants,  sur  lesquels  le  maréchal  de  la  Fare 
avaiî  envoyé  un  mémoire  fort  détaillé  en  date  du  16  mai  1728;  que  ces  trou- 
bles renaissants  en  1732,  le  gouvernement  s'occupa  de  nouveaux  projets 
qui  furent  arrêtés  et  suspendus  pendant  la  guerre  de  1733-,  qu'ils 
furent  repris  après  la  paix  de  1737;  mais  que  la  guerre  recommença  en' 
1740;  que  les  religionnaires  se  portèrent  à  de  nouveaux  excès  en  1743; 
que  les  conférences  recommencèrent  en  1749  et  donnèrent  lieu  à  une  or- 
donnance du  17  janvier  1760.  Son  résultat  est  de  maintenir  le  principe  qu'il 
n'y  a  point  de  protestants  en  France. 

En  1752,  le  maréchal  de  Richelieu  avait  écrit  une  lettre  pour  solliciter 
du  gouvernement  qu'il  assurât  l'état  civil  des  protestants  en  France. 

En  1755  parut  le  mémoire  imprimé  de  M.  de  Montclar  en  faveur  du  tolé- 
rantisme. 

En  1758  écrivait  l'abbé  de  Cavairae,  l'apologiste  le  plus  ardent  de  !a 
révocation  de  l'Eriit  de  Nantes;  il  ne  comptait  plus  que  cinquante  mille 
protestants  dans  le  royaume  et  en  sollicita  la  proscription  avec  le  plus 
beau  zèle. 

En  17G4,  l'évêque  de  Poitiers,  dans  un  mémoire  déposé  au  greffe,  assure 
que  le  nombre  des  protestants  est  très  considérable  dans  son  diocèse. 

Lorsqu'on  est  revenu  à  des  avis  plus  doux,  et  quoique  les  ennemis  du 
parlement  l'accusent  de  ne  pas  vouloir  se  prêter  à  rendre  aux  protestants 
leur  état  civil,  il  a  déjà  émis  son  vœu  à  ce  sujet  en  1778,  et  aujourd'hui 
que  iout  se  dispose  pour  le  grand  événement,  M.  de  Sairit- Vincent  estime 
que  c'est  le  moment  de  le  renouveler.^ (Bachau.mont,  Mémoires  secrets^ 
XXXIV,  226-229.) 

2  mars  M9,l.  —  IL  de  Saint-Vincent,  dans  un  mémoire  assez  bien 
fait,  (inoiqueun  peu  diffus  et  confus,  venge  non-seulement  le  parlement  de 
Paris  (lu  soupçou  (lu'oii  voudrait  répandre  contre  lui.  mais  même  tous  les 
parlements  du  royaume  ;  il  nous  apprend  ([ue  ceux  du  Nord  et  du  .Midi  se 
sont  déterminés  d'après  l'esprit  de  tolérance  du  gouvernement  en  faveur 
des  protestants,  soutenu  depuis  plus  de  20  ans,  à  détlaror  de  concert  non 
recevables  tous  ceux  qui  voudraient  attaquer  la  légitimité  des  unions  pro- 
testantes et  des  enfants  qui  en  étaient  nés. 

Au  reste,  le  zèle  de  M.  de  Vincent  est  d'aulanl  moins  étonnant  que  c'est 
un  fougueux  janséniste,  et  l'on  sait  que  le  jansénisme  et  le  protestantisme 
sont  cousins  germains.  L'auteur  prend  occasion  de  ce  discours,  pour  faire 
un  grand  éloge  des  illustres  de  son  pnrti,  (|ue  la  France  a  produits  di'|)iiis  un 
siècle  cl  demi,  et  pour  déniigrer,  au  contraire,  les  jésuites  et  les  restes  de 


MÉLANGES.  267 

leur  cabale.  A  la  fin  de  ce  discours,  M.  Robert  de  Saint-Vincent  a  dii,  en 
adressant  la  parole  au  premier  président,  suivant  l'usage  : 

«Je  vous  prie,  Monsieur,  de  nseltre  en  délibération  ce  qu'il  conviendra 
de  faire  à  ce  sujet.  Si  ma  proposition  ne  paraît  pas  indiscrète  à  la  Compa- 
gnie, il  sera  de  sa  prudence  d'examiner  s'il  ne  serait  pas  expédient  que  le 
parlement  prévînt  toutes  les  démarches  qui  pourraient  être  faites  à  ce  sujet 
par  l'assemblée  des  notables.  « 

La  matière  mise  en  délibération ,  «  la  cour  a  arrêté  qui!  sera  fait  re- 
gistre du  récit  d'un  de  Messieurs  et  que  M.  le  premier  président  sera 
chargé  de  se  relirer  par-devers  le  roi,  à  l'effet  de  supplier  ledit  seigncui- 
roi  de  peser  dans  sa  sagesse  les  moyens  les  plus  sûrs  de  donner  un  état 
civil  aux  protestants.  »  (Bachavmont,  Mémoires  secrets,  XXXIV,  230, 
•231.) 

29  novembre  1787.  —  L'assemblée  indiquée  pour  aujourd'hui  a  eu  lieu 
au  sujet  de  l'édit  concernant  l'état  civil  à  donner  aux  protestants,  et  il  en 
résulte  l'arrêté  suivant  : 

«  La  cour,  avant  de  délibérer  sur  l'édit,  attendu  l'absence  des  princes 
et  pairs,  avec  lesquels  la  délibération  avait  été  commencée  en  présence  du 
roi,  reprise  le  lendemain  etcontiiuiée  avec  eux  au  mercredi  28,  a  remis  la 
déhbéralion  au  vendredi  7  décembre  prochain,  et  espérant  ladite  Cour  qu'à 
cette  époque  la  levée  des  obstacles  qui  paraissent  s'opposera  la  venue  des 
princes  et  pairs,  mettra  la  Cour  à  portée  de  recevoir  les  lumières  des  mem- 
bres les  plus  distingués  en  icelle,  pour  délibérer  sur  un  acte  de  législation 
aussi  important,  et  qu'elle  sollicitait  depuis  longtemps  de  la  bonté  du  sou- 
verain. »  (Baciiaumont,  Mémoires  secrets^  XXXVI,  232,  233. J 

8  décembre  1787.  —  Le  gouvernement  a  tellement  à  cœur  de  faire  pas- 
ser l'édit  au  sujet  des  protestants  que  le  parlement  reculant  de  s'occuper  de 
fond  sous  prétexte  que  la  délibération  ayant  été  commencée  avec  les  prin- 
ces et  pairs,  ne  pourrait  être  continuée  sans  eux,  il  a  fléchi  encore  en  ce 
point;  il  a  été  écrit  aux  princes  et  pairs  une  espèce  de  lettre  d'excuse,  où 
S.  M.  leur  déclare  qu'elle  n'a  jamais  voulu  les  priver  de  leur  droit  ; 
qu'elle  n'avait  entendu  que  leur  faire  une  simple  invitation  de  s'abstenir 
d'aller  au  palais  :  en  sorte  qu'ils  s'y  sont  rendus  hier.  Il  n'y  avait  cepen- 
dant de  princes  du  sang  que  le  prince  de  Coudé  et  le  duc  de  Bourbon. 

On  a  délibéré  sur  l'édit.  Le  titre  qui  ne  caractérise  en  rien  les  protes- 
tants et  embrasse  généralement  tous  ceux  qui  ne  sont  pas  de  la  religioi! 
catholique,  a  donné  lieu  à  un  long  dire  de  la  part  de  M.  d'Eprémesnil;  il 
a  observé  que  c'était  ouvrir  la  porte  à  toutes  les  sectes.  Le  duc  de  Mor- 
temart,  qui  commence  à  se  distinguer  dans  les  assemblées,  a  vivement  re- 


268  MELANGES. 

levé  l'orateur  à  ce  sujet  :  il  a  regardé  comme  un  trait  de  sagesse  et  de  po- 
litique profonde  de  la  part  du  gouvernement,  d'avoir  généralisé  le  titre, 
puisqu'il  n'était  pas  question  de  donner  un  état  civil  aux  protestants 
comme  protestants,  mais  comme  citoyens,  comme  hommes  :  qualité  qui 
en  effet  concernait  les  suivants  de  toute  religion  quelconque.  31.  le  duc 
de  Luynes  a  secondé  puissamment  le  pair.  On  a  fait  ensuite  d'autres  ob- 
jections plus  solides  qui  ont  décidé  à  renvoyer  l'examen  de  l'édit  ù  des 
commissaires. 
La  séance  très  longue  a  été  remise  au  vendredi  II. 

Il  décembre  1787. —  C'est  Madame  la  maréchale  de  Noailles,  qui  en- 
voie et  colporte  le  prétendu  discours  d'un  ministre  dans  le  conseil  contre 
les  protestants, ouvrage, à  ce  qu'on  assure,  de  l'abhé  Beauregard, de l'abhé 
l'Enfant  et  de  l'abbé  Bergicr.  3Iais  c'est  surtout  à  l'ex-jésuite  qu'on  l'attri- 
bue. Quoi  qu'il  en  soit,  la  vieille  maréchale  ayant  fait  remplir  le  carrosse  du 
maréchal  qui  allait  à  Paris,  d'une  quantité  il't'xemplaires  de  cet  ouvrage, 
les  gens  du  maitre  ne  purent  s'empèchei'  de  lui  en  rendre  compte.  Il  dit 
que  c'était  bon,  (|u"il  fallait  obéir  à  sa  femme.  3Iais  quand  il  fut  aux  bar- 
rières, il  arrêta  et  ayant  fait  donner  l'éveil  au  commis,  il  fut  saisi  et  visité. 
Il  a  jugé  que  celte  petite  espièglerie  serait  le  meilleur  moyen  de  prévenir 
désormais  pareille  supercherie.  (Bachaumont,  XXXVI,  274.) 

13  décembre  1787. — L'auteur  de  la  Lettre  à  un  magistrat,  profitant  du 
délai  que  le  parlement  a  pris  pour  l'enregistrement  de  la  nouvelle  loi  con- 
cernant les  protestants,  s'est  hfité  d'en  écrire  une  seconde,  où  il  ne  fait  que 
répéter  ce  qu'il  a  dit:  il  voudrait  (ju'on  laissât  les  religiounaires  dans  l'état 
d'incertitude  oix  ils  sont;  il  prétend  qu'il  n'en  résulte  aucun  mal  pour  eux, 
sinon  que  peu  à  peu  ils  prennent  le  parti  de  rentrer  au  bercail.  —  Toute 
celte  lettre  est  une  pure  déclamation  de  rhéteur  assez  bien  écrite ,  mais 
sans  discussion,  sans  solidité, sans  raisonnement  réel.  (Bachaumont,  Mém. 
secrets,  XXXVI,  279,  280.) 

16  décembre  1787.  —  Pour  contre-balancer  dans  le  public  l'impression 
qu'auraient  pu  faire  les  différents  écrits  répandus  contre  la  tolérance  en 
faveur  des  piotestants  et  leur  rentrée  dans  le  royaume,  on  vient  d'impri- 
mer le  Mémoire  de  M.  de  Malesherbes  à  leur  sujet,  Mémoire  lu  au  conseil 
et  qui  n'a  pas  peu  contribué  à  la  décision  prise  à  ce  sujet.  (Bacuau-uont, 
Mém.  secrets,  XXXVI,  291 .) 

2.")  décembre  1787.  —  Hier  le  bruit  de  la  mort  de  .Madame  Louise  aux 
Carmélites  de  Saint -Denis,  s'est  répandu  et  confirmé  avec  rapidité.  L'édit 


MÉLANGES.  269 

eu  faveur  des  calvinistes  perd  en  Madame  Louise  un  grand  adversaire.  Son 
zèle  ardent  et  ai'tif  ne  lui  avait  pas  permis  de  rester  neutre  dans  une  pareille 
occasion,  et  elle  excitait  vivement  ses  sœurs,  les  évêques  et  tout  le  parti 
des  dévots  à  faire  corps  pour  empêcher  un  retour  aussi  funeste  à  ia  reli- 
gion. (BachaumoiNT,  Mém.  secrets^  XXXVI,  319.) 

31  décembre  1787.  —  Le  zèle  de  3iadame  lamaréchale  de  iNoailles  pour 
empêcher  l'édit  des  noii-calholiques  de  passer  est  si  excessif,  que  non- 
seulement  elle  a  fait  composer  le  grand  ouvrage  qu'elle  a  colporté  ensuite, 
et  qu'on  donne  en  dernier  lieu  à  un  abbé  Pey,  chanoine  de  l'Eglise  de 
Paris;  mais  qu'elle  est  allée  en  offrir  un  exemplaire  à  chaque  membre  du 
parlement,  et  a  écrit  à  ceux  qu'elle  savait  les  plus  décidés  à  l'enregistre- 
ment, tels  que  M.  Robert  de  Saint-Vincent,  de  vouloir  bien  lui  faire  part  de 
leurs  objections  et  qu'elle  se  chargeait  de  les  faire  résoudre. 

Sans  doute,  Madame  la  marquise  de  Sillery  (ci-devant  Madame  de  Genlis), 
déjà  fameuse  par  son  livre  en  faveur  de  la  religion  contre  les  philosophes, 
a  de  son  cùlé  mis  autant  de  fanatisme,  car  on  vient  d'accoupler  ces  deux 
dames  dans  un  quatrain  très  piquant  : 

Noailles  et  Sillery,  ces  mères  de  l'Eglise, 
Voudraient  gagner  le  parlement: 
Soit  qu'on  les  voie  ou  qu'on  les  lise. 
Par  malhenr  on  devient  aussitôt  prolûstrint. 

]  2  novembre  illSl. —  On  parle  de  nouveau  delà  rentrée  des  protes- 
tants en  France,  et  ce  qui  en  fait  renouveler  le  bruit,  c'est  l'empressement 
des  puissances  étrangères,  et  surtout  de  l'Empereur,  à  accue;'  ir  les  émi 
grants  de  Hollande,  qui  cherchent  à  se  soustraire  aux  vexations  du  parti 
stallioudérien.  On  s'imagine  que  si  on  leur  offrait  des  conditions  avanta- 
geuses, nombre  de  familles  françaises  qui  oui  fui  la  persécution  en  1685, 
chercheraient  aujourd'hui  un  asile  dans  le  beau  royaume  qu'elles  regret- 
tent toujours.  On  assure  que  M.  de  .llalesherbes  a  sur  cet  objet  un  ouvrage 
très  bien  fait,  et  l'on  est  fâché  qu'il  ne  devienne  pas  public  en  ce  moment  : 
d'ailleurs,  aujourd'hui  que  l'auteur  est  dans  le  ministère,  il  pourrait  avoir 
encore  mieux  une  influence  prépondérante.  (i^AcuAuMo.NT,  Mém.  secrets, 
XXXVI,  179.) 

19«o/:e»?6re  1787.  —  Dans  une  séance  royale  du  parlement,  le  garde 
des  sceaux  fait  un  discours  sur  deux  édits;  l'un  portant  création  d'em- 
prunts |)our400  millions,  et  l'antre  pour  donner  l'état  civil  aux  protestants 
en  France,  apportés  à  l'assemblée.  (Bachaumo.nt,  XXXVI,  201 .) 

21  novembre  1787.  —  Hier  malin   les  chambres  s'assemblèrent  ,  les 


•no  MÉI,A^•(;K^. 

princes  et  pairs  y  séant.  On  remit  à  délibérer  sur  ledit  des  protestants  au 
mercredi  5i8,  sur  ce  qu'il  a  été  observé  cpie  grand  nombre  do  Messieurs 
étaient  absents,  etc. 

On  ne  doute  plus  que  cet  édit  passe,  puisque  c'est  le  vœu  du  parlement 
porté  au  roi  avant  l'assemblée  des  notables. 

La  politique  a  déterminé  à  rendre  cet  édit  en  ce  moment,  où  l'on  ne  peut 
secourir  ouvertement  les  patriotes  boUandais  subjugués  par  le  roi  de  Prusse 
et  le  stathouder,  où  les  troupes  légères  du  premier,  restées  dans  le  pays, 
commettent  des  excès,  où  les  persécutés  émigrent  en  abondance  pour  se 
retirer  sous  la  domination  de  l'Empereur,  qui  les  accneille  avec  empresse- 
ment. Le  principal  ministre,  quoique  homme  d'Eglise,  s'est  flatté  que  la 
circonstance  serait  favorable  pour  en  faire  rentrer  beaucoup  dans  le 
royaume,  surtout  des  familles  d'origine  française.  (Bachacmomt,  Mém. 
secrets,  XXXVI,  206,  207.) 

23  novembre  1787.  —  Le  fanatisme  ne  se  déconcerte  point,  malgré  le 
vnni  général  pour  le  rappel  des  protestants,  et  quoique  le  parlement  se  soit 
expliqué  déjà  plusieurs  fois  en  leur  faveur,  avant  qu'il  ait  délibéré  sur 
l'édii  nouveau  qui  les  concerne,  il  a  été  adressé  à  chaque  membre  un  gros 
in-4°  où  l'on  prévoit  les  plus  grand  maux  de  ce  retour.  On  assure  que  cet 
ouvrage  est  spécieux  et  mérite  d'être  refuté.  (Bachahmont,  Mém,  secrets, 
XXXVI,  216.) 

2.")  novembre  1787.  —  Discours  à  lire  au  conseil,  en  présence  du  roi, 
par  tm  ministre  patriote,  sur  le  projet  d'accorder  Péfat  civil  aux  pro- 
testants, tel  est  le  titre  d'un  gros  in-8°  annoncé.  Il  a  313  pages  de  texte, 
avec  des  notes,  indépendamment  des  pièces  justificatives. 

Les  plus  essentielles  sont  :  1"  Les  Mémoires  du  duc  de  Bourgogne, 
duîtphin  de  France,  petit  fds  de  Louis  A /r, père  de  Louis. \/  ' ;  î"  Lettre 
de  feu  M.  de  Chabannes,  évèque  d'.igen  ,  à  .V.  le  contrôleur  gnéral, 
contre  la  tolérance  des  huguenots  dans  le  royaume,  en  date  du  I"'  mai 
I7Î31  ;  3"  Mémoires  sur  les  entreprises  des  protestants,  présenté  au  roi 
par  l assemblé  du  clergé  de  France  ^n  1780,  tiré  du  procès-verbal  de 
cette  assemblée,  souscrit  par  M.  l'an  !H>vè(pie  de  Toulouse,  aujourd'hui 
principal  ministre  ;  4"  Enfin  plan  du  gouvernement  républicain  que  les 
protestants  voulaient  établir  en  France. 

26  novembre  1787.  —  Le  Discours  a  lire  au  conseil  est  divisé  en  trois 
paragraphi's  :  t°  Qu'ont  fait  les  protestants  avant  la  révolution  de  l'Edit  de 
INanti'S?  —  2°  Que  font-ils  depuis  eclte  é|)oque  .'  —  :{"  Que  feraient-ils 
dans  les  circonstances  actuelles,  si  le  roi  sanctionnait  leur  état  i' 


MÉLANGES.  271 

Ce  (luoiit  fait  les  protestants  s'apprend  dans  l'histoire.  Leur  secfe  a  dé- 
soie la  France  par  le  fer  et  par  le  feu  ;  elle  l'a  livrée  à  l'avarice  et  à 
l'ambition  des  étrangers,  elle  l'a  réduite  à  la  dernière  extrémité  par  la  fu- 
reur des  guerres  civiles,  par  des  révoltes  sans  cesse  réitérées,  par  tous 
les  horribles  excès  de  la  rage  et  de  i'impiélé  ;  elle  a  fait  la  guerre  û  six  rois 
de  France,  et  leur  a  livré  quatre  batailles  rangées.  On  la  voit  audacieuse 
dans  sa  naissance,  séditieuse  dans  son  accroissement,  républicaine  dans  sa 
prospérité,  menaçante  dans  ses  derniers  soupirs.  En  vain  trois  déclarations 
du  roi,  176  arrêts  du  conseil  et  des  parlements,  quatre  ordonnances,  dix  ju- 
gements avaient-ils  tenté  de  réprimer  ses  infractions:  les  calvinistes  éîaient 
toujours  inquiets  et  factieux;  ils  formaient  des  liaisons  criminelles  avec 
les  puissances  étrangères,  ennemies  de  la  France. 

Dans  l'hisloire  sont  encore  consignés  beaucoup  dé  faits  concernant  la 
conduite  des  protestants  depuis  leur  expulsion  de  France.  Ils  préludèrent 
par  les  scènes  que  jouèrent  dans  le  Dauphiné,  le  Vivarais  et  les  Cévennes, 
les  prophètes  et  les  prophétesses;  mais  bientôt  à  cet  enthousiasme  reli- 
gieux succéda  !a  rébellion  manifeste  dans  les  Cévennes  et  éclata  la  guerre 
des  Camisards.  A  la  mort  de  Louis  XIV,  ils  profitèrent  de  la  longue  mino- 
rité de  Louis  XV  pour  entretenir  des  rapports  criminels  avec  les  puissances 
étrangères,  pour  tenir  des  assemblées  illicites,  pour  accueillir  des  pré- 
dicants  qui  ne  furent  occupés  qu'à  exciter  les  peuples  à  la  révolte  :  en 
un  mot,  toute  leur  conduite  ne  fut  qu'une  infraction  continuelle  aux  édiis 
et  déclarations  qui  les  concernaient.  La  déclaration  de  IIU  conjprinie 
l'inquiétude  de  ces  sectaires  et  maintient  le  repos  tant  que  la  fermeté 
du  gouvernement  et  la  paix  de  l'Europe  les  convainquirent  de  l'inutilité, 
du  danger  même  de  leurs  mouvements;  mais  depuis  la  guerre  de  1742, 
ce  ne  fut  plus  de  leur  part  qu'une  chaîne  d'entreprises  criminelles;  présage 
de  celles  auxquelles  ils  se  porteraient,  si  l'on  dérogeait  à  une  loi  positive, 
à  l'illégitimité  de  leur  existence. 

C'est  ce  que  sollicitent  les  fauteurs  du  protestantisme  qui  assiègent  en 
ce  moment  les  avances  du  trône  :  des  mémoires  rédigés  par  des  person 
nages  délégués  du  parti,  décorés  du  titre  de  Députés  des  Eglises  réfor- 
mées,m[ve  autres  deux  miinstres  protestants  de  Metz,  ont  tenté  la  délica- 
tesse du  gouvernement,  en  lui  insinuant  des  offres  pécuniaires  pour  le 
soulager  dans  l'embarras  du  fisc  public  :  on  est  parvenu  à  faire  illusion  à 
plusieurs  membres  de  l'assemblée  des  notables,  qui  ont  élevé  leurs  voix  en 
faveur  des  religionnaires,  mais  étouffées  par  la  prudence  de  Monsieur.  Il 
est  à  présumer  que  tant  d'efforts  combinés  vont  réussir  ;  mais  cette  indul- 
gence déterminée  par  une  fausse  politique  entraînerait  les  suites  les  plus 
déplorables,  la  subversion  totale  de  la  constitution  religieuse  et  politique 
de  l'empire. 


Après  avoir  obtenu  l'état  civil,  les  protestants  demanderaient  des  temples, 
le  culte  publif,  des  dîmes  pour  leurs  pasteurs,  des  synodes  et  des  assem- 
blées périodiques,  des  écoles  et  des  séminaires;  ils  s'introduiraient  dans 
les  assemblées  provinciales,  et  formeraient  un  second  parti  dans  l'Elat. 

Comme  tous  ces  maux  ne  sont  que  de  prévoyance,  l'auteur  ne  discute 
plus  la  matière  en  historien,  mais  en  logicien,  et  afin  de  ne  laisser  aucun 
prétexte  aux  fauteurs  du  protestantisme,  il  établit  quatre  questions  :  Que 
demandent  les  protestants  ?  Sont-ils  fondés  à  le  demander?  Quel  temps 
choisissent-ils  pour  le  demander?  Le  roi  peut-il  accorder,  sans  inconvé- 
nient, ce  qu'ils  demandent."  On  ne  peut  suivre  l'auteur  dans  la  discussion 
de  ces  questions,  et  quoique  les  raisonnements  ne  soient  pas  sans  réplique, 
on  ne  peut  nier,  comme  on  l'a  dit  déjii,  qu'ils  ne  méritent  une  réfutation. 
Cet  ouvragé  est  d'autant  plus  capable  de  frapper  et  de  faire  réfléchir  les 
ministres,  qu'à  quelques  écarts  près  contre  les  jansénistes  et  les  philoso- 
phes, qu'il  appelle  pliilosophistes  et  qu'il  prétend  devoir  bientôt  se  fondre 
dans  le  protestantisme,  s'il  était  admis,  l'écrivain  montre  beaucoup  de  mo- 
dération. 

Quant  au  style,  il  est  vigoureux,  animé,  chaud,  et  en  général,  l'ouvrage 
est  d'un  ex(;elleni  écrivain.  La  prosopopée  de  la  Religion  à  Louis  XVI^  quoi- 
que peu  concluante  dans  une  dissertation,  est  un  morceau  oratoire  propre 
à  mériter  à  l'auteur  une  place  parmi  nos  auteurs  les  plus  éloquents.  (Ba- 
CHAUMONT,  Mém.  secrets,  XXXVI,  226-229.) 

26  novembre  1787.  —  11  vient  d'être  envoyé  encore  aux  différents  mem- 
bres du  parlement  une  feuille  de  16  pages,  intitulée  Lettre  à  un  magistrat 
du  parlement  de  Paris,  au  sujet  de  redit  sur  l'état  civil  des  protes- 
tants. 

(;'est  un  extrait  succinl  du  gros  ouvrage  dont  on  a  rendu  compte.  L'au- 
teur de  celui-ci  ne  connaissant  point  l'édit,  qu'on  assure  avoir  37  articles, 
n'en  discute  aucun,  mais  combat  en  général  le  projet  de  donner  une  exis- 
tence légale  aux  religionnaires.  il  prétend  ([u'on  manquera  le  but  qui  est 
d'en  l'amener  beaucoup  dans  le  royaume,  et  qu'on  se  prépare  des  troubles 
futurs  (|u  une  sage  et  juste  intolérance  avait  enlin  anéantis  ;  que  le  nombre 
(les  protestants  diminuait  sensiblement;  que  cette  secte  allait  s'éteindre  et 
(ju'on  h  fera  renaître.  Toul  ce  que  l'écrivain  avance  n'est  pas  fort  péremp- 
loirc,  et  il  serait  aisé  de  le  rél'iiter  par  ses  propres  raisonnciiienls.  (lU- 
CHAUMo.NT;  ^Icm.  secrets,  XXXVI,  230,  231). 

fVoir  une  an;dyse  \ilus  éteiuhu^  de  cet  écrit  dans  Malk^ueuiiks,  par  de 
Lislede  Sales  (Paris,  1803),  pag.  82  etsuiv.) 

l'aria.  —  ly;..  de  Cli.  Mcyrucis,  rue  des  (ires,  11.  —  18Gi. 


SOCIÉTÉ  DE  L'HISTOIRE 


PROTESTANTISME    FRANÇAIS. 


(ÎIXiK'sticns  ft  Ecpoiiôfs.  —  €orrc6pau^a»cf. 

OBSERVATIONS    ET    COMMUNICATIONS    RELATIVES    A    DES    DOCUMENTS    PUBLIÉS 
—  AVIS   DIVERS,    ETC. 

•loachiiu  Uu  Aluulin,  père  du  célèbre  Pierre  On  Moulin, 
a-t-il  été  moine? 

MM.  Haag,  dans  la  France  protestante,  à  l'article  Dumoulin  (t.  IV, 
p.  419),  s'expriment  ainsi  :  «  Le  satirique  auteur  du  Rabelais  réformé  pré- 
tend que,  quand  il  se  convertit,  Joachim  Dumoulin  était  célestin  à  Amiens. 
C'est  une  fable  qui  a  déjà  été  réfutée  dans  les  doinières  éditions  du  Diction- 
naire  de  Ladvocat.  Sa  vie,  du  reste,  est  peu  connue.  » 

Ces  messieurs  eussent  pu  ajouter  que  Pierre  Du  Moulin  lui-même  l'avait 
déjà  énergiquement  repoussée  dans  sa  Nouveauté  du  Papisme.  Comme  cet 
ouvrage  est  assez  rare-  aujourd'hui  (j'en  prépare  depuis  plusieurs  années 
une  quatrième  édition),  je  prendrai  la  liberté  d'en  transcrire  ici  fidèlement 
les  paragraphes  relatifs  à  l'assertion  mentionnée. 

«  Quand  nos  adversaires  voyent  toutes  leurs  défenses  abbatuës,  leur 
coustume  est  de  faire  des  amplifications  d'injures,  comme  quand  on  n'a  plus 
de  pierres  à  jetter,  on  jette  de  la  fange.  —  Ils  nous  reprochent  qu'en  abo- 
lissant les  satisfactions,  nous  rendons  les  hommes  négligens  à  bonnes  œu- 
vres, et  les  plongeons  dans  l'ordure  des  vices.  Que  nous  rejetions  toute' 
sorte  d'absiinence,  ouvrons  la  porte  aux  desbauches,  enseignons  à  rompre 
les  vœus  du  célibat,  pour  se  vautrer  es  délices  charnels.  Que  de  ce  nombre 
a  esté  le  père  de  Du  Moulin,  qui  estoit  un  moine  célestin,  qui  a  mieux  aimé 
vivre  d'une  vie  licentieuse  que  de  garder  son  vœu.  Pourtant  (I)  ils  donnent 
conseil  à  Du  Moulin  de  ne  mesdire  point  de  la  vie  monastique,  et  ne  dire 
plus  que  les  moines  ont  mis  les  vices  et  l'oisiveté  à  l'ombre  de  l'autel,  et 
font  des  saints  atin  d'estre  inutiles,  etd'espargner  la  mémoire  de  son  père. 
Cela  suivi  d'une  gresle  d'injures,  l'appellant  athéisle,  séducteur,  profane, 
bouffon,  etc.  —  Je  respons  que  quand  nous  serions  aussi  noirs  qu'ils  nous 

(1)  L'auteur  du  Bouclier  de  la  Fui/  catholique.  {Note  de  P.  Du  Moulin.) 
1864.  OcT.  A  DEC.  N"»  10,  11,  12.  XIII.    4  8 


274 


QUESTIONS    ET    REPONSES. 


peignent,  et  que  notre  vie  seroit  telle  qu'ils  la  représentent,  pour  cela  leur 
cause  ne  seroit  améliorée,  ni  les  satisfactions  humaines  establies,  ni  le  hé- 
nétice  de  Jésus-Christ  diminué.  Duquel  la  perfection,  pendant  qu'elle  de- 
meure fermement  establie  par  preuves  tirées  de  la  Parole  de  Dieu,  toutes 
leurs  invectives  contre  nos  personnes  ne  touchent  point  la  cause,  et  ne 
changent  point  la  Parole  de  Dieu.  Mesme  il  se  trouvera  en  l'Eglise  romaine 
plusieurs  gens  d'honneur,  ausquels  notre  vie  et  conversation  est  cogneuë, 
qui  nous  rendront  autre  tesmoignage.  Mais  ceux  qui  vomissent  ces  injures 
sont  quelques  esprits  acariastres,  disciples  du  père  Véron,  que  le  pape 
retient  liez  par  le  ventre,  desquels  l'orgueil  et  l'impétuosité  ignorante  est 
digne  de  compassion,  ausquels  une  mitre  trop  enfoncée  bande  les  yeux,  et 
les  empesche  de  voir  la  clarté  »  (1). 

Un  peu  plus  loin,  Du  Moulin  s'exprime  ainsi  :  «  Quant  aux  reproches 
qu'on  nous  fait,  que  nous  incitons  les  hommes  à  rompre  leur  vœu,  et  que 
les  moines  sortans  des  couvens  se  jettent  parmi  nous  pour  vivre  avec  li- 
cence et  secouer  lejouy,  je  recognois  franchement  en  avoir  cognu  plu- 
sieurs sortir  des  monastères  qui  desjà  ne  valans  rien  pendant  ([u'ils  estoieiit 
moines,  n'ont  pas  mieux  valu  après  en  estie  sortis.  Estuns  nourris  en  oisi- 
veté, et  ainians  la  licence,  ils  entrent  parmi  nous  pour  y  apporter  les  vices. 
A  peine  de  cent  qui  sortent  des  couvens  les  cinq  réussissent  à  bien.  Oue  si 
le  caractère  de  prestrise  est  indélébile,  celuy  du  monachat  l'est  beaucoup 
davantage.  Que  si  quelques-uns  sortis  de  là  s'aùdonnent  au  bien,  ce  sont 
ceux  qui  n'y  ont  guéres  croupi,  ou  quelques-uns  que  Dieu  a  touchés  de 
l'Esprit  de  sa  crainte,  et  leur  a  donné  la  cognoissance  en  plus  grande  me- 
sure. Que  si  pour  leurs  atfaires  domestiques,  ou  pour  éviter  les  tdntalions, 
ils  se  marient,  vivans  honnestement  et  avec  chasteté  conjugale,  ils  suivent 
en  cela  le  conseil  de  l'Apostre,  et  obéissent  à  la  Parole  de  Dieu,  à  laquelle 
ils  sont  plus  obligez  d'obéir  qu'à  des  lois  injustes,  et  à  un  vœu  téméraire 
qui  enlace  les  consciences  et  que  la  Parole  de  Dieu  n'approuve  point.  — 
Que  si  mon  père  eust  esté  de  ce  nombre,  je  ne  le  tiendrois  point  à  reproche, 
et  ne  penserois  point  que  cela  eust  terni  aucunement  l'honneur  de  mon 
ministère,  i^lais  ceux  qui  ont  forgé  ce  mensonge  devoyent  attendre  ma  mort, 
afin  de  mentir  avec  plus  de  liberté  :  et  devoyent  spéciller  de  quel  monas- 
tère mon  père  a  esté  moine,  et  quand  il  en  est  sorti.  Chose  qui  ne  se  trou- 
vera point.  Car  ayant  esté  appelle  à  la  cognoissance  de  Dieu  dès  sa  première 
jeunesse,  il  s'est  consacré  au  sainct  ministère,  auquel  il  a  servi  en  toute 
lidélité  l'espace  de  soixante  ans,  jusqu'au  bout  de  sa  course.  Sa  vie  saincle, 
sa  conversation  honorable,  son  courage  es  alllictions  continuelles  qu'il  a 
portées  joyeusement  pour  la  Parole  de  Dieu,  son  zèle  ardent,  sa  vigilance 

(1)  P.  du  Moulin,  Nnumautc  du  Pajti.smet  1.  Vli,  conlrov.  VIII,  cli.  x,  p.  759-760 
de  la  3«  édition.  Genève,  1633. 


QUESTIONS   ET    RÉPONSES.  275 

en  sa  vocation,  son  humeur  agréable  et  affable,  qu'il  assaisonnoit  d'une 
honneste  gravité,  estoyent  autant  esloignez  de  l'air  du  monastère,  que  le 
ciel  est  loin  de  la  terre,  ou  la  messe  de  l'Evangile.  Sa  famille  et  sa  vie 
cognuë  à  Orléans  (dont  i!  ostoit  issu)  par  ceux  de  l'une  et  de  l'autre  reli- 
gion, démentent  assez  ceste  fable.  Ne  faut  s'esbabir  si  on  ose  mentir  tou- 
chant un  homme  mort,  veu  que  moy  vivant  lorsque  j'estois  à  Paris,  servant 
au  ministère  de  l'Evangile,  preschant  et  escrivani  pour  la  défense  de  la 
cause  de  Jésus-Chrisi ,  les  prosnes  retentissoyent  des  nouvelles  de  ma  conver- 
sion en  l'Eglise  romaine,  desjà  on  me  pourvoyoit  de  bénéfices,  desjà,  selon 
qu'on  preschoit,  je  minutois  mon  voyage  pour  aller  en  poste  à  Rome,  desjà 
en  une  telle  Eglise  le  peuple  m'allendoit  pour  ouïr  ma  déclaration.  Tels 
artifices  estonnent  les  infirmes  pour  un  temps,  et  un  mensonge  creu  par 
trois  jours  a  tousjours  quelque  effect.  Mais  les  prudens  disent  qu'une  doc- 
trine mensongère  ne  se  défend  que  par  d'autres  mensonges,  et  que  si 
mesme  il  ne  faut  pas  prescher  la  vérité  alin  de  plaire  aux  hommes,  beau- 
coup moins  faut-il  mentir  afin  de  plaire  à  Dieu  »  (I). 

Disons  encore  que  le  père  Garasse,  jésuite,  a  publié  son  Rabelais  ré- 
formé, dirigé  contre  Pierre  Du  Moulin,  en  4  62Ô.  Jean  Jaubert,  comte  de 
Barrault,  et  évêque  de  Bazas,  n'a  publié  son  Bouclier  de  la  Foi  catholique 
qu'en  1 626.  L'évèque  a  donc  puisé  ses  faussetés  et  ses  calomnies  dans  le 
père  jésuite,  qui,  du  reste,  n'en  était  nullement  chiche.  Feller,  un  autre 
jésuite,  n'a  pu  s'empêcher  de  s'exprimer  ainsi  à  son  sujet,  dans  sa  Biogra- 
phie universelle  :  «  Son  livre  de  Recherches  des  Recherches  d'Etienne 
Pasquier  peut  être  regardé  comme  les  archives  où  Voltaire  a  puisé  les  in- 
jures qu'il  a  prodiguées  à  tant  d'écrivains.  Il  y  a  cependant  cette  différence 
entre  lui  et  Garasse,  que  celui-ci  se  bornait  à  dire  que  ses  adversaires 
étaient  des  impies^  des  athées,  des  ânes,  des  sots  par  bémol,  des  sots 
par  béquarre,  des  sots  à  la  plus  haute  gamme,  et  que  le  second  a  traité 
les  siens  non-seulement  û^ânes  et  de  sots,  mais  de  crocahts,  de  cuistres, 
de  marauts,  de  fripons,  d'ivrognes,  de  sodomistes,  de  scélérats,  ù' au- 
teurs mourant  de  honte  et  de  faim.  De  plus,  Garasse  ne  se  passionnait 
que  contre  ceux  qu'il  croyait  être  les  ennemis  de  Dieu,  de  la  morale  et  de 
la  justice;  l'émule  de  Garasse  faisait  des  injures  un  usage  tout  inverse  »  (2). 

L'idée  de  Feller  est  sans  doute  qu'injurier  ad  majorem  gloriani  Dei, 
c'est  faute  vénielle,  si  ce  n'est  acte  méritoire. 

Louis  Durand,  P. 

Liège,  ocl.  1864. 

(1)  Idem,  ibid.,  p.  762-763. 

(-2)  Fuller,  Bio/jruphie  universelle ,  au  mot  Garasse,  t.  V,  p.  369  de  l'édition 
Méquignon-Havard.  I^aris,  1827. 


276  QUESTIOMS    ET    kÉPONSES. 

Une  note  autog^raphe  de  Pierre  Du  lloiilîu,  sur  lu  jq^arde  d'un 
de  ses  ouvrasses  (IC^LS). 

3Ioiisieiir  lo  Président, 
Je  vous  envoie  pour  noire  Bulletin^  ainsi  que  vous  m'en  avez  exprimé 
le  désir,  une  page  inédite  de  Pierre  Du  Moulin,  que  je  trouve  écrite  de  sa 
propre  main  sur  la  première  page  blanche,  ou  cjarde,  d'un  exeniplaire  de 
son  livre  intitulé  :  Eclaircissement  des  Controverses  Salniurlennes.  et 
(ju'il  avait  donné  lui-même  à  un  de  ses  amis  en  1648.  Cet  exemplaire  se 
trouve  dans  la  bibliothèque  pastorale  de  Caen.  Voici  les  lignes  de 
Du  Moulin  : 

Depuis  ce  livre  mis  au  jour,  M.  Amyrault  a  composé  un  livre 
contre  M.  Spanheim,  où  il  met  en  avant  plusieurs  autres  nouvelles 
doctrines  quin'étoient  encore  parues  et  ne  sont  point  examinées  en 
ce  livre. 

11  y  enseigne  : 

1"  Que  Jésus-Christ  a  peu  (sic)  vouloir  pécher. 

2"  Que  Jésus-Christ  ne  domie  point  la  foy. 

3"  Que  Jésus-Christ  ne  nous  impètre  point  la  foy. 

4o  Que  Jésus-Christ  mourant  pour  tous  les  hommes  a  présupposé 
qu'ils  auroient  la  foy. 

5"  Que  la  foy  pour  laquelle  Jésus-Christ  a  im[)étré  le  salut  aux 
hommes  n'est  pas  afin  que  le  salut  leur  soit  communiqué. 

C)°  Que  le  Saint-Esprit  est  donné  à  ceux  qui  ont  déjà  la  foy. 

7"  Que  les  actions  de  Dieu  en  l'œuvre  de  notre  salut  ne  sont  point 
libres. 

8»  Que  les  conseils  de  Dieu  dépendent  de  l'homme,  et  non  l'homme 
du  conseil  de  Dieu. 

9"  Que  l'homme  n'est  obligé  à  faire  ce  qu'il  ne  peut,  et  qu'il  peut 
accomplir  tout  ce  que  Dieu  lui  a  commandé. 

10»  Que  les  hommes  ne  seront  point  jii!;és  par  la  loy  de  Uieu. 

11"  Que  Jésus-Christ  n'est  point  mort  pour  nous  repurger  des 
vices. 

12"  Que  Dieu  a  éleu  ceux-ci  pluslot  (jue  ceux-là,  pour  ce  ([u'il  a 
préveu  qu'ils  croiroient. 

13"  Que  le  péché  d'Adam  n'est  point  imputé  à  sa  postérité. 

IV'  Que  ce  n'est  pas  chose  absurde  de  dire  que  les  réprouvés  peu- 
vent être  sauvés. 


QUESTIONS   ET    REPONSES.  277 

15o  II  a  jusqu'ici  dit  que  les  controverses  entre  lui  et  nous  ne  sont 
que  choses  légères  et  de  peu  d'importance.  Mais  en  ce  dernier  livre, 
il  dit  que  nous  sommes  ennemis  jurés  de  la  grâce  et  miséricorde  de 
Dieu,  que  nous  sommes  enflés  d'orgueil  cherchant  notre  propre  gloire 
et  non  la  gloire  de  Jésus-Christ. 

Après  ces  lignes,  on  lit  écrit  d'une  autre  main  : 

Ceci  est  écrit  de  la  propre  main  de  M.  Dumoidin  qui  me  donna  ce 
livre  lorsque  je  partis  de  Sedan  pour  aller  à  Paris,  l'an  1648. 
Veuillez  agréer,  etc.  Ed.  Melon,  P. 

Caen,  14  nov.  1864. 


lia  vig'nette  dite  «  de  BiM-iiard  Palissy  »  Inî  est-elle 
particulière? 

(Voir  t.  I,  p,  25;  XI,  252,  32-J.) 

Paris,  12  octobre  1864. 
Monsieur  le  Président, 

Le  Magasin  pittoresque,  (]ès  \^^3,  t.  I,  p.  384,  la  Notivelle  Biographie 
générale  de  Didot,  et  enfin  votre  Bulletin,  à  plusieurs  reprises,  et  der- 
nièrement, t.  XI,  p.  323-324,  reproduisent  à  l'envi  l'altribution  faite  à 
Bernard  Palissy  de  la  marque,  accompagnée  des  mois  :  Povreté  empesche 
les  bons  esprits  de  parvenir,  qui  se  trouve  sur  le  litre  de  sa  Recepte 
véritable...,  ouvrage  publié  par  Barthélémy  Berton,  à  La  Rochelle,  en 
1563.  Il  est  temps  d'arrêter  celte  erreur  en  sa  course. 

Puisque  vous  m'y  autorisez,  je  vais  extraire  ce  qui  concerne  la  marque 
en  question  dans  Tarlicle  du  Bulletin  du  Bibliophile  de  Techener, 
mois  de  juillet  août,  pages  990-1013,  el  intitulé  :  Des  marques  typogra- 
phiques; utilité  de  les  connaître.  Après  avoir  établi  que  les  Emblèmes 
d'Alciat,  dont  l'édition  originale  est  de  1531,  sont  une  mine  où  nombre 
d'imprimeurs  et  de  libraires  ont  puisé,  je  termine  la  liste  des  emblèmes 
ainsi  empruntés  par  celui  qui  porte  :  Pauperlatem  summis  ingeniis 
obesse  ne  provehantur ,  et  je  continue  : 

On  lit  au-dessous  quatre  vers  latins  que  Barthélémy  Aneau  a  traduits 
ainsi  : 

PAUVRETÉ  EMPECHE   LES  BONS  ESPRITS  DE  PARVENIR. 

J'ay  pierre  en  dextre,  esles  [ailes]  en  main  senestre. 
L'esle  [aile]  monter  :  la  pierre  fait  bas  estre. 
Par  bon  espoir  aux  deux  poiivois  voler. 
Si  povreté  ne  m'heust  fait  (Invalier; 


2f78 


OL'ESTIONS   KT   RKPONSF.S, 


^:-.^i' 


^pl^S^^^g^U^^;^^^^^.;^  presque    tous    ses    livres 
//      ^  — ^^^^^^^r^  ^^^-'  -^^t^';;;   (Silvestre,  n°«  309,  954  et 


En   1536  cet  emblème  devient  la  marque  d'un  libraire  de  Paris,  Jean 
Foucher,  qui  avait  pour  enseigne  Sub  scuto  florentino  in  via  lacubea 
-—i  .=ir-v  nM.'.ir /•'- V-    que    l'on    rencontre    sur 


es 
et 
955);  il  modifie  naturelle- 
ment ainsi  la  forme  de  la 
devise  d'Alciat  :  Pmtper- 
/^S^>y^    y^)    ^^*  summis  ingeniis  obest 
■"""'^'^^ — ■  ne  provehantur.  C'est  sur 

une  réimpression  du  De  re 
hortensi  de  Ch.  Estienne 
que  je  l'ai  trouvée  à  la 
Bibliothèque  impériale. 
C'est  1:1  un  exemple  de  ce 
qui  devint  plus  tard  fré- 
quent à  Genève  où  les  im- 
primeurs et  les  libraires 
avaient  en  même  temps  que 
leur  enseigne,  qui  indiquait 
leur  domicile,  une  vignette, 
avec  sentence  ou  devise 
dont  le  sens  moral  leur  agréait.  C'est  ainsi  que  l'on  voit  sur  des  livres 
de  Girard  soit  \ Enfant  au  palmier  soit  YEpée  flamboyante ,  ou  bien 
encore  l'épée  sans  flammes  entre  les  lettres  I.  G.,  et  encadrée  dans  ce 
verset  :  La  parole  de  Dieu  est  vive  et  efficace  et  plus  pénétrante  que 
tout  glaive  à  deux  tranchants,  Ebrieux,  4.  Gaullieur  (Etudes  sur  la  tij- 
pof/raphie  genevoise,  p.  177)  nous  dit  :  «  Gamonel  e(  Hardin,  qui  appar- 
tiennent plutôt  au  siècle  suivant,  multiplièrent  leurs  marques  à  liiifini  : 
tantôt  Gamonel  met  à  ses  éditions  un  vase  de  parfums,  tantôt  un  serpent 
dans  un  fraisier,  tantôt  des  portes  que  Samson  emporle  avec  la  devise  : 
Omnia  mecum  porto.  H  était  successeur  de  Hugues  de  la  Porte,  impri- 
meur de  Lyon,  et  il  s'était  établi  à  Genève,  comme  la  plupart  des  autres, 
pour  cause  de  religion.  Saint-André  met  aussi  dans  ses  livres /fc'5?a-C/msf 
assis  sur  une  roue  horizontale  avec  ces  mots  :  Stante  et  currcnte  rotà, 
ou  bien  une  hache  engagée  dans  un  tronc  d'arbre  (emblème  d'Etienne 
Dolel),  avec  (-cux-ci  :  «  La  coîgflce  est  déjà  mise  à  la  racine  de  l'arbre^ 
d'autres  fois  il  adopte  un  couteau  qu'une  main  aiguise,  sur  un  instrument 
de  fer  :  J'errum  ferro  acuitur,  ou  des  forgerons  battant  le  fer  sur  une 
enclume.  PI.  111.  lig.  .'i.  >>  Cette  dernière  marque  est  reproduite  fol.  xvi  du 
recueil  que   M.  Fick  vient  de  publier  sous  le  litre  de  :  Anciens  bois  de 


QUESTIONS   KT    RKPONSES.  279 

l'imprimerie  Fick  à  Genève.  A  Genève,  par  J.-G.  Fick,  imprimeur,  1863. 
in-fol,  20  feuillets. 
Trois  ans  plus  tard,  en  1539,  François  Juste,  de  Lyon,  reprenait  l'idée 
,^^0kP»»<^^s>    de  cet  emblème  de  la  pauvreté.  Il  en  supprime 


le  fond,  remplace  l'enfant  par  un  homme  et  il 
nous  le  donne,  sans  devise  aucune,  sur  le  titre 
d'un  ouvrage  où  l'on  célèbre  le  Triomphe  d'une 
dame  que  la  bienséance  m'empêche  d'appeler  par 
son  nom.  (Voy.  Brunet,  Manuel  du  libraire, 
3'édit.,  111,966.) 

Barthélémy  Berton,  imprimeur  à  La  Rochelle 
de  1563  à  1571,  reprend  l'emblème  d'Alciat  en 
lui  laissant  sa  devise.  Nous  le  donnons  ici  tel 
^}j  qu'il  figure  sur  le  titre  de  l'édition  originale  de 
^^  la  Recepte  véritable  de  Bernard  Palissy  (Ma- 
nuel, IV,  319),  publiée  par  Barlhéiemy  Berton  en  1563.  La  devise  sem- 
ble tellement  être  une  pensée  du  célèbre  «  ouvrier  de  terre  et  inventeur 

des  rustiques  figulines  du  Roy  » 
que  Faujas  de  Saint-Fond  et  Gobet, 
ont  reproduit  cette  marque  sur  le 
titre  de  l'édition  qu'ils  ont  donnée 
de  cet  ouvrage  en  1777.  Mais, 
comme  on  vient  de  le  voir,  ce  n'est 
pas  au  titre  de  l'ouvrage  de  Palissy, 
Recepte  véritable,  qu'elle  figure 
pour  la  première  fois.  J'ai  encore 
rencontré  ce  sujet  sur  le  feuillet  J 
d'un  recueil  de  gravures  sur  bois 
publié  Par  lean  Leclerc,  rue  Saint- 
Jacques  (vers  165....),  in-i".  On  lit 
au-dessous  du  bois,  qui  a  163  milli- 
mètres de  hauteur  : 


CELUI  QUI  VEUT  ET  NE  PEUT. 

Tel  s'efforce  à  monter  aux  grands  biens  et  honneurs, 
Qui  par  un  poids  fort  lourd  est  arresté  en  terre; 
C'est  ainsi  que  Fortune  à  plusieurs  fait  la  guerre, 
En  ruinant  leurs  desseins  les  ravalle  aux  mal-heurs. 

Enfin,  et  c'est,  je  crois,  le  dernier  eniploi  de  cette  marque,  on  la  retrouve, 
en  1618,  sur  le  titre  de  :  Aimable  conférence  entre  le  sieur  Monjons, 


280  QUESTIONS    ET    REPONSES. 

ministre  de  la  parole  de  Dieu  et  le  sieur  Yictoriii  Recelé,  tenue  le  13  et  14 
du  mois  de  mai  1(518  à  Boniieval.  A  La  Rochelle,  par  lehan  Bretommé, 
'1648,  jc!.  ii)-8,  (le  35  p.  [Bibliothèque  lïiazarine].  L'enfant  est  vu  de  dos, 
il  lient  le  poids  de  la  main  droite,  il  lève  la  main  et  la  jambe  gauches.  On 
lit  autour  :  Povreté  empesche  les  bnns  esprits  de  parvenir  (I). 

OhlVlER  lÎAUBIER. 


^'onveaitx  reiiseîarnenienfs  sur  Valéraiid  Poulain. 

(Voir  t.  VII,  12,  2-28,  370  et  VIH,  23,  131.) 

M.  Ch.-L.  Frossard  n'a  rien  appris  d'assez  certain  sur  le  lieu  de  nais- 
sance et  la  famille  de  ce  réformateur.  Il  n'admettait  point  complètement 
son  origine  lilloise;  il  doutait  même  de  sa  noblesse.  Je  viens  au  bout  de 
cinq  ans,  trop  tard  peut-être,  lui  communiquer,  par  la  voie  du  Bulletin, 
ce  qu'il  m'a  été  possible  de  savoir  sur  ces  deux  points. 

Valérand  Poulain  était  Belge  et  de  plus  Lillois.  Il  signait  d'habitude  : 
«  Falerandns  Pollanus,  Flandrvs,  «  ainsi  qu'il  est  facile  de  le  constater 
à  la  bibliothèque  publique  de  Genève  oii  l'on  conserve  (dans  le  vol.  CXII 
de  la  correspondance  de  Calvin)  dix  lettres  de  lui.  La  même  indication  se 
rencontre  dans  les  écrits  du  temps  de  Pierre  Dathenus  et  de  Jean  van 
Utenhove  qui  étaient  à  la  l'ois  ses  compatriotes,  ses  collègues  et  ses  amis. 

John  S.  Burn,  dans  son  Histoire  des  réfugiés  protestants  en  Ànqle- 
ierre,  etc.  (Londres,  1846,  in-S^')^  ^''tc  une  charte  dans  laquelle  Poulain 
avoue  être  né  sujet  de  l'empereur  d'Allemagne,  c'est-à-dire  de  Charles- 
Quint,  qui  était  à  la  l'ois  duc  de  Brabanl  et  comte  de  Flandre. 

Guillaume  Te  Wattu,  pasteur  à  Axel,  l'un  des  meilleurs  histoiieus  de 
la  Hollande,  n'hésite  point,  dès  1762,  à  trancher  la  question.  <•  C'était, 
nous  dit-il  en  pai'lanl  de  notre  réformateur  dans  son  livre  sur  la  confession 
de  foi  des  Ba\s-Bas.   (ui  très  savant,  très  laborieux  et   1res  jtieux  qentil- 

(1)  Depuis  que  ce.s  lij;;nes  ont  àié  l'crite.s,  j'ai  pu  voir  deux  éditions  (i'Alcial, 
oui  sont,  jfi  crois,  les  deux  premières  avec  gravures  sur  bois  :  1"  celle  de  1531, 

Augustœ    Vindelicorum,  pei-  Ilenr.  Stei/iierui/i,  die  28  Fehruarii ,  pet.  in-8", 

signât.  A-K  par  8  fT.  e*  l'  par  4,  le  dernier  feuillet  est  blanc;  2"  une  antre,  de 
la  même  anné,',  de  cliez  le  même  impri:nenr,  mais,  dii:  6  Airrilis.  Les  bois  sont 
les  mêmes,  ijueliiuos-uns  sfiilcmen'  sont  autrement  onc.ulrt''s.  Auiii'ssuus  de  la 
souscription,  et  h  la  place  de  l'Iùrata  (\i\  ('(édition  précédeiifr,  se  voit  la  jolie 
marque  de  Henri  Steyner  di'crite  par  M.  Nugler  dans  son  bel  et  excellent  ou- 
vrage :  Die  Monoijrutnmisten.  Mùuelien,  1863,  gr.  in-8",  t.  IH,  p.  585,  n"  1449. 

Ces  lieux  éditions  sont  fort  rares,  la  seconde  n'est  pas("it(''e  dans  le  Slanuel.  Les 
gravurtis  en  sont  assez  i;rossières.  Il  est  à  remarquer  «pie  dans  celle  qui  s'applique 
a  la  sentiMice  :  Paupert/ilrm  suminis  inr/eniis  obesse  ne  prove/unitur,  le  personnage 
n'est  |ias  un  enfant,  coMime  dans  les  éditions  de  Kerver  et  les  suivantes,  mais 
un  homme  barbu,  ayant  longue  robe  à  larges  manches,  et  la  tète  couverte  d'un 
bonnet.  I>e  plus,  c'est  la  main  g^iuche  qui  porte  une  pierre,  et  la  main  droite 
qui  est  adée,  tandis  que  le  texte  porto  :  Dextru  tetiet  lapidem...      Ol.  B. 


QUESTIONS    ET    REPONSES.  281 

homme  de  Lille  en  Flandre.  »  .Jiimais,  que  nous  sachions,  cette  assertion 
n'a  été  contredite.  M.  le  pasteur  Schrœder,  de  Francfort,  était  donc  par- 
faitement autorisé  à  faire  naître  Poulain  à  Lille.  Mais  il  avait  aussi  des 
preuves  nouvelles  à  faire  valoir  à  l'appui  de  cette  opinion.  C'est  ainsi  que, 
dans  sa  lettre  du  '!<"'"  octobre  1858  adressée  à  M.  le  président  de  notre 
Société,  il  invoquait  le  témoignage  de  Poulain  lui-même,  conçu  en  ces 
termes  :  «  Je  suis  gentilhomme,  je  m'appelle  Valerandus  PoUanus  et  Lille 
en  Flandre  est  ma  patrie.  »  Cette  déclaration  ayant  été  faite  devant  le  ma- 
gistrat de  Francfort,  avait  un  caractère  officiel;  elle  aurait  dû  dissiper  les 
derniers  doutes  de  M.  le  pasteur  Frossard.  Mais  M.  Ch.  Frossard  est  dif- 
ficile à  convaincre  ;  "  En  partant  de  l'hypothèse,  nous  dit-il,  que  Valérand 

Poulain  est  né  à  Lille,  j'arrive  à  la  conclusion  qu'il  pourrait  bien  être 

Bourguignon.  » 

Et  sa  noblesse!  serait-elle  aussi  bourguignonne?  Nous  lisons  cependant 
dans  le  Nobiliaire  des  Pays-Bas  (édition  deLouvain,  1760,  r'^part.,  p.  b) 
ce  qui  suit  :  «  Gauthier  Poulain,  dit  l'Abbé,  conseiller  et  receveur  général 
«  de  Flandre,  et  d'Artois,  fut  déclaré  noble  d'ancienne  extraction  par 
«  lettres  du  2  octobre  1439  après  avoir  démontré  l'ancienneté  et  les  illus- 
«  1res  alliances  de  sa  maison,  rapportées  dans  plusieurs  dépositions  par 
«  écrit  de  la  principale  noblesse  du  pays.  Ses  armes  sont  d'argent  à  un 
«  cheval  de  sable  sellé  et  bridé.  » 

Il  est  d'autant  plus  étonnant  que  ce  Gauthier  Poulain,  qui  n'est  nulle- 
ment Bourguignon  (à  en  juger  par  ses  anciennes  et  nombreuses  alliances 
avec  la  noblesse  de  Flandre),  ait  pu  échapper  aux  savantes  recherches  de 
M.  Ch.  Frossard,  qu'il  est  fort  connu  aux  archives  de  Lille,  où  l'on  con- 
serve de  lui  une  vingtaine  de  comptes  de  recettes  faites  en  Flandre  et  dans 
la  seigneurie  de  iMalines,  et  qui  vont,  je  crois,  de  1422  à  1448. 

J'ai  oublié  si  les  lettres  de  Poulain,  que  l'on  possède  à  Genève,  à  Franc- 
fort, à  Londres  et  à  Gotha,  ont  ou  n'ont  pas  de  cachets  portant  un  cheval 
sellé  et  bridé  sur  champ  d'argent,  mais  la  chose  est  lacile  à  constater,  et 
alors  il  sera  impossible  de  mettre  plus  longtemps  en  doute  l'origine  ou  la 
noblesse  de  notre  réformateur.  Charles  Rahlenbeck. 

Bruxelles,  9  nov.  1864. 


Wétails  fipénéaln^iques  sur  une  famille  de  Ramerupt,  expatriée 
en  fouisse  pour  cause  «le  religion,  au  X.VII'  siècle.  — Réponse. 

(Voir  t.  VIII,  p.  119.) 

Utrecht,  le  16  oct.  1864. 
Monsieur  le  Président, 
Retourné  depuis  peu  en  Hollande  après  un  long  séjour  à  Surinam,  je 


282  QUESTIONS   ET   REPONSES. 

viens,  un  peu  tard  peut-être,  répondre  à  une  question  posée  par  M.  S.  Des- 
combaz  (t.  VIII,  p.  119  du  Bulletin  de  voire  Société,  recueil  qui  jusqu'à 
ce  jour  m'était  inconnu). 

La  question  a  rapport  à  Antoine  de  Brienne,  descendant  de  la  famille 
de  de  Ramerupt  de  Brienne,  réfugié  en  Hollande  au  XVIP  siècle,  et  dont 
le  nom  se  serait  altéré  en  van  Brienner,  puis  en  T'anhrlnnen. 

Les  seuls  descendants,  protestants,  de  cette  famille  en  Hollande,  qui 
me  sont  connus  sont  :  le  chevalier  Gijshert  Karel  Bt/tger  Reinier  van 
Brienen  van  Ramerus^  colonel  de  l'état-major  général ,  acluellement  en 
retraite  à  Bois-le-Duc,  et  son  frère  le  chevalier  Dirk  fl^^illem  van 
Brienen  van  Ramerua,  capitaine  d"infanterie,  en  retraite  à  Utrecht.  Ils 
sont  les  fils  du  général  van  Brienen  van  Ramerns  qui,  comme  com- 
mandant de  la  ville  d'Amsterdam  en  1813,  a  rendu  de  grands  services  à  sa 
patrie  et  à  la  maison  du  prince  d'Orange.  La  noblesse  de  cette  branche, 
qui  porte  «  d'argent  au  licorne  de  gueules,  »  a  été  reconnue  en 
Hollande. 

Quoique  ces  va7i  Brienen  van  Ramerns  sont  protestants,  et  d'origine 
française,  ils  ne  doivent  pas  être  confondus  avec  les  réformés,  qui  ont 
((uilté  la  France  pour  cause  de  religion  au  XVI''  et  XVH''  siècle.  L'émi- 
gration de  cette  branche  remonte  au  Xlll'"  siècle.  Erard  de  Brienne,  sei- 
gneur de  Rameru,  ayant  épousé  sa  cousine,  Philippe  de  Champagne,  dis- 
puta le  cnmié  de  Champagne  à  Blanche  et  son  fils  Thibaut;  mais  par  un 
jugement  des  pairs,  qui,  par  ordre  du  roi,  s'étaient  assemblés  en  1210  à 
Melun,  il  fut  débouté;  en  1221  il  renonça  ;'i  tous  les  droits  qu'il  prétendait, 
moyenn;inl  une  récompense  qu'il  l'cçut  en  d'autres  terres.  (Voir  Nobiliaire 
de  Champagne  de  d'Hozier  ;  Recherches  de  la  Noblesse  de  Champagne, 
par  de  Caumarlin  et  autres.) 

On  présume  que  ses  descendants  se  sont  rendus  dans  le  pays  de  Clèves, 
où  ils  ont  donné  leur  nom  au  village  liricimen,  situé  aux  environs  de 
Grielhuyzen,  et  que  plus  tard  ils  se  sont  dispersés  dans  le  comté  de 
Gueidres.  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que  déjà  en  1298  on  trouve  men- 
tionné, en  Gueidres,  un  Dirk  van  Brienen  van  Ramerns,  qui,  en  1340, 
était  drossart  de  Zutphen,  où  il  se  maria  à  Maria  van  Lynden,  et  en  1361 
prévôt  du  cloître  Bellehem,  près  de  Deutichem.  Sa  généalogie  a  été  con- 
tinuée jusqu'à  ces  jours.  Le  général  van  Brienen  van  Ramerns  et  ses 
deux  lils,  dont  je  viens  de  parler,  descendent  de  lui  en  ligne  dii'ecic;  ces 
deux  derniers  n'ayant  pas  d'entants,  il  est  probable  que  cette  famille  s'é- 
teindra en  Hollande. 

Mais  il  y  a  en  outre  depuis  un  siècle  et  demi  des  van  Brienen  protes- 
tants, en  HuHsie,  priuci|)alemcnt  à  Archangel,  qui  portent  des  armoiries 
analogues  à  celles  de  la  branche  des  van  Brienen  van  Hameriis,  et  (luiil  le 


QUESTIONS    ET    REPONSES.  283 

nom  van  Brienen  mùiq\ie  assez  une  origine  hollandaise.  Sont-ils  descen- 
dants d'Antoine  de  Brienne,  qui,  au  XVIP  siècle,  se  réfugia  en  Hollande? 
Voilà  une  question  que  je  n'ai  pu  résoudre. 

Les  van  Brienen  van  de  Grotelindt,  à  la  Haye,  les  van  Brienen  à 
Maestricht  et  à  Saint-Frond  sont  catholiques. 

Veuillez  agréer,  etc.  Cn.  Landré,  doct.  méd. 


IBenseig^iiements  demandés  sur  Daniel  I^andré,  réfug^ié 
orîg'inaîre  de  CJien  (lioiret). 

P.-S.  —  Permettez  que  j'ajoute  à  celte  lettre  quelques  informations, 
qui  ont  rapport  à  ma  famille,  aux  Landré,  dont  la  généalogie  a  été  publiée 
dans  la  France  protestante. 

Suivant  une  tradition  Paniel  Landré,  qui  en  1683  s'est  enfui  hors  de  la 
France,  était  né  en  1627  à  Gien  (tandis  qu'un  des  membres  de  notre  fa- 
mille a  cru  qu'il  était  originaire  de  la  ville  d'Orléans  ou  de  Blojs);  l'apte 
de  naissance  ou  de  baptême  nous  manque.  Serait-il  possible  de  constater 
par  les  registres  de  l'Eglise  protestante  ou  de  l'état  civil  de  Gien  : 

1°  L'époque  de  naissance  de  Daniel  Landfé; 

2°  L'époque  de  la  mort  de  Madeleine  Maussin,  sa  femme;  et  enfin 

3°  Si  Daniel  Landré  a  laissé  des  parents  en  France. 

Ces  demandes  n'ont  dMntérêt  réel  que  pour  une  seule  famille  et  ne  sont 
peut -être  pas  de  nature  à  être  insérées  dans  votre  Bulletin;  mais  j'espère, 
Monsieur,  que  par  les  amples  relations  de  votre  Société,  vous  serez  en 
état  de  me  procurer  quelques  informations  à  ce  sujet,  et  je  vous  en  serais 
infiniment  reconnaissant. 

Veuillez  agréer,  etc.  Ch.  Landré,  doct.  méd. 


Qu'est-ce  que  le  ((  Bracque  latin»  »  devant  lequel  était  le  prêche 
des  huguenots  en  1563? 

(Voir  ci-dessus,  pages  15  et  116.) 

Monsieur  le  président,  voici  au  sujet  du  «  Braque  latin  »  une  indication 
que  je  trouve  dans  Rabelais  {Gargantua,  ch.  XXIII)  :  «  Ce  faict,  issoient 
«  hors...  et  se  despartoient  en  Bracque  ou  es  près,  et  jouoient  à  la  balle,  à 
«  la  paulme,  etc..  »  Et  l'éditeur,  M.  Louis  Barré,  ajoute  en  note  :  «  Jeu 
«  de  paume  du  faubourg  Saint-Marceau,  ayant  pour  enseigne  un  chien 
«  braque.  » 


284-  QUESTIONS    ET    REPONSES. 

Vous  ferez  de  ce  renseignement  ce  que  vous  voudrez;  je  voudrais  pou- 
voir vous  en  offrir  souvent  de  plus  utiles.  On. 
Verviers,  8  sept.  18C4. 

Cette  indication,  dont  nous  remercions  notre  correspondant,  complète, 
comme  on  voit,  les  renseignements  reproduits  ci-dessus  p.  116.  Voilà  la 
question  parfaitement  éclaircie. 


Un  propos  de  cardinal,  a\ec  la  réplique  de  Thi'odore  de  Bèze, 
au  colloque  de  Poissy  (1501). 

Dans  un  volume  in-folio  de  la  belle  collection  de  manuscrits  appartenant 
à  M.  le  colonel  Henri  Tronchin,  et  qui  porte  pour  titre  :  Théodore  de 
Bèze.  —  Titres,  papiers  et  lettres  de  famille^  nous  rencontrions  naguère 
une  anecdote  que  nous  n'avons  trouvée  nulle  part  ailleurs,  et  qui  nous  a 
paru  assez  caractéristique.  La  voici  telle  que  nous  l'avons  textuellement 
transcrite  : 

«  M.  de  Besze,  entrant  dans  la  conférence  de  Poissy  avec  un  ministre 
«  de  Genève,  un  cardinal  dit  :  ï'oici  les  chiens  de  Genève l  —  M.  de  Besze, 
«  l'ayant  entendu,  répondit  :  //  est  bien  nécessaire  que  dans  la  bergerie 
"  du  Seigneur,  il  ij  ait  des  chiens  pour  abboyer  contre  les  loups.  » 


Un  livre  allemand  traduit  eu  français  par  le  lils  d'un  ministre 
réfug^ié.  —  4|uel  est  sou  nom?  —  ll»''ponse. 

(Voir  ci-dessus,  p.  196.) 

C'est  Jean  Comhilhiu,  ministre  de  l'Eglise  française  à  Oppenheim,  qui 
est  le  traducteur  de  l'ouvrage  (W.  Martin  Moller,  Manuel  de  préparation  a 
la  mort.  Lédition  de  Oppenlieim  (Ilierosme  Catlet,  1619,  in-8°)  est  citée 
par  la  France  protestante.  Je  trouve  l'indication  d'une  édition  de  Berne 
iG.  So7inleitner,  1669,  in-8")  (lue  MM.  Ilaag  n'ont  pas  connue.     Ol.  15. 

Paris,  7  nov.  18G4. 


lieux  épifframmes  contre   l.,oiiis  .VIV,  par    le  iils   d'un    pasteur 
martyr.  —  <|uel  est   le  nom  de  ce  dernier î 

Dornholzh.iuson,  It;  octobre  1864. 

Monsieur  le  président,  dans  les  «  Anecdotes  diverses  des  règnes  de 
Louis  XII  ,  Louis  \J   et  Louis  ATI,  en  vers,  prose,  lettres,  mémoires^ 


QUESTIONS    ET    REPONSES.  285 

chansons  et  éplgrammes,  réunis  par  un  écolier  de  15  ans  du  collège  de 
Plessis-Sorbonne ,  à  Paris,  rue  Saint-Jacqîces,  2  vol.  i?i-\'Z,  1790,  « 
—  an  premier  volume,  pages  11  et  12,  se  trouvent  une  épitaphe  et  une 
épigramme  à  l'adresse  de  Louis  XIV,  provenant,  y  est-il  dit,  de  la  plume 
du  lils  d  un  ministre  prolestant  exécuté.  J'ignore  qui  ce  peut  être,  et  il  y 
aurait  lieu,  s'il  est  inconnu,  de  poser  la  question  aux  lecteurs  du  Bulletin; 
non  que  les  quelques  vers  en  question  aient  une  grande  valeur  en  eux- 
mêmes,  mais  parce  qu'il  ne  serait  pas  sans  intérêt  de  savoir  de  quel 
martyr  était  fils  l'auteur  desdites  épigranimi's. 

La  1"27<=  page  du  même  volume  donne,  sur  Mme  de  Maintenons  un 
sixain  que  je  veux  vous  communiquer,  par  la  même  occasion. 

Agréez,  etc.  Em.  Couthaud,  P. 

Epitaphe  d'un  grand  roi,  par  un  protestant  dont  le  père,  ministre, 
a  péri  sur  l'échafaud. 

Ci-gist  le  mari  de  Thérèse, 
De  la  Montespan  le  mignon, 
L'esclave  de  la  Maintenon, 
[Et]  le  valet  du  père  La  Chaise. 

Epigramme  du  même  auteur,  contre  le  même  roi. 

Avoir  le  cœur  aussi  dur  que  le  bronze  et  le  fer. 
Avoir  autant  d'orgueil  qu'en  avait  Lucifer, 
Montrer  une  fierté  qui  n'eut  jamais  d'égale; 
Se  donner  à  Vénus  d'une  façon  brutale, 
Souiller  le  sang  royal  par  sept  enfants  bâtards; 
Vouloir  passer  pour  brave,  et  fuir  tous  les  hasards; 
Dans  les  traités  publics,  être  traître  et  perfide; 
Du  bien  de  ses  voisins  être  toujours  avide; 
Vouloir  faire  régner  une  vieille  sorcière, 
La  femme  de  Scaron,  fille  d'une  geôlière, 

C'est  allicher  que  l'on  veut  être 
Sans  foi,  sans  loi,  sans  Dieu,  sans  maître, 
C'est-à-dire,  en  un  mot,  quelque  diable  incarné. 
Ce  roi  est  cependant  (dit-on),  de  Dieu  donné, 
Mais  si  ce  Dieu  donné  paraît  si  détestable. 
Qu'attendrait-on  de  pis  d'un  roi  donné  du  diable? 

Sur  Madame  de  Maintenon,  par  Madame  la  duchesse  de  ***. 

La  fatale  banqueroute 

Que  fait  Louis,  dans  sa  déroute, 

Surcharge  la  barque  à  Garon, 

Et  fait  craindre,  qu'en  son  vieil  âge, 

La  pauvre  femme  de  Scaron 

N'ait  fait  un  mauvais  mariage. 


i286  QUESTIONS   ET    REPONSES. 

Deux  lettres  inédites  de  Corteis,  pasteur  du  JUésert  (1720).  — 

Un  Poat-scriptum  omis. 

Un  Post-scriptum  très  important  s'est  trouvé  omis  à  la  suite  de  la  pre- 
mière des  deux  lettres  de  CorLeis  que  nous  a  communiquées  M.  Corbière 
(Voir  ci-dessus,  p.  138).  Nous  le  rétablissons  ici. 

{Addition  à  la  lettre  de  Corteis  à  M.  Campredon.) 

Monsieur^  depuis  la  présente  écrite,  je  aprand  qu'on  nous  offre  or 
et  argent  pour  nous  accompagner  hors  de  France.  Soyez  persuadé. 
Monsieur,  que  ce  n'est  ni  or  ni  argent  qui  nous  fait  agir,  mais  le  pur 
mouvement  de  notre  conscience,  la  seuUe  connaissance  de  la  vérité 
et  la  nécessité  indispensable  de  réveiller  les  consciences  qui  dorment 
dans  une  malheureuse  lestargie  et  dans  une  criminelle  sécurité.  Ont 
est  très  mal  informé  de  notre  innonsance  et  de  la  pureté  de  nos  san- 
timants,  nous  serions  les  plus  malheureux  de  tous  les  hommes  sy  de 
simples  considérations  humaines  nous  faisaient  agir. 

La  lettre  de  Corteis  à  M.  Campredon  ne  porte  point  de  date;  mais  elle 
est  évidemment  de  l'année  1720,  ainsi  que  le  prouve  celte  dépêche  de  La- 
vrillière  : 

A  Monsieur  de  Berna(je. 

Monsieur,  j'ay  différé  de  répondre  à  la  lettre  que  vous  vous  êtes 
donné  la  peine  de  m'écrire  le  27  du  mois  dernier,  jusqu'à  ce  que 
j'eusse  trouvé  le  temps  de  Ure  en  entier  à  Monseigneur  le  duc  d'Or- 
léans la  lettre  qui  a  été  écrite  au  sieur  Campredon  par  le  nommé 
Courteis  prédicant.  Son  Altesse  royale,  qui  est  plus  persuadée  que 
jamais  de  la  nécessité  de  s'assurer  de  cet  homme,  a  très  fort  approuvé 
la  promesse  qui  a  été  faite  de  donner  trois  mille  livres  à  celuy  qui  en 
procurera  la  capture.  Ainsi  vous  pouvez  faire  agir  en  conformité. 
Je  mande  la  même  chose  à  M.  de  Rothe  qui  m'en  avait  aussi  écrit. 

Je  suis  toujours  véritablement.   Monsieur,   votre  très  humble  et 

très  affectionné  serviteur. 

A  Meudon,  le  IS--  août  1723. 

Laviullucue. 

Errata.  —  Page  154,  ligne  32  :  an  lieu  de  Campredoiix,  Usez  Campredon. 
159j  7  :  au  lieu  de  Vessou,  lisez  Vesson. 

160,  1,  17,  29  :  id.,  id. 

161.  19  :  au  lieu  de  Veiidemiau,  Usez  Vendemian. 


QUESTIONS    liT    REPONSES. 


•287 


lies  frères  «iohannot,  d'Annonay,  descendants  de  réfugiés, 
lauréats  du  gouYernement  français  en  lïîS. 

«  Les  i'rères  Matthieu  Johannot,  d'Annonay,  obtinrent  en  1760  le  prix  des 
arts  de  l'Académie  de  Besançon ,  destiné  à  récompenser  l'invention  des 
meilleurs  moyens  propres  à  perfectionner  les  papeteries  du  royaume.  Une 
ordonnance  du  3  octobre  1777  ayant  institué  un  prix  en  faveur  des  inven- 
tions ou  des  perfectionnements  les  plus  utiles  à  l'industrie  française, 
M.  de  Galonné  décerna  ce  prix  aux  frères  Johannot.  C'étaient  les  descen- 
dants de  l'un  de  ces  religionnaires  que  la  révocation  de  i'Edit  de  Nantes 
avait  exilés  à  l'étranger.  Le  Johannot  fugitif  alors  était  allé  fonder  en  Al- 
lemagne une  manufacture  de  papier,  que,  fidèles  à  l'industrie  de  leurs 
pères,  les  Matthieu  rapportèrent  en  France.  Ce  sont  eux  (lui  furent  inven- 
teurs du  papier  vélin,  si  répandu  depuis,  mais  qui,  alors,  peu  employé 
aux  usages  du  cabinet,  était  presque  exclusivement  réservé  à  l'impression 
des  éditions  de  luxe  de  Didot  l'aîné.  Les  trois  célèbres  artistes  de  nos 
jours,  Charles,  Alfred,  Tony  Johannot,  nés  à  Offenbach,  dans  le  grand- 
duché  de  Hesse,  descendaient  d'une  branche  de  celle  même  famille 
française.  » 

La  note  qu'on  vient  de  lire  est  tirée  de  l'ouvrage  que  publie  M.  Feuillet 
de  Couches  :  LmcisXFI,  Marie-Antoinette  et  Madame  Etisabeth,  lettres 
et  documents  inédits  (Paris,  Pion,  1864,  t.  I,  p.  149).  Elle  se  rapporte  à 
ce  passage  d'une  lettre  du  roi  Louis  XYl  au  baron  de  Breteuil,  ministre 
de  sa  maison,  en  date  de  Versailles,  le  17  juin  [1784]  : 

u  Je  suis  fort  satisfait  de  la  belle  exécution  des  éditions  classiques  que 
u  Didol  imprime  pour  l'éducation  du  dauphin,  sur  le  superbe  papier  vélin 
«  des  frères  Johannot,  d'Annonay,  à  qui  j'ai  donné  dernièremeiit  le  prix 
->  pour  les  progrès  qu'ils  font  faire  à  cette  branche  de  l'industrie  naiio- 
«  nale.  Le  Tétémaqiie  est  un  chef-d'œuvre.  Reparlez-moi  de  Didot;  je 
«  veux  le  recommander  à  Galonné  et  le  bien  traiter  dans  l'occasion. 
«  (Signé)  Louis.  » 


DOCUMENTS  INÉDITS  ET  ORIGINAUX. 
LE  COLLÈGE  DES  ARTS,  FOHDÉ  A  NIIHES 

sous  FRANÇOIS  I"V,  EN  1537,  ET  DÉTRUIT  EN  iiîQA,  SOUS  LOUIS  XIV. 

M.  le  pasteur  Borrel,  à  qui  nous  dt-vions  déjà  l'intéressante  notice  sur 
l'Académie  ou  Ecole  de  théologie  de  Mîmes  (Voir  t.  Il,  p.  543,  et  III,  43), 
a  bien  voulu  compléter  ce  premier  travail  par  celui  qu'on  va  lire. 

1.  —  A  l'époque  de  la  renaissance  des  lettres,  résultat  de  l'inven- 
tion de  l'imprimerie,  par  laquelle  furent  vaincus  le  pape,  les  con- 
ciles et  tous  les  siècles  de  la  tradition,  parce  que  la  Bible  fut  substi- 
tuée à  l'Eglise,  en  devenant  l'Eglise  elle-même  bâtie  sur  le  Verbe 
divin,  un  mouvement  général  poussa  tous  les  esprits  vers  l'étude 
des  sciences  et  le  perfectionnement  des  arts.  Le  conseil  de  la  ville  de 
Nîmes  n'j'  demeura  pas  étranger;  il  fit  demander  à  François  I"' 
par  Antoine  Arlier,  premier  consul,  l'établissement  d'un  collège, 
semblable  à  celui  (jui  venait  d'être  créé  à  Paris  sous  le  nom  de  col- 
lège des  Trois-Langues,  et  l'obtint  en  1537,  par  suite  de  la  protec- 
tion qu'accordèrent  simultanément  à  ce  projet,  le  duc  de  Montmo- 
rency, le  sénéchal  Charles  de  Crussol  et  la  reine  Marguerite  de 
Navarre.  —  Quand  il  fallut  en  nouimer  le  recteur,  le  choix  des 
membres  de  la  maison  consulaire  tomba  sur  Imbert  Pacolet,  que 
ses  connaissances  littéraires  et  son  érudition  profonde  rendaient 
digne  de  cette  honorable  distinction,  puL-^cjuc  sous  sa  direction,  les 
écoles  ordinaires  de  la  ville  avaient  atteint  un  haut  deiiré  de  prospé- 
rité. 11  offrit  en  effet  de  donner  trois  leçons,  l'une  de  Virgile,  l'autre 
deCicéron,  et  la  troisième  de  dialectique  dans  laquelle  il  explique- 
rait Aristote  en  grec  et  en  latin;  il  promit,  outre  cela,  d'exercer  ses 
écoliers  à  parler  la  langue  latine,  en  leur  donnant  connaissance  des 
bons  grammairiens  et  de  les  conduire  régulièrement  aux  processions 
publiques  jjour  faire  chanter  les  litanies. 

Un  obstacle  invincible  s'opposa  cependant <à son  installation;  comme 
il  était  notoire  (jnc  Pacolet  était,  imbu  des  doctrines  de  la  llél'ornia- 
tioii,  (ju'ii  cette  époque  la  reine  de  Navarre  et  la  duchesse  d'Etam- 
pes  avait  l'ait  goûter  ;i   François  l*'  lui-même,  au  point  qu'il  avait 


LE    COLLEGE   DES    ARTS    A   NIMES.  289 

écrit  à  Mélanchthon,  le  plus  renommé  des  disciples  de  Luther  de  ve- 
nir en  France^,  en  lui  témoignant  le  plaisir  qu'il  aurait  de  l'entendre; 
le  préconteur  de  la  cathédrale  s'opposa  d'une  manière  absolue  à  sa 
promotion. 

Les  consuls  par  suite  de  cette  résistance,  désignèrent  Gaspard  Ca- 
vart,  qui  était  un  savant  grammairien  et  un  profond  latiniste.  Mais 
le  vicaire  général  de  l'évéque,  sous  prétexte  qu'il  se  trouvait  l'ami 
de  Pacolet  et  qu'en  outre,  on  ne  connaissait  ni  son  origine  patrimo- 
niale, ni  le  lieu  de  sa  naissance,  déclara  de  nouveau  qu'il  ne  pouvait 
consentir  à  son  acceptation. 

Deux  années  entières  furent  remplies  de  ces  luttes  intestines,  et 
ce  ne  fut  qu'en  1539,  époque  où  Antoine  Parades,  seigneur  de  Ga- 
jan,  qui  était  alors  à  la  cour,  fit  expédier  les  lettres  patentes  qui  ré- 
gularisaient la  fondation  du  Collège  des  Arts,  que  sur  la  proposition 
qu'en  fit  Jean  Combes,  grenetier  du  grenier  à  sel  et  second  consul, 
on  choisit  d'une  voix  unanime  Claude  Baduel,  pour  diriger  cet  éta- 
blissement universitaire  qui  eut  son  siège  dans  les  bâtiments  de  l'an- 
cien hôpital  Saint-Marc,  adossés  aux  remparts  de  la  ville  vis-à-vis  les 
Calquières,  entre  la  porte  de  la  Couronne  et  le  château  du  roi. 

Claude  Baduel  était  né  à  Nîmes  en  1499,  de  parents  d'une  condi- 
tion obscure;  mais  il  avait  su  se  faire  un  nom  par  ses  progrès  mer- 
veilleux dans  l'étude  des  sciences  philosophiques.  Le  13  juin  1534, 
Mélanchthon  avait  écrit  la  lettre  suivante  à  Marguerite  de  Navarre 
pour  le  lui  recommander  :  «  Ce  sera  une  aumosne  vraymeut  royale 
«  au  profit  de  l'Esglise  chresticune  d'entretenir  et  de  nourrir  tel  es- 
te prit.  Le  très  sainct  prophète  Isaïe,  louant  cette  sorte  d'aumosnes, 
«  dit  que  les  roynes  seront  les  nourrices  des  studieux,  au  nombre 
«  desquelles  l'Eglise  vous  met  depuis  longtemps  par  tout  l'univers, 
«  et  vous  citera  jusques  à  sa  dernière  postérité,  car  entre  toutes  les 
«  vertus  que  la  véritable  Eghse  cultive  avec  un  grand  zèle,  la  re- 
«  connaissance  est  au  premier  rang.  »  Par  la  protection  de  cette 
reine  Baduel  avait  été  nommé  professeur  de  l'université  de  Paris.  Il 
quitta  cette  place  éminente  pour  venir  à  Niraes,  où  il  fut  installé  le 
12  juillet  1540.  Comme  il  écrivait  bien  en  latin  et  qu'en  même  temps  il 
était  bon  orateur,  bon  père  et  bon  chrétien,  sa  réputation  scienti- 
fique attira  dans  le  collège  un  nombre  très  considérable  d'étudiants. 

L'année  suivante  il  associa  à  ses  travaux  académiques  Guillaume 
liigot,  en  qualité  de  professeur  de  philosa;ihie.  Cet  homme  érudit 

XIII.  —  19 


290  LE   COLLEGE    DES    ARTS    X    >'I»ES. 

était  né  à  Laval,  au  pays  de  Maine,  où  il  avait  étudié  la  médecine 
avec  succès;  à  l'âge  de  28  ans,  ayant  accompagné  Bellai  de  Langey 
en  Allemagne,  il  avait  obtenu  une  chaire  dans  l'université  de  Tubin- 
gue,  qu'il  avait  quittée  à  la  suite  de  quelques  différends  qui  s'étaient 
élevés  csntr^  lui  et  ses  collègues,  au  sujet  du  système  philosophique 
de  Mélanchthon  ;  il  s'était  rendu  à  Bàle  en  1536,  d'où  il  rentra  en 
France  cinq  ans  après.  Budé  aurait  voulu  le  retenir  à  Paris,  mais  il 
aima  mieux  venir  à  Nîmes  en  1541  pour  partager  avec  Baduel,  son 
ami,  le  rectorat  du  Collège  des  Arts.  Pendant  la  durée  de  cette  asso- 
ciation, ils  vécurent  dans  l'accord  le  plus  parfait  et  les  écoliers  les 
honorèrent  à  l'égal  l'un  de  l'autre.  Bigot,  au  jugement  de  Scaliger, 
était  l'un  des  plus  grands  philosophes  de  son  temps,  et  Naudé  assure, 
dans  son  Hhtoire  de  Louis  XI,  que  François  1er  l'aurait  attaché  à  sa 
personne,  si  l'évèque  de  Màcon,  grand  aumônier  de  France,  ne  l'en 
eût  détourné,  pour  ne  pas  avoir  un  aussi  docte  censeur  des  discours 
qu'il  prononçait  tous  les  jours  à  sa  table. 

Mais  Baduel  ni  Bigot  ne  demeurèrent  étrangers  au  développement 
rapide  et  progressif  que  la  Réformation  prit  en  France  à  cette  époque; 
le  premier  en  développa  les  principes  dans  une  lettre  latine  qu'il 
adressa  à  son  fils  Paul;  et  le  second  n'observa  plus  les  pratiques  que 
l'Eglise  romaine  prescrit,  concernant  l'abstinence  de  la  viande  les 
vendredis  et  les  samedis;  sous  leur  influence  les  écoliers  en  masse 
gagnés  à  la  nouvelle  doctrine  rejetèrent  ouvertement  les  croyances 
de  Rome  sur  l'autel  et  sur  l'Eglise,  ce  qui  fit  (jue  plusieurs  d'entre 
eux  furent  punis  par  des  censures  ecclésiastiques  et  quelques  autres 
même  par  des  condamnations  émanant  des  juges  séculiers.  L'évèque 
Briçonnet  prit  l'alarme,  se  déclara  l'adversaire  de  Baduel  et  de  Bi- 
got, et  força  le  premier  à  résigner  son  emploi.  Il  ne  lui  fut  pas.  aussi 
facile  de  se  débarrasser  du  second,  par  la  raison  que  les  consuls 
avaient  passé  avec  lui  un  engagement  écrit  pour  quinze  ans;  mais 
in>  [iroeès  domestique  qu'il  eut  à  soutenir  devant  le  parlement  de 
Toulouse  l'obligea  à  se  rendre  dans  cette  ville,  oii  il  fit  un  séjour  de 
dix-huit  mois,  et  il  ne  revint  plus  à  .Nîmes. 

II.  —  A(»rès  la  mort  de  François  V'^  qui  eut  lieu  à  Rambouillet  le 
31  mai  1547  et  que  Henri  II  remplaça  sur  le  trône,  le  rectorat  du 
Colb'ge  des  Arts  fut  coiilié  à  liuillaunie  Tuiran  ;  il  était  encore  en  fonc- 
tions dix  ans  après,  lorsqu'une  trombe  d'eau  menaça  de  détruire  la 


LE   COLLEGE   DES    ARTS   A   NIMES.  291 

ville  tout  entière;  les  flots  montèrent  jusqu'à  six  pieds  par-dessus  le 
rez-de-chaussée  dans  la  cour  du  collège,  dont  le  pavé  était  même 
plus  élevé  que  le  niveau  de  la  rue,  de  sorte  que  pour  en  conserver 
le  souvenir,  on  peignit  contre  le  mur  de  la  classe  de  philosophie  une 
main  qui  traçait  une  ligne,  avec  ce  distique  latin  au-dessous  : 

Anno  post  tercenta  undenaque  lustra,  secundo 
Septembris  nono,  hune  raerserat  unda  locum. 

Ce  ne  fut  que  sous  le  règne  de  François  II  qui  succéda  à  son  père 
en  1559,  que  l'Eglise  réformée  de  Nîmes  s'organisa  et  que  Guillaume 
Mauget  en  fut  nommé  le  pasteur.  Des  mesures  rigoureuses  en  arrê- 
tèrent le  développement,  mais  la  mort  prématurée  de  l'époux  de  la 
célèbre  Marie  Stuart  ayant  fait  monter  Charles  IX  sur  le  trône,  Mau- 
get convoqua  les  chefs  de  famille  le  23  mars  1561,  qui  nommèrent 
les  membres  du  premier  consistoire,  dont  les  travaux  commencèrent 
par  l'établissement  d'une  école  de  théologie. 

La  première  idée  fut  d'attacher  au  Collège  des  Arts  un  ministre  qui 
professerait  les  sciences  théologiques  :  c'est  une  preuve  qu'il  était 
devenu  une  institution  protestante;  avant  de  rien  décider,  on  voulut 
connaître  l'opinion  de  Guillaume  Tuffan,  qui  en  était  le  principal.  Il 
répondit  dans  un  mémoire  en  forme  de  lettre,  que  ce  projet  ne  pré- 
sentait que  des  inconvénients  dans  son  exécution,  attendu  que  l'expé- 
rience avait  prouvé  que,  dans  les  universités  existantes,  l'enseigne- 
ment d'une  science  était  nuisible  à  l'autre  et  qu'il  n'y  en  avait  qu'une 
seule  qu'on  put  propager  avec  succès,  selon  ce  proverbe  des  La- 
tins :  Nemo  potest  simul  soi^bere  et  flore,  de  manière  qu'il  arriverait 
infailliblement,  que  si  l'on  faisait  passer  trop  tôt  les  jeunes  gens  à 
l'étude  de  la  théologie,  les  ministres  deviendraient  aussi  ignorants, 
que  l'avaient  été  précédemment  les  prêtres.  Il  observa  d'ailleurs 
qu'il  n'y  avait  dans  le  Collège,  ni  un  endroit  pour  un  tel  auditoire,  ni 
de  jours  et  d'heures  libres,  tant  les  autres  leçons  les  absurbaietit  en- 
tièrement. Il  ajouta  que,  si  ces  raisons  étaient  trouvées  sans  force, 
il  fallait  y  joindre  celle-ci  :  que  jamais  cette  leçon  de  théologie  ne 
serait  célèbre  si  elle  n'était  donnée  par  un  excellent  ministre;  parce 
qu'un  homme  de  talent,  voyant  que  son  travail  d'esprit  et  d'étude, 
serait  plus  grand,  ou  pour  le  moins  non  moindre,  que  celui  de  la 
prédicatioi  dans  une  ville,  ne  consentirait  pas  à  s'enfermer  dans  un 
collège  et  à  se  soumettre  a  \in  principal,  en  renonçant  aux  douceurs 
de  la  liberté  et  de  la  famille;  car  il  était  impossible  de  lui  attribuer 


292  LE    COLLEGE    DES   ARTS    A    NIMES. 

le  même  rane;  et  le  même  pouvoir  qu'au  piincipal,  sous  peine  de 
voir  deux  autorités  égales  occasionner  par  des  conflits  continuels  la 
ruine  de  l'établissement.  —  A  la  suite  de  ces  considérations  il  pro- 
posa donc,  de  charger  l'un  des  pasteurs  de  l'Eglise,  dont  le  non>bre 
ne  pouvait  qu'augmenter  de  jour  en  jour,  à  cause  de  l'accroissement 
rapide  que  prenait  la  Réforme,  de  faire  une  leçon  publique  de  théolo- 
gie, dans  un  auditoire  spécial,  en  lui  donnant  pour  cela  des  gages 
proportionnés  à  ses  travaux;  de  n'admettre  à  ce  cours  que  les  éco- 
liers qui;  après  un  examen  suffisant,  auraient  été  trouvés  à  la  fois  ca- 
pables et  dignes  d'y  assister. 

«  Ainsi,  dit-il  en  concluant,  sera  bridée  la  eu[)idité  et  ambition 
«  des  jeunes  g«"ns.  qui  tousjours  veuslent  voler  plus  hault  qu'ils  ne 
«  peuvent  et  prestendre  gouverner  les  aultres,  devant  qu'ils  puis- 
«  sent  se  régir  eulx-mêmes,  et  sera  allumée  leur  estude  pour  attein- 
te dre  le  but  à  eulx  proposé,  pour  se  rendre  dignes  d'estres  admis  à 
«  chose  tant  saincte  et  louable.  Cependant  pourront  oyr  les  sermons 
«  des  mercredis  et  dimanches.  Par  mesme  occasion,  les  dicts  jeunes 
«  gens,  poursuyvant  à  grand  loysir  et  par  degrés  lenrs  aultres  estu- 
«  des,  prendront  de  l'âge  de  discrétion,  ne  rompant  l'honneste  et 
«  sainte  coustume  que  toutes  les  nations  humaines  ont  tousjours  re- 
«  teiuie,  que  les  respubhques  soient  tousjours  gouvernées  par  viel- 
«  lards,  comme  preuvent  ces  beaulx  mots  :  Senatus,7îpoj!7Îa,  vipov- 
«  T£ç,  TrpscSÙTrjÇ.  Par  mesmes  moyens,  le  maistre  ou  ministre  sera 
«  plus  occasionné  d'estudier  et  s'entretenir  par  exercisse  en  la  pro- 
«  fonde  intelligence  des  sainctes  lettres.  Que  si  on  m'oppose  la  né- 
«  cessité  présente  d'avoir  force  ministres,  je  répondray  :  que  pour 
«  ung  temps  et  pendant  que  les  apprentifs  se  formeront  et  tascheront 
«  venir  à  l'honneur  de  ceulx  qui  déjà  fleurissent,  sera  mieulx,  que 
«  peu  de  gens,  mais  bons  bergers,  donnent  de  la  bonne  et  pure  pas- 
M  turc  aux  troupeaulx  faméliques,  ung  servant  à  plusieurs  villages, 
«  que  tant  de  insuffisans  bergers,  despourvus  d'expérience,  de 
«  science  et  bien  souvent  de  bonnes  mœurs,  qui  remplissent  plustôt 
«  les  paulvres  brebis  de  maulvaise  pasture  et  ospinions  erronées, 
«  (|u'ils  les  nourrissent  de  bonnes.  » 

Ces  conseils  furent  suivis,  puisque,  au  lieu  de  confondre  l'Ecole  de 
théologie  avec  le  Collège  des  Arts,  on  l'établit  dans  le  local  de  l'Ecole- 
Vieille,  située  dans  la  rue  de  ce  nom  prés  la  place  du  château  du  roi, 
en  lui  donnant  le  pasteur  Mauget  pour  professeur  de  théologie.  Mais 


LE    COLLEGE    HES    ARTS    A    NIMES.  293 

comme  il  fut  remplacé  dans  cette  charge  en  1561,  par  le  célèbre 
Pierre  Viret,  auquel  succéda,  l'année  suivante,  Jacques  Pineton  de 
Cliambrun.  Lorsque,  au  commencement  de  1563,  époque  à  laquelle 
Guillaume  Tuffan  se  démit  de  son  rectorat,  le  pasteur  Mauget  fut 
nommé  principal  du  Collège,  ce  qui  lui  donna  un  caractère  religieux 
exclusivement  protestant. 

Lorsque  en  1566  on  adopta  le  premier  règlement  de  l'Eglise,  qui  se 
trouve  écrit  dans  le  registre  des  délibérations  de  la  propre  main  de 
Théodore  de  Bèze  qui  l'avait  apporté  en  personne  de  Genève,  et  qui 
a  pour  titre  :  «  Mesmoire  de  V ordre  qu'on  tient  o.u  consistoire  de  Nis- 
.«  mes.  »  L'art.  XXI  porte  textuellement  :  «  L'un  des  pasteurs  et  l'un 
«  des  diacres  du  consistoire  auront  charge  de  visiter  le  Collège,  un 
«  jour  de  la  première  semaine  de  chaque  mois,  pour,  avec  le  recteur 
«  et  ses  collègues,  aviser  à  ce  qu'on  peut  désirer  des  régens,  ou  ce 
«  dont  les  régens  ont  à  se  plaindre,  pour  en  faire  rapport  aux  con- 
«  suis,  et  le  greffier  les  avertira  au  commencement  de  chaque  mois.  » 

La  collision  sanglante  de  la  Michelode ,  eu  1567,  et  le  massacre  de 
la  Saint-Barthélémy,  en  1572,  désorganisèrent  tour  à  tour  le  Collège 
des  Arts.  Ce  ne  fut  qu'après  les  délibérations  du  neuvième  synode 
national,  assemblé  à  Sainte-Foy,  le  2  février  1578,  qui  ordonna  aux 
Eglises  de  s'occuper  sérieusement  de  l'instruction  de  la  jeunesse, 
que  le  conseil  consulaire  de  la  ville  de  Nîmes,  appela  Jean  de  Serres, 
à  la  place  universitaire  que  Mauget  décédé  avait  occupée  pendant 
quinze  ans. 

IIL  —  Jean  de  Serres,  né  à  Villeneuve  de  Berg,  dans  le  Vivarais, 
était  le  frère  puîné  d'Olivier  de  Serres,  qu'on  a  nommé  à  juste  titre 
le  Columelle  français;  il  avait  lui-même  établi  sa  réputation  de  sa- 
vant par  la  publication  de  son  Inventaire  général  de  l'Histoire  de 
France,  qui  contient  un  récit  complet  et  détaillé  des  guerres  de  reli- 
gion. Il  arriva  à  Nîmes  le  3  septembre  1578,  fut  logé  au  Collège  et 
chargé  d'y  faire  une  lecture  de  grec  et  de  philosophie.  Au  commen- 
cement de  l'année  suivante,  il  contribua  à  l'établissement  de  la  pre- 
mière imprimerie  à  Nîmes,  en  facilitant  par  ses  démarches  actives  le 
traité  que  les  consuls  passèrent  le  24  février,  avec  Sébastien  Jacqui, 
natif  du  Dauphiné,  par  lequel  ce  dernier  s'engagea,  sa  vie  durant,  à 
tenir  un  atelier  garni  de  caractères  grecs  et  latins,  ainsi  que  tous  les 
outils  nécessaires  à  l'impression  des  ouvrages  classiques,  moyennant 


29»  LR    COLl.Er.F    W3    ART3    A    NMMKS. 

que  la  ville  lui  donnât  une  maison  d'habitation,  avec  quatre-vingts 
écus-sol,  une  fois  payés,  et  l'exemption  de  toutes  tailles  et  charges 
personnelles. 

La  peste  exerça  de  grands  ravages  en  1579;  l'un  des  pasteurs  en 
étant  devenu  la  victime,  Jean  de  Serres  le  remplaça;  cela  ne  l'em- 
pêcha pas  d'être  chargé  de  la  rédaction  des  statuts  du  Collège  des 
Arts,  qu'après  la  paix  de  Fleix,  signée  en  1580,  on  sentit  le  besoin 
de  réorganiser;  il  le  (it  en  latin,  à  la  manière  et  dans  le  style  de  la 
loi  des  douze  Tables  et  intitula  son  travail  :  Academiœ  Nemausensis 
legeSy  ad  optimarum  academiarum  exemplar,  collatis  doctissimorum 
virorumjudiciiSfSwnmacura  etdiligentia,  instauratœ  atquc  emundatœ. 

L'université  était  dirigée  par  un  recteur,  choisi  par  le  conseil  delà 
ville,  parmi  les  hommes  érudits,  dont  la  foi  en  l'Evangile  était  pro- 
fonde et  la  conduite  irréprochable.  Il  avait  la  haute  direction  des 
études  et  gardait  le  sceau  et  la  matricule  de  l'établissement.  H  pou- 
vait nommer  et  destituer  les  régents.  Sa  dignité  durait  deux  ans, 
mais  il  pouvait  être  réélu;  avant  d'entrer  en  fonctions,  il  prêtait 
serment  devant  les  magistrats  du  présidial,  les  consuls  et  le  consis- 
toire qui  formaient  l'assemblée  mixte  des  trois  corps. 

Sous  ses  ordres  immédiats,  était  le  principal  du  Collège,  qui  veil- 
lait sur  toutes  les  classes,  faisait  observer  les  règlements,  et  donnait 
lui-même  des  leçons  en  choisissant  les  matières  qu'il  voulait  enseigner. 

Les  sous-maîtres  ou  régents,  au  nombre  de  cinq,  remplissaient 
leurs  fonctions  dans  les  classes  qui  leur  étaient  assignées  ;  ils  devaient 
s'abstenir  d'introduire  aucune  nouveauté  soit  dans  la  doctrine,  soit 
dans  la  discipline;  éviter  également  une  trop  grande  sévérité  et  une 
trop  grande  hidulgence,  parce  que  la  meilleure  manière  d'enseigner 
n'est  pas  d'user  de  châtiments  et  de  punitions,  mais  plutôt  d'em- 
ployer les  remontrances  paternelles  et  surtout  l'exemple  de  l'assiduité 
et  de  l'application.  Les  régents  étaient  donc  choisis  avec  soin  et  selon 
les  règles  (fue  prescrit  Plutanjiic,  et  l'on  exigeait  d'eux  l'instruction, 
la  loi  en  l'Evangile  et  des  mœurs  irréprochables. 

Daniel  Charnier,  qui  fut  plus  tard  le  pasteur  si  connu  de  Montcli- 
niîu-  et  le  professeur  si  célèbre  de  Montauban,  occupait  l'une  de  ces 
places  de  régents,  quoiqu'il  n'eût  encore  que  seize  ans.  Les  loisirs 
que  ses  functions  lui  laissaient,  il  les  employa  à  prendre  des  leçons 
d'hébreu  du  pas,teur  et  professeur  de  Cliaiiibruii.  Des  qu'il  crut  avoir 
fait  des  progrès  bulïisaiits  dans  cette  langue  sacrée,  il  |).irtit  pour 


LÉ   COLLEGE    DES    ARTS    A    MMËS.  295 

Genève,  muni  d'une  attestation  signée  par  de  Chanibrun,  deFalque- 
rolles  et  de  Serres.  Son  père,  Adrien  Charnier,  avait  desservi  l'Eglise 
de  Nîmes,  par  provision,  eu  1574,  époque  à  laquelle  il  fut  donné 
pour  ministre  à  l'Eglise  de  Saint-Ambroix. 

Il  était  permis,  au  reste,  à  chaque  écolier  de  professer  la  feligion 
dont  le  roi  avait  laissé  le  libre  exercice;  mais  les  maîtres  de  quartier 
devaient  inspirer  aux  élèves,  par  de  fréquentes  exhortations,  que  la 
piété  est  la  source  d'une  vie  régulière  et  l'âme  de  l'érudition;  ils  de- 
vaient en  outre  les  contenir  dans  le  silence  et  dans  l'union  frater- 
nelle; veiller  à  ce  qu'ils  ne  prononçassent  aucune  parole  obscène,  à 
ce  qu'ils  fussent  vêtus  décemment  mais  sans  luxe;  à  ce  qu'ils  ne  sor- 
tissent pas  de  nuit,  à  ce  qu'ils  ne  fréquentassent  aucun  lieu  public. 
Enfin,  leur  obligation  était  de  les  avertir  sans  cesse  que  l'oisiveté 
est  la  mère  de  tous  les  vices,  puisqu'il  arrive  toujours  que  les 
hommes  qui  ne  font  rien  apprennent  à  mal  faire^i 

Chaque  matin,  à  huit  heures,  après  que  la  cloche  avait  sonné, 
tous  les  élèves  s'assemblaient  dans  une  salle  commune,  se  rangeaient 
selon  l'ordre  des  classes,  et  ensuite  se  mettaient  à  genoux  pour  suivre 
meritalement  la  prière  suivante^  que  l'un  des  maîtres  de  quartier 
récitait  à  haute  voix  : 

«  Seigneur  nostre  Dieu,  qui  par  ta  grande  miséricorde  as  compris 
les  enfants  de  tous  les  fidelles  en  ton  alliance,  leur  monstrant  le  che- 
min du  salut,  et  veux  que  ceste  cognaissance  soit  perpétuée  à  la  pos- 
térité; nous  te  susplions  humblement  qu'il  te  plaise  de  confirmer 
ceste  grâce  en  ceste  jeunesse  qui  t'est  proprement  consacrée ,  et 
coinme  tu  es  auteur  de  tout  bien,  que  tu  la  veuilles  illuminer 
par  ton  Saint-Esprit,  pour  lui  faire  sasvourer  à  bon  escient  le  pré- 
cieux bénéfice  que  tu  lui  présentes  mainctenant;  en  l'acheminant  en 
vertus  et  sciences,  donne-lui  entendement  pour  bien  comprendre  ce 
qui  lui  sera  munstré;  mémoire  pour  le  bien  retenir;  dextérité  pouf 
le  mettre  heureusement  en  usage.  Dresse  toute  sa  vie,  afin  que  de 
bonne  heure  elle  apprenne  à  se  dédier  à  ton  obéissance;  fuir  le  vice; 
aimer  la  vertu;  et  rapporter  la  connaissance  des  bonnes  lettres  à  sa 
droicte  fin.  Façonnes  aussi  ceux  que  tu  as  establis  pour  l'enseigner, 
à  ce  qu'ils  s'acquittent  fidèlement  et  diligemment  de  leurs  charges. 
Accompagne  leurs  labeurs  de  ta  bénédiction^  à  ceste  fin  que  ces 
jeunes  plantes  puissent  croislre  et  s'advancer  en  tout  bien,  pour  estre 
en  leur  saison  utiles  instruments  do  ta  gloire^  du  bien  et  du  repos  de 


296  LF    r.OLLEi^E    riF.!*    ARTS    A    NIMES. 

ton  Eglise  et  de  toute  la  patiie.  Exauce-nous,  Père  de  miséricorde, 
au  nom  de  ton  fils  nostre  Seigneur  Jésus-Christ.  Amen.  » 

Après  cette  prière,  deux  entants  se  levant  aussitôt  et  se  tenant 
debout,  récitaient,  l'un  VOt^aison  dominicale,  l'autre  le  Symbole  des 
apôtres. 

Après  ce  culte,  chacun  s'en  allait  dans  sa  classe  respective ,  qui 
était  divisée  en  décuries,  c'est  'i  dire  ayant  un  moniteur  pour  cha- 
que dizaine  d'élèves,  chargé  de  veiller  sur  leur  assiduité  à  assister 
aux  leçons  et  sur  l'attention  avec  laquelle  ils  devaient  les  écouter. 
Un  programme  détaillé  indiquait  les  auteurs  qu'il  fallait  expliquer, 
depuis  la  sixième,  composée  des  entants  qui  commençaient  l'étude  du 
latin,  jusqu'à  la  rhétorique,  dans  laquelle  les  élèves  les  plus  avancés 
y  étaient  instruits  dans  l'art  de  bien  dire  et  dans  la  dialectique  soit 
en  grec,  soit  en  latin,  en  expliquant  les  plus  beaux  endroits  des  livres 
oratoires  et  des  œuvres  philosophiques  de  Cicéron,  Platon,  Isocrate, 
Démosthène,  Plutarque,  Virgile,  Horace,  Hésiode  et  Homère.  On  les 
faisait  composer  souvent  pour  exercer  leur  mémoire;  il  y  avait  tous 
les  mois  des  déclamations  et  des  disputes;  mais  les  représentations 
scéniques  étaient  rigoureusement  interdites  comme  des  occupations 
indignes  des  bons  génies. 

Lorsque  les  élèves  étaient  suffisamment  instruits  dans  la  connais- 
sance de  ces  principes  élémentaires,  ils  passaient  sous  la  direction 
des  professeurs  publics.  Il  y  en  avait  un  de  philosophie,  qui  ensei- 
gnait la  logique,  la  morale,  la  politique,  la  physique  et  les  mathéma- 
tiques; —  un  d'éloquence  qui,  après  avoir  expliqué  les  plus  beaux 
discours  des  orateurs  de  la  Grèce  et  de  Rome,  enseignait  aussi  les 
premiers  éléments  de  la  théologie;  —  un  de  jurisprudence,  qui  ini- 
tiait la  jeunesse  dans  les  principes  généraux  du  droit  par  une  voie 
simple  et  abrégée,  selon  l'excellente  méthode  de  Justinien.  —  Enfin, 
les  étudiants  qui  se  vouaient  au  saint  ministère  suivaient  les  cours 
de  l'école  de  théologie  proprement  dite,  dont  les  professeurs  étaient 
à  cette  époque  Pineton  de  Chambrun  et  de  Falquerolles. 

Chaque  journée  d'études  se  terminait  comme  elle  avait  commencé, 
par  la  prière  suivante,  [irononcée  par  un  maître  de  qiiartier  dans  la 
même  salle  et  av(!C  le  même  ordre  que  le  matin  : 

«  Seigneur  nostre  bon  Dieu,  nous  te  remercions  de  ce  qu'd  t'a  plu 
nous  faire  la  grâce  de  passer  ce  jour  avec  tant  de  tesmoignages  de 
ta  bonté  paternelle  envers  nous.  Fay-nous  aussi  ce  bien  de  passer  la 


LF.    COLLF.(iK    DES    ARTS    A    NIMES.  297 

nuict  prochaine  soubz  !;i  mesme  garde  et  protection  de  ta  providence; 
afln  qu'ayant  en  repos  nos  corps  et  nos  âmes  nous  puissions  estre 
fortifiés,  pour  nous  employer  tant  plus  soigneusement  à  ton  service, 
et  selon  tes  saintes  promesses,  sentions  ta  grâce  et  bénédiction  en 
tout  le  cours  de  nostre  vie,  jusqu'à  tant  que  tu  nous  mettes  en  pos- 
session et  jouissance  de  la  félicité  que  tu  nous  as  préparée  au  ciel  en 
nostre  Seigneur  Jésus.  —  Veuille  aussi  avoir  pitié  de  ta  pauvre  et 
désolée  Eglise,  l'enrichissant  de  tes  grâces  et  bénédictions,  la  faisant 
heureusement  triompher  de  toutes  ses  difficultés.  Envoyé -lui  de 
bons  et  fidèles  pasteurs;  fortifie  ceux-là  qui  sont  en  ce  sainct  minis- 
tère, par  la  bouche  desquels  la  voix  de  ta  vérité  retentisse  aux 
oreilles  et  au  cœur  de  tes  enfants,  afin  que  l'honneur  et  l'hommage 
qui  te  sont  dus  te  soient  rendus.  Conduy  par  ton  Esprit  tous  roys  et 
princes  de  la  terre  et  nommément  le  roy  nostre  sire;  fais-nous  la 
grâce  qu'après  tant  de  confusions,  dont  ce  pauvre  royaume  a  esté 
enveloppé,  nous  puissions  jouyr  d'une  bonne  et  saincte  paix.  Console 
tous  pauvres  affligés  et  donne  à  leur  affliction  l'issue  que  tu  cognais- 
tras  estre  nécessaire  pour  leur  salut  :  apprends-nous  à  bien  vivre, 
pour  bien  et  heureusement  mourir,  au  nom  de  ton  Fils,  notre  Sei- 
gneur Jésus-Christ.  Amen.  » 

En  1586,  Jean  de  Serres  ayant  demandé  et  obtenu  un  congé  de 
six  mois,  la  direction  du  Colléue  fut  confiée,  par  provision,  aux  pre- 
miers régents,  Anne  Rulmann  et  Chrétien  Pistorius. 

Le  premier  était  originaire  de  Nidda,  ville  d'Allemagne  dans  le 
grand-duché  de  Hesse. 

Et  le  second  était  le  fils  de  Jean  Pistorius,  qui  quitta  le  manteau 
de  chevalier  de  Malte  pour  embrasser  la  Réforme  et  qui  fut  un  de 
ceux  qui  assistèrent,  le  25  juillet  1530,  en  qualité  d'envoyés  protes- 
tants, à  la  lecture  de  la  confession  d'Ausbourg,  en  présence  de  l'em- 
pereur Charles-Quint. 

De  Serres,  au  lieu  de  revenir  à  son  poste,  demanda  sa  démission 
pour  aller  à  Orange,  et  alors  le  conseil  général  de  la  ville  décida  de 
nommer  un  recteur  qui  fut  chargé  de  conduire  le  Collège,  jusqu'à  ce 
qu'on  y  eut  étabh  un  principal;  le  choix  tomba  sur  Jean  Moynier, 
ancien  pasteur  de  Marvejols,  qui  avait  remplacé  Claude  de  Falque- 
rolles  père,  mort  depuis  cinq  ans. 

Le  premier  soin  dont  il  eut  à  s'occuper  fut  de  chercher  un  bon 
professeur  de  philosophie  ;  il  le  trouva  dans  Pierre  Lans,  qui  était  un 


298  LS    COLLÈGE    DES    ARTS    A    NIMES. 

homme  profondément  instruit,  dont  les  efforts  unis  à  ceux  des  six 
autres  régents,  Anne  Rulniann,  Chrétien  PistoriuS;,  George  Arbaud, 
Bonifaee  Avignon,  André  Rally  et  Jean  Jeanin,  ne  tardèrent  pas  à 
replacer  ce  précieux  établissement  au  niveau  de  son  ancienne  répu- 
tation. 

iV.  —  Henri  IV,  après  son  abjuration,  fut  sacré  à  Chartres  le  di- 
manche 27  février  1594.  Sous  son  règne,  l'exii  des  jésuites,  prononcé 
deux  ans  auparavant,  s'adoucit  tellement  par  les  soins  du  pape 
Clément  VIII,  qui  travaillait  à  leur  rappel,  qu'en  1596  ils  purent  je- 
ter à  Nimes  les  bases  préliminaires  de  leur  établissement  définitif. 
Leur  principale  occupation  fut  d'instruire  la  jeunesse.  Le  père  Pierre 
Cotton  avait  quitté  la  cour  pour  venir  dans  le  Midi,  où  il  prêcha 
comme  missionnaire.  En  présence  d'adversaires  plus  redoutés  que 
redoutables  encore,  le  conseil  universitaire  sentit  l'urgence  qu'il  y 
avait  pour  renouveler  avec  plus  de  vigueur  les  éludes  de  l'université 
et  du  Collège  des  Arts,  d'en  donner  la  direction  à  un  homme  connu 
dans  la  république  des  lettres  par  sou  éloquence  et  son  savoir,  et  ils 
jetèrent  les  yeux  sur  Julius  Pacius,  Italien  d'origine,  puisqu'il  était 
né  à  Bériga,  qui  avait  déjà  mis  en  renom  l'université  de  Sedan,  mais 
qui  se  trouvait  alors  à  Genève,  où  les  troubles  suscités  par  la  guerre 
civile  l'avaient  forcé  de  se  retirer.  11  fut  donc  nommé  recteur  et  pro- 
fesseur public  de  philosophie,  science  sur  laquelle  il  avait  déjà  pu- 
blié plusieurs  traités. 

L'Edit  de  Nantes,  promulgué  le  13  avril  1598,  termina  les  dissen- 
sions religieuses,  après  que  le  traité  de  Vervins  eut  rais  fin  à 
la  guerre  étrangère,  et  celui  conclu  avec  le  duc  de  Mercœur  eut  fait 
cesser  la  guerre  civile.  Mais  ci;  fut  l'époque  des  controverses  entre 
Cotton  et  Daniel  Charnier.  Le  recteur  Pacius  y  prit  une  part  active, 
comme  l'un  des  modérateurs  des  conférences.  Lorsqu'elles  furent  sus- 
pendues en  IGOO,  parce  quelles  avaient  occasionné  une  émeute  po- 
pulaire, il  résigna  son  emploi  malgré  toutes  les  instances  qu'on  fit 
pour  le  retenir. 

Jean  Boileau,  sieur  de  Castelnau,  fut  chargé  par  le  conseil  consu- 
laire d'aller  »  Orange  pour  proposer  a  Charles  d'Aubus  de  le  rtin- 
placer.  C'était  un  homme  très  versé  dan^  les  lettres  latines  et  grec- 
ques, auquel  le  député  nîmois  lit  accepter  le  traité  buivant  : 
u  iJ'Aubus  devait  a\oir  la  charge  de  prmcipal  du  Collège  et  celle  de 


LE   COLLEGE    DES    ARTS    A    NIMES.  299 

professeur  de  philosophie,  moyennant  un  traitement  de  600  livres 
par  an,  la  jouissance  d'un  logement  assez  vaste  pour  lui  permettre 
de  prendre  des  pensionnaires  à  son  protit  et  recevoir  dix  écus  pour 
trais  de  voyage.  »  A  son  arrivée,  les  classes  furent  ainsi  distribuées  : 
la  chaire  de  logique  fut  donnée  à  de  Bons,  celle  de  philosophie  ou 
de  première  classe  à  d'Aubus;  celle  de  seconde  à  Chrestien;  celle 
de  troisième  à  de  la  Place,  docteur  en  droit 5  celle  de  quatrième  à 
Rhossautz;  celle  de  cinquième  à  Rally;  celle  de  sixième  à  du  Céan, 
et  celle  de  septième  à  Marjol. 

Sept  ans  après,  ce  personnel  fut  entièrement  changé;  en  1607, 
en  effet,  Charles  d'Aubus  revint  à  Orange  reprendre  la  place  de 
principal  qu'il  avait  quittée  pour  venir  à  Nîmes;  Pierre  Cheiron, 
avocat  et  docteur,  fut  nommé  à  sa  place  et  s'adjoignit  Thomas 
Dempster,  Adam  Abrenéthée,  Jacques  Combarius  et  Hugues  Piantré, 
régents  écossais,  qui  étaient  sortis  de  leur  pays  à  cause  de  la  guerre 
civile  qui  le  désolait  par  suite  de  l'introduction  que  Jacques  I",  roi 
d'Angleterre,  venait  d'y  faire  de  l'Eglise  épiscopale  avec  une  partie 
des  pompes  du  culte  anglican.  C'étaient  des  hommes  connus  par 
leur  érudition  et  leur  fidéhté  à  l'Evangile;  aussi  communiquèrent-ils 
de  concert  à  cet  établissement  une  impulsion  vigoureuse  de  déve- 
loppement et  de  progrès. 

Lors  de  la  réorganisation  de  l'Académie  qui  eut  lieu  en  1620,  il 
fut  enjoint  aux  professeurs  en  philosophie  de  prendre  garde,  en  trai- 
tant les  questions  de  physique  ou  de  métaphysique  qui  avaient  quel- 
ques rapports  avec  la  théologie,  de  le  faire  de  manière  à  ne  pas 
s'écarter  des  principes  de  la  véritable  foi  orthodoxe  et  à  ne  pas  sou- 
tenir des  doutes  contraires  dans  le  cœur  de  la  jeunesse. 

V.  —  A  cette  époque  l'un  des  régents  écossais,  Adam  Abrenéthée, 
avait  succédé  à  Pierre  Cheiron  dans  la  place  de  principal  du  Collège; 
c'était  une  époque  de  décadence,  occasionnée  par  la  corruption  des 
mœurs,  résultat  inévitable  de  l'anarchie  qui  régnait  dans  le  royaume. 
La  main  d'Abrenéthée  ne  fut  pas  assez  ferme  pour  maintenir  l'ordre 
et  la  discipline  ;  de  tels  abus  se  glissèrent  dans  son  administration, 
que,  pour  y  remédier,  le  duc  de  Kohan,  à  qui  il  était  d'ailleurs  sus- 
pect, à  cause  de  sa  liaison  avec  la  cour,  le  déposséda  de  son  emploi 
dans  le  mois  d'octobre  1627,  et  les  consuls  choisirent,  à  l'unanimité 
des  voix,  Samuel  Petit  pour  le  remplacer. 


300  LP-    COLLEGE    DES    ARTS    A   NIMES. 

Il  était  né  à  Nîmes  le  jour  de  Noël  1594;  après  avoir  fait  dès  sa 
jeunesse,  au  collège  de  cette  ville,  des  progrès  si  rapides  dans  l'étude 
des  langues  mortes,  qu'il  aurait  pu  être  placé  au  nombre  des  enfants 
célèbres,  il  était  devenu  l'étudiant  le  plus  remarquable  de  l'Ecole  de 
théologie;  lorsqu'il  en  sortit  pour  aller  à  Genève,  il  connaissait  à 
fond  le  latin,  le  grec  et  même   l'hébreu.  Aussi,  le  30  juin  1615, 
quoiqu'il  ne  lut  âgé  que  de  vingt  et  un  ans,  il  avait  été  nommé  pro- 
fesseur de  grec  dans  sa  ville  natale,  où  sa  réputation  de  savoir  était 
si  bien  établie  que,  pour  lui  faire  honneur,  tout  le  conseil  universi- 
taire s'assembla  le  Jour  de  son  installation  pour  y  assister  en  corps. 
Cet  homme,  aussi  remarquable  par  sa  piété  que  par  ses  lumières  in- 
tellectuelles, était  devenu  l'ami  des  Ruimann,  des  Quiran,  des  Gui- 
raud,  comme  de  tous  ses  collègues  dans  l'enseignement  religieux  et 
universitaire.  De  plus,  il  soutenait  des  relations  épistolaires  avec  la 
plupart  des  savants  de  son   époque,  principalement  avec  Selden, 
Vossius,  Bochard  et  Gronovius,  professeur  à  Leyde.  Sa  correspon- 
dance est  insérée  presque  en  entier  dans  ses  ouvrages  que  le  pape 
Urbain  VIII   fit  placer  dans  la  bibliothèque  du  Vatican.  Sorbière, 
son  neveu,  écrivit  à  André  Rivet  :  «  J'ai  étudié  pendant  quinze  ans 
«  les  mœurs  et  la  vie  de  mon  oncle  et  je  puis  assurer  que  (les  intérêts 
«  du  sang  à  part)  je  n'ai  trouvé  encore  personne  qui  eût  plus  à  cœur 
«  la  piété  et  l'érudition ,  qui  portât  une  âme  plus  haute  et  qui  fut 
«  plus  incorruptible  aux  faveurs  de  la  fortune.  »  Saumaise.  que  l'on 
a  accusé  d'une  basse  jalousie  à  son  ég^rd,  le  qualifie  de  :  y/V  em- 
ditissimus  linguarinn  nrientalium,  in  omni  antiquitate  ecclesiostica 
versatissimus ;  ne  de  theologia  et  philofioplna  dicam,  ajoute-t-il,  cnjus 
est  peritissimus.  Colomiès  confirme  cet  éloge.  Selon  Gassendi  ,  il 
unissait  à  une  rare  vertu  une  rare  érudition.  A  ces  témoignages  se 
joint  celui  de  Taniiegui  Lefèvre,  tjui  l'appelle  :  vir  doctus,  sed  liand 
duhia,  minuit  [dix  in  emundandis  veterum  scriptis. 

Ce  fut  pendant  la  période  de  l'exercice  du  rectorat  de  Samuel  Pe- 
tit qu'eurent  lieu  le  siège  de  la  Roclielle,  la  destruction  du  parti 
protestant  et  la  soumission  du  duc  de  Rohan,  le  dernier  chef  armé 
de  la  Réforme  française,  de  qui  Voltaire  a  dit  : 

Avec  tous  les  talents  le  ciel  l'avait  fait  naître; 
Il  apit  on  héros,  en  sape  il  écrivit. 
Il  fut  inèine  grand  homme  en  comballanl  son  maître, 
Kt  pins  grand  quand  il  le  servit. 


LE    COLLEGE    DES    ARTS    A    INIMES.  301 

Le  partage  du  consulat  ordonné  par  lettres  patentes  données  à 
Fontainebleau  le  19  octobre  1631^  fut  le  prélude  de  celui  du  Collège; 
les  jésuites  travaillèrent  sous  main,  selon  leur  habitude.,  à  s'en  em- 
parer. Le  consistoire,  sur  les  premiers  indices  qu'il  découvrit  de  celte 
machination,  envoya  Samuel  Petit  à  Paris,  pour  en  empêcher  le  suc- 
cès. Ce  fut  le  cinquième  voyage  qu'il  fit  dans  la  capitale;  dans  les 
précédents,  sous  les  auspices  du  père  Petit  son  oncle,  généial  des 
Trinitaires,  et  de  ses  amis  le  président  La  Galinière  et  de  Peiresc,  il 
avait  été  introduit  dans  la  Société  des  gens  de  lettres  qui  se  réunis- 
sait tous  les  jeudis  dans  la  galerie  de  M.  de  Thoré;  il  avait  fréquenté 
des  Cordes  et  Caulmin,  et  obtenu  l'amitié  de  l'archevêque  de  Tou- 
louse. Malgré  les  démarches  qu'il  entreprit  et  l'appui  que  lui  prêtè- 
rent ses  protecteurs,  il  n'obtint  rien  de  la  cour  au  sujet  du  collège 
puisque  par  une  ordonnance  du  15  janvier  1634-,  les  jésuites  furent 
mis  eu  possession  de  la  moitié  des  chaires  et  du  local. 

.ïusque-là  cet  établissemeut  avait  été  occupé  et  dirigé  par  les  pro- 
testants exclusivement;  mais  en  1632,  sur  les  réclamations  des  catho- 
liques, neuf  conseillers  de  la  chambre  de  l'Edit  avaient  été  d'avis 
d'ordonner  cette  division,  se  fondant  sur  ce  que  le  partage  des  consu- 
lats et  des  charges  municipales  prescrit  par  la  déclaration  royale  du 
19  octobre  1631,  devait  s'étendre  aux  collèges;  neuf  autres  conseil- 
lers avaient  soutenu  le  contraire,  mais  l'opinion  des  premiers  fut 
confirmée  par  un  arrêt  du  conseil  du  23  juillet  1633,  qui  décida  qu'à 
Castres,  à  Nûues  et  à  Montauban,  les  places  de  principal,  de  régents 
de  physique,  de  première,  troisième  et  cinquième  classe,  ainsi  que 
celle  de  portier  seraient  données  aux  catholiques;  tandis  que  les 
places  de  régents  de  logique,  de  seconde,  de  quatrième  et  de  sixième 
classe  seraient  gardées  par  les  protestants.  Et  comme  par  suite  de 
cet  arrangement  étrange,  l'enseignement  devint  mixte  et  que  toutes 
sortes  d'élèves  y  furent  admis  poursuivre  les  cours  de  philosophie  et 
de  bonnes  lettres,  ce  même  arrêt  défendait  aux  régeats  de  contrain- 
dre aucun  d'eux  à  des  actes  de  religion  contraires  à  sa  conscience  et 
de  traiter  dans  leurs  leçons  des  matières  controversées,  pour  ne  pas 
détruire  l'harmonie  et  la  bonne  intelligence  qui  devaient  régner 
entre  eux. 

Lorsqu'il  fallut  mettre  celte  ordonnance  à  exécution,  l'évêque  Go- 
hon,  qui  soutenait  les  jésuites  de  tout  son  pouvoir,  envoya  une  dé- 
putation  au  père  Fichet,  leur  supérieur  général,  pour  le  prier  de 


302  LR    COLLEGE    DES    ARTS    A   N'IMF.S. 

faire  remplir  les  emplois  vacants  par  des  membres  de  son  ordre.  Les 
réformés  ne  virent  qu'avec  douleur  cette  mesure  désorganisatrice  et 
s'opposèrent  à  sa  mise  en  action,  mais  sans  succès,  puisque  le  20  jan- 
vier 1634,  les  pères  de  la  foi,  furent  installés  par  deux  commissaires 
envoyés  par  le  parlement  et  que  le  dimanche  suivant  la  messe  fut 
célébrée  pour  la  première  fois  dans  le  Collège  par  les  chanoines  de 
la  cathédrale,  à  la  suite  de  laquelle  le  père  Fichet,  qui  avait  lui- 
même  amené  ses  acolytes  prêcha  un  sermon  dans  lequel  il  compara 
Louis  XIII  à  Judas  Macchabée,  ce  premier  prince  des  Juifs,  qui  l'an 
166  avant- Jésus-Christ,  après  avoir  vaincu  Lysias  près  de  Befhsura, 
purifia  la  ville  et  le  temple  de  Jérusalem  dont  le  sanctuaire  avait 
été  souillé  par  le  culte  des  idoles.  L'allusion  était  on  ne  peut  mieux 
choisie  et  surtout  en  rapport  avec  l'analogie  de  l'histoire!  !  ! 

Après  que  le  partage  du  Collège  eut  été  confirmé  par  un  arrêt  ho- 
mologué au  conseil,  le  consistoire  se  reposant  siir  la  force  d'un  acte 
si  authentique,  crut  qu'il  pouvait  disposer  de  la  portion  du  local  qui 
liîi  avait  été  adjugée  comme  d'un  bien  solide  et  dont  la  possession  ne 
pouvait  hii  être  contestée.  Dans  cette  persuasion  il'fit  construire  de 
nouveaux  bâtiments  pour  recevoir  un  plus  grand  nombre  d'écoliers; 
il  les  éleva  sur  un  emplacement  dont  la  moitié  appartenait  à  l'ancien 
hôpital  Saint-Marc  et  l'autre  moitié  à  la  ville.  Les  jésuites  les  lais- 
sèrent achever  sans  y  mettre  le  moindre  obstacle  ;  dans  ce  moment 
ils  n'étaient  encore  que  des  missionnaires  convertisseurs,  qui  éle- 
vaient dos  traiteaux  dans  les  carrefours  et  qui  là  en  traitant  des 
points  de  controverse,  lançaient  des  défis  aux  plus  savants  docteurs 
de  la  Réforme  et  soulevaient  la  populace  par  leurs  vociférations. 

Leur  influence  ne  tarda  pas  cependant  à  s'exercer  sur  la  direction 
du  Collège;  aussi  les  statuts  intérieurs  en  furent  conipléteinenl  chan- 
gés et  les  régents  entre  autres  choses  cessèrent  de  prononcer  les 
prières  collectives  du  matin  et  du  soir,  rédigées  par  Jean  de  Serres 
en  1582.  Le  consistoire  pour  remédier  à  cette  suppression  décida 
(juc  les  écoliers  seraient  réunis  doux  fois  par  jour  dans  le  petit  temple 
adossé  au  oollogo,  pour  les  rcconmiander  à  la  gr;\cede  Dieu,  et  que, 
outre  cela  un  catéchisme  leur  serait  fait  chafiuc  jeudi,  par  un  pas- 
teur dans  le  même  local.  — Ces  mesures  furent  pro\0(iuées.  par  l'ab- 
juration d'un  enfant  nommé  Jacques  Paradis,  lils  d'un  docteur  en 
renom  de  la  ville,  que  les  jésuites,  se  prévalant  de  son  âge  et  do  son 
ignorance  religieuse,  décidèrent  d'abord  par  leurs  flatteries,  ensuite 


LE   COLLEGE    DES   ARTS    A    NIMES. 


303 


par  leurs  menaces  à  embrasser  le  catholicisme,  après  quoi  ils  l'en- 
voyèrent dans  leur  couvent  d'Âigues-MortPS.  —  Treize  mois  après, 
ce  converti  reconnut  pourtant  son  erreur,  et  après  l'avoir  confessée  les 
genoux  en  terre  en  présence  du  consistoire,  fut  réintégré  dans  l'E- 
glise. 

Lorsque  Louis  XIII  fut  mort  le  12  décembre  1643,  Anne  d'Autri- 
che fut  nommée  régente  et  le  cardinal  de  Mazarin  devint  premier 
ministre  d'Etat;  sous  leur  influence,  les  jésuites,  par  arrêt  de  la  cour, 
furent  mis  en  pleine  jouissance  du  Collège  des  Arts,  «  avec  les  dé- 
pendances, revenus,  privilèges  et  exemptions  »  et  de  plus  autorisés, 
non-seulement  à  y  exercer  toutes  les  fonctions  conformes  à  leur  in- 
stitut, mais  encore  à  faire  remplir  par  des  régents  de  leur  ordre  les 
places  occupées  par  des  protestants  à  mesure  qu'elles  viendraient  à 
vaquer.  De  cette  manière  il  ne  resta  plus  à  ces  derniers  que  les 
chaires  des  cours  publics,  qui  étaient  ceux  de  théologie,  des  langues 
hébraïque  et  grecque,  de  philosophie,  de  rhétorique  et  de  mathéma- 
tiques. 

Ces  nouvelles  prérogatives  enhardirent  les  jésuites  dans  leur  pro- 
sélytisme ardent;  chargés  de  l'emploi  de  prédicateurs  de  la  cathé- 
drale, dont  le  chapitre  les  avait  investis  sur  les  instances  du  prési- 
dial,  ils  attaquèrent  dans  leurs  discours  et  leurs  écrits  les  croyances 
évangéliques,  de  telle  sorte  que  le  consistoire  se  vit  dans  l'obligation 
de  défendre  aux  protestants  d'aller  les  entendre  prêcher.  L'un  d'eux, 
nommé  de  La  Barre,  publia  même  une  brochure  diffamatoire  contre 
le  pasteur  Rosselet;  et  un  autre,  le  père  Beth,  enleva  l'enfant  Cou- 
telle,  âgé  de  treize  ans,  pour  l'arracher  à  la  surveillance  de  ses  tu- 
teurs, sous  le  prétexte  que  cet  enfant  avait  eu  depuis  longtemps  des 
mouvements  et  des  inspirations  pour  abjurer  la  religion  prétendue 
réforiuée.  Ce  rapt  accompli  en  plein  jour,  d  mis  la  voiture  de  l'évê- 
que,  au  mépris  des  lois  divines  et  humaines,  excita  une  sédition  po- 
pulaire à  main  armée,  qui  remplit  la  ville  de  confusion  et  de  tu- 
multe. 

A  la  suite  d'un  pareil  événement,  le  consistoire  ne  pouvait  plus 
permettre  aux  pères  de  famille  de  laisser  leurs  enfants  au  Collège 
sans  garantie;  aussi  obtint-il  une  transaction  nouvelle  le  15  avril 
1652,  confirmant  celle  de  janvier  1634  qu'il  fit  homologuer  au  con- 
seil d'Etat  en  ayant  soin,  pour  observer  les  formaUtés  les  plus  solen- 
nelles, de  faire  enregistrer  l'arrêt  d'homologation  au  greffe  de  la 


304  LE    COLLEGE    DES    ARTS    A    NIMES. 

chambre  mi-partie  de  Castres  et  de  la  cour  des  comptes  de  Mont- 
pellier. 

Louis  XIV  fut  sacré  à  Reims  le  7  juin  165i.  Si  le  cardinal  de  Ma- 
zarin,  chargé  de  son  éducation,  y  avait  apporté  une  négligence  cou- 
pable, il  avait  montré  un  discernement  exquis  et  une  étonnante  mo- 
dération au  milieu  de  tant  de  révoltes  contre  son  gouvernement,  ne  se 
vengeant  jamais  de  ses  ennemis,  quoiqu'il  fût  Italien.  Aussi  lorsqu'il 
mourut,  le  9  marslGGl,  ce  fut  dece  jour  que  l'Europe  data,  non  sans 
raison,  l'avènement  du  roi,  en  observant  curieusement  quel  serait  le 
début  de  son  règne;  le  premier  acte  put  en  donner  l'augure  et  faire 
prévoir  la  grande  révolution  qui  devait  en  marquer  la  fin.  Il  consista 
dans  la  nomination  de  commissaires  mi-partie,  chargés  de  visiter  les 
provinces  et  d'y  juger  les  contestations  existantes  entre  les  catholiques 
et  les  protestants  sur  l'exécution  de  l'Edit  de  Nantes,  de  celui  de 
juillet  1625  et  des  déclarations  subséquentes.  Les  deux  qui  furent 
envoyés  en  Languedoc  furent  de  Bezons,  intendant  de  la  province, 
qui  était  catholique,  et  de  Peyremales,  lieutenant  particulier  au 
présidial  de  Nîmes,  qui  professait  la  religion  réformée. 

Ils  s'y  montrèrent  actifs  et  dévoués,  et  parmi  les  mesures  vexa- 
toires  qu'ils  proposèrent,  se  trouve  la  fermeture  de  l'Ecole  de  théolo- 
gie; elle  avait  été  fondée  en  1561;  le  consistoire  avait  été  sommé 
de  remettre,  dans  l'espace  de  trois  mois,  au  greffier  du  conseil,  les 
lettres  patentes  en  vertu  desquelles  cette  fondation  avait  eu  lieu, 
et  comme  ce  corps  ne  put  les  fournir,  parce  qu'il  n'en  existait  pas, 
un  jugement  interlocutoire  du  conseil  d'Etat,  rendu  dans  le  mois 
d'avril  1664,  prononça  la  suppression  de  l'Académie  qui  avait  cent 
trois  ans  d'existence. 

Elle  fut  suivie  de  la  démolition  du  Petit-Temple,  telle  que  Cohon, 
dans  une  lettre  du  6  décembre  16(»;{,  l'avait  demandée  au  chance- 
lier :  «  Nos  pauvres  jésuites,  disait-il,  qui  sont  dans  Nîmes  le  prin- 
«  cipal  et  plus  solide  appui  de  la  religion,  soupirent  en  l'attente  de 
«  cet  heureux  moment,  auquel  vous  serez  en  état  de  leur  donner  la 
«  possession  tant  désirée  du  petit  temple  huguenot.  Ce  bienfait, 
«Monseigneur,  fera  la  joie  publique  de  tout  mon  diocèse  et  la 
0  mienne  particulière,  si  bien  que  ]••  m'en  rends  solliciteur  auprès 
«  de  vous,  comme  d'uti  Iriompln'  éclatant  cpie  votre  protection  et 
«  votre  piété  nous  acijuerront  mm  l'hérésie.  » 

Ce  triomphe  ne  se  (it  pas  attendre.  A  rinsligation  de  ce  prélat,  le 


LE    COLLEGE    DES    ARTS    A   NIME?.  305 

syndic  des  jésuites,  présenta  une  requête  aux  commissaires  de  l'Edit, 
dans  laquelle  il  se  plaignit  de  l'usurpation  des  places  sur  lesquelles 
les  hérétiques  avaient  fait  construire  les  nouveaux  bâtiments  du  Col- 
lège, et  prétendit  que  puisque  le  roi  avait  donné  cet  établissement  à 
sa  corporation,  elle  devait  jouir  de  la  supériorité  dans  son  adminis- 
tration et  qu'aucune  modification  ne  pouvait  s'y  faire  sans  son  con- 
sentement; et  comme  le  Petit-Temple  était  contigu  à  ce  nouveau 
bâtiment,  il  en  demanda  la  démolition. 

Le  consistoire,  de  son  côté,  produisit  des  titres  authentiques,  qui 
étaient,  pour  sa  portion  du  Collège,  les  deux  actes  de  partage  enre- 
gistrés aux  greffes  de  la  chambre  de  Castres  et  de  la  cour  des  comptes 
de  Montpellier;  et  pour  le  temple,  les  lettres  patentes  qu'Henri  IV 
avait  données  en  1609,  et  établit  que  cet  édifice  était  bâti  sur  un 
fonds  où  l'Eglise  romaine  n'avait  rien  à  prétendre,  puisqu'il  avait 
été  acheté  à  Fayandier  quiy  possédait  une  maison,  avec  7,500  livres 
que  le  roi  avait  permis  aux  protestants  de  cette  époque  de  lever  sur 
eux-mêmes  pour  subvenir  aux  frais  de  constructions. 

De  Peyremales  trouva  ces  raisons  bonnes  et  concluantes,  mais  de 
Bezons,  son  collègue,  fut  d'un  avis  contraire;  par  suite  de  cette  di- 
vergence d'opinions,  l'affaire  fut  portée  au  conseil  d'Etat;  le  syndic 
général  de  la  province,  celui  du  clergé  du  diocèse  et  les  deux  con- 
suls catholiques  de  Nîmes,  intervinrent  dans  le  procès  et  adhérèrent 
à  la  requête  des  jésuites. 

Poncet,  maître  des  requêtes,  fit  rapport  de  ce  débat  aux  membres 
du  conseil,  qui  étaient  d'Ormesson,  de  Machault,  de  la  Vrillère,  se- 
crétaire d'Etat,  d'Aligre,  qui  fut  peu  après  chancelier  de  France, 
de  Lauzon,  de  Morangis,  de  Verthamon,  d'Estampes,  de  Sève  et  Pus- 
sort.  Ces  législateurs,  sans  s'arrêter  à  la  transaction  de  1652,  ni  aux 
arrêts  d'homologation  et  d'enregistrement,  ri  à  tous  les  actes  passés 
en  conséquence,  ordonnèrent,  le  "28  novembre  1694,  aux  réformés 
de  se  départir  de  la  possession  et  de  la  propriété  des  bâtiments  con- 
struits à  l'usage  d'un  nouveau  Collège,  en  les  laissant  dans  l'état  où 
ils  se  trouvaient.  Présupposant  ensuite  que  le  petit  temple  était  bâti 
sur  un  fonds  qui  avait  été  la  propriété  de  l'ancien  Collège,  ils  en  or- 
donnèrent la  démolition,  avec  la  condition  que  les  réformés  ren- 
draient la  place  nette  dans  deux  mois,  en  emportant  les  matériaux 
pour  agrandir  le  temple  de  la  Giilade,  s'ils  le  jugeaient  convenable, 

sans  toutefois  toucher  au  mui  de  clôture  du  Collège  (lui  existait  avant 

xni.  —  :2(i 


306  TESTAMENT    d'aNTOINETTE    d'aUBETERRE. 

la  construction  du  temple;  de  cette  manière,  le  syndic  des  jésuites 
fut  mis  en  possession  des  lieux  qui  avant  la  transaction  avaient  fait 
partie  du  Collège,  des  bâtiments  élevés  depuis  sur  le  même  fonds  et 
de  l'emplacement  du  Petit-Temple. 

Le  conseil,  en  paraissant  ensuite  confirmer  le  partage  du  Collège 
fait  en  4634,  en  détruisit  l'égalité  par  les  trois  dispositions  suivantes  : 
«  En  laissant  au  syndic  l'administration  des  revenus;  en  excluant 
les  réformés  de  l'enseignement  de  la  logique,  et  en  attribuant  le 
gouvernement  du  Collège  aux  jésuites  seuls.  »  Suivant  cette  der- 
nière clause,  le  recteur  de  la  Compagnie  de  Jésus  agréa  les  régents 
protestants  qui  ne  purent  pas  être  pris  en  dehors  du  royaume,  eut  le 
droit  de  les  révoquer  à  son  gré  et  de  soumettre  leurs  écoliers  à  ses 
ordres. 

Il  usa  largement  et  sans  retard  de  ces  prérogatives,  et  le  Collège 
desArts,  après  une  existence  de  cent  vingt-sept  ans,  devint  le  collège 
royal  des  Jésuites.  A.  Borrel. 


TESTABIENT  D'AHTOIHETTE  D'AUBETERRE 

DAJME   DE   SOUBISE  ,    DU   PARC   ET    DE    MOUCHAMPS. 
1590. 

Antoinette  Bouchard-d'Aubelerre  avait  épousé,  le  3  mai  1553,  Je.in  de 
Panlicnay-Larclievè({ue,  illustré  par  sa  défense  de  Lyon  contre  le  duc  de 
Nemours,  en  1562,  et  qui,  «  par  ses  vertus,  plus  encore  que  par  ses  ser- 
vices, dit  M.  Haag,  a  pris  place  parmi  les  héros  du  parti  huguenot,  à 
côté  des  Coligny  et  des  La  Noue.  »  Elle-même  se  montra  pleine  de  zèle 
pour  la  religion  reformée  et  animée  d'un  courage  digne  d'une  matrone  ro- 
maine. Pendant  le  blocus  de  Lyon,  elle  apprit  que  la  cour,  pour  vaincre  la 
résistance  de  son  époux,  projetait  de  la  faire  conduire,  avec  sa  fille  uniiiue 
Catherine,  sous  les  nmrs  de  la  ville,  et  là  de  les  taire  poignarder,  si  Sou- 
bise  refusait  de  capituler,  elle  lui  écrivit  de  »  les  laisser  toutes  deux  périr, 
plutôt  (jue  de  ne  pas  demeurer  fidèle.  » 

Elle  devint  veuve  le  l"''  septembre  I5(J6.  Nous  avons  menlionné  uu  publié 
les  «  lettres  consolatoires  »  qu'elle  reçut  à  celte  occasion,  touelianis  lèmoi- 
i,'nages  des  regrets  unanimes  que  cet  événement  avait  excites  parmi  les 
hu^^uenots.  {JhdL,  M,  255;  111,  3().) 

Sa  lilk'  uni(iue,  Catherine  de  l'arthenay,  mariée  en  1568  à  Charles  de 


TESTAMENT    d' ANTOINETTE    d'aUBETERRE.  307 

Quellenec,  baron  du  Pont,  qui  périt  à  la  Sainl-Bartliélemy,  fut  la  digne  fille 
d'un  tel  père  et  d'une  telle  mère.  Elle  épousa  en  secondes  noces,  en  1575, 
René  de  Rohan,  11^  du  nom,  à  qui  elle  donna  plusieurs  enfants  devenus 
célèbres  :  Henri  de  Rohan,  l'illustre  capitaine,  son  frère  Benjamin,  seigneur 
de  Soubise,  et  leur  sœur  Anne  de  Rohan. 

C'est  à  M.  Benj.  Fillon  que  nous  devons  l'intéressante  communication  du 
testament  qu'on  va  lire.  # 


TESTAMENT  DE  FEU  MADAME  DE  SOUBIZE. 

Ac  NOM  DU  Père  et  du  Filz  et  du  Saint-Esprit,  Amen.  Nous,  Anthoi- 
nette  d'Aubeterre,  vefve  de  feu  hault  et  puissant  messire  Jan 
Larchevesque,  en  son  vivant  chevalier  de  l'ordre  du  Floy,  seigneur 
et  baron  de  Soubize,  du  Parc  et  de  Mouchamps,  sayne  de  mon  esprit 
et  entendement  par  la  grâce  de  l'Eternel  mon  Dieu,  combien  que  je 
soie  mal  disposée  de  mon  corps  ;  sachant  bien  que  parcydevant  j'ay 
faict  plusieurs  testamens  et  codicilles,  assavoir  :  l'ung  du  8^  d'aoust 
1566,  avec  ledict  feu  sieur  de  Soubize,  Taultre  du  Séjour  d'aoust  1567, 
tous  deux  passez  par  Pierre  Chemille  et  EstienneGaudouyn,  notaires 
audit  Mouchamps,  et  signé  de  sa  main;  estant  bien  mémorative  du 
contenu  en  iceulx,  je  dictz,  déclaire,  veulx  et  entendz  qu'ilz  soient 
et  demeurent  fermes  et  stables,  et  qu'ilz  soient  acompliz  en  ce  qui 
faict  à  acomplir  de  poinct  en  poinct  selon  leur  forme  et  teneur;  sauf 
et  réservé  que,  sur  aulcuns  des  articles  d'iceulx  qui  seront  cy  après 
déclairez,  je  veulx  faire  entendre  ma  dernière  volunté  et  intention 
par  cestuy  myen  présent  codicille.  Et  d'aultant  que,  estant  en  cette 
ville  de  la  Rochelle,  pardevant  François  Berault,  notaire  royal  en 
icelle,  j'ai  faict  et  passé  ung  testament  en  datte  du  4«  de  janvyer  1569, 
et  ung  codicille  du  le»"  jour  de  mars  audict  an  1569,  lesqnelz,  pour 
certaines  bonnes  et  justes  considérations  à  ce  me  mouvans,  je  n'ay 
pour  agréables,  et,  partant,  les  révocque,  casse  et  ad  nulle  par  ces  pré- 
sentes; voullant  et  entandant  qu'ilz  n'ayent  aucun  efTect,  force  ne 
vertu,  et  qu'ilz  demeurent  comme  sy  jamais  ilz  n'avoyent  esté  faictz 
ne  advenuz,  mais  au  lieu  d'iceulx  ce  qui  sera  cy-après  par  moy 
déduire,  demeure  ferme  et  inviolable.  Assavoir  :  que  en  ciisuyvant 
ce  qui  est  porté  par  ledict  codicille  dudict  8*  aoust  1567,  entre 
auJUes  clauses  j'ay  do«né  et  lègue  à  damoiselle  Magdelaine  Fu«iée, 


308  TESTAMENT    d' ANTOINETTE    d'aUBETERRE. 

fille  de  feu  Mons.  M^  Anthoine  Fumée,  sieur  de  Bourdelle  (1),  lant 
qu'elle  vivra  et  par  usufFruict  seullemcnt.,  la  somme  de  cent  livres 
tournoys  de  rente,  selon  qu'il  est  applain  déclairé  par  ledict  testa- 
ment; et  veulxz  et  entendz  qu'il  soit  au  choix  de  ma  fille  luy  bailler 
et  paier  pour  une  fois  seullement  pour  lesdictz  cent  livres  tournoys 
de  rente  susdictes  la  somme  de  mil  livres  tournoys  ou  contuiuer 
lesdietes  cent  livres  tant  qu'elle  vivra,  en  quelque  estât  qu'elle  soit 
ou  puisse  estre,  qui  est  qu'elle  soit  mariée  ou  non,  car  telle  est  ma 
volunté  et  intention.  Et  semblablement  déclaire  que,  en  interprettant 
la  clause  mise  et  apposée  audict  testament  ou  codicille  dudict 
8*^  aoust  1567,  où  il  est  fait  mention  que  je  ordonne  que,  au  cas  que 
madicte  fille  aille  de  vie  à  tresapas  {sic)  sans  hoir  de  sa  chair,  que  la 
moictié  des  acquetz  de  feue  Madame  Michelle  de  Saubonne,  dame 
de  Soubize,  mère  de  feu  niondict  sieur  de  Soubize,  soyent  et  appar- 
tiennent à  Gabriel  de  Beauregard,  petit-filz  de  la  sœur  de  ladicte 
dame  de  Saubonne,  dame  de  Soubize.  Et,  en  tant  que  mestier  seroit, 
luy  en  fais  don  par  ces  présentes  après  ma  mort,  au  cas  susdict  que 
madicte  fille  déceddast  sans  hoirs  procréez  de  sa  chair,  que  je  veux 
et  entendz  que,  au  cas  que  ledict  Gabriel  de  Beauregard  décedde 
sans  hoirs  procréez  de  sa  chair,  en  ce  cas  ladicte  donation  soit  nulle 
pour  ce  regard,  et  revienne  aux  héritiers  plus  ])roches  dudict  feu 
sieur  de  Soubize.  Itey/i,  considérant  la  bonne  amytié,  fidélité, 
loyaulté,  secours  et  grande  assistance  que  m'a  faict  et  continue  faire 
damoiselle  Perrette  Vigier,  dame  de  Montroy,  ensemble  à  madicte 
fille  et  que  je  m'assure  qu'elle  continura  cy-après  tant  envers  moy 
que  envers  elle,  à  ces  causes  et  parce  que  ainsy  m'a  pieu  et  plaist, 
ay  donné  et  légué,  donne  et  lègue  par  ces  présentes  à  ladite  Vigier 
la  somme  de  500  livres  tournoys  de  rente  et  revenu  annuel,  à  icelle 
somme  avoir  et  prendre  sur  les  premiers  et  plus  cleis  deniers  du  re- 
venu de  la  baronnie  de  Pauléon,  ses  appartenances  et  deppandances 
queizconques;  pour  en  joer  (sic)  par  ladicte  Vigier,  ^a  vie  durant 
seullement  et  à  litre  de  usufTruict.  Et,  en  defTault  de  paiement  des- 
dietes  500  livres  et  que  ladicte  Vigier  n'en  fust  paiée  par  chacun  an 
sa  vie  durant,  je  luy  ay  assigné  et  assigne  par  ces  présentes  sur  les 
fruiclz  etreveiuiz  de  ladicte  baronnie  qu'elle  pourra  prendre  et  lever 

(1)  Cousin  d'Aiiliiiiu;  Furriôe,  sieur  de  Blaiidé,  consuiller  au  iiarluirient  de  Pa- 
ris, auleur  d'une  des  lettres  consolutuires  à  la  reine  de  Navarre,  sur  la  inort  du 
roi  soa  luuri  (1502),  que  l'on  trouve  dans  les  Mémoires  de  Condé,  t.  IV,  p.  Ii3. 


TESTAMENT    d' ANTOINETTE    d'aUBETERRE.  309 

par  ses  mains^  des  pins  clers  et  apparens  deniers  ou  revenuz  de 
ladicte  baronnye^  lesquelz  je  luy  ay  obligé  jusques  à  la  concurrance 
de  ladicte  somme.  Item,  considérant  aussy  la  bonne  amytié,  fidélité, 
loyaulté,  secours  et  grande  assistance  que  m'a  faict  par  cy-devant 
et  continué  faire  damoiselle  Marguerite  de  Laurensanes,  vefve  de 
feu  Françoys  Morel,  sieur  de  Couionges,  en  son  vivant  ministre  de 
la  parolle  de  Dieu,  à  ces  causes  et  parce  que  ainsy  m'a  pieu  et 
plaist,  ay  donné  et  légué,  donne  et  lègue  par  ces  présentes  à  icelle 
de  Laurensanes  la  somme  de  200  livres  tournoys  de  rente  et  revenu 
sa  vie  durant  et  par  manière  de  usuffruict  seullement.  Laquelle 
somme  je  veulx  luy  estre  paiée  par  chacun  an,  par  mes  héritiers  et 
à  faulte  de  paiement  de  ladicte  somme  de  200  livres  tournoys,  par 
chacun  an,  par  mes  héritiers  à  ladicte  de  Laurensanes  à  la  première 
réquisition  qu'elle  leur  fera,  je  veulx  et  entends  qu'elle  aye  et 
prenne  ladicte  somme  de  200  livres  tournoys  par  chacun  an,  par  ses 
mains,  sur  madicte  terre  etbaronnie  de  Pauléon  et  sur  les  fruicts 
d'icelle  au  choix  et  option  touteiïoys  de  ma  fille  ou  de  mes  héritiers 
de  bailler  et  paier  pour  une  foys  seullement  pour  lesdictes  200  livres 
tournoys  de  rente,  la  somme  de  2,000  livres  tournoys,  ou  luy  con- 
tinuer par  chacun  an  ladicte  rente.  Item,  je  donne  et  lègue  à  Jacob 
Aubert,  sieur  de  Garnault,  pour  les  grandz  services  qu^l  m'a  de 
long  temps  faictz  et  continue  de  me  faire,  desquelz  je  me  tiens 
contante,  le  relevant  de  toute  preuve  la  somme  de  2,000  livres 
tournoys  une  foys  paiée  incontinant  mon  décès  advenu.  Et  à 
deffault  de  paiement  de  celle  dicte  somme  de  2,000  livres  tournoys, 
je  veulx  et  entendz  que  par  chacun  an  sur  ladite  baronnie  de  Pau- 
léon il  prenne  par  ses  mains  la  somme  de  200  livres  tournoys  de 
rente.  Aussy  je  donne  et  lègue  à  M«  Pierre  de  la  Goutte,  sieur  du 
Couldray,  comprins  ce  qui  est  contenu  par  mondict  codicille  dudict 
8e  aoust  1567,  pour  les  bons  et  agréables  services  qu'il  m'a  faictz 
par  cy-devant,  fait  encores  de  jour  à  jour,  dont  je  me  contante  et  de 
la  preuve  d'iceulx  l'en  quicte,  relève  et  descharge,  la  somme  de 
2,000  livres  tournoys,  que  je  veulx  et  entendz  luy  estre  paiez  incon- 
tinant mon  décès  advenu.  Et  en  deffault  de  paiement  de  ladicte 
somme  et  jusques  à  ce  qu'il  ait  esté  entièrement  paie  d'icelle,  je 
veulx,  entendz  et  luy  ordonne  semblablement  par  chacun  an  la 
somme  de  200  livres  tournoys,  à  prandre  par  ses  mains  sur  les 
fruictz  et  revenuz  de  ladicte  baronnie  de  Pauléon,  et  sur  les  plus 


310  TESTAMENT    d'aNTOINKTTK   p'aUBETERRE. 

clers  et  appareils  deniers  d'icelle  baronnie;  donnant,  pouvoir,  per- 
mission et  mandement  aux  susdiets,  pour  le  paiement  des  clioses 
par  luoy  à  eulx  données  et  léguées  cy-dessus,  de  pouvoir  contraindre 
par  toutes  voies  de  justice  deuhes  et  raisonnables  les  fermiers  et  re- 
cepveurs  de  madicte  baronnie  de  Pauléon  à  leur  faire  à  chacun 
d'eulx  le  paiement  des  choses  par  moy  données,  par  chacun  au. 
Item,  je  donne  à  M.  Loys  Laurens,  docteur  en  médecine,  sieur  du 
Botereau,  pour  les  bons  et  agréables  services  qu'il  m'a  faictz,  dont 
je  m'en  contante,  et  de  la  preuve  d'iceulx  l'en  relève,  la  somme 
de  300  escuz  sol,  que  je  veulx  lui  estre  paiez  incontinant  mon  décès 
advenu;  et  semblablement  qu'il  soit  remboursé  de  l'argent  que  je 
lui  doibs  et  à  sa  femme,  comme  appert  par  obligations,  et  où  il  ne 
se  trouveroyt  argent  pour  ce  faire,  qu'il  soit  vendu  de  ma  vaisselle 
d'argent  et  de  mes  bagues  et  joiaulx  pour  satisfaire  ledit  Laurens 
desdictz  300  escuz,  et  de  ce  que  luy  pourray  debvoir.  Item,  quant  à 
mes  serviteurs  et  servantes,  je  veulx  et  entendz  qu'ilz  soient  entiè- 
rement paiez,  incontinant  mon  décès  advenu,  au  prorata  de  ce  qui 
leur  sera  deu  au  jour  de  mon  décès,  selon  Testât  que  ledict  Dela- 
goutte  en  a  pardevers  luy.  Plus,  je  veulx  et  entend  que  à  chacun 
d'iceulx  soit  paie,  oultre  ce  qui  leur  sera  deu,  une  année  à  chacun, 
à  raison  de  ce  que  se  monte  leurs  gaiges  par  an,  hors  mis  à  M.  et 
Madame  Girard,  auxquelz  je  veulx  que,  oultre  ce  qui  leur  sera 
deu  de  leurs  gaiges  leur  soit  baillé  et  paie  la  somme  de  100  es- 
cuz sol,  incontinant  mon  décès  advenu.  Plus,  je  veulx  et  entendz 
et  ordonne  que  le  bon  homme  Fiacre,  et  Gilet,  son  filz,  soient 
nourriz  et  entretcnuz  aux  despens  de  mes  biens  pour  le  reste  de 
leur  vie,  et  qu'il  soit  paie  pour  une  foys  incontinant  mou  décès 
advenu  à  Roberts  10  livres,  audict  Gilles  10  livres,  à  Tabourin  20  li- 
vres et  à  Dominique  10  livres.  Item,  je  veulx,  entendz  et  ordonne 
que  la  somme  do  2,100  livres  tournoys,  à  quoy  montent  et  revien- 
nent les  parties  escriptes  au  huictiesme  feuillet  du  livre  de  la  des- 
pence  et  recepte  qu'a  faict  l'année  passée  et  présent  ledict  Dela- 
goutte,  signées  de  ma  main,  non  comprins  l'article  de  M.  Laurens, 
que  j'etitendz  estre  comprins  au  don  des  300  escuz  que  je  luy  ay 
faict  cy-dessus,  soit  promptement  paiée  et  satist'aiete,  et  que  pour 
cest  elfect  soit  vendu  de  mes  biens,  meubles  et  immeubles  jusques  à 
la  concurrence  et  accomplissement  de  ce  que  dessus.  Item,  je  donne 
à  la  boiste  des  pauvres  de  l'Eglise  rellormée  de  cette  ville  la  somme 


TESTAMENT    d'aNTOINETTE    T>'aUBETERRE.  311 

de  300  livres  tournoys,  paiable  incontinant  mon  décès  advenu  par 
les  exécuteurs  de  cestuy  myen  présent  testament  cy-après  nommez. 
Desquelles  sommes  cy-dessus  par  moy  données  et  léguées  aux  don- 
nataires  susdictz,  je  me  desraectz,  dévesty  et  dessaisy,  et  les  envesty 
et  saisy,  et  les  en  ay  mis  et  mectz  par  ces  présentes  en  possession 
et  saisine  dès  à  présent  comme  dès  lors  de  mon  décès  et  dès  lors 
comme  dès  à  présent  par  le  bail  et  octroy  de  ces  présentes  pour  par 
lesditz  donnalaires  joer  des  sommes  cy-dessus  par  moy  à  eulx  don- 
nées, à  leur  plaisir  et  volunté  comme  de  leur  bien  propre,  déclairant 
que  quelque  possession  et  jouissance  que  je  seray  veu  fayre  par  cy- 
après  de  toutes  les  choses  cy-dessus  par  moy  données  et  de  mesdictz 
biens,  s'est  comme  précaire  pour  et  au  nom  desdictz  donnataires 
sus  nommez  pour  et  au  nom  desquelz  je  me  constitue  possedder  les- 
dictz  biens  jusques  à  la  concurrance  des  sommes  par  moy  cy-dessus 
données.  Lesquelles  sommes  susdictes  par  moy  cy-dessus  données 
je  prometz  et  seray  tenu  pour  moy  et  les  miens  et  qui  de  moy  auront 
cause,  garentir  et  deffcndre  ausdiclz  donnataires  envers  et  contre 
tous  de  tous  troubles  et  empescbemens  quelconques  et  de  toute 
manière  d'éviction  en  jugement  et  dehors.  Et  d'aultant  que  mainc- 
tenantje  suis  en  la  présente  ville  de  la  Rochelle,  je  veulx  néanl- 
moings,  s'il  plaist  à  nostre  Dieu  faire  sa  volunté  de  moy,  que  mon 
corps  soit  porté  et  inhumé  au  temple  dudict  Mouchamps,  auprès  de 
la  sépulture  de  feu  mondit  sieur  et  mary.  Et  parce  que  par  les  testa- 
ments et  codicilles  cy-devant  par  moy  faictz  j'ai  esleu  plusieurs 
exécuteurs  qui  tous  à  présent  sont  allez  de  vie  à  trespas,  hors  mis  le 
sieur  de  Garnault,  je  le  nomme  encore  par  ces  présentes,  pour 
l'exécution  des  testamens  cy-dessus  par  moy  approuvez  ensemble  et 
de  cestuy  présent,  et  avecq  luy  ledict  M.  Pierre  Delagoutte,  ou  l'un 
d'eulx  sur  ce  premier  requis,  Ausquelz  et  chacun  d'eulx  seul  et  pour 
le  tout  j'ay  donné  pouvoir  iceulx  testamens  et  codicilles  susdictz 
avecq  le  présent  mectre  à  exécution  selon  leur  forme  et  teneur,  et 
que,  incontinant  mon  décès  advenu,  mesdicts  exécuteurs  se  saisissent 
et  emparent  réaniment  et  de  faict  de  tous  et  chacuns  mesdicts  biens, 
meubles  et  immeubles,  et  iceulx  facent  vendre  incontinant  et  sans 
délay,  pour  l'entière  exécution  et  accomplissement  desdictz  testa- 
mens codicille  et  ce  jugé  et  que  de  tout  ce  qu'ilz  feront  à  l'exé- 
cution d'iceulx,  ils  en  soyent  creuz  par  la  déclaration  de  leur 
simple  serment,  sans  charge  d'aultre  preuve.  Et  pour  insinuer  ces 


312  TESTAMENT   Tt'ANTOINFTTE    d'aUBF.TERRE. 

présentes  où  il  appartiendra  partout  que  mestier  seroit,  je  constitue 
mon  procureur  M*^     {nom  resté  en  hlnnc)     auquel  j'ay  donné  pouvoir 
de  ce  faire  et  en  requérir  acte^  promectz  avoir  agréable  ce  qui  sera 
par  luy  faict  ausdictes  insinuations,  ce  que  le  notaire  cy-sonbzscrit  a 
stipullé  et  accepté  pour  lesdictz  donnataires  absens  et  à  faire  tenir 
et  garder  tout  ce  que  dessus  par  moy,  sans  jamais  aller  faire  ne 
venir  au  contraire  et  pour  rendre  et  admander  par  moy  aux  donna- 
taires sus  nommez  tous  les  coustz,  frais,  mises,  interestz,  despens  et 
domages  qu'ilz  auroient  ou  soustiendroient  en  plaidoianl  ou  aultre- 
ment  par  defï'ault  d'accomplissement  des  choses  susdictes,  j'ay  obligé 
et  oblige  par  ces  présentes  aux  susdictz  donnataires  tous  et  chacuns 
mes  biens  et  choses  meubles  et  immeubles  présens  et  advenir  quelz- 
conques;  et  ay  renoncé  et  renonce  à  toutes  choses  contraires  et  pré- 
judiciables à  ces  présentes  et  au  droict,  disant  généralle  renonciation 
non  valloir  fors  entend  qu'elle  est  expresse  mesme  à  l'aide  du  bénéfice 
de  Velleien  à  l'espitre  de  Divi  Adrian  à  l'autanticque  Si  qua  mulier, 
et  à  tous  aultres  droicts   et  lois  faictz  et  introduictz  en  faveur  des 
femmes  et  par  lesquelz  femme  peult  venir  contre  son  propre  faict  et 
droict.  Lesquelz  droictz  m'ont  esté  donnez  à  entandre  par  le  notaire 
royal  soubzsigné,  et  desquelz  je  suis  bien  et  deument  acertainée  et 
advisée;  et  générallement  ay  renoncé  à  tout  ce  qui  me  pourroit  aider 
à  venir  contre   la  teneur  de  ces  présentes.  Laquelle  teneur  j'ay 
promis  et  juré  tenir  et  garder  inviolablement  sans  enfraindre.  Dont, 
de  mon  consentement  et  volunté  je  ay  voulu  estre  jugées  et  con- 
dempnées  par  Arnault  Salleau,  notaire  et  tabellion,  résidant  en  la 
ville  et  jurisdiclion  de  ladicte  Rochelle  par  le  jugement  et  condam- 
nation de  la  court  du  scel  royal  establi  aux  contrats  en  ladicte  Ro- 
chelle en  la  jurisdiction  duquel  j'ay  soubmiz  ot  soubmectz  mesdictz 
biens  que  ay.  Et  nous  la  garde  dudict  scel  royal  à  la  requeste  de  la- 
dicte testatresse  et  féal  relation  dudict  notaire  auquel  adjoustons  foy 
à  ces  présentes  avons  mis  et  apposé  en  tesmoignage  de  vérité.  Ce  fut 
faict  et  passé  en  ladicte  Rochelle,  présens  noble  homme  M«  Michel 
Bigot,  sieur  d'Aventon,  advocat  au  siège  présidial  de  ceste  ville,  sire 
Guillaume  Esneau,  marchant  demeurant  à  Sainct  Savinyen,  M*  Jac- 
ques de  Jamboyer,  notaire  royal,  demeurant  à  Marepnes  (1),  M«=  An- 

(1;  Jacques  de  Jainbover  aupartonait  k  une  fainilli;  de  Marennes,  qui  a  donné 
enliv  ai;trrs  :  Jeanne  di-  Jainlwvcr,  inariri;  en  1009  ;\  Pierre  Kichier,  écuyer, 
seigneur  de  Vandelicourl,  jnmistre  de  la  Paruh;  de  Dieu  à  Marennes. 


LETTRE  INÉDITE  I)F  CATHERINE  DE  PARTHENAY.  313 

thoine  Guerimeau,  escollier,  demeurant  à  Argenton-le-Chastel,  Guil- 
laume Feveil,  orphèvre^  Pierre  Bruneau,  marchant  demeurant  en 
ceste  ville,  et  François  Pyneguit,  clerc  demeurant  en  icelle.  Le  16^ 
jour  d'aoust  1570.  Signé  au  registre  ledict  notaire  :  ânthoinette 
d'Aubeterre,  de  Jamboyer,  Michel  Bigot,  A.  Guerimeau,  Guillaume 
Féveil,  F.  Pynevit,  p.  Bruneau  ;  et  quant  audict  Esneau,  a  dict  ne 
scavoir  signer.  Jalleau. 


LETTRE  INEDITE  OE  CATHERINE  DE  PARTHENAY. 

159.  (?). 

M.  G.  Masson  nous  a  communiqué  la  lettre  suivante  de  l'illuslremère  du 
duc  de  Rohan,  lettre  transcrite  par  lui  d'après  l'original  (signature  autogra- 
phe) conservé  au  Brilish  Muséum  (Ms.  Cotton,  Caligula,E.XI).  Mallieureu- 
sement,  on  n'y  trouve  ni  date  ni  suscription.  M.  Masson  pense  qu'elle  est 
probablement  adressée  à  la  reine  d'Angleterre;  il  faudrait  en  ce  cas  la  pla- 
cer entre  1586  et  1603,  la  première  date  étant  celle  de  son  mariage,  et  la 
seconde  celle  de  la  mort  d'Elisabeth. 

Catherine  de  Parthenay  à 

[A  la  reine  Elisabeth  d'Angleterre?] 

L'honneur  qu'il  a  pieu  à  Vostre  Majesté  faire  à  mes  enfans  estoit 
si  grand,  que  je  ne  pensois  pas  qu'il  peust  estre  surmonté  par  aucun 
autre.  Mais  celuy  qu'il  vous  a  pieu  y  adjouster.  Madame,  eu  m'ho- 
norant  de  vos  lettres,  et  en  me  faisant  paroistre  la  mémoire  qu'il 
vous  plaist  avoir  de  monsieur  mon  mary,  vostre  très  humble  servi- 
teur, me  comble  tellement  de  toutes  espèces  d'obligations  que  je  ne 
sache  remerciement  digne  de  vous  estre  offert  pour  une  telle  faveur. 
Mais  encore.  Madame,  puis-je  espérer  de  pouvoir  le  recognoistre  par 
mon  très  humble  service.  C'est  pourquoy,  ne  pouvant  autre  chose, 
je  prieray  Dieu  toute  ma  vie  pour  la  prospérité  de  Vostre  Majesté, 
comme  vostre  très  humble  et  très  obligée  servante,  joignant  en  cest 
endroit  mes  vœux  à  tous  ceux  de  nostre  profession  en  ce  royaume 
qui  sont  si  obligez  en  général  à  Vostre  Majesté,  et  moy  particulière- 
ment. Madame,  que  je  n'auray  jamais  plus  de  contentement  que 
orsque  moy  ou  les  miens  vous  pourrons  tesmoigner,  par  nostre  très 


314  LES    RÉFUGIÉS   DF.    l'aGENAIS. 

humble  service,  que  Vostre  Majesté  n'obligera  jamais  servante  qui 
avec  plus  d'affection  s'essaye  de  rendre  très  humble  obéissance  à 
vos  commandemens. 

Vostre  très  humble  et  très  obéissante  servante, 

Catherine  de  Partenay. 


LES  RÉFUGIÉS  DE  L'flGENAIS. 

EXTRAIT   DE   NOTES  POUR  SERVIR  A  l'hISTÛIRE  DES  ÉGLISES  RÉFORMÉES 

DE  l'aGENAIS. 

1685. 

  M.  le  Président  de  la  Société  de  l^  Histoire  du  Protestantisme 
français. 

Monsieur  le  président,  je  n'ai  pas  oublié  que,  lors  de  l'envoi  de  ma 
liste  des  anciens  pasteurs  de  l'Agenais,  augmentée  par  les  soins  de  mon 
laborieux  et  intelligent  compalriote,  ]>!.  Paul  Larrat,  je  vous  promis  quel- 
ques documents  sur  les  réfugiés  de  nos  contrées.  Diverses  circonstances 
m'ont  empêché  de  remplir  plus  tôt  cet  engagement...  Mais  mieux  vaut  tard 
que  jamais,  et  je  m'estimerai  lieureux,  si  vous  croyez  que  les  notes  ci- 
après  méritent  de  prendre  place  dans  notre  si  intéressant  Bulletin. 

Veuillez  agréer,  etc.  Alph.  Lagarde. 

Tonnein?,  2  nov.  1864. 

Quelle  émouvante  histoire  que  celle  du  refuge!  Combien  de  familles 
opulentes  qui  ne  tinrent  compte  ni  de  leurs  biens,  ni  de  leur  influence, 
ni  (le  la  position  heureuse  dont  elles  jouissaient  et  qui,  de  même  que 
les  lidèlcs  enfants  de  Uieu  des  anciens  jours,  n'bésitèrent  pas  à  subir 
les  rigueurs  de  l'exil  plutôt  que  d'acheter  leur  repos  et  leur  fortune 
par  une  facile  abjuration  !  Combien  devaient  être  cruelles  ces  sépara- 
tions que  la  rigueur  des  persécutions  rendait  nécessaires!  Dieu  seul 
pouvait  donner  à  ces  nobles  cœurs  la  force  de  rompre  tons  les  liens 
terrestres  et  de  surmonter  tous  les  obstacles.  Heureuse  encore  la  fa- 
mille qui  pouvait,  sans  se  séparer,  réussir  à  trouver  une  issue  vers  la 
terre  étrangère! 

Nous  voudrions  pouvoir  retracer  l'histoire,  la  vie,  les  épreuves 


LES    RÉFIGIÉS    DR    l'aGENAIS,  3tS 

sans  nombre,  jusqu'aux  traits,  s'il  était  possible,  de  ces  pères  vénérés. 
Car  les  Eglises  de  l'Agenais  ont  fourni  leur  ample  contingent  à  cette 
longue  liste  des  prescrits  pour  cause  de  religion. 

Parmi  les  premiers  réfugiés  figure  M.  de  Lédrier  qui  habitait  près 
du  bourg  d'Unet.  Là  siégeait,  quelque  temps  avant  la  Révocation,  un 
Consistoire  plein  de  zèle  pour  la  cause  de  l'Evangile.  Nous  avons 
déjà  inséré  dans  le  Bulletin  quelques  actes  de  ce  consistoire.  M.  de 
Lédrier,  membre  de  la  communauté  d'Unet,  avait  contribué  à  la 
propagation  de  l'Evangile  et  avait  travaillé  à  l'affermissement  de 
cette  intéressante  Eglise.  Vivement  poursuivi,  il  parvint  à  passer  la 
frontière.  Ce  nom  ne  fut  pas  perdu  dans  nos  contrées;  il  y  a  encore, 
dans  la  commune  de  Nicole,  près  d'Unet,  un  domaine  qui  porte  le 
nom  de  Lédrier. 

Le  marquis  de  Bougy,  seigneur  de  Calonges,  colonel  d'un  régiment 
de  cavalerie,  renonça  à  sa  haute  position  pour  conserver  sa  foi  et 
son  culte.  Cette  famille  avait,  depuis  longtemps  embrassé  la  Réforme. 
En  1646,  /.  de  Costa,  ministre  du  saint  Evangile  en  l'Eglise  de 
Tonneins,  fit  imprimer  un  sermon  qu'il  dédia  à  Messire  Jacques  de  La 
Chaussade,  seigneur  et  baron  de  Calonges. Ce  sermon, dit  le  pasteurj 
est  les  prémices  de  son  ministère,  et  il  le  dédie  à  Messire  de  Chaus- 
sade, pour  lui  témoigner  combien  les  réformés  sont  heureux  de  ce 
que  cette  noble  famille  vient  de  fonder  une  Eglise  dans  le  château  de 
Calonges. 

Mademoiselle  de  Calonges,  Suzanne  de  Chaussade,  qui  habitait  le 
château  de  Calonges,  près  du  Mas  d'Agenais,  demoiselle  qui  joignait 
à  une  haute  noblesse  des  talents  distingués,  quitta  aussi  la  France 
par  suite  des  persécutions. 

L'honorable  famille  de  La  Bruyère,  qui  est  encore  dignement  re- 
présentée dans  le  Lot-et-Garonne,  compte  parmi  les  réfugiés.  Ermann, 
dans  son  extrait  de  V Histoire  des  Réfugiés,  cite  parmi  les  membres  de 
cette  famille,  exilés  volontairement  chez  le  grand-électeur  de  Bran- 
debourg, M.  Jean-Jacques-Frédéric  de  La  Bruyère.  M.  Brion  de  La 
Bruyère,  qui  avait  honorablement  servi  sous  les  ordres  de  JeanBart, 
passa  aussi  à  l'étranger  et  accepta  du  service  en  Hollande.  11  prit  part 
à  ces  luttes  terribles,  à  ces  inutiles  carnages  qui  aboutirent  à  la  paix 
de  Riswick. 

M.  de  Bourges,  de  Castelmoron,  prit  du  service  dans  les  armées  de 
l'électeur  de  Brandebourg  et  parvint  au  grade  de  colonel. 


316  LES    RÉFUGIÉS    DE    l'aGENAIS. 

Le  même  auteur  cite  les  noms  de  M.  Jacques  Laffiteau,  M.  de  Gi- 
ronnet,  M.  Laborie,  de  Clairac  (ce  dernier  figurait  en  qualité  de  capi- 
taine, aux  funérailles  du  margrave  de  Hesse).de  MM.  de  Bareyre,  qui 
fut  capitaine;  Izaac  de  Lavau,  de  Tonneins,  major;  Voland,  qui  fut 
ehirurgien-major.  La  veuvedu  chirurgien  Voland  fit  un  legsàl'Eglise 
française,  en  reconnaissance  des  consolations  qu'elle  avait  trouvées 
dans  la  communion  avec  ses  compagnons  d'exil. 

Les  intéressants  documents  publiés  par  le  pasteur  Hugues,  à  la 
suite  de  son  voyage  d'exploration  historique  en  Hollande  {Bulletin, 
t.  V,  p.  363,  etc.),  nous  ont  fait  retrouver  parmi  les  ministres  réfugiés 
dans  la  ville  d'Anisterdam  et  admis  à  pvèchev  chacun  en  leur  tour,  en 
4688,  dans  la  nouvelle  Eglise  wallonne  de  cette  ville,  le  pasteur 
Jean  Hicoltier,  de  Tonneins,  en  Guyenne.  Nous  ne  reviendrons  par 
sur  ce  que  nous  avons  déjà  publié  sur  cette  famille  Ricoltier  ou  Ri- 
cottier  dans  le  Bulletin,  t.  VI,  p.  4-13. 

M.  Ch.-L.  Frossard,  naguère  pasteur  à  Lille,  a  eu  l'heureuse  idée 
de  communiquer  à  la  Société  de  l'Histoire  du  Protestantisme  français 
une  liste  des  pasteurs  français  réfugiés  en  Hollande  qui  signèrent  une 
confession  de  foi  commune.  Le  Bulletin  di^whWQ  (t.  VII,  p.  426),  cette 
liste  extraite   d'un  livre   imprimé  à  Leyde  en  1769  par  E.  Luzac, 
intitulé  :   «  La  Confession   de  foi  des  Eglises  réformées  des  Pays- 
Bus,  etc..  »  Les  pasteurs  et  les  professeurs  en  théologie  de  Rotter- 
dam, tout  en  recevant  avec  la  plus  cordiale  sympathie,  leurs  frères 
exilés,  craignaient  que  ces  pasteurs,  arrivant  de  toutes  les  parties  de 
la  France,  n'ayant  pu  avoir  entre  eux,  depuis  tant  d'années,  aucun 
lien  commun,  n'apportassent  dans  les  Eglises  de  leur  patrie  d'adop- 
tion une  divergence  de  doctrine  qui  nuisît  à  l'édification  et  à  la  paix. 
La  compagnie  des  pasteurs  et  les  professeurs  furent  chargés  de  la 
rédaction  d'une  confession  de  foi  commune;  ils  enjoignirent  aux  con- 
sistoires et  aux  pasteurs  de  veiller  à  ce  que  rien  de  contraire  à  la  doc- 
trine de  l'Eglise  réformée  ne  fût  avancé  non-seulement  dans  les  pré- 
dications publiques,  mais  encore  en  particulier.  Cette  confession  de 
foi  fut  signée   dans  le  synode  des  Eglises  wallonnes  des  Pays-Bas 
assemblé  à  Rotterdam  le  24  avril  1686.  Parmi  les  signatures,  nous 
remarquons  : 

1"  /zaac  Latané,  qui  avait  été,  pendant  plusieurs  années,  pasteur 
de  diverses  Eglises  de  l'Agenais,  et  que  nous  trouvons  en  1676  à 
Tonneins; 


LES    RÉFUGIÉS    DE    l'aUKNAIS.  317 

2"  Petit,  qui  avait  été  pasteur  à  Fauillef,  près  Tonneins.  H  figure 
sur  les  registres  de  baptême  et  de  sépulture  de  cette  Eglise  de  1646 
à  1658; 

3"  Elie  Reinaud,  que  nous  trouvons  sur  les  registres  de  baptême 
et  de  décès  de  TEglise  de  Tonneins,  de  1671  à  1676.  Il  avait  été  pas- 
teur à  Fauillet  en  1665; 

4°  F.  Senillï,  ancien  pasteur  de  Lavardac. 

5"  Samuel  Viguier,  ancien  pasteur  de  Nérac.  Un  autre  pasteur 
de  Nérac,  portant  le  nom  de  Jérémie  Viguier,  fut  député  avec  Jean 
Ricoltier,  pasteur  de  Bordeaux,  au  synode  de  Loudun,  le  dernier  qui 
se  soit  tenu  en  France  ; 

6»  Philipot,  ancien  pasteur  de  Ciairac; 

7"  Landreau,  ancien  pasteur  d'Espiens,  près  de  Nérac; 

8°  Jean  Ricotier,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  pasteur  d'un  grand 
mérite,  qui  appartenait  à  une  famille  honorable  de  TAgenais.  Il  avait 
été  pasteur  à  Tonneins  de  1669  à  1676; 

9"  Venès,  qui  desservait  en  1671  TEglise  d'Unet  et  qui  passa  en- 
suite à  Castelmoron; 

10"  Pomayrol,  autrefois  attaché  en  même  temps  que  David  Joye, 
à  Piraportante  Eglise  de  Calonges; 

11"  P.  Ruyère,  ancien  pasteur  de  Miramont; 

12»  Loches,  (\\xi  figure  encore  en  1675  dans  les  registres  de  l'Eglise 
de  Ciairac; 

13"  Del'Edrier  (/;:«ac),  ancien  pasteur  de  Laparade.  Nous  ne  pen- 
sons pas  que  ce  réfugié  soit  le  même  que  M.  Lédrier  qui  faisait 
partie,  avant  le  refuge,  du  consistoire  d'Unet  et  dont  nous  avons  déjà 
parlé; 

1\"  Jacques  Chardevesme,  ancien  pasteur  d'Unet; 

15"  Farges,  autrefois  pasteur  à  Lacépède.  H  était  en  1669,  pasteur 
de  l'Eglise  de  Moncrabeau,  près  de  Nérac. 

16"  Du  Maturin,  ancien  pasteur  de  Miramont. 

Voilà  seize  pasteurs  appartenant  tous  à  l'Agenais  qui  étaient  par- 
venus à  échapper  aux  poursuites.  Avant  la  révocation  de  i'Edit,  il  y 
en  avait  un  bien  plus  grand  nombre  dans  nos  Eglises;  que  sont-ils 
devenus?  Enl682  déjà,  le  pasteur  Rrocas  avait  été  condamné  àl'exil 
perpétuel.  L'Eglise  de  Casteljaloux  avait  pour  pasteur,  en  1674, 
Augier.  En  1673,  un  frère  de  Jean. Ricotier  était  pasteur  à  Grate- 
loup.  En  167ti,  l'Eglise  de  Monheurt  avait  pour  pasteur  Du/mis, 


1 


318  LES   RÉFUGIÉS    DE    l'aGENAIS. 

et  celle  de  Puch,  LafUte.  Zachée  Daubiiz  était  pasteur  à  Agen  en 
1672,  et  Dupon,  à  Saint-Barthélémy,  en  1666.  Descuirac  desservait 
l'Eglise  de  la  Sauvetat  de  Caumont  en  1674.  A  cette  époque,  Jean 
Costubadie,  qui  avait  été  pasteur  de  Tonneins,  en  1669,  était  pasteur 
à  Argental. L'Eglise  de  Layrac  était  desservie  en  1669  par  le  pasteur 
Douis.  De  1669  â  1674,  nous  trouvons  sur  divers  registres,  outre  les 
noms  que  nous  avons  déjà  cités,  De  Costa  qui  signe  quelquefois  Costa, 
Lemasson  et  Viala. 

Que  sont  devenus  tous  ces  serviteurs  de  Dieu  dispersés  par  le  vent 
de  la  persécution?  L'un  d'eux.  De  Costa,  devait  appartenir  à  une 
famille  considérable  qui  habitait,  avant  la  Révocation,  la  petite  ville 
de  Saint-Barthélémy,  il  avait,  dans  l'Agenais,  une  certaine  réputa- 
tion d'éloquence;  il  était  souvent  chargé  de  visiter  les  Eglises  et  d'y 
donner  des  prédications.  Quelques-uns  sans  doute  échappèrent  aux 
persécutions,  et  les  chercheurs  retrouveront,  quelque  jour,  leurs 
noms  en  continuant  les  explorations  commencées  par  M.  Hugues. 

Nous  avons  cité  parmi  les  réfugiés  le  pasteur  Venès,  de  Castel- 
moron.  Mis  en  arrestation  dans  le  mois  de  février  1685,  ce  fidèle 
ministre  de  Jésus-Christ  fut  conduit  dans  les  prisons  d'Agen.  Ce  n'est 
pas  sans  une  profonde  émotion  que  nous  avons  lu  la  lettre  qu'il  écri- 
vait, le  21  février  1685,  au  moment  où  l'on  allait  décider  de  son 
sort,  aux  anciens  de  son  Eglise.  On  nous  saura  gré  peut-être  d'en 
transcrire  ici  quelques  passages  : 

«  D'Agen,  ce  21=  lévrier  1()85. 

«  Messieurs  et  très  honnorés  frères,  puisque  la  bonne  providence 
«  de  Dieu  m'a  conduit  icy  pour  sa  cause,  je  crois  qu'il  est  de  mon 
«  devoir  de  lui  en  rendre  mes  actions  de  grâces  et  de  le  prier  qu'il 
f(  daigne  me  favoriser  de  son  secoure  et  de  son  support,  affin  que 
«  tout  ce  qui  me  |)cut  arriver  réussisse  à  sa  gloire,  à  notre  édiiica- 
«  tioii  et  à  la  confirmation  de  la  doctrine  que  j'ai  eu  l'honneur  de 
«  vous  aniioiioer.  .le  vous  demande  aussi  pour  cola  vos  prières,  et 
«  tandis  (jue  je  combattrai,  priés  pour  moi,  je  vous  en  conjure,  comme 
a  je  prierai  sans  cesse  pour  vous. 

«  A  mon  arrivée  icy  j'ai  trouvé  les  choses  disposées  d'une  ninnière 
«  à  rendre  en  partie  inutiles  les- sollicitations  pour  moi.  Tout  ce  que 
«  j'ai  pu  obtenir  est  d'avoir  l'ectouc,  et  à  la  vérité  je  m'en  contente 


LES   RÉFUGIÉS    DE    l'aGENAIS.  319 

«  puisque  mes  frères  sont  en  même  élat^  et  notre  cause  étant  sem- 
er blable,  je  suis  aise  d'avoir  une  même  condition  avec  eux. 

«  Dieu  veuille  être  notre  consolateur  et  notre  protecteur  dans 
«  notre  innocence  et  dans  nos  afflictions,  et  nous  donner  avec  le 
«  vouloir  de  souffrir  pour  son  nom  le  pouvoir  de  le  faire  avec  gloire 
«  et  avec  courage  selon  son  bon  plaisir  et  selon  ses  saintes  pro- 
«  messes. 

«  Je  vous  recommande  tous  en  général  et  chacun  de  vous  en 
«  particulier  à  Dieu  et  à  sa  grâce  et  le  prie  de  toutes  mes  affections 
«  qu'il  daigne  répandre  ses  saintes  bénédictions  sur  vous  et  sur  tout 
«  le  troupeau  qui  vous  est  commis.  Veillés  sur  lui  et  sur  sa  conduite 
«  selon  le  serment  que  vous  en  avés  fait  à  Dieu,  affin  que  nous  lui  en 
«  puissions  rendre  Un  bon  compte  au  jour  de  la  venue  de  notre 
«  maistre.  Edifiés-le  toujours  en  la  très  sainte  foyde  notre  Seigneur 
«  et  en  l'obéissance  à  ses  justes  ordres.  Animés-le  par  votre  voix  et 
«  surtout  par  vos  saints  exemples  à  arracher  de  son  sein  les  vices  et 
«  les  scandales  et  les  désordres  qui  y  régnent  malheureusement  et 
«  qui  ont  contraint  notre  Dieu  à  nous  châtier  d'une  manière  si  sen- 
«  sible  et  si  lamentable^  et  portés-le  à  vivre  saintement  et  religieu- 
«  sèment  pour  désarmer  le  bras  de  Dieu  qui  est  à  la  brèche  contre 
«  nos  vices^  qui  nous  fait  sentir  les  coups  de  sa  discipline^  et  pour 
«  l'obliger  à  nous  regarder  d'un  œil  de  réconciliation  et  de  paix  et  à 
«  nous  rendre  enfin  par  sa  bonté  les  biens  dont  il  nous  a  privés  par 
«  sa  justice.  Or  il  est  fidèle  et  il  le  fera  immanquablement  si  nous 
«  l'en  supplions  de  bon  cœur;  et  si  nous  nous  convertissons  sérieuse- 
ce  ment  vers  lui  par  la  sainteté  de  notre  vie,  il  se  convertira  aussi 
«  vers  nous  en  juge  et  en  salut.  Je  vous  écris  ces  choses  fort  à  la 
«  haste,  à  cause  que  M.  Dupouy  se  veut  retirer,  son  secoui's  ni'estatit 
«  présentement  inutile,  faittes  s'il  vous  plaist,  à  Madame  la  marquise 
«  de  Tonnens,  mes  honneurs  ;  présentés-lui  mes  respects  et  mes 
«  excuses  de  ce  que  je  ne  puis  pas  me  donner  l'honneur  de  lui  écrire 
«  présentement.  Je  m'acquitterai,  sans  doute,  une  autre  fois  de  mon 
«  devoir  envers  elle. 

«  Adieu,  mes  très  chers  frères  en  notre  Seigneur,  Dieu  veuille 
«  vous  tenir  en  sa  sainte  garde,  et  vous  bénir  et  vous  conserver. 
«  Souvenés-vous  de  moi  en  vos  prières  et  conservés-moi  l'honneur 
«  de  votre  sainte  affection.  Donnés-m'en,  je  vous  en  conjure,  des 
«  preuves  par  le  soin  de  ma  femme  et  de  ma  famille  que  je  vous 


320  UN    BOSSUET    DAUPHINOIS. 

«  recommande  et  rendés-lui  dans  les  occasions  les  offices  de  votre 

«  charité.  Je  ne  puis  pas  lui  écrire  présentement,  mais,  au  nom  de 

«  Dieu,  je  vous  prie  de  la  visiter  et  de  lui  faire  mes  salutations  et  mes 

«  bénédictions  de  ma  part.  Pour  moi,  je  tascherai  de  vous  exprimer 

«  mes  reconnaissances.  Je  vous  aimerai  toujours  tendrement  et,  par 

«  toute  ma  conduite,  je  vous  témoignerai  que  je  suis  à  vivre  et  à 

«  mourir.  Messieurs  et  très  honnorés  frères, 

«  Votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur  et  affectionné  frère, 

«  et  fidèle  pasteur  en  notre  Seigneur. 

«  Venès.  » 


UN  BOSSUET  DAUPHINOIS 

CÉLÉBRANT  LA  RÉVOCATION  DE  l'ÉDIT  DE  NANTES  ET  LE  ROI-SOLEIL. 

1693. 

Cet  émule  dauphinois,  et  pas  trop  indigne  vraiment,  de  l'Aigle  de 
Meaux,  n'est  autre  que  «  le  R.  P.  André  François,  de  Tournon,  capucin,  » 
que  son  enthousiasme  poussa  à  faire  un  superbe  «  Panégyrique  du  Roy, 
«  prononcé  dans  l'église  de  Valence  en  Dauphiné,  le  6  aousl  1690,  »  pané- 
gyrique «  présenté  à  Monseigneur  le  dauphin,  »  et  précédé  d'une  Epîlre 
dédicatoire  conforme  à  toutes  les  règles  du  genre.  Nous  en  avons  sous  les 
yeux  la  «  seconde  édition,  «  donnée  à  Paris,  de  l'imprimerie  de  François  H. 
Muguet,  rue  Neuve-Notre-Dame,  à  la  Croix  d'Or,  en  >I.  DC.  XCllI,  avec 
approbation  et  privilège  du  Roy. 

C'est  une  de  ces  pièces  qui  méritent  d'être  consignées  parmi  les  signes 
du  temps  et  les  monuments  ecclésiastiques  de  l'époque. 

Le  texte  choisi  par  l'orateur  sacré  n'y  va  pas  par  deux  chemins  :  nemo 
SIMILIS  Tii  IN  REGiBis.  Lih.  111,  Rpg.,  c.  111,  V.  13  :  rous  êtes  le  plus  grand 
des  liois.  Et  dès  avant  l'exorde  on  lit  :  «  Ces  paroles  furent  dites  à  un  grand 
"  Roy;  je  m'en  sers  aujourd'hui  pour  mar(|uer  le  caraclère  de  Louis  le 
"  Grand,  autant  élevé  au-dessus  de  tous  les  lois  de  la  terre,  que  Salomon 
"  le  fut  autrefois  au-dessus  de  tous  les  rois  d'Israël.  » 

Après  avoir  proclamé  dans  son  exorde  (pie  le  jour  est  bien  choisi,  non- 
seulement  pour  «  faire  éclater  la  joie  par  des  illuminations  et  par  des  feux,  » 
mais  aussi  pour  «  la  porter  aux  piez  des  autels,  »  afin  de  célébrer  dignement 
un  Héros  qui  soutient  ■<  la  guerre  sainte  el  glorieuse  »  du  trùne  et  des 
autels,  le  panégyriste  déclare  que,  dans  cette  iidinilé  de  sujets  de  louange 
qui  s'offrent  à  celui  qui  aborde  l'éloge  du  monarque  «  toujours  vainqueur, 


UN    BOSSUET    DAUPHINOIS.  321 

«  toujours  modéré,  toujours  grand,  «  —  sans  que  jamais  on  coure  le  moindre 
risque  «  de  devenir  flaiteur  en  le  louant,  »  —  il  prétend  seulement  «  àl'hon- 
«  neur  de  parler  du  meilleur  prince  qui  fut  et  qui  sera  jamais.  »  Et  «  comme 
«  la  vie  du  Roy  est  une  suite  continuelle  d'actions  inouïes  où  la  religion, 
«  la  sagesse,  la  clémence  et  la  valeur  paraissent  également,  j'ai  cru  (dit-il) 
«  ne  pouvoir  m'en  former  une  idée  plus  juste  qu'en  lui  appliijuant  ces 
«  paroles  :  Nenio  similis  tui  in  regibus...  » 
Puis,  déployant  ses  ailes,  il  poursuit  en  ces  termes  : 

«  Je  n'ai  qu'à  exposer  à  vos  yeux  ce  qu'a  fait  ce  héros  incompa- 
rable^ tant  pour  la  religion,  que  pour  ses  Etats  :  par  ces  deux  en- 
droits il  a  toujours  soutenu  les  intérêts  de  Dieu,  et  les  droits  de  sa 
propre  couronne,  et  porté  bien  loin  la  gloire  du  Seigneur,  et  la  gloire 
du  nom  françois.  Voilà,  Messieurs,  quel  est  le  caractère  du  roy,  tel 
que  je  dois  vous  le  représenter  dans  ce  discours,  où  nous  allons  voir 
que  Louis  le  Grand  est  le  plus  religieux  de  tous  les  princes,  par  la 
fermeté  de  sa  foi  et  l'étendue  de  son  zèle;  le  plus  grand  de  tous  les 
monarques  par  la  sagesse  de  ses  lois  et  la  prospérité  de  ses  armes. 

Daignez  souffrir,  ô  mon  Dieu  !  que  nous  fassions  l'éloge  de  ce  grand 
roy  dans  un  lieu  destiné  seulement  à  celui  de  vos  saints,  à  chanter 
vos  louanges,  et  à  vous  prier.  Permettez-nous  d'ériger  en  votre  pré- 
sence un  trophée  à  ce  prince  religieux,  qui  en  a  tant  érigé  à  votre 
gloire  et  a  votre  nom.  Les  voûtes  sacrées  de  ce  fameux  (1)  temple, 
où  sous  ce  règne  on  a  vu  entrer  tant  de  fois  les  dépouilles  de  nos 
ennemis,  sont  ornées  d'étendarts  et  de  drapeaux,  tout  teints  encore 
du  sang  des  Bataves.  Souvenons-nous,  Messieurs,  en  parlant  du  roy, 
d'admirer  la  bonté  de  Dieu  sur  sa  personne  sacrée,  sur  nous-mêmes, 
et  sur  le  royaume.  L'esprit  et  le  cœur  élevez  vers  le  ciel,  ne  pensons 
et  ne  disons  rien  qui  ne  soit  digne  de  la  majesté  du  lieu  saint,  digne 
de  la  grandeur  du  roy,  digne  de  notre  devoir  et  de  notre  zèle. 

L'établissement,  le  bonheur  et  la  durée  des  em.pires  doivent  se 
rapporter  à  Dieu,  ayant  créé  l'univers,  il  en  est  le  maître,  et  change 
quand  il  lui  plaît  la  face  du  monde  politique,  ainsi  que  celle  du 
monde  élémentaire.  Un  prophète  (2)  nous  l'a  représenté  sur  un  trône 
éclatant,  la  couronne  en  tète,  le  sceptre  à  la  main,  et  vêtu  en  roy. 
Le  sage  (3)  ajoute  que  toute  l'autorité  des  princes  vient  de  lui,  qu'il 

(1)  Notre-Dame  de  Paris. 

(2)  Isaie,  c.  VI,  V.  j. 

(3)  Au  livre  des  Proverbes,  uh.  11,  v.  15. 


322  UN    BOSSUET    DAUPHINOIS. 

est  le  Dieu  des  armées,  le  Seigneur  des  seigneurs,  et  qu'il  fait  passer 
les  monarchies  d'une  nation  à  l'autre  selon  les  desseins  de  sa  misé- 
ricorde ou  de  sa  justice. 

D'où  vient  que  la  plus  fine  politique  a  toujours  inspiré  le  culte  de 
la  religion  vraye,  ou  fausse,  convaincue  que  la  piété  est  le  plus 
solide  apui  d'un  Etat,  que  pour  régir  heureusement  les  peuples,  le 
prince  doit  d'abord  les  soumettre  à  Dieu,  qui  tenant  en  ses  mains 
le  cœur  des  rois  et  des  sujets,  retient  les  mêmes  sujets  dans  le  de- 
voir, grave  dans  leur  âme  le  respect  et  l'amour,  et  ne  leur  laisse 
pas  suivre  cet  esprit  d'mdépendance  et  de  révolte,  où  l'orgueil 
pousse  presque  tous  les  hommes. 

Les  anciens  crurent  fixer  cette  bizarre  et  dangereuse  inconstance, 
en  confondant  l'autorité  des  princes  avec  celle  des  dieux;  les  uns 
par  un  faste  présomptueux  unirent  le  sacerdoce  à  la  royauté;  les 
autres  par  d'ingénieuses  fables  cherchèrent  dans  le  ciel  l'origine  de 
leurs  législateurs,  et  de  leurs  héros,  les  autres  firent  porter  devant 
eux  des  flambeaux  allumez  d'un  feu  pris  sur  les  autels;  et  par  ces 
divers  artifices  ils  prétendoient  tous  également  gagner  l'afection  des 
peuples,  et  se  les  attacher  comme  par  autant  de  nœuds  sacrez  et 
indissolubles. 

Rome  idolâtre  a  raporté  son  élévation  à  ce  nombre  presque  inlini 
de  temples,  et  de  sacrifices  destinez  à  l'honneur  des  dieux  tutélai- 
res  de  la  république.  L'orateur  qui  la  gouverna  si  sagement,  avoue 
qu'elle  doit  toutes  ses  conquêtes  à  la  piété  de  ses  consuls,  et  à  la 
multitude  de  ses  victimes,  plutôt  qu'à  la  prudence  de  ses  grands 
capitaines,  ou  à  la  valeur  de  ses  légions  toujours  invincibles. 

Ce  sage  payen  se  fiatoit,  ou  plutôt  il  flatoit  ses  idoles,  de  croire 
qu'un  vain  fantôme  de  religion  fût  si  puissant,  et  que  les  démons 
eussent  été  les  ouvriers  de  la  grandeur  romaine,  eux  qui  ne  purent 
empêcher  tantdeplayes  mortelles,  qu'Annibal,  et  nosanciensC.aulois 
lui  fiicnt  sentir  jusques  sur  les  autels  du  Capitole;  mais  ce  n'est  point 
nous  tromper  datiibuer  à  Dieu  les  heureux  succès  dos  monarchies 
chrétiennes;  combien  de  lois,  et  en  combien  de  manières  toute  la 
nature  s'cst-clle  armée  à  la  défense  des  princes  (jui  oiU  fait  tleurir  la 
religion.  Quand  on  eroyoit  leurs  Etats  perdus  sans  ressource.  Dieu 
les  a  tirez  du  précipice,  et  l'on  y  a  vu  régner  la  paix,  la  victoire 
et  l'abondance. 
L'Histoire  sainte  nous  icprosente  au   contraire  des  Baltazars,  des 


UN   BOSSUEX    DAUPHINOIS.  323 

Achas,  des  Jéconias,  et  tant  d'autres  princes  impies,  dépouillez  de 
la  pourpre,  et  privez  de  la  couronne  par  la  même  main  qui  la  leur 
avoit  donnée.  Si  le  peuple  Juif  a  été  souvent  vaincu,  et  mis  dans  les 
{'ers,  n'est-ce  pas  à  une  lâche  ingratitude  envers  Dieu,  à  un  vain 
recours  aux  simulacres  des  nations,  que  TEsprit-Saint  atribuë  tous 
les  maux  d'Israël  et  les  victoires  de  ses  ennemis. 

Vous  m'aurez  déjà  prévenu.  Messieurs,  et  vous  apercevez  sans 
doute  que  le  premier  caractère  des  souverains,  est  d'être  invioiable- 
ment  ataché  à  la  religion.  Un  prince  chrétien  doit  bien  plus  à  l'eau 
mistérieuse,  qui  par  une  fécondité  spirituelle  l'a  rendu  enfant  de 
Dieu  et  de  l'Eglise,  qu'il  ne  doit  au  sang  royal,  qui  le  rend  père  et 
protecteur  des  peuples  (1).  On  le  révère  comme  l'oint  du  Seigneur, 
pour  le  faire  ressouvenir  que  les  rois  sont  ici-bas  les  ministres  et  les 
agents  d'un  roy  invisible  et  immortel  :  ce  n'est  pas  assez  qu'ils  l'ai- 
ment et  le  servent  comme  les  autres  hommes,  ils  doivent  l'aimer  et 
le  servir  en  rois.  Tout  l'univers  combat  pour  vous,  disoit  autrefois  un 
grand  prélat  à  un  sage  empereur  (2);  mais  c'est  à  vous  de  com- 
batre  pour  le  Dieu  de  l'univers,  qui  sera  à  jamais  votre  juge  et  vo- 
tre roy. 

Nostre  auguste  monarque  remplit  parfaitement  tous  ces  devoirs. 
Sa  conduite  doit  détromper  ceux  qui  croyent  que  la  piété  se  trouve 
rarement  dans  les  grands  hommes,  qu'elle  ne  s'accorde  pas  avec  la 
valeur  nécessaire  au  gouvernement  des  peuples,  et  à  la  défense  des 
Etats!  Vit-on  jamais  un  héros  plus  grand  que  le  nôtre,  plus  fier  et 
plus  redoutable  à  la  tête  de  ses  armées!  vit-on  jamais  un  souverain 
plus  modeste  et  plus  humble  dans  nos  Eglises  !  Combien  de  marques 
éclatantes  n'a-t-il  point  donné  de  sa  vénération  pour  nos  mis- 
tères,  et  de  son  respect  pour  toutes  les  choses  sacrées,  toujours 
ennemi  déclaré  des  crimes  et  de  l'erreur,  toujours  promt  et  sévère 
vengeur  des  injures  faites  aux  autels! 

Pour  mériter  le  nom  de  prince  religieux,  ne  faut-il  qu'être  fcriue 
dans  les  décisions  de  la  foy,  protéger  l'Eglise,  ménager  ses  intérêts, 
et  s'opposer  généreusement  aux  artifices  de  l'hérésie!  Qui  oscioii. 
disputer  au  roy  le  titre  de  plus  religieux  de  tous  les  princes.  On  n'a 
qu'à  jeter  les  yeux  sur  son  glorieux  règne;  on  y  voit  la  religion 
n'être  plus  ni  muette,  ni  soufrante;  mais  noblement  rétablie  dans 

(1)  S.  Thorn.,  De  Regirnine  Princ,  1.  II,  cap.  ult. 

(-2)  S.  Ambroise  à  l'empereur  Valentiriieu,  Epitres,  II. 


324  UN    BOSSLET    DAUPHINOIS. 

tous  ses  droits,  marcher  en  triomphe  avec  ce  héros  chrétien. 
Sous  luy  la  France  a  changé  de  face,  elle  n'est  plus  inondée  par 
un  déluge  d'iniquitez  et  de  maux,  le  hlasphème,  l'impiété,  l'usure, 
le  poison,  les  concussions  et  les  violences  n'oseroient  se  produire; 
le  châtiment  les  poursuit  et  les  atteint  jusques  dans  les  ténèbres. 
L'envie,  toute  jalouse  et  ennemie  qu'elle  est  de  la  vertu,  doit  dispa- 
raître ici,  céder  à  la  force  de  la  vérité,  et  s'écrier  avec  nous,  que 
Louis  le  Grand  est  né  pour  l'exaltation  de  la  foy,  autant  que  pour  la 
gloire  et  le  bonheur  des  François. 

Son  grand  cœur  conte  pour  rien  mille  exploits  étonans  et  presque 
incroyables,  s'il  ne  combat  et  ne  détruit  Terreur,  s'il  n'humilie  l'hé- 
rétique, et  ne  le  soumet  à  l'Eglise,  s'il  ne  dissipe  enfin  tant  de  nuages 
que  l'esprit  de  ténèbres  avoit  élevez  dans  nos  provinces;  et  qui  s'y 
maintenoieni  à  la  faveur  des  édits  extorquez  plutôt  que  donnez,  en 
un  tems  où  l'on  ne  pouvoit  que  gémir  par  le  malheureux  progrès  de 
l'hérésie. 

L'homme  vain  et  superbe  se  laisse  facilement  atirer  par  les  charmes 
d'une  opinion  naissante,  par  l'audace  criminelle  de  tout  faire,  de 
tout  examiner,  et  de  ne  croire  que  ce  qui  plaît  à  sa  délicatesse  et  a 
son  orgueil.  On  a  vu  de  tout  tems  que  le  peuple,  qui  a  ordinairement 
peu  de  raison,  flaté  d'ailleurs,  et  comme  à  couvert  sous  le  nom 
spécieux  de  réforme,  donne  d'abord  dans  ces  nouveautez  crimi- 
nelles, s'engage  dans  l'erreur,  et  devient  comme  un  aiuinal  féroce 
et  sanguinaire  :  animal  qui  résiste,  et  se  défent  toujours,  qu'on 
perce  en  vain  de  mille  cou[)s;  tout  stupide  qu'il  est,  il  sait  l'art  de 
fermer  lui-même  ses  playes  les  plus  profondes;  et  quand  on  le  croit 
blessé  à  mort  et  abatu,  il  se  relève,  et  paroît  plus  fier,  et  plus  me- 
naçant. 

Tel  fut  le  caiclore  du  calvinisme,  hérésie  qu'un  .^iècle  ignorant 
et  dépravé  a  viii  introduire!  en  France!  Que  de  larmes!  que  de  sang 
fit-elle  répandre  à  nos  pères  exposez  à  sa  lureur,  à  nos  |)ères,  dis-jc, 
qui  la  virent  orgueilleuse  et  rebelle,  s'établir  par  le  fer  et  parle  feu  (1), 
sans  épargner  ni  parens,  ni  trônes,  ni  autels.  Souvez-vous  un  mo- 
ment de  tant  de  iioirs  atcntalset  de  tous  les  désordres,  dont  la  |)ré- 
tenduc  réforme  fit  un  trophée  à  Terreur;  plus  d'un  million  de  bras 
se  sont  armez  pour  la  donilei';  mais  (ju'ont  fait  tant  de  bras  armez 

(1)  Sa  devise  lui  ces  mots,  tirez  mal  a  propos  de  rixriture  :  Non  veni  pacem 
mitteie,  sed  ijladiun,. 


UN    BOSSUET    DAUPHINOIS.  325 

sur  des  cœurs  obstinez,  que  la  douceur  ni  les  menaces  ne  pou- 
voiont  fléchir.  En  efîet  vous  savez,  Messieurs,  que  sept  de  nos 
rois  ont  ataqué  le  calvinisme,  vous  savez  aussi  qu'ils  l'ont  ataqué 
avec  peu  de  succès,  et  peu  de  gloire.  Les  célèbres  journées  de  Jar- 
nac(l)  et  de  Montcontour(2)  que  le  dernier(3)  des  Valois  rendit  si 
funestes  aux  rebelles,  ne  purent  abatre  l'hérésie;  sa  défaite  la  rendit 
ce  semble  plus  insolente  et  plus  forte;  les  vaincus  ne  gardèrent  plus 
démesures,  les  morts  furent  vengez  par  l'incendie  et  le  carnage;  le 
royaume  fut  ravagé,  la  couronne  ébranlée,  et  on  ne  put  Tafermir, 
ni  arrêter  ce  torrent  dangereux  qu'en  cédant  quelque  chose  à  une 
opiniâtreté  alors  invincible. 

Ce  sont  là.  Messieurs,  les  détestables  ressors  qui  ont  servi  à  l'éta- 
blissement d'un  parti  de  rébellion  et  de  cabale;  parti  qui  ne  s'est 
maintenujusquesànous,  que  pour  voir  sa  ruine  entière  sous  le  règne 
des  miracles.  Par  un  seul  édit  Louis  a  réveillé  tous  ces  létargiques 
volontaires,  on  a  veu  tout  d'un  coup  ses  ordres  donnez,  reçus  et 
exécutez  malgré  l'envie,  et  tous  les  efforts  du  parti  protestant. 

Toute  l'Europe  atentive  sur  l'auguste  Louis,  admire  également 
la  fermeté  de  sa  foy,  l'ardeur  de  son  zèle,  et  la  prudence  avec 
laquelle  il  a  suivi  ces  nobles  mouvemens  que  la  religion  inspire  ;  tan- 
tôt il  condamne  les  relaps;  tantôt  il  ordonne  que  les  enfans  des  cal- 
vinistes soient  batisez  dans  nos  églises,  et  tantôt  il  veut  que  nos 
pasteurs  visitent  leurs  malades,  et  leur  montrent  la  voye  du  salut 
dans  ces  derniers  momens,  où  d'ordinaire  l'esprit  n'est  plus  sujet 
à  l'illusion,  ni  le  cœur  en  danger  d'être  séduit.  Ici  les  temples  bâtis 
pendant  les  guerres  civiles  sont  renversez;  là  on  suprime  ces  cham- 
bres (4)  mi-parties,  où  l'hérésie  déshonoroit  les  fleurs  de  lis.  Par  tout 
l'hérétique  est  exclus  des  charges  et  des  emplois,  et  quelque  mé- 
rite ou  naissance  qu'il  ait,  il  ne  trouve  à  la  cour  ni  la  protection,  ni 
les  bonnes  grâces  du  prince. 

C'est  ainsi,  ô  grand  roy  !  qu'en  forçant  tous  les  retranchemens  de 
l'hérésie  par  des  armes  également  douces  et  innocentes,  vous  nous 
avez  accoutumez  peu  à  peu  à  voir  périr  devant  nos  yeux  ce  funeste 

(1)  Louis  de  Bourbon,  chef  des  huguenots,  deux  cents  gentilshommes  et  pres- 
que tous  les  officiers  y  furent  tuez,  le  12  mars  1569. 

(2)  Dix-sept  mille  huguenots  restèrent  sur  la  place  le  3  octobre  de  la  même 
année. 

(3)  Le  duc  d'Anjou,  depuis  roy  de  Francs  et  de  Pologne,  sous  le  nom  de 
Henry  lU. 

(4)  Chambres  de  l'Edit. 


326  l'N   BOSSUET    DAUPHINOIS. 

méfange  de  religion.  Si  cette  secte  a  paru  quelque  tems  sous  votre 
règne,  elle  y  a  toujours  paru  sans  honneur,  et  elle  meurt  aujour- 
d'huy  sans  nul  espoir  de  ressusciter  jamais. 

Heureux  moment,  où  Louis  le  Grand  cassoit  et  révoquoit  les  dé- 
clarations, les  édits,  les  arrêts,  et  tout  ce  que  la  force  d'un  peuple 
rebelle,  ou  la  nécessité  des  tems  avoit  obtenu  de  favorable  à  l'hé- 
résie! Que  le  ciel  et  la  terre  célèbrent  à  jamais  ce  jour  (1)  fortuné, 
où  le  roy  par  un  zèle  digne  de  luy,  alla  briser  un  bouclier  afreux 
({ui  mettoit  le  calvinisme  à  couvert  dans  nos  provinces!  Vous  m'en- 
tendez. Messieurs,  je  parle  de  ce  fameux  édit(2),  que  la  politique  fit 
accorder  h  des  sujets  qu'on  ne  pouvoit  autrement  retenir  dans  le 
devoir. 

Je  puis.  Messieurs,  comparer  ici  notre  auguste  monarque  à  cehii 
que  Dieu  même  disoit  être  selon  son  cœur.  David  eut  bien  plus  de 
gloire  dans  la  défaite  du  géant  formidable  qui  insultoit  le  peuple 
hébreu,  qu'il  n'en  mérita  depuis  par  la  défaite  de  tant  d'ennemis 
qui  s'éforcèrent  de  luy  ravir  la  couronne!  J'admire  moins  ce  jeune 
héros,  déchirant  les  ours  et  les  lions,  que  de  le  voir  victorieux  de 
Goliath  :  cet  insolent  ennemi  ne  pouvoit  être  plus  humilié!  David 
Taproche  sans  pâlir,  court  sur  lui,  le  désarme,  lui  tranche  la  tête 
de  sa  propre  épée,  et  par  ce  seul  coup  il  acquiert  l'honneur  d'avoir 
tué  dix  mille  Philistins,  et  rétabli  la  gloire  d'Israël. 

L'édit  de  Nantes  étoit  comme  le  Goliath  des  calvinistes,  l'hérésie 
mettoit  toute  sa  force  dans  ce  vain  colosse  d'orgueil.  Combien  de  fois 
s'en  est-on  servi  pour  insulter  la  religion  et  nos  mistères  les  plus 
augustes  !  Vous  le  savez,  anges  du  Seigneur,  vous  qui  veillez  sans 
cesse  autour  du  camp  du  peuple  de  Dieu,  témoins  de  sa  criminelle 
audace,  vous  l'avez  veu  ce  fier  géant  usurper  des  temples  sur  nous, 
ternir  la  gloire  des  autels  et  nous  menacer  à  tout  moment  !  Banissons, 
Messieurs,  banis«ions  nos  craintes,  Louis  a  éfaeé  l'opprobre  (3)  de  la 
nation  françoise  en  révoquant  ce  funeste  Edit. 

Vous  n'avez  eu  qu'à  parler!  ô  grand  roi,  et  en  même  tems  le 
calvinisme  est  rentré  dans  le  néant  où  il  a  été  tant  de  siècles.  Vous 
cassez  un  édit,  vous  en  publiez  un  antre,  en  voilà  assez  pour  opérer 
un  changement  inouï,  et  ne  voii-  plus  en  France  ni  chaires  d'erreur, 

(1)  22  octobre  1685. 

(2)  Donné  à  Nantes,  par  Henry  IV,  en  1598. 

(3)  «  Ahstniit  opprnbriiim  de  gente.  »  (EccL,  XLVII,  4.) 


UN   B0S5UKT    DAUPHINOIS.  327 

ni  loups  dans  la  bergerie,  ni  pasteurs  sans  mission,  ni  membres  sans 
chef,  ni  religion  sans  sacrifice,  ni  enfin  toutes  sortes  de  crimes  sous 
le  voile  trompeur  d'une  réforme  prétendue. 

Tout  Israël  s'étonna  que  David  eût  renversé  d'un  coup  de  pierre 
un  géant  qui  avoit  porté  la  frayeur  dans  toutes  les  villes  de  Judée; 
il  est  bien  plus  étonnant  que  Louis  par  une  parole  ait  renversé  tout 
ce  qui  servoit  d'apui  à  l'hérésie,  de  l'avoir  renversée  elle-même! 
Disparoissez avec  elle,  afreuses  images  d'orgueil,  d'impiété,  de  car- 
nage, d'autels  brisez,  de  temples  réduits  en  cendres,  de  prêtres 
assassinez.  Sous  le  bras  puissant  de  Louis  nos  Eglises  reprennent  leur 
beauté  ancienne,  et  rentrent  en  possession  de  l'éloge  qu'elles  méri- 
tèrent autrefois (1)  d'avoir  terrassé  tous  les  monstres. 

C'est  peu  pour  Louis  le  Grand  d'avoir  ruiné  tous  les  dehors  de 
l'hérésie  par  la  révocation  des  édits  qui  la  toléroient,  il  veut  la  dé- 
truire jusque  dans  le  fons  des  cœurs,  rétablir  la  foy  dans  l'esprit  de 
ses  sujets,  convaincre  etpersuaderjusqu'auxplusstupideset  aux  plus 
obstinez.  Suivons-le,  Messieurs,  dans  de  si  nobles  travaux,  admirons 
les  justes  mesures  qu'il  a  prises  pour  détromper  ceux,  qui  avec 
la  perte  de  la  foy  avoient  perdu  jusqu'aux  sentimens  de  leurs 
maux. 

Avant  l'abjuration  des  calvinistes  de  France,  on  pouvoit  s'en  for- 
mer une  idée  à  peu  près  semblable  à  celle  que  Dieu  même  forma 
dans  l'esprit  d'un  de  ses  prophètes,  lui  découvrant  une  campagne 
pleine  d'os  de  morts  desséchez  :  les  hérétiques  sont  en  effet  comme 
autant  de  cadavres  horribles  aux  yeux  de  la  majesté  divine.  Si  l'on 
nous  eût  dit,  comme  le  Seigneur  à  son  prophète  :  Pensez-vous(2)  que 
tant  de  morts  ayent  un  jour  le  bonheur  de  revivre  en  rentrant  dans 
l'Eglise  qui  est  la  mère  des  vivans?  à  cela  nous  eussions  dû  repondre 
avec  le  même  prophète  :  Vous  seul,  ô  mon  Dieu!  connoissez  le  tems 
et  les  circonstances  d'un  tel  prodige  :  comme  il  faut  toute  la  force  de 
votre  bras  pour  ressusciter  les  morts,  il  faut  aussi  toutes  les  lumiè- 
res de  votre  grâce  pour  dissiper  les  ténèbres  répandues  dans  les 
esprits. 

Qu'il  est  glorieux  au  roy  d'être  l'instrument  dont  Dieu  s'est  servi 
pour  opérer  ces  merveilles  :  aussi  voyons-nous.  Messieurs,  que  dans 
cette  haute  élévation,  où  la  plupart  des  princes  oublient  souvent  ce 

(1)  «  Sola  Gallia  rnonstra  nescit.  »  (S.  Hieron,,  Contra  Vigilant.) 

(2)  nPatasne  vivent  ossa  ista.  »  (Kzech.,  XXXVII.) 


328  TN    BOSSliF.T    DAUPHINOIS. 

qu'Ms  doivent  au  maître  des  rois,  Louis  a  toujours  été  l'auguste  pro- 
tecteur de  la  religion,  et  le  défenseur  invincible  des  autels.  Consul- 
tant en  même  tems  et  son  devoir  pour  Dieu,  et  son  amour  pour  ses 
peuples,  il  n'employé  à  l'exécution  de  ses  desseins  que  des  person- 
nes de  cœur  et  de  tète,  inébranlables  pour  les  intérêts  du  ciel  comme 
pour  ceux  de  l'Etat;  ces  sages  ministres  déclarent  (1)  que  le  roy  ne 
veut  souffrir  aucun  de  ses  sujets  dans  des  routes  égarées,  en  danger 
d'y  périr  éternellement. 

A  peine  les  intendans  ont-ils  cessé  de  parler,  que  tant  de  peuples 
privez  de  la  foy  et  morts  à  la  vie  de  l'àme,  commencent  à  se  remuer, 
promettent  de  quiter  l'erreur  et  de  se  réunir  à  nous!  voilà  de  gran- 
des dispositions  à  être  ranimez!  Ne  vous  semble-t-il  pas  voir  renou- 
veller  en  eux  le  mouvement (2)  de  tous  ces  os,  qui  se  réunirent  les 
uns  aux  autres,  dès  que  le  prophète  leur  en  eut  fait  le  commande- 
ment de  la  part  de  Dieu,  à  qui  tout  est  possible  :  cependant  la  résur- 
rection n'est  pas  encore  achevée,  on  n'aperçoit  sur  ces  cadavres 
hideux  que  les  nerfs,  la  chair  et  la  peau  ;  l'esprit  de  la  religion  leur 
manque (3),  ils  n'en  ont  que  l'extérieur  et  le  corps. 

Ici,  Messieurs,  le  zèle  du  roy  mérite  de  nouvelles  admirations; 
après  avoir  exhorté  les  peuples  par  la  bouche  de  ses  ministres,  ce 
pi'ince  religieux  envoyé  les  ministres  du  Seigneur  pour  faire  revivre 
ces  corps  inanimez,  et  former  en  eux  un  esprit  et  un  cœur  nouveau. 
Il  n'est  point  de  village  si  élevé  sur  les  montagnes,  point  de  maison 
si  enfoncée  dans  les  forêts  où  l'on  n'ait  vu  de  ces  héros  sacrez  prê- 
cher, instruire,  remplir  les  filets  de  saint  Pierre,  s'il  est  permis  de 
parler  ainsi,  d'une  infinité  de  poissons  mistiques,  et  reporter  à  toute 
lieure  la  brebis  égarée  sur  leurs  charitables  épaules. 

De  tels  progrès  sont  dus  aux  soins  et  à  la  vigilance  du  roy,  et  je 
puis  dire  que  comme  le  soleil  n'a  de  mouvemens  (|ue  pour  le  bien 
de  l'univers,  tous  les  pas,  toutes  les  démarches  de  notre  héros  vont 
à  rétablir  ou  à  |)rotéger  la  religion  :  comme  le  soleil,  Louis  dissipe 
l(?s  plus  noires  vapeurs,  comme  lui  il  porte  la  joye  et  la  lumière  en 
tout  lieu,  et  par  ses  libéralitez  il  va  comme  lui  produire  l'or  et  l'ar- 
gent dans  les  terres  les  plus  stériles  et  les  plus  ingrates  ! 

Quand  l'éloquence  se  tairoit  ici,  nos  yeux  nous  en  diroient  assez, 


(1)  «  Ossa  ari(ia,  audite  voœm  Dotnini.»  (Ezccli.,  XXXVII.) 

(2)  «  Accessenint  ossa  ad  ossa.»  [Ibid.) 

(3)  «  IlI  spiriturn  non  liabebanl.  »  {lôid.) 


UN   BOSSUET    DAUPHINOIS.  329 

témoins  qu'ils  sont  de  tous  les  secours  donnez  à  ces  nouveaux  pro- 
sélites.  Combien  de  livres  a-t-on  mis  entre  leurs  mains  pour  rassurer 
les  chancelans  en  la  foy,  fortifier  les  foibles,  et  anéantir  ces  cultes 
monstrueux,  qui  ne  donnant  que  les  dehors  à  la  religion,  conser- 
vent l'esprit  et  le  cœur  au  mensonge.  Plus  de  dix  mille  églises  bâties 
ou  réparées,  publient  en  s'élevant  vers  le  ciel  qu'elles  doivent  leur 
fondation,  ou  leur  agrandissement  à  la  piété  du  roy.  On  ne  voit  plus 
aucun  pasteur  lâche,  aveugle  et  mercenaire;  nous  n'en  avons  que 
de  vigilans  et  éclairez,  maîtres  dans  l'art  de  conduire  le  troupeau 
de  Jésus-Christ  ;  on  n'élève  à  la  mitre  que  de  pieux  et  savans  abbez, 
qui  encouragez  par  l'exemple  et  la  protection  du  prince  redoublent 
leur  zèle,  leurs  travaux,  font  la  guère  aux  vices,  et  redonnent  à  la 
France  ce  premier  éclat  qui  la  distinguoitsi  noblement  dans  le  siècle 
des  Paulins,  des  Remis  et  des  Grégoires. 

Après  cela,  Louis  le  Grand  peut  dire  à  ces  nouveaux  enfans  de 
l'Eglise,  les  mêmes  choses  que  le  prophète  disoit  aux  ossemens  rani- 
mez par  son  ministère  :  Mon  peuple.  Dieu  s'est  servi  de  moi  pour 
vous  tirer  de  cette  sombre  région,  où  l'erreur  vous  tenoit  ense- 
velis! vos  ténèbres  sont  dissipées  (1),  et  je  vous  vois  rentrer  dans  la 
maison  du  Seigneur. 

Ce  seroit  peu  d'avoir  eu  d'abord  des  sentimens  d'aprobation  et 
d'estime  dus  à  la  destruction  de  l'hérésie,  ces  idées  doivent  se  per- 
pétuer en  nous  par  une  reconnoissance  éternelle.  Un  ancien  pa- 
triarche (2)  fut  surnommé  Sauveur  de  l'Egypte,  seulement  pour  avoir 
conservé  la  vie  naturelle  à  ce  peuple  par  la  distribution  des  grains 
qu'il  avoit  ramassez  !  Je  puis  regarder  Louis  le  Grand  par  ce  même 
point  de  vue  :  de  combien  d'esclaves  et  d'égarez  est-il  devenu  le 
libérateur  et  l'azile,  ne  leur  a-t-il  pas  procuré  la  vie  spirituelle,  en 
les  privant  de  la  funeste  liberté  de  vivre  et  mourir  dans  l'erreur? 

Combien  chèrement  tant  d'illustres  afranchis  doivent-ils  conser- 
ver le  souvenir  de  l'auguste  Louis!  Heureux  sujets  qui  lui  avez  obéi 
vous  éprouvez  déjà  combien  le  joug  du  Seigneur  est  doux  (3),  et  son 
fardeau  plus  léger  que  cette  prétendue  liberté  toujours  promise,  et 
jamais  donnée  par  les  infâmes  chefs  de  l'hérésie. 

Plus  d'un  siècle  s'étoit  passé  sans  qu'on  eût  veu  aucune  main,  ni 

(1)  Ezéch.,  XXXVII,  12. 

(2)  L'ancien  Joseph. 

(3)  «Gui  servire  libertas  est.  »  (S.  Paulin.,  Epist.,  XXI.J 


330  î'N   BOSSUET   DAUPHINOIS. 

assés  puissante,  ni  assés  heureuse  pour  rompre  les  chaînes  d'une  si 
longue  et  si  dure  captivité.  Henri  IV  abjura  l'hérésie  et  ne  la  favo- 
risa plus;  mais  ayant  mille  fâcheuses  afaires  à  démêler,  soit  avec  les 
ligueurs,  soit  avec  les  religionaires,  la  politique  chrétienne  vouloit 
qu'il  se  ménageât  avec  ceux-ci,  leur  parti  apuïé  d'un  grand  nombre 
de  seigneurs  paraissoit  formidable  à  l'Etat;  et  tout  intrépide  et  vic- 
torieux qu'étoit  ce  grand  roy,  il  ne  pouvoit  que  cesser  d'être  leur 
protecteur  et  leur  ami. 

Louis  le  Juste  de  triomphante  mémoire  remit  dans  son  obéis- 
sance les  villes  rebelles,  dissipa  les  factieux,  et  trouva  l'art  de  met- 
tre des  digues  à  l'Océan;  mais  ses  victoires  ne  s'étendirent  point  jus- 
quessur  l'esprit  de  ses  sujets,  l'erreur  y  resta,  même  après  que  leurs 
mains  audacieuses  furent  désarmées,  il  n'y  eut  pas  moins  d'héréti- 
ques qu'auparavant,  on  doute  même  s'il  en  fit  de  bons  François  ; 
tant  il  est  difficile  d'être  séparé  de  l'Eglise  et  de  conserver  ce  qu'on 
doit  à  son  prince  d'attachement  et  de  fidélité  :  ne  déguisons  point, 
tout  sectaire  est  ennemi  de  la  monarchie. 

Il  est  arrivé  en  France  ce  qui  arriva  en  Judée  sous  les  premiers 
rois  d'Israël.  David  animé  d'une  juste  reconnoissance  se  disposa  par 
des  sommes  immenses  à  bâtir  un  magnifique  temple  au  Seigneur  qui 
i'avoit  mis  sur  le  trône,  de  berger  qu'il  étoit;  cependant  il  n'en  fut 
pas  l'ouvrier.  Dieu  lui  refusa  cette  consolation  (1),  à  cause  q'uil  avoit 
passé  toute  sa  vie  dans  des  guerres  civiles  et  domestiques;  cet  hon- 
neur fut  réservé  à  Salomon,  dont  le  règne  fut  un  règne  de  paix.  Dieu 
m'a  soumis  tous  les  peuples  qui  m'environnent,  disoit  ce  sage 
prince,  nul  ennemi  n'ose  troubler  le  repos  de  mes  sujets,  et  je  suis 
en  état  d'achever  un  édifice  sacré  qui  serve  en  même  tems,  et  de 
trophée  au  nom  du  Seigneur,  et  de  monument  à  ses  bienfaits. 

Quelques  mesures  qu'on  ait  prises  en  France  pour  détruire  le  cal- 
vinisme, on  ne  l'a  pu  sous  les  règnes  précédens,  où  le  bruit  des 
armes  se  fit  entendre  jusque»  dans  le  sanctuaire,  dans  ce  siècle 
tumultueux  où  l'on  vit  François  <?ontre  François,  le  père  armé  con- 
tre le  fils;  et  le  fils  armé  contre  le  père.  Le  seul  Louis  le  Grand 
élève  à  l'Agneau  sans  tache  un  trophée  sur  les  débris  de  tous  les 
temples  du  schisme  et  de  l'erreur. 

Trophée  plus  saint  et  plus  digne  de  la  Majesté  de  Dieu  qui  est  tout 

(1)  «  Non  poteris  ;p<lificare  templum...  tanto  efTiiso  sanpruine  coram  me.  » 
(1  Parai.,  XXII.) 


CN    BOSSfET    DAUPHINOIS.  331 

esprit,  que  For,  ni  l'argent,  ni  les  bois  de  cèdre,  ni  tous  les  marbres 
qu'on  voyoit  dans  le  fameux  temple  de  Salomon  :  Celui-ci  dura  peu 
d'années  et  fut  livré  en  la  puissance  des  Assiriens  :  le  temple  spiri- 
tuel que  Louis  érige  subsistera  à  jamais  par  l'union  indivisible  des 
pierres  vivantes  qui  le  composent;  et  bien  qu'il  n'ait  aucun  éclat  qui 
frape  les  sens,  il  surpasse  toutefois  le  temple  de  Salomon,  et  le  sur- 
passe autant  que  les  hommes  surpassent  toutes  les  choses  maté- 
rielles et  inanimées  :  ou  s'ils  ont  quelque  raport  entre  eux,  c'est 
seulement  en  ce  que  tant  d'ouvriers  ont  travaillé  à  l'un  et  à  l'autre 
sans  qu'on  ait  entendu  ni  coup  de  marteau,  ni  le  bruit  d'aucun  in- 
strument(l).  Salomon  en  Judée,  Louis  le  Grand  en  France  ont  donné 
des  ordres  si  justes,  et  choisi  de  si  habiles  maîtres,  que  chaque 
pierre  et  tous  les  bois  ont  été  taillés  avec  justesse,  placé  en  son  lieu 
sans  bruit  et  presque  sans  peine. 

Les  François,  les  Charles  et  les  Henris  avoient  un  grand  zèle  pour 
la  religion,  n'en  doutons  pas.  Messieurs,  mais  ayant  des  ennemis  et 
au  dedans  et  au  dehors,  ils  ne  pouvoient  et  ne  dévoient,  ce  semble, 
penser  à  autre  chose  qu'à  se  mettre  à  couvert  des  orages  formez 
contre  l'Etat  et  contre  leurs  personnes  sacrées  :  plus  de  cinq  cens 
villes  prises  et  sacagées,  leurs  plus  fidèles  sujets  tuez  ou  ruinez,  leur 
domaine  enlevé,  leurs  loix  transgressées,  leur  autorité  méprisée, 
eurent  beaucoup  de  part  dans  tout  ce  qu'ils  entreprirent  à  l'extirpa- 
tion de  l'hérésie,  source  féconde  de  tant  de  maux. 

Mais  qu'avoit  à  craindre  l'invincible  Louis,  lui  qui  seul  a  triomphé, 
et  triomphe  encore  de  toute  l'Europe  armée  contre  lui,  lui  qui  a 
étendu  les  limites  de  son  royaume  au  delà  du  Rhin  et  plus  loin  que 
les  Alpes,  tout  plie  sous  lui,  tout  est  vaincu,  ou  mis  en  fuite  î  Ce 
n'est  donc  ni  pour  afermir  une  couronne  chancelante,  ni  pour  pré- 
venir des  mouvemens  irréguliers  et  dangereux  qu'il  travaille  à  la 
conversion  de  ses  sujets  :  ce  grand  roy  n'a  que  des  idées  chré- 
tiennes, sa  piété  va  directement  à  Dieu  sans  déguisera  ent  et  sans 
détour. 

Ses  travaux  guerriers  sont  éclatans!  qui  ne  l'avoueroit;  toutefois 
j'ose  dire  qu'étant  de  la  nature  de  toutes  les  choses  humaines  mêlées 
de  bien  et  de  mal,  ils  n'ont  pu,  ces  travaux  guerriers,  le  conduire  au 
triomphe  que  par  un  chemin  arrosé   de  sang  et  de   larmes,  par  la 

(1)  «Malleu?  et  secnris  non  siint  audita  in  domo  cùm  ?fdificaiv>tnr.  »  (3  Reg., 
6,  7.) 


332  UN    BOSSUET    DAUPHINOIS. 

défaite  des  troupes  ennemies,  par  la  désolation  des  orovinces  fron- 
tières, par  la  pauvreté  des  peuples  conquis,  ou  châtiez;  mais  ici  on 
n'a  répandu  ni  larmes  ni  sang,  c'est  la  conquête  des  cœurs,  où  les 
vaincus  tiiouiphent  avec  le  vainqueur!  où  ce  que  la  victoire  a  de 
plus  doux  est  également  à  tous  les  deux  !  N'en  soyez  pas  surpris. 
Messieurs,  la  piété,  la  justice,  et  la  valeur  s'en  sont  mêlées  :  la 
piété  en  forma  le  dessein,  la  justice  le  commença,  la  valeur  vient  de 
rexéouter,  et  tout  cela  avec  tant  de  rapidité,  que  le  seul  eonnnan- 
dementd'un  grand  roy  beaucoup  aimable,  et  beaucoup  aimé,  a  tout 
d'un  coup  réuni  à  l'Eglise  des  peuples,  dont  la  plupart  n'y  pensoient 
pas. 

Disparoissez  ici,  princes  que  l'aveugle  antiquité  surnomma  pieux! 
Par  quels  exploits  méritâtes-vous  ce  titre  d'honneur,  vous  ne  fîtes 
autre  chose  qu'épargner  le  sang  d'un  ennemi  abatu,  arrêter  la  fu- 
reur d'uue  armée  victorieuse,  empêcher  le  sac  des  villes  et  la  déso- 
lation des  provinces,  délivrer  des  peuples  esclaves  et  leur  donner 
rang  parmi  vos  anciens  sujets.  Ainsi,  Messieurs,  ce  grand  nom  se 
termina  à  rendre  des  hommes  henreuxpour  quelque  tems,  si  on  peut 
l'être  un  moment  sur  une  terre  maudite,  qui  ne  produit  et  n'offre 
que  des  fruits  amers  et  périssables. 

Mais  Louis  sage  et  pieux  a  trouvé  le  chemin  de  la  vraye  gloire, 
sourd  aux  apas  de  celle  qui  doit  finir,  il  ne  s'est  point  arrêté  à  pren- 
dre, et  à  défendre  des  villes,  à  vaincre  et  à  faire  fuir  ses  ennemis  : 
ce  n'est  pas  seulement  dans  la  valeur  qui  fait  les  intrépides,  dans  la 
victoire  qui  fait  les  conquérans,  ni  dans  la  clémence  qui  fait  les 
bons  princes,  qu'il  a  établi  ce  parfait  mérite  qui  l'élève  au-dessus  de 
tous  les  rois;  c'est  par  cette  noble  ardeur  dont  les  princes  religieux 
sont  animez  qu'il  marche  à  grand  pas  à  une  gloire  solide  et  tou- 
jouis  durable.  Après  avoir  réuni  des  provinces  entières  à  l'empire 
françois,  il  a  soumis  ce  même  empire  à  Jésus-Christ,  seul  monarque 
du  monde  chrétien. 

Comprenez-vous,  Messieurs,  le  prix  d'un  si  digne  ouvrage  :  les 
croisades  n'ont  rien  de  plus  grand,  ces  guerres  toutes  saintes  qu'el- 
les étoient  ont  fait  périr  un  million  de  chrétiens  avant  de  pnîndro 
Jérusalem;  et  après  une  possession  de  quelques  années,  la  Palestine 
est  retombée  entre  les  mains  des  infidèles  nos  plus  cruels  ennemis. 

Le  bannissement  des  Maures  par  un  (Ijroy  d'Kspagne  éclate  beau- 
(1)  Ferdinand  V,  dit  le  Catholique, chassa  les  Mauies  d'Espagnt;  en  1492. 


UN   BOSSUET   DAUPHINOIS.  333 

coup  mo'ms^  tout  exagéré  qu'il  est  par  ceux  de  la  nation.  Louis 
convertit  et  ne  chasse  point  ses  sujets  ;  il  change  les  cœurs 
et  conserve  les  personnes,  comme  cet  industrieux  et  tendre  père 
dont  l'habile  main  sans  blesser  son  fils,  tua  le  serpent  qui  l'en- 
touroit.  Prier,  exhorter,,  commander  enfin  sont  les  seules  armes 
qui  ont  vaincu  tant  de  François,  retenus  par  intérêt,  par  igno- 
rance ou  par  orgueil,  dans  un  parti  que  la  naissance  leur  avoit 
présenté,  ou  qu'ils  avoient  embrassé  eux-mêmes  sans  examen  et  sans 
raison. 

Après  tant  de  sages  précautions,  s'il  reste  encore  quelques  loups 
dans  le  troupeau  fidèle,  et  que  vous  y  aperceviez  des  âmes  dures  et 
obstinées,  ne  les  plaignez  point.  Messieurs;  leur  malheur  tout  grand 
qu'il  est,  mérite  notre  indignation  plutôt  que  nos  larmes.  Ces  re- 
belles à  Dieu  et  au  prince  éprouveront  le  même  sort  que  le  peuple 
ingrat  qui  fit  mourir  le  Messie  :  errans  et  vagabonds  ils  mèneront 
une  triste  et  languissante  vie(l)  sans  chef,  sans  force  et  sans  repos  : 
bien  plus,  sans  temple,  sans  sacrifice,  sans  religion  et  sans  honneur, 
l'opprobre  des  hommes,  et  l'anatême  de  Dieu  et  de  son  Eglise. 

Revenez,  François  inronstans  et  fugitifs,  revenez  de  vos  égarc- 
niens,  ne  périssez  pas  de  misère  et  d'ennui  sur  des  terres  ingrates  et 
étrangères  :  ouvrez  les  yeux  à  la  lumière  qui  s'offre  à  vous;  le  prince 
toujours  clément  oublie  vos  fautes  et  les  pardonne;  n'attendez  ni 
tems,  ni  révolution  propre  à  rebâtir  vos  temples,  le  soc  et  la  char- 
rue les  ont  déjà  confondus  avec  la  poussière  :  vos  prophéties  sont 
fausses,  vos  prophètes  sont  des  menteurs,  l'année  (2)  de  vos  victoi- 
res prétendues  est  passée  :  la  France  ne  fut  jamais  plus  glorieuse, 
ni  l'hérésie  moins  à  craindre,  et  l'on  ne  parle  du  calvinisme  que 
comme  d'un  monstre  abatu,  mort  et  enseveli. 

Seigneur,  qui  avez  fait  le  monde,  que  ne  le  rendîtes-vous  tribu- 
taire à  l'auguste  Louis!  Votre  loy  divine  seroit  déjà  reçue  de  tous 
les  peuples,  et  la  croix  arborée  par  tout...  Mais  qui  suis-je,  ô  mon 
Dieu!  pour  oser  examiner  votre  conduite,  et  aprofondir  vos  secrets 
toujours  impénétrables!  Gardons-nous,  Messieurs,  d'une  telle  au- 
dace, ne  savons-nous  pas  que  rien  n'échape  à  la  providence,  et 
qu'elle  a  pourvu  au  salut  de  tous  les  hommes,  bien  que  ce  soit  par 
des  moyens  qui  nous  sont  cachez. 

(1)  «  Dispersi  et  paiabundi,  cœli  et  soii  sui  profugi.  »  (S.  Gypr.) 

(2)  1689. 


Sâi  UN   BOSSUET   DAUPHINOIS. 

Disons  cepeiidaut,  disons-le.  Messieurs,  à  la  gloire  du  roy;  sans 
subjuguer  toute  la  terre,  on  verra  par  tout  les  favorables  effets  de 
son  zèle.  Avant  son  règne  on  plaignoit  le  déplorable  sort  des  chré- 
tiens esclaves,  on  faisoit  des  vœux  pour  leur  liberté;  mais  c'étoient 
des  vœux  stériles,  et  l'on  ne  répandoit  sur  leurs  fers  que  de  faibles 
larmes  qui  ne  lesbrisoient  pas.  On  ne  pouvoit  même  soulager  leurs 
peines,  ni  leur  procurer  des  grâces  auprès  de  ces  hautes  puissances 
qui  n'ont  nul  égard  pour  toutes  les  recommandations  des  princes 
chrétiens. 

Louis  a  radouci  ces  fiers  Otomans  (1);  admiré  jusque  sur  leurs  ter- 
res, il  protège  le  peu  de  fidèles  que  la  naissance  ouïe  commerce  y  ont 
établis.  De  son  trône  il  a  vu  et  senti  les  maux  de  ceux  qui  gémis- 
soient  dans  les  fers  ;  bon  et  généreux  il  a  pris  part  à  leurs  misères; 
redoutable  et  puissant  il  les  a  toutes  ou  fait  cesser  par  son  crédit,  ou 
soulagées  par  ses  largesses. 

Le  plus  adorable  de  nos  mystères ,  dont  Genève  apostate  et  re- 
belle avoit  depuis  plus  d'un  siècle  aboli  toutes  les  marques,  s'y 
trouve  par  l'autorité  de  Louis  le  Grand  renouvelle  (2)  de  nos  jours. 
C'est  le  même  Louis  qui  a  relevé  les  autels,  remis  le  clergé,  et  rebâti 
des  monastères  dans  une  autre  ville  (3),  qui  érigée  aussi  en  république 
avoit  souvent  favorisé  nos  ennemis. 

Si  l'on  n'eût  traversé  les  pieux  desseins  du  roy,  la  religion  tleuri- 
roit  jusque  dans  ces  (4)  provinces,  où  il  porta  ses  armes  victorieuses 
avec  lant  de  rapidité  et  tant  de  succès,  et  où  l'on  vit  d'abord 
grand  nombre  de  saintes  âmes  que  la  persécution  tcnoit  cachées,  et 
qui  fidèles  au  Dieu  d'Israël  n'avoient  point  fléchi  le  genou  devant 
Baal.  » 

Ou  conviendra  qu'une  toile  pièce  d'éloquence  méritait  de  liguror  ici 
parmi  les  lénioiynagcs  de  celte  «  dclcs^abIe  flatterie,  » 
Oui  des  rois  égara  le  plus  tage. 

(\l   [m  153a. 

(a)  Oti  (lit  pul)li(iuc'menl  la  messe  clicz  le  résideiil  ije  Franco. 

(:i)  Strasbourg,  pris  en  1681. 

(/.)  La  Hollande. 


CÛNDARINÂTIOH  A  HIOBT  DE  LOUIS  RANG 

PRÉDICANT 
PRONONCÉE  PAR  LE  PARLEBIENT  DE  GRENOBLE. 

194:5. 

M.  Gresse  ayant  reçu  d'un  de  ses  amis  et  nous  ayant  communiqué  la 
lettre  ci-après,  qui  n'était  nullement  destinée  à  l'impression,  nous  avons 
peiisé  qu'à  cause  de  cela  même  elle  n'en  aurait  que  plus  d'intérêt  pour  nos 
lecteurs. 

«  Rosans  (Hautes-Alpes),  4  juillet  1864. 

«...  Hier,  j'ai  éprouvé  une  émotion  que  tu  partageras,  si  tu  lis  ce  qui  va 
suivre.  En  faisant  des  recherches  dans  de  vieux  papiers,  j'ai  trouvé  une 
affiche  dont  voici  la  copie  textuelle  : 

ARREST 

DE    LA    SOUVERAINE    COUR   BE   PARLEMENT 

AYDES  ET  FINANCES  DE  DAUPHINE 

DU  2e  MARS  1745 

Qui  condamne  à  mort  le  nommé  LOUIS  RANG,  prédicant. 

Entue  le  PROCUREUR  GENERAL  DU  ROY,  demandeur  en  cas  de  contra- 
vention aux  édits  et  déclarations  de  Sa  Majesté,  concernant  l'exercice 
de  la  Religion  prétendue  réformée,  et  assemblée  illicite  d'une  part; 
et  le  nommé  Louis  Ranc  prédicant,  se  disant  ministre  de  ladite  Reli- 
gion prétendue  réformée,  accusé  et  détenu  dans  la  prison  de  la  Con- 
ciergerie du  Palais,  d'autre. 

Veu,  etc.  Ouï  sur  ce  le  rapport  de  nôtre  amé  et  féal  Alexandre  de 
Roux  de  Gaubert,  comte  de  Laric,  conseiller  en  ladite  Cour. 

La  Cour  a  déclaré  ledit  RANG  duëment  atteint  et  convaincu  d'a- 
voir fait  les  fonctions  de  prédicant  dans  diverses  assemblées  de  reli- 
gionnaires  et  en  divers  lieux  de  la  province,  pour  réparation  de  quoi 
l'a  condamné  d'être  livré  entre  les  mains  de  l'exécuteur  de  la  haute 
justice,  mené  et  conduit  la  hart  au  col  en  la  ville  de  Die,  pour,  dans 
la  place  principale  de  ladite  ville  et  à  une  potence  qui  y  sera  dressée 
à  cet  effet,  être  pendu  et  étranglé  jusqu'à  ce  que  mort  naturelle  s'en- 
suive. Ordonne  que  la  tête  dudit  RANG  sera  coupée  et  portée  au 
lieu  de  Livron,  pour  être  mise  sur  un  poteau  au-devant  de  la  mai- 


336  CONDAMNATION    A    MORT    DE    LOUIS    RANG 

son  du  nommé  Gleizat.  Ordonne  pareillement  que  les  livres  remis 
au  greffe  et  trouvés  dans  la  maison  dudit  Gleizat  seront  brûlés  par 
rexécuteur  de  la  haute  justice  au  pied  dudit  poteau;  a  condamné 
ledit  Rane  en  l'amende  de  cent  livres  envers  le  Roy  et  aux  dépens 
et  frais  de  justice,  pour  lesquels,  ensemble  pour  tous  ceux  faits 
contre  les  contrevenans  aux  édits  et  déclarations  de  S.  M.  sur  le  fait 
de  la  Religion,  est  décerné  contrainte  solidaire  sur  ses  biens.  Fait  en 
Parlement  le  2^  mars  1745. 

(Extrait  des  registres  du  greffe  criminel  du  Parlement;  au  requis 
de  M.  le  Procureur  général  du  Roy.) 

(Est  écrit  à  la  main  ;)  Nous  donnons  six  sous  au  porteur. 

Cette  pièce  m'a  rappelé  les  complaintes  sur  les  ministres  persécutés, 
sur  le  pauvre  Louis  Ranc  dont  on  parle  sans  doute  encore  à  Die,  dont  on 
parlait  souvent  quand  nous  y  étions;  elle  m'a  rappelé  tous  les  souvenirs 
religieux  de  mon  enfance  et  de  ma  première  jeunesse. 

J'ai  encore  trouvé  d'autres  affiches  dont  voici  l'énumération  ;  je  ne  tran- 
scrirai que  les  litres  : 

,.--  «  Arrest  de  la  Souveraine  Cour,  etc.  Des  6,  9, 17  et  t^  Jévrier  1745. 
<<  Oui  condamne  aux  galères  perpétuelles  les  nommés  Paulcliard.  Etienne 
«  Arnoud  cl  Antoine  Riaille,  étant  par  préalable  flétris  sur  l'épaule  gauche 
<<  des  trois  lettres  G.  A.  L.,  sçavoir  :  Paulchard  dans  la  place  publique  de 
«'  la  ville  de  Die,  l':iienne  Arnoud  dans  celle  de  Dieu-le-Fit  et  Antoine 
.1  Riaille  dans  celle  du  lieu  d'Aosle.  Conilamne  aussi  le  nommé  .Jacques 
«  Bognard  à  être  fouetté,  appliqué  au  carcan  dans  la  ville  de  Die  et  au  ban- 
«  nissenient  perpétuel,  pour  avoir  introduit,  dans  le  royaume,  des  livres 
«  de  la  religion  V.  I».,  en  avoir  débitez  dans  les  assemblées  des  religion- 
«  naires.  » 

Voici  le  texte  de  l'arrêt  en  ce  qui  concerne  la  peine  à  appruiuer  a 
liognard  : 

«  Condamné  à  être  livré  entre  les  mains  de  l'exécuteur  de  la   haute 

«  justice,  mené  et  conduit  en  la  ville  de  Die  cl  y  être  attaché  par  le  col 
"  au  carcan,  pour  être  en  sa  présence  les  livres  compris  dans  le  procès- 
»  verbal  du  1 1  décembre  dernier  ei  les  deux  volumes  remis  le  deuxième 
«  janvier  dernier,  brûlés  par  l'exécuteur  de  la  haute  justice,  à  la  i)lace 
«  |)ul)li(|ue  (le  ladite  ville,  ei  de  suite  ledit  Bognard  être  foiielté  et  battu 
>'  de  verges  jusqu'à  éfusion  de  sang  par  tous  les  carrefours  de  ladite 
<-  ville...  .. 

Au  bas  est  é<  ril  à  la  main  : 

"  l'iuzans  pour  M»,  les  consuls  :  Six  sols  au  porteur,  ordre  aux  consuls, 
"  Ihrésorier  et  en  tant  (pie  de  besoin  au  chùlelain  de  payer  sur-le-champ, 


PREDIS  AN  r.  337 

«  à  défaut  de  quoi  le  messager  séjournera  jusques  au  payement  aux  frais 
«  de  celui  des  susd.  oHiciers  qu'il  apartiemha  au  surplus  déclaré  respoii- 
«  sable  du  retardement  en  l'exécution  des  présents  arrests  et  autres  y 
«  joints.  Signé  :  Fazende,  procureur  du  roy.  « 

"  Aruest  DR  La  Souveraine  (Iour,  etc.  Du  23  février  Mio.  Qui  pro- 
«  nonce  des  peines  contre  Paul-Alexandre  de  Monrond,  sieur  de  la  Bâtie, 
<'  et  le  déclare  déchu  au  i>rofil  du  roy  de  la  justici;  du  fief  du  Plan  des 
«^  Bays,  etc.  » 

«  De  par  le  Roy.  Jugement  du  l-^'  férrier  1746.  Oui  condamne  à  mort 
(^«le  nommé  Majal  Désubas,  ministre  de  la  religion-prétenduë-reformée, 
«  et  le  nommé  Menut  dit  Rochels,  aux  galères  perpétuelles,  pour  avoir 
"  donné  retraite  audit  Majal.  —  .Iean  Lenain,  chevalier,  baron  d'Arfeld,con- 
«  seillerduroyen  ses  conseils,  maître  des  requêtes  ordinaires  de  son  hôtel, 
«  intendant  de  justice,  police  et  finances  en  la  province  de  Languedoc. 
«  —  Veu  l'arrêt  du  25  octobre  '1743  par  lequel  nous  avons  été  commis 
«  pour  faire  le  procès  à  tous  les  minisires  et  prédicans  qui  pourront  être 

«  arrêtés  dans  la  province  de  Languedoc tant  contre  les  nommés  Maja! 

«  Désubas.  ministre,  et  Hochets,  que  contre  les  séditieux  qui  ont  éié 
"  arrêtés...  L'interrogatoire  dudit  Mathieu  INajal ,  surnommé  Désubas.... 
"  natif  du  lieu  de  Désubas,  paroisse  deVernoux...  pour  réparation  de 
«  quoi  le  condamnons  à  être  pendu  et  étranglé...  à  une  potence  qui  sera  à 
"  cet  eifet  dressée  à  la  place  de  l'Esplanade  de  la  présente  ville...  Fait  à 

«  Montpellier  le  1"  février  4746.  Signé Le  susdit  jour  requérant  le 

«  procureur  du  roy,  et  la  commission,  le  présent  jugement  a  été  lu  audit 
«  Majal  Désubas,  et  ensuite  exécuté.  Albissois,  signé.  Le  même  jour  re- 
«  quérant  le  procureur  du  roy,  ledit  jugement  a  été  lu  audit  Menut  dit 
"  RocHETs.  ÂLBissoN,  signé.  >• 

»  Arrest  de  la  Souveraine  Coi;r,  elc.  Du  \  ti  janvier  \1\<q.  (^\x\  con- 
«  damne  au  feu  un  livre  inliiulé  Mémoire  apologétique  en  faveur  des  pro- 
«  testants,  sujets  de  Sa  Majesté  Très-Chrétienne,  à  l'occasion  des  assem- 
<<  blées  qu'ils  forment  en  diverses  provinces  du  n^yaume. 

«  Arrest,  etc.  Du  12  mcriJ.ISuï.  ('outre  le  nommé  Pierre  Fouies,  habi- 
«  tant  à  Saint-Laurent  du  Gros,  convaincu  de  s'être  marié  par-devant  un 
«  ministre  de  la  religion  prétendue  réformée...  L'a  condamné  à  servir  le 
«  roy  par  force  sur  ses  galères  l'espace  de  trois  années,  étant  préalable- 
«  ment  flétri  sur  l'épaule  droite  d'un  fer  ardent  portant  l'empreinte  des 
«  Irois  lettres  G.  A.  L.,  lui  fait  inhibition  et  défense  de  sortir  desdites  ga- 
"  1ères  pendant  ledit  temps  à  peine  de  la  mort.  » 

Ces  trois  derniers  arrêts  sont  signés,  au  dos,  à  la  main  :  Fazendi:,  pro- 
cureur du  roy. 

«  Arrest,  etc.  Du  'i\  mai  1760.  Oui  condamne  les  nommés  Desnovers 

xui.  —  22 


338  CONDAMNATION    A    iVIORT    DE    LOUIS    RANG. 

«  et  Colombes,  prédicants,  contumax,  à  être  pendus;  et  le  nommé  Girard, 
«  .lecteur,  aussi  coiiluaiax,  aux  galères;  plusieurs  autres  particuliers  y  dé- 
«  pommés  à  des  peines  afilictives,  tous  convaincus  de  conlravenlion  aux 
«  édils  cl  déclarations  du  roy,  concernant  la  religion  prétendue  ré- 
«  formée,  etc. 

(j.JEQtre  le  procureur  général..  ,  d'une  part;  les  nommés  Desnoyers, 
«Colombe,  prédicants;  François  Girard,  lecteur;  Jean-Antoine  Délègue, 
«  contumax;  Pierre  Berion,  détenu  dans  la  prison  de  la  conciergerie  du 
«  palais;,  Louis  Joubert,  consul  de  Saint-Romans;  Antoine  Borel  père,  du 
«  Ueu  de  la  Yaldaix;  Paul  Borel  fils,  Louis  Liotard  et  Jeanne-Marie 
«  Lamolte,  accusés,  d'autre- 

«  Cet  arrêt  condamne  Desnoyers  et  Colombe  à  être  pendus,  Girard  à 
«  a  ans  de  galères  cl  flétrissures;  annule  le  mariage  de  Délègue,  condamne 
«  J,ea;ine-Marie  Lamolte  à  six  livres  d'aumône  envers  les  prisonniers,  Jou- 
«  b,ertet  Liotard  l'un  à  10,  l'autre  à  6  livres  d'aumône;  met  hors  de  cour 
«  et  de  procès  Borel  père  et  fils,  le  premier  sans  dépens,  le  deuxième  avec 
«  dépens,  et  Berion  à  10  livres  d'aumône.  " 

Ce  Colombe  doit  être  de  Mens;  son  vrai  nom  doit  être  Béranger  (père 
de  M.  le  comte  Béranger  de  la  prôme,  pair  de  France).  • 

^  Arivest,  etc.  Du  7  jMJ»  474ft.  Qui  fait  inhibition  et  défense  à  tous  no- 
"  taires  de  recevoir  des  contrats  de  mariage  des  nouveaux  convertis,  qu'il 
.»  ne.  leur  apparaisse  un  certificat  de  catholicité  des  futurs  conjoints,  sous 
«  les  peines  y  portées,  etc. 

«  Kntre  le  procureur  général...  et  les  nommés  Antoine  Joubert  du  lieu 
('  des  Gt'lans  (il  faut  lire  Galands),  hameau  de  Minglors,  et  Suzanne  Amie, 
.(  fille  de  Jacques  du  lieu  de  Saint-Dizier;  Jean  Garagnon,  fils  de  Jeaii- 
M  Pierre  du  lieu  d'Arnayon;  Louis  Roux  dit  Maçon  du  lie.:  <ie  la  Motle- 
«  Chalancon,  et  Françoise  Bernard  du  lieu  de  Kozans;  Antoine  Boyer,  fils 
«  à  feU' Alexandre.,  et  Anne  Joubert,  fille  à  feu  Daniel  du  lieu  de  Chalancon; 
«  Jean  Geney,  fils  à  Jean  Félix,  et  Marguerite  Vacher  du  lieu  de  V^ildrome; 
«  Jean  Barret,  fils  de  Daniel  dudil  lieu,  et  Jeanne  Evèqne  du  li(  u  de  la 
«  Baume  des  Arnouds;  Antoine  Begoud,  fils  à  feu  Etienne  dndil  lieu  de 
«  VaUlroim',  el  Louise  Brunel  dudit  Sainl-Dizier  ;  JeaiiMonlbrad  et  Jeanne 
tt  Pouson  dudil  Yaldiome;  Jean  Gayte,  fils  de  David,  el  Marie  Daube,  fille 
«  (l'Hector  Daube  le  cadet  dudil  Valdrome;  Antoine  Marin,  fils  de  Paul  et 
«  Marguerite  Barivi,  fille  d'Etienne  dudil  Valdrome;  Joseph  Gari  et  Jeanne 
a  Lagier  du  Ris-Charens,  et  Gaspard  Quemis,  accusés  et  défindeurs 
"  d'autre. 

«  Par  cet  arrêt,  9  mariages  sont  annules  avec  amende  et...  défense  de 
..  cohabiter  ensemble  à  peine  d'être  poursuivis  comme  concubinaires  pu- 
.<  blics;  a  déclaré  les  enfans  nés  et  à  naître  de  leur  fréquenialion,  illégi- 


RÉORGANISATION    DE    l'ÉGLISE    REFORMEE   DE    CAEN.  339 

«  times  et  incapables  de  leur  succéder,  sauf  auxdits  condamnés  à  se  pré- 
"  senter  devant  leur  curé  pour  faire  réhabiliter  leur  prétendu  mariage  aux 
«  formes  ordinaires. 

«  Arrest,  etc.  Dv,  -12  mai  -1757.  Contre  le  nommé  Jacques  Vachier  du 
H  lieu  de  la  Plaine,  paroisse  de  Chabotte  en  Champsaur,  convaincu  d'être 
««marié  par-devant  un  ministre  de  la  religion  prétendu-réformée.  Trois  ans 
"'de  galères  avec  flétrissure  par  le  bourreau  sur  l'épaule  droite. 

"  Arrest,  etc.  Du  %  février  Mil.  Qui  condamne  au  feu  un  livre  iiililulé 
"  Apologie  des  protestans  du  royaume  de  France  sur  leurs  assemblées 
«  religieuses. 

>'  Arrest,  etc.  Du  Ti  juin  HIB.  Qu>  condaiane  Judith  de  Foulcharra, 
"  veuve  de  noble  César  de  Rigot,  sieur  de  Montjoux,  à  être  détenue  peii- 
"  dant  sa  vie  dans  le  piemier  monastère  de  la  Visitation  Sainte-i^Iarie  de 
>'  la  ville  de  Grenoble,  etc.,  et  le  nommé  Sambuc  à  une  amande  envers  le 
«  roy  et  sa  maison  rasée,  tous  deux  accusés  pour  fait  de  religion.  » 

Oh  !  mon  cher  ami,  que  de  sang  et  de  larmes  dans  les  lignes  que  je  viens 
de  transcrire;  toutes  ces  aftiches  ont  i'\ë  apposées,  témoin  le  pain  n^àché 
qui  en  recouvre  les  angles  et  qui  a  été  depuis  dévoré  en  partie  par  les  in-  ' 
sv'ctes:  ce  n'était  pas  assez  d'emprisonner,  désunir  les  fidèles,  il  fallait 
encore  par  un  raffinement  de  cruauté  inouï  rendre  tons,  leur^  coieliglQu- 
naires  témoins  de  leurs  douleurs;  il  fallait  placarder  et  aliicher  ces  juge- 
ments dans  toutes  les  communes  et  puis  il  fallait  ruiner  les  familles  de  ces 
malheureux  persécutés,  car,  chose  atroce,  les  dispositions  de  l'arrêt  qui 
condamne  Louis  Raiicaux  frai"  solidairement  avec  tous  les  poursuivis  pour 
fait  de  religion  sont  reproduites  dans  tous  les  autres  arrêts  et  n'avalent 
d'autre  but  i\\\e  de  ruin*>r  les  familles  ers  faisant  supporter  aux  riches  les 
frais  faits  niêiue  contre  ceux  qui  ne  [lossédaient  rieis.  En  touchant  et  en 
lisant  ces  affiches,  je  nie  suis  reporté  par  la  pensée  aUx  temps  et  ai^i^:  ffeux 
où  cela  se  passait:  j'avais  une  preuve  matérielle  de  tant  d'iniquités. 

T(jn  aiiii    G.  Fazi;.\i>e.  o 


RtOB&ÂHISATiO^  OE  LÛLISE  RÉFOBi£E  OE  Zm 

eu   \'S7'S. 

]\Ionsieur  le  Président, 
Voici  les  premières  délibérations  (|ui  se  trouvent  dans  le  registre  di! 
consistoire  de  Caen,  (•ommeiicé  le  H>  mars  1777.  Ou  y  voit  avec  quelle 
prudence  et  avec  quelle  discrétion   mêlée  de  crairde,  nos  pères  étaient 


340  nÉonGANisATioN  i)K  l'Église  héformée  t»r,  caen. 

obligés  d'agir  ;i  celle  époqut';  et  elles  auront  sans  doute  de  rinlérèl  pour 
les  amis  de  noire  histoire. 

Veuillez  agréer,  etc.  Ed.  Mklon,  P. 

ÂLJOUKP'Hl  l    i9  MARS   1777, 

Nous 

Avons  arrêté  ce  qui  suit  et  suivra  pour  parvenir  à  donner  à  nos 
entreprises  un  ordre  plus  exact;  il  a  été  nommé  d'une  voix  una- 
nime, M.  0...  pour  faire  les  fonctions  de  secrétaire,  et  avoir  soin  de 
teriir  registre  de  tout  ce  qui  a  été  arrêté  aujourd'hui  et  à  l'avenir, 
lequel  registre  lui  v;i  être  déposé  aux  mains. 

1"  Avons  nommé  d'entre  nous  MM,  La  C...  et  S.  D.  de  se  transfior- 
ter  ciiez  M.  L.  V.  D.  aux  tins  de  l'inviter  à  ce  que  nous  sommes  ce 
jour  ensemble  con\enus;  lesdits  sieurs  La  C...  et  S.  D.  chargés  de 
nous  apporter  la  réponse. 

2"  Très  expressément  arrêté  entre  nous  que  le  seul  P.  (Il  pourra 
faire  B  et  M  ('2)  et  tous  autres  articles  quelconques'  concernant  les 
choses  convenues  entre  nous,  promettant  sur  notre  honneur  et  con- 
science :  de  ne  point  déroger  au  présent  article,  promettant  lesdit  P. 
de  ne  rien  faire  concernant  son  état  qu'en  présence  de  l'un  ou  deux 
de  nous,  la  liberté  réservée  aux  autres  de  s'y  trouver. 

3"  Il  ne  se  pourra  à  l'avenir  d'être  admis  aux  avantages  relatifs  à 
nos  Congrégations  qu'après  avoir  été  duement  examinés  par  P.  en 
présence  de  notre  corps  assemblé,  en  conséquence  nous  nous  cliai- 
gcons  chaqun  dans  nos  quartiers  respectifs  d'avertir  les  pères  de  la- 
nnlle  de  se  soumettre  au  présent. 

V"  M.  0...  pointé  à  trois  livres  [)our  lespauvres  lescpieUes  il  remet- 
tra à  M.  B... 

Li:  7  AviuL  1777. 

Art.  1'''.  .\  été  proi)osé  s'il  était  plus  expédient  d'écrire  au  long 
les  noms  des  conducteurs  et  autres;  a  été  décidé  à  la  pluralité  de  'Ui 
voix  contre  1,  (ju'ils  seront  écrits  dans  leur  entier. 

Art.  3.  Dans  toutes  les  assemblées  on  aura  la  plus  grande  atten- 
tion h  ne  blesser  en  aucune  f;içon  la  délicatesse  et  conscience  des  cc- 

(1)  l'aisan. 

(2;  Baplémos  ol  iiiaria|.{os. 


RÉORGANISATION    DK    l'eGUSK    RRFORMÉE   DE    CAEN.  3 VI 

clésiastiques,  seigneurs  ou  autres  catholiques-romains,  soit  en  clioi- 
sissant  des  maisons  trop  à  leur  proximité,  ou  dans  des  heures  qui 
pourraient  lenr  déplaire;  expressément  résolu  de  rendre  aux  ecclé- 
siastiques romains  non-seulement  ce  qu'ils  sont  en  droit  d'exiger, 
mais  encore  de  les  prévenir  par  tout  moyen  d'honnêteté  et  de  dé- 
cence. 

Mais  nous  ue  faisons  point  d'article  pour  les  magistrats  et  sei- 
gneurs, n'y  ayant  personne  entre  les  protestans  qui  ne  connaisse  son 
devoir  à  cet  égard. 

Art.  k.  Les  anciens  dans  chaque  Eglise  feront  ce  qui  dépendra 
d'eux  pour  empêcher  les  divisions,  querelles  et  autres  choses  scan- 
daleuses. 

Art.  5.  La  première  fête  suivant  le  jour  de  la  Pentecôte,  celle  sui- 
vant le  jour  de  Noël,  chacune  des  Eglises  de  campagne  députera  le 
nombre  d'anciens  qu'elle  jugera  à  propos  pour  se  rendre  au  collo- 
que qui  se  tiendra  chacun  de  ces  jours  à  Caen;  les  députés  seront 
tenus  d'y  assister  et  d'y  être  avant  neuf  heures  du  matin  le  lende- 
main de  la  Pentecôte  et  avant  dix  heures,  le  lendemain  de  Noël. 

Art.  6.  Les  anciens  auront  soin  de  faire  connaître  chacun  dans 
son  canton  les  besoins  des  pauvres  et  engager  les  fidèles  à  fournir  le 
plus  abondamment  possible  à  leurs  nécessités,  recevront  les  récoltes, 
et  les  apporteront  au  trésorier  qui  sera  nommé  à  Caen,  lequel  ne 
pourra  faire  aucune  aumône  sans  le  certificat  des  anciens  de  la  pa- 
roisse des  demandeurs,  lequel  certificat  sera  signé  de  tout  le  corps 
des  anciens  de  chaque  cartier  {aie) . 

Dans  un  autre  règlement,  portant  la  date  du  23  mars  1778,  on  lit  : 

Art.  2.  Arrêté  qu'aucun  mariage  de  contraire  religion  de  l'une  ou 
l'autre  des  parties  ne  pourra  être  béni  dans  notre  Eglise  sous  quelque 
prétexte  ou  cause  qui  puisse  être  allégué. 

Arl.  3.  Ne  pourront  aucunes  abjurations  être  reçues  dans  notre 
Eglise. 

Art.  h.  Sur  les  plaintes  portées  par  quelques-uns  des  anciens,  tant 
de  la  ville  que  de  la  campagne,  que  les  fidèles  manquaient  de  se  trou- 
ver aux  assemblées  où  ils  avaient  été  invités,  sans  en  donner  de  rai- 
son, on  est  convenu  qu'après  que  les  anciens  se  seront  transportés 
deux  ou  trois  fois  dans  leur  maison  pour  les  avertir,  et  qui  ne  se 


3Si2  OBSERVATIONS    DK    »AB\rT    SAINT  ETIENNE 

troHvcHoiit  aux  assemblées,  les  anciens  cesseront  de  les  avertir,  en 
leur  laissant  la  liberté  dans  le  cas  où  ils  voudront  s'y  retrouver  de  se 
pourvoir  devant  le  Consistoire.  Cecy  est  arriHé  tant  pour  la  ville  que 
pour  la  campagne. 


OBSERVATIO!iS  DE  RABâUT  SAINT-ETIEHHE 

SUR  l'ÉDIT  de  louis  XVI  RESTITUANT  l'ÉTAT  (HVIL  AUX  NON-CATHOLIQUES. 

Dooumeat  inédit.) 

Le  préambule  de  cet  édit  annonce  avec  noblesse  les  vues  bieidai- 
sautes  du  roi  envers  ceux  de  ses  sujets  qui  ne  professent  pas  la 
religion,  il  fait  entendre  que  ses  vœux  sont  et  seront  toujours  de 
favoriser  l'uniformité  de  culte  dans  ses  Etats,  et  qu'il  employera 
tous  les  moyens  d'instruction  et  de  persuasion  qui  seront  en  son 
pouvoir  pour  réunir  tous  les  peuples  à  la  religion  de  l'Etat,  mais  il 
altirme  en  môme  temps  qu'il  t)rescrira  avec  la  même  attention  tous 
les  moyens  violents  (ju'ou  avait  employés,  qui  sont  aussi  contraires 
à  la  raison  qu'à  l'esurit  du  cluistianisme. 

Le  roi  a. manifesté  ses  bonnes  dispositions  envers  nous  d'une  ma- 
nière plus  claire  et  plus  détaillée  dans  la  réponse  à  son  Parlement 
de  Paris.  On  y  voit  qu'il  se  propose  d'abroger,  ou  de  restraindre  les 
loix  pénales  qui  blessent  les  droits  de  l'humanité,  et  qu'il  pourvoira 
successivement  à  diverses  choses  (jui  exigeront  un  règlement  parti- 
culier. —  Tout  cela  doit  être  expliqué  par  les  Mémoires  de  AL  de 
Male>herb>  s  qui  a  été  le  rédacteur  de  cette  loi,  et  doit  se  rapporter 
aux  éclaircissements  qu'il  a  donnés  dans  son  3^  chapitre. 

Il  faut  donc  attendre  avec  une  confiance  mêlée  de  discrétion  et  de 
sagesse  l'exécution  de  céité  parole  royale,  et  ne  se  permettre  au- 
cune innovation  pour  élever  des  maisons  d'oraisons  dans  d'autres 
lieux  que  les  lieux  accoutumés  i-t  dans  la  forme  ordinaire,  ni  faire 
des  demandes  nouvelles  pour  étendre  notre  liberté  religieuse,  etc. 
Nous  devons  nous  tenir  strictement  attachés  aux  termes  de  l'édit, 
et  nous  bien  persuader  que  les  souverains,  ♦•ucore  plus  que  les  parti- 


SUR  l'édit  de  louis  XVI.  343 

culiers,  n'aiment  pas  qu'on  les  presse  d'exécuter  leurs  promesses 
parce  qu'ils  veulent  avoir  l'air  de  s'y  porter  d'eux-mêmes  et  volon- 
tairement. D'ailleurs,  toute  réclamation  a  le  défaut  de  renfermer  un 
doute  qui  devient  une  injure  grave  quand  elle  se  rapporte  au  prince 
qui  a  déjà  manifesté  ses  intentions  et  ses  volontés.  ''    •' 

Il  résulte  de  là  que  nous  n'avons  jamais  eu  des  raisons  plus  fbrtès' 
pour  nous  conduire  avec  prudence  et  modestie  ;  soit  en  mesurant 
nos  discours  sur  la  nature  et  l'étendue  de  l'édit,  soit  en  observant 
scrupuleusement  —  la  teneur  de  l'art.  5^  qui  nous  défend  de  noUs 
écarter  du  respect  dû  à  la  religion  du  prince,  soit  en  n'entrepre- 
nant rien  ni  pour  le  culte,  ni  pour  les  formes  prescrites  pour  les 
naissances,  mariages  et  sépultures  qui  ne  soit  ou  permis  tacitement, 
ou  ordonné  par  la  nouvelle  loi. 

C'est  pour  en  faciliter  l'intelligence  que  nous  allons  ajouter  nos 
réflexions  à  la  suite  des  principaux  articles  du  dispositif. 

Art.  l^r.  —  Ce  premier  article  maintient  la  religion  de  l'Etat 
dans  rexercice  du  culte  public  exclusif.  —  Mais  il  permet  tacitemeiit 
et  individuellement  le  culte  non  public  aux  non-conformistes  puis- 
qu'ils peuvent  y  exercer  leurs  professions,  etc.  —  sans  qu'ils  puissent 
être  troublés  sous  prétexte  de  leur  religion.  Ceci  se  com[>rend  encore 
mieux  par  les  éclaircissements  qu'a  donnés  M,  de  Malesherbes  dans 
son  3«  chapitre.  11  a  dit  que  la  loi  n'avait  pas  défini  ce  que  l'on  devait 
etitendre  par  le  culte  jiublic,  que  ce  terme  est  vague,  el  que  jusqu'à 
ce  que  le  prince  se  soit  expliqué  îâ-dèséus  on  né  peut  inférer  de  cet 
article  ni  que  tout  exercice  de  religion,  àulré  que  là  religion  catho- 
lique est  defeiidu,  ni  que  celui  qui  est  toléré  puisse  pour  cela  être 
réputé  public.  On  peut  encore  conclure  de  ce  que  dit  l'auteur  des 
Ménfioires  que  puisqu'on  sait  qu'il  y  a  des  ministres,  des  assemblées, 
des  maisons  d'oraisons,  etc.,  —  et  qu'on  ne  les  proscrit  pas,  qu'ils 
sont  permis  tacitement,  et  qu'on  peut  continuer  le  culie  dans  les 
mêmes  formes  et  lâbr  le  pied  où  il  est  maintenant  établi  pour  lès 
protestants  en  France.  —  Il  résulte  encore  de  la  qiie  l'on  lie  peut 
faire  Valoii*  le  présent  édit,  sous  prétexté  que  le  culte  publie  est 
seulement  permis  aux  cathoiiques-iomains,  pour  empêcher  les  pro- 
testants de  célébrer  le  leur  comme  ils  l'ont  fait  jusqu'ici. 

Or,  cette  manière  indéfinie  d'autoriser  civilement   les   diverses* 
professions  de  foi  nous  favorise  plus  qu'on  ne  pense,  puisque  ne 


rii/i.  DHSKRVATîONS    1)K    RABAI  T    SAINI'-ETIKNNK 

prescrivant  rien,  elle  nous  laisse  la  liberté  de  nous  étendre  peu  à 
peu,  pourvu  que  ce  soit  sans  ostensibilité  et  avec  prudence.  Dans  les 
circonstances  actuelles,  et  où  les  dispositions  du  Parlement,  du 
clergé,  et  de  quelques  personnes  du  plus  haut  rang,  qui  ont  mani- 
festé des  sentiments  qui  tiennent  encore  des  anciennes  maximes 
intolérantes,  il  n'aurait  pas  été  possible  de  dresser  un  édit  où  il  eût 
été  question  du  culte  public,  de  temples  et  de  ministres,  sans  s'ex- 
poser à  faire  échouer  entièrement  le  projet  ;  et  si  on  avait  voulu  en 
parler  et  le  faire  enregistrer  il  aurait  souffert  des  restrictions  dans 
les  cours  souveraines  et  des  modifications  très  gênantes;  on  nous 
aurait  circonscrits  dans  des  bornes  si  étroites,  qu'il  ne  nous  aurait 
pas  été  possible  de  nous  y  maintenir,  et  si  nous  avions  voulu  les 
franchir  par  principe  de  conscience,  nous  aurions  été  exposés  à  de 
nouvelles  vexations  de  la  part  des  magistrats  qui  sont  tenus  de  faire 
observer  les  loix.  Au  lieu  que,  dans  l'état  où  sont  les  choses,  nous 
pouvons  espérer  d'obtenir  de  la  cour,  dont  les  bonnes  dispositions 
nous  sont  connues,  et  par  le  canal  des  intendants  et  des  comman- 
dants des  provinces,  des  permissions  particulières  pour  élever  des 
maisons  d'oraisons,  pour  se  rapprocher  des  villes  pour  la  célébration 
du  culte,  pour  obtenir  le  relèvement  des  griefs  de  plainte  que  l'on 
pourrait  avoir,  etc.  Par  où  l'on  voit  la  sagesse  du  ministère  d'avoir 
renvoyé  à  un  autre  temps  de  statuer  sur  tout  ce  qui  a  rapport  à 
l'état  religieux  des  protestants. 

L'exception  qui  est  mise  à  la  fin  de  cet  article  relativement  aux 
professions  ne  se  rapporte  qu'à  trois  choses  :  aux  charges  de  Judica- 
tnre  ayant  provision  du  roi  et  des  seigneurs,  aux  municipalités 
érigées  en  titre  d'office,  et  ayant  fonctions  de  judicature,  et  aux 
professorats.  Donc  ils  sont  admis  à  tout  le  reste,  et  surtout  aux 
charges  qui  sont  un  effet  de  la  faveur  du  souverain.  Ainsi  les  protes- 
tants peuvent  être  avocats,  chirurgiens,  médecins,  apothicaires,  no- 
taires, et  être  reçus  dans  les  corps  des  métiers,  sans  que  leur  religion 
y  porte  obstacle;  ils  peuvent  être  ministres  des  finances,  comman- 
dants et  gouverneurs  de  provinces,  si  le  roi  trouve  à  propos  de  les 
nommer  à  ces  places  importantes,  et  par  conséquent  à  tous  les 
grades  militaires,  etc. 

Il  est  bon  même  d'observer  qu'ils  ne  sont  pas  exclus  formellement 
des  municipalités  à  moins  qu'elles  ne  soient  érigées  en  titre  d'office 
et  qu'elles  ayent,  en  outre,  fonctions  de  judicature.  Or  la  munici- 


'.r.  SUR  i.'khit  de  louis  xvi.  liVS 

palité  de  Bordeaux  n'est  point  érigée  en  titre  d'offfce.  —  Reste  à 
savoir  si  l'une  des  deux  choses  exprimées  dans  cet  article  suffit  pour 
opérer  l'exclusion.  Il  semble  qu'elles  sont  cumulées,  et  qu'il  faut 
qu'elles  soient  réunies  pour  que  les  protestants  en  soient  exclus; 
sinon,  on  se  serait  exprimé  de  cette  manière:  Les  municipalités  éri- 
gées en  titre  d'office^  et  celles  ayant  fonctions  de  judicature. 

Quant  aux  juridictions  consulaires  du  commerce,  comme  elles 
tiennent  leur  office  du  roi  et  qu'elles  jugent  des  affaires  contentieuses 
entre  négociants,  il  est  clair  que  les  protestants  en  sont  exclus,  et 
ceci  prouve  combien  la  nouvelle  loi  a  été  attentive  à  les  priver  de 
toute  influence  dans  la  société,  même  dans  les  choses  qui  les  intéres- 
sent particulièrement. 

Art.  3.  —  Pour  bien  entendre  le  sens  de  cet  article ,  et  rendre 
justice  à  la  sagesse  qui  l'a  dicté,  il  faut  savoir  qu'il  a  un  rapport 
direct  à  l'article  de  l'Edit  de  Nantes  qui  accordait  aux  protestants 
des  places  de  sûreté,  des  chambres  de  l'Edit,  des  chambres  mi-par- 
ties, des  assemblées  pohtiques,  le  droit  de  lever  des  troupes,  d'avoir 
des  chefs,  des  agents  à  la  cour,  en  un  mot  des  représentants.  Les 
malheurs  des  temps  et  la  défiance  qui  régnait  dans  les  deux  partis, 
avait  mis  le  gouvernement,  qui  voulait  la  paix  et  la  tranquillité  du 
royaume,  dans  la  nécessité  de  Caire  ces  concessions  aux  protestants 
qui  croyaient,  20  ou  25  ans  après  le  massacre  de  la  Saint-Barthé- 
lémy ne  devoir  plus  se  fier  aux  catholiques  ligueurs.  — Et  voilà  le 
motif  de  ces  étonnants  privilèges  qui,  en  effet,  plaçaient  un  Etat  dans 
l'Etat,  et  ont  donné  lieu  de  dire  que  les  protestants  étaient  à  craindre. 
Mais  l'Edit  de  Nantes  n'avait  accordé  ces  privilèges  que  pour  un 
temps,  et  le  roi  s'était  réservé  de  les  retrancher  aussitôt  que  les  rai- 
sons qui  les  avaient  fait  accorder  ne  subsisteraient  plus.  Us  furent, 
en  ettet,  ôtés  aux  protestants  sous  Louis  XUl  et  Louis  XIV,  bien 
longtemps  avant  l'Edit  révocatif,  et  ils  n'avaient  plus  qu'un  état  civil 
et  religieux  pareil  aux  catholiques,  au  monioment  où  cet  Edit  révo- 
catoire  fut  publié.  —  11  était  donc  de  la  sagesse  du  prince  et  de  la 
saine  politique  de  déclarer  qu'on  n'entendait  nullement,  en  donnant 
l'état  civil  aux  protestants,  leur  accorder  le  droit  de  faire  corps  dans 
l'Etat,  et  qu'à  cet  égard  ils  seraient  confondus  dans  la  classe  com- 
mune et  générale  des  citoyens.  En  conséquence  il  leur  est  défendu  : 
1"  de  se  regarder  comme  formant  un  corps;  2"  d'avoir  des  repré- 
sentants, ou  de  donner  des  procurations  en  cette  qualité;  2"  de  faire 


346  OBSERVATIONS    DE    RABAUT    .SAINT-ETIENNE 

des  acquisitions  comme  corps  qui  ne  peut  avoir  aucune  propriété 
comme  tel  et  sous  cette  dénomination;  4"  il  est  expressément  dé- 
fendu aux  notaires^  ou  autres  officiers  publics,  de  signer  ni  passer 
aucun  acte  où  les  non-catholiques  voudraient  prendre  cette  dénomi- 
nation et  faire  quelques  demandes  en  nom  collectif. 

Mais  par  cet  article  il  ne  faut  pas  croire  qu'il  soit  défendu  à  des 
particuliers  protestants  qui  se  réuniraient  par  leurs  signatures  de 
former  quelques  demandes  pour  le  civil,  ou  pour  se  plaindre  hum- 
blement au  roi  de  quelques  vexations  pour  cause  de  leur  rehgion, 
puisqu'ils  sont  admis  à  l'état  civil,  en  vertu  de  l'Edit,  comme  étant 
d'une  autre  religion  que  de  celle  de  l'Etat.  Néanmoins  ces  plaintes, 
ni  ces  demandes  ne  peuvent  jamais  être  faites  qu'au  nom  des  parti- 
culiers signataires,  et  non  au  nom  de  tous  les  protestants,  ni  du 
royaume,  ni  d'une  province,  ni  d'une  ville,  qui  sont  censés  ne  pou- 
voir .s'assembler  pour  délibérer  en  commun  sur  ces  objets. 

11  est  donc  clair  qu'ils  ne  peuvent  acquérir  au  nom  de  tous  les 
protestants  d'une  ville  et  d'une  paroisse,  et  coiiime- faisant  corps^ 
aucune  propriété,  comme  temples,  cimetières,  hôpitaux,  champs  ou 
terres,  ce  que  l'on  appelle  dans  l'Eglise  romaine,  la  fabrique.  On 
voit  donc  que  l'intention  du  législateur  a  été  d'ôter  absolument  tout 
moyen  au  non-catholique,  même  d'une  seule  paroisse,  de  posséder 
rien  en < propre  et  en  commun,  et  ce  qu'il  y  a  de  plus  sévère  dans 
cet  article,  c'est  qu'il  n'est  pas  même  permis  à  l'un  d'entre  eux  de 
faire  ces  acquisitions  au  nom  de  la  société,  ou  communauté  particu- 
lière dont  il  est  membre,  à.  peine  d'être  réputé  fauteur  et  protecteur 
d'assemblées  et  associations  illicites,  etci  Or  il  ne  reste  presque  plus 
de  moyens  aux  protestants  pour  acquérir  ou  conserver  la  propriété 
de  leurs  maisons  d'oiaisons,  cimetières^  hôpitaux,  etc. 

Il  faut  espérer  qu'une  nouvelle  déclaration  tirera  les  protestants 
de  cet  embarras.  Ils  forment  une  portion  trop  considérable  des  sujets 
du  roi,  pour  ne  pas  leur  accorder  le  umyen  de  faire  parvenir  direc- 
tement au  pied  du  trône  les  humbles  représentations  que  les  circon- 
stances pourraient  exiger,  ou  les  témoignages  éclatants  de  leur  amoui- 
et  de  leur  reronnaissance  envers  le  souverain. 

D'ailleurs,  puisque  le  cuite  leur  est  accordé  indireclement,  il  tant 
bien  leur  permettre  d'avoir  en  propre  des  maisons  d'oraisons  où  ils 
puissent  s'assembler,  des  hôpitaux  potir  leurs  malades,  etc.,  à  moins 
que  les  comnumautés  ne  soient  obligées  d'y  pourvoir  par  une  loi 


SUR    l'f.DIT   DR   LOnS   XVI.  347 

subséquente,  dans  le  sens  et  de  la  im-me  manière  qu'il  a  été  statué 
pour  les  cimetières. 

Art.  k.  —  11  résulte  du  moins  des  termes  de  cet  article  que  les 
protestants  peuvent  avoir  des  ministres  pour  leur  culte  religieux  en 
observant  ce  qui  est  prescrit  à  ceux-ci  dans  ledit  article. 

Il  résulte  encore  de  cet  article  que  les  ministres  peuvent  et  doi- 
vent tenir  des  registres  des  baptêmes  et  mariages  dont  il  est  seule- 
naent  défendu  de  délivrer  les  certificats. 

Or  puisque  cela  est  sous-entendu  dans  l'article,  les  ministres  doi- 
vent les  tenir  exactement  comme  par  le  passé  ;  plusieurs  raisons  les 
y  engagent  :  1"  pour  assurer  le  public  catholique  que  les  protestants 
ne  s'unissent  pas  sans  l'intervention  de  leurs  pasteurs  et  sans  béné- 
diction nuptiale;  2"  pour  mettre  même  les  consciences  des  protes- 
tants à  l'abri  du  scrupule  en  abandonnant  un  usage  religieux  ancien 
et  consacré  par  leurs  synodes  et  leur  discipline;  3°  pour  joindre  les 
époux  par  la  religion  du  serment,  aussi  bien  que  par  les  lois  civiles  ; 
k°  pour  avoir  une  surabondance  de  preuves  soit  morales,  soit  légales 
de  leur  mariage.  Car  si  un  des  actes  venait  à  se  perdre,  l'autre  peut 
se  conserver.  N'oublions  pas  de  remarquer  en  passant  que  cet 
article  est  louche  par  la  construction  grammaticale,  et  que  ces 
mots  :  porter  en  public  un  habit  différeni,  de  celui  des  autres  de  ladite 
religion,  semblent  se  rapporter  à  la  religion  catholique.  On  voit  bien 
qu'on  a  voulu  dire  qu'il  n'est  pas  permis  aux  ministres  de  s'habiller 
en  public  autrement  que  les  laïques. 

Art.  5.  —  Cet  article  ne  demande  point  d'explication,  il  doit  seu- 
lement être  observé  aussi  bien  par  civilité  que  par  conscience.  Il  est 
juste  et  naturel,  et  la  religion  nous  l'ordonne,  de  respecter  ia  croyance 
et  la  foi  de  nos  frères,  pt  de  ne  jamais  les  blesser  par  des  discours, 
ni  par  des  écrits,  où  les  principes  de  la  charité  seraient  violés.  Ceux 
qui  tomberaient  dans  ces  fautes  mériteraient  d'être  punis  sans  dis- 
tmclion  de  rang,  ni  de  secte. 

Art.  6.  —  Puisqu'on  ne  parle  dans  cet  article  qui  concerne  l'ob- 
servation des  dimanches  et  des  fêtes  que  de  ne  pas  vendre  à  bou- 
tiques ouvertes  lesdits  jours,  il  est  à  croire  que  les  règlements  de 
police  dont  on  fait  mention  ne  doivent  se  rapporter  qu'à  cela,  et 
qu'il  n'y  est  pas  question  des  tentures  de  tapisseries  les  jours  des 
processions.  Le  parti  le  plus  sage  serait  d'y  faire  pourvoir  par  les 
officiers  de  pohce  d'une  manière  qui  ne  blessât  en  rien  la  conscience 


:M8  ORSKRVATIONS    DR    KABAUT    SAINT-KTIKNISK 

des  protestants.  Le  silence  de  fédit  sur  cet  article  semble  dispenser 
les  protestants  de  tendre  devant  leurs  portes. 

Au  reste^  sur  cette  matière  les  avis  ont  été  partagés  parmi  les 
protestants  :  les  uns  ont  regardé  les  tentures  comme  une  chose  de 
simple  police,  et  les  autres  comme  un  acte  religieux.  Il  y  a  des  pays 
où  l'usage  en  est  perdu  pour  les  protestants.  Il  y  en  a  d'autres  où  les 
catholiques  l'exigent  de  leur  part.  II  n'y  a  pas  de  règle  plus  sage  que 
celle  qui  résulte  du  silence  de  la  loi.  Il  ne  faut  rien  prescrire  à  cet 
égard,  et  les  officiers  de  police  nous  fourniront  eux-mêmes  le  moyen 
de  juger  du  sens  qu'on  doit  donner  à  cet  article. 

Art.  7.  —  On  ne  doit  rien  dire  sur  cet  article  sinon  pour  faire  re- 
marquer que  de  tout  temps  les  protestants  y  ont  été  soumis.  Il  en 
est  de  même  des  dixmes. 

Art.  8.  —  Cet  article  est  conforme  à  ce  qui  se  pratique  pour  les 
mariages  même  des  catholiques. 

Art.  9.  —  Il  eût  été  à  désirer  que  le  roi  n'eut  pas  laissé  le  choix  et 
qu'il  eut  prescrit  à  cet  égard  une  règle  uniforme.  Il  est  à  craindre 
que  les  curés  et  peut-être  les  évêques  n'auront  pas  la  même  façon 
de  penser,  ni  les  mêmes  principes.  Cette  diversité  d'opinions  fera 
naître  une  variété  de  formes  qui  paraîtra  une  espèce  de  scandale. 
D'ailleurs  la  reclierche  des  actes  de  baptême,  mariages  et  sépultures 
deviendra  plus  embarrassante  et  plus  onéreuse. 

Art.  10.  —  Ce  qui  est  prescrit  par  cet  article  suffit  pour  empêcher 
les  protestants  de  s'adresser  aux  curés  de  leurs  paroisses.  Il  paraît 
humiliant  pour  eux  qu'on  ne  veuille  même  pas  que  leurs  noms 
soient  prononcés  dans  les  églises,  et  que  les  publications  et  afficiies 
se  fassent  à  la  porte  où  l'on  publie  les  décrets,  saisies  et  autres 
choses  affligeantes  pour  ceux  que  cela  regarde. 

Aht.  12.  —  Même  observation  pour  l'indécence  d<^  la  publication 
à  la  porte  de  l'église  et  de  l'affiche.  Si  le  curé  ne  vont  pas  faire  lui- 
même  la  publication  dans  l'église,  il  serait  possible  de  la  faire  faire 
par  le  j)rincipal  niarguillicr  ou  autre  personne  qui  serait  constituée 
exprès  pour  remplir  cette  formalité.  Sinon  il  faudrait  se  contenter 
d'un  simple  registre.  Mais  on  sent  bien  qu'une  publication  des  bans 
à  haute  voix  est  très  utile  et  très  convenable.  C'est  pourtiuoi  il  serait 
indispensable  de  les  faire  dans  les  églises,  mais  connue  les  curés  s'y 
refuseraient  vraisemblablement,  il  convient  de  s'adresser  aux  juges  et 
aux  officiers  nounués  dans  l'édit  pour  faire  faire  cette  publication. 


SUR   l'ÉDIT   de    louis   XVI.  34-9 

préférablement  aux  curés  qui  pourraient  se  servir  de  l'occasion  pour 
cherchera  parler  religion,  ce  qui  ferait  peut-être  naître  des  disputes 
scandaleuses,  ou  d'autres  maux  non  moins  funestes. 

Il  est  néanmoins  visible  que  le  moyen  qu'a  fixé  la  loi  ne  répond 
pas  parfaitement  au  but  qu'on  se  propose  dans  la  publication.  Les 
personnes  intéressées  ne  se  trouvant  pas  aux  portes  des  églises, 
n'entendront  pas  cette  publication,  et  ne  liront  pas  l'affiche,  elles 
pourront  ignorer  les  mariages  auxquels  elles  formeraient  opposition. 
Cet  inconvénient  n'aurait  pas  lieu  si  on  les  publiait  également 
dans  nos  assemblées,  sauf  à  ne  faire  l'opposition  qu'entre  les  mains 
de  ceux  qui  sont  nommés  par  l'édit  pour  les  recevoir.  Et  je  crois 
même  qu'il  est  de  l'honneur  et  de  l'intérêt  des  protestants  de  con- 
server cet  usage  qui  pourra  être  consacré  par  la  suite. 

Art.  13.  —  Cet  article  ne  présente  qu'un  règlement  très  sage,  et 
l'on  voit  que  l'intention  du  législateur  a  été  de  faciliter  le  prompt 
jugement  des  oppositions,  en  ne  donnant  cette  autorité  qu'aux  juges 
des  bailliages  et  sénéchaussées  qui  ressortent  nùment  ez  cours  de 
parlement. 

Art.  Ik.  —  Il  y  a  une  foule  de  petites  jurisdictions  dans  le  royaume 
qui  manquent  d'officiers  et  où  l'on  n'a  aucune  espèce  de  greffe  ou 
de  dépôt  public  :  tel  est  le  cas  de  la  Saintonge,  l'Angoumois,  le 
Poitou,  etc.  Cela  mérite  attention.  Sans  doute  que  le  législateur 
entend  que  l'on  s'adressera,  le  cas  échéant,  au  juge  le  plus  pro- 
chain. 

Art.  15.  —  Cet  article  est  conforme  à  ce  qui  se  pratiquait  avant 
la  révocation  de  i'Edit  de  Nantes  pour  ce  qui  regarde  les  degrés  pro- 
hibés. On  ne  s'adressait  ni  au  pape,  ni  aux  officialités;  on  obtenait 
des  lettres  en  la  grande  chancelerie  au  nom  du  roi.  Quant  à  la  dis- 
pense des  bans,  et  pour  celles  de  parenté,  qui  sont  au-dessous  du 
troisième  degré,  il  a  plu  au  roi  de  donner  au  premier  officier  des 
bailliages  et  sénéchaussées  le  pouvoir  de  les  accorder.  Ce  sera  donc  à 
lui  qu'il  faudra  s'adresser  dans  ces  sortes  d'occasions. 

Art.  16.  —  Même  observation  à  faire  que  sur  l'article  9. 

Art.  17.  —  Il  résulte  de  cet  article  que  les  protestants  ont  la 
liberté  de  contracter  et  faire  célébrer  leurs  mariages  d'une  manière 
conforme  à  leur  culte,  et  à  la  discipline  des  Eglises  réformées,  avant 
d'en  venir  faire  la  déclaration  prescrite  par  cet  article;  on  peut  allé- 
guer les  mêmes  motifs  que  nous  avons  exposés  à  la  suite  de  l'art,  k; 


350  OBSERVATIONS    DE    RABAUT    .SAINT-ETIENNE 

ces  mots,  qu'elles  se  sont  prises  et  se  prennent,  etc.,  semblent  faire 
entendre  que  la  bénédiction  nuptiale  a  précédé  en  effet  la  décla- 
ration. 

Art.  18.  —  Cet  article  ne  regarde  que  la  forme  de  l'enregistre- 
ment des  déclarations  des  mariages,  et  nous  n'avons  aucune  obser- 
vation à  y  laire,  si  ce  n'est  qu'elle  est  conforme  aux  anciennes  ordon- 
nances pour  les  registres  des  catholiques-romains. 

Art.  19.  —  Même  observation  à  faire  que  sur  l'article  précédent. 

Art.  20.  —  On  a  très  sagement  ordonné  que  les  déclarations  fus- 
sent inscrites  dans  les  registres  ordinaires  au  cas  que  les  parties 
s'adressent  aux  curés  des  paroisses.  Il  paraît  qu'on  n'a  pas  voulu 
des  registres  difTéients  parce  qu'on  a  craint  qu'ils  fussent  mal  tenus 
et  négligés. 

Art.  21.  — Cet  article  est  très  important.  Il  en  résulte  qne  l'on 
recevra  nécessairement  pour  preuve  des  mariages  ci-devant  con- 
tractés, les  déclarations  et  certificats  des  ministres  qui  auront  im- 
parti la  bénédiction  nuptiale,  puisqu'il  serait  impossible  de  produire 
d'autres  preuves  j)our  ces  mariages  célébrés  avant  l'édit.  Ces  mots 
dont  ils  rnppo7'teront  la  preuve,  ne  peuvent  s'appliquer  uniquement  au 
contrat  civil  et  à  lu  possession  d'état  qui  ne  peut  se  prouver  que  par 
une  enquête,  et  qui  est  impossible  même  pour  les  personnes  qui  se 
sont  mariées  depuis  longtemps  et  qui  n'existent  plus. 

Art.  22.  —  Cet  article  n'a  besoin  ni  d'explicatïoii,  ni  d^obsérvii- 
tions  particulières.  Il  résulte  de  ce  qui  a  été  statué  ci-devant. 

Art.  2.3.  —  Le  consentement  dont  il  est  ici  parlé  est  exigé  de 
même  pour  les  catholiques;  reste  à  savoir  si  ce  consentement  est 
nécessaire  pour  les  personnes  qui  convolent  â  de  secondes  noces. 
Là-dessus  il  ne  faut  pas  s'écarter  des  ordonnances,  et  c'est  aux 
notaires  qui  passent  les  contrats  de  mariage  a  y  faire  attention  aussi 
bien  qu'à  ceux  qui  doivent  enregistrer  les  déclarations  de  mariage. 

Art.  24.  —  Il  est  très  important  de  déteru)iner  les  formes  et  les 
remèdes  à  employer  dans  le  cas  prévu  par  cet  article  24.  Mais  on  ne 
doit  pas  perdre  de  nuc  que  la  ])reuve  <Vvn  )iinriiigr  contracté,  exigée 
dans  l'article  21  est  une  chose  des  plus  essentielles,  et  à  défaut  de 
preuves  de  célébration  du  mariage,  celle  du  moins  de  la  possession 
d'état  la  plus  authentique. 

Art.  25.  —  Il  résulte  encore  de  cet  article  que  les  protestants  ont 
la  liberté  d'avoir  des  ministres  pour  leur  cuite  religieux,  puisque 


SIR  l'kiht  nK  loi  is  xvi.  351 

suivant  leur  discipline  constante  le  baptême  ne  peut  être  administré 
que  par  leurs  ministres. 

Art.  26.  —  On  n'a  rien  à  dire  sur  cet  article. 

Art.  *27.  —  Cet  article  mérite  une  attention  particulière;  il  ne 
faut  pas  que  dans  les  villes  et  lieux  où  les  protestants  auront  acquis 
un  local  pour  leur  servir  de  cimetière,  ils  soient  traités  moins  favo- 
rablement que  ceux  qui  n'auront  point  eu  cette  prévoyance.  Car 
ceux-ci  n'auront  rien  à  débourser  puisque  par  cer  article  les  muni- 
cipalités sont  obligées  de  leur  fournir  un  cimetière.  H  faut  donc 
trouver  des  moyens  pour  que  les  autres  soient  remboursés  du  prix 
du  terrain,  ou  confirmésdans  leur  propriété  exclusive, 

Art.  28.  —  Dans  les  villes  où  les  officiers  municipaux  ont  une. 
juridiction,  il  semble  que  Içs  déclarations  des  morts,  mariages  et 
naissances,  doivent  être  faitç§  dev^.riit  ^ux  de  préférence.  Cela  ne 
devrait  pas,  du  moins,  faire  de  doute  pour  les  déclarations  de  décès», 
parce  que  la  plupart  de  ces  municipalités  sont  en  possession  de  les 
recevoir,  et  particulièrement  celle  de  Bordeaux  qui  a  une  juridiction 
très  importante  et  très  étendue. 

j\rt,,  29.  —  La  disposition  de  cet  article  29,  engagera  les  protes- 
tants à  ne  s'adresser  qu'au  j,uge  laïque  pour  les  inhumations,  puis- 
qu'ils seraiçnt  toujours,  ybligés  de  recourir  à  lui  pour  cet  objet. 

Art.  30.  —  L'usage  d'exposer  le  corps  des  personnes  décédées 
n'est  guère  en  usage  que  dans  quelques  villes;  ainsi  cet  article  ne  sera 
pas  difficile  à  observer,  ces  pratiques  étant  inconnues  aux  protes- 
tants. Ils  ne  sont  pas,  non  plus,  en  usage  de  chanter  dans  les  con- 
vois funèbres,  ni  même  de  réciter  des  prières,  —  il  leur  sera  aisé  de 
s'y  conformer,  mais  ils  voient  avec  reconnaissance  que  le  souverain 
ait  prescrit  les  plus  sages  règlements  pour  que  leurs  enterrements 
soient  mis  à  Tavenir  hors  de  toute  insulte. 

Art.  31.  —  Ce  qui  est  ordonné  dans  cet  article  est  conforme  à  ce 
qui  se  pratique  pour  les  sujets  du  roi  catholiques-romains. 

Art.  32.  —  Rien  que  de  très  sage  dans  ce  qui  est  ici  prescrit. 

^rt.  33.  —  Si  les  registres  étaient  tenus  dans  certaines  villes  par 
les  officiers  municipaux  ayant  juridiction,  nul  doute,  qu'ils  ne  soient 
obligés,  suivant  cet  article,  de  remettre  un  des  doubles  desdits  re- 
gistres au  greffe  des  bailliages  ou  sénéchaussées,  etc. 

Art.  34.  —  Cet  article  se  rapporte  à  l'art.  15  ci-dessus.  —Voyez 
le  tarif  pour  les  droits  du  greffe  et  du  juge. 


352  OBSKUVATIONS    DE    R.\BAIIT    SAmX-KTIF.NNK,    ETC. 

Art.  35.  —  11  n'est  pas  nécessaire  de  s'arrêter  à  cet  article. 

Art.  36.  —  Cet  article  est  très  sage  pour  prévenir  les  abus  qui 
pourraient  résulter  de  ces  droits.  C'est  pourquoi  il  sera  prudent  d'avoir 
chez  soi  l'édit  en  question  pour  n'être  pas  lésés. 

Art.  37.  —  Ce  dernier  article  regarde  les  luthériens  d'Alsace,  et 
ne  mérite  aucune  observation,  si  ce  n'est  pour  voir  le  soin  i\w.  le  roi 
prend  de  maintenir  tous  ses  sujets  dans  les  privilèges  parti(>uliers 
qui  leur  ont  été  accordés  par  les  rois,  ses  prédécesseurs,  ou  par  lui. 

'J'urif. 

Les  liais  des  mariages  chez  le  curé  sont  de.     .     .     .       5  1. 

Ceux  qui  seront  faits  chez  le  juge,  de 10  l.  10  s. 

Sur  quoi  on  peut  retrancher  3  I,,  soit  pour  la  légali- 
sation, soit  pour  la  commission  rogatoire.  Reste  poui' 
tous , 7  1.10s. 

Ce  qui  excède  de  2  1.  10  s.  les  droits  à  payer  au  curé. 

Mais  il  est  à  observer  que  ces  frais  doublent  presque  si  les  parties 
sont  de  deux  paroisses  diflérentes,  —  or  ce  sera  très  onéreux  pour 
le  peuple  qui  ne  doit  ni  ne  peut  supporter  des  frais  si  considérables. 
—  Le  bien  de  l'Etat  exige  que  les  mariages  soient  encouragés,  et  il 
y  a  nombre  de  paysans  ou  artisans  qui  n'auront  pas  la  faculté  de 
payer  ces  droits.  Faut-il  pour  cela  les  empccher  de  se  marier?  Les 
parlements  de  province  devraient  sa  charger  de  faire  ces  représen- 
tations au  roi  après  l'enregistrement. 


MÉLANGES. 

MÉUOIRES  IKÉDITItS  DE  DUMOIVT  DE  BOSTAQUET 

Cientilhonune  normand 

SUR  LES  TEMPS  QUI  ONT  PRECEDE  ET  SUIVI  LA  REVOCATION  DE  L^EDIT  DE  NANTES 

SUR  LE  REFUGE  ET  LES  EXPEDITIONS  DE  GUILLAUME  III 

EN  ANGLETERRE  ET  EN  IRLANDE 

Publiés  par  MM.  Charles  Read  et  Francis  Waddington,  et  précédés 
d'une  Introduction  historique. 

Paris,  Michel  Lévy,  1864,  1  vol.  in-8°. 

On  lit  dans  l'Introduction  historique  que  nous  avons  placée  en  tête  de 

ce  volume  : 

«  C'est  à  lord  Macaulay  que  nous  avons  dû  la  connaissance  de  ces  Mé- 
moires inédits;  c'est  sous  ses  auspices  que  le  possesseur  actuel  du  ma- 
nuscrit, le  docteur  Charles  Vignoles,  doyen  d'Ossory  (comté  de  Kiikenny, 
en  Irlande),  a  bien  voulu  nous  en  donner  communication,  il  y  a  quelqufts 
années,  et  nous  en  laisser  prendre  copie. 

«  Lord  Macaulay  s'est  lui-même  servi  de  ces  Mémoires,  qu'il  cite  plu- 
sieurs fois  dans  les  chapitres  XIV  et  XVI  de  son  Histoire  d Angleterre, 
notamment  au  sujet  de  Ruvigny  et  des  régiments  composés  de  réfugiés 
français  qui  combattirent,  en  1690,  avec  le  maréchal  de  Schomberg,  sous 
le  drapeau  de  Guillaume  d'Orange.  Il  jugeait  ces  pages  dignes  de  voir  le 
jour. 

«  L'auteur  de  Louis  Xir  et  la  Révocation  de  l'Edit  de  Nantes,  M.  Mi- 
chelet,  en  a  aussi  connu  un  extrait  épisodique  dont  il  a  profité  (p.  334), 
comme  on  le  verra  plus  loin,  et  il  appelle  de  ses  vœux  la  publication  d'un 
document  aussi  «  important,  dit-il,  pour  faire  comprendre,  par  opposition 
avec  le  Midi  et  les  Cévennes,  la  situation  morale  des  protestants  en  Nor- 
mandie, chez  des  populations  réfléchies,  intéressées,  prudentes.  »  [Notes, 
p.  472.) 

't  Après  en  avoir  différé,  malgré  nous  et  plus  que  nous  ne  l'aurions 
voulu,  l'impression,  nous  sommes  heureux  de  réaliser  aujourd'hui  enfin 
le  vœu  des  deux  illustres  historiens,  en  présentant  ce  \olume  au  public. 

«  Avec  le  concours  de  noire  excellent  ami  M.  Francis  Waddington,  qui 
a  bien  voulu  revoir  le  texte,  au  point  de  vue  des  informations  locales,  nous 
avons  été  à  même  d'ajouter,  aux  récils  du  gentilhomme  normand,  bon 

XHi.  —  23 


35i  MÉLANGES. 

nombre  de  oes  éclaircissemenls  qui  facililent  et  rendent  plus  uiilc  la  lec- 
ture de  pareils  Ménioires(1}.  Ensemble  nous  sommes  allés  visiter,  à  huit 
lieues  de  Dieppe,  dans  la  cliarmante  vallée  de  la  Saanne,  entre  Tosles  et 
Yeiville,  le  vii'ux  domaine  seigneurial,  théâtre  des  scènes  rapportées  dans 
la  première  partie  du  livre;  —  le  petit  château  de  la  Fontelaye;  qu'un  fu- 
neste incendie  oblige  notre  châtelain  à  abandonner,  en  1673;  —  ainsi  que 
le  manoir  voisin  de  Boslaquet,  dont  il  portait  le  nom,  et  que  les  dragon- 
nades devaient,  douze  ans  plus  lard,  lui  faire  abandonni  r  à  son  tour...  >•  (2) 

En  accueillant  avec  satisfaction  la  publication  de  ces  Mémoires,  nos  lec- 
teurs s'associeront  â  notre  tristesse  lorsqu'ils  apprendront  la  perte  bien 
douloureuse  que  nous  venons  de  faire,  en  la  personne  de  cet  excellent  ami 
qui  partagea  avec  nous  le  soin  de  les  éditer  et  qui  tant  de  fois  avait  enrichi 
notre  recueil  du  fruit  de  ses  recherches.  C'est  dans  la  nuit  du  19  au  20  oc- 
tobre que  nous  avons  perdu  cet  excellent  ami  et  collaborateur,  après  une 
grave  maladie  qui  a  fait  voir  d'une  manière  bien  sensible  tout  ce  qu'il  y 
avait  en  lui  de  force  et  de  résignation  chrétienne,  en  même  temps  qu'elle 
ne  laissait  que  trop  prévoir  cette  fatale  issue.  A  cette  même  date  (20  octo- 
bri')  paraissiiit  dans  le  Journal  de  Rouen  un  conipte  rendu  des  Mémoires 
de  Dumont  de  Bostaquet  (]ue  M.  Francis  AVaddington  aurait  lu  avec  d'au- 
tant plus  de  plaisir  qu'il  est  dû  à  la  plume  d'un  savant  compatriote  du  gen- 
tilhomme normand,  appelant  sur  lesdits  Mémoiies  l'attention  de  ses  conci- 
toyens de  Normandie  (3).  Nous  croyons  devoir  reproduire  ici  cet  article 
qui  donnera  à  nos  lecteurs  une  idée  du  livre  dont  il  s'agit  : 

(Extrait  du  Journal  de  Rouen  du  jeudi  20  octobre  1864.) 

M  Cet  ouvrage,  dont  la  publication  est  due  au  zèle  éclairé  de  deux  coreli- 
gionnaires (le  l'auteur,  offre  pour  la  Haute-Normandie  un  intérêt  tout  parti- 
culier. Dumonl  de  Boslaquet  appartenait  à  la  noblesse  du  pays  de  Caux. 
Ses  Mémoires,  qu'il  ne  destinait  pas  au  public,  mais  à  ses  enfants  seule- 
ment, contiennent,  sur  un  certain  nombre  de  familles  aujourd'hui  existan- 
tes, des  détails  un  peu  prolixes,  il  est  vrai,  mais  curieux  pour  leurs 
descendants  et  pour  ceux  qui  les  connaissent.  A  un  point  de  vue  plus  géné- 

(1)  C'pst  aussi  pour  les  compli^tcr  qnn  M.  Kr.  Waddington  avait  entrepris  un 
travail  spécial  qui,  giAce  aux  documenls  ^ecucilli^,  devint  assez  coiisidL'rable  pour 
mériter  d'èlre  publié  à  part,  el  qui  l'a  été  en  t-tTet  sons  le  litre  de  :  le  Protestan- 
tisme en  Normandie,  dciiuis  lu  Kevo'ation  de  l'Edit  de  Nantes  jusqu'à  la  f,  i  du 
dix-huitième  siècle  (IGSo  1797;.  l'aris,  1802,  gr.  in-S-  de  140  pages. 

(2)  On  se  rappelle  la  découverte  fort  inattendue  que  nous  avons  faite  au  Bosla- 
quet, de  sept  registres  de  l'ancienne  E^^lis.'  réformée  de  Caen,  découverte  dont 
nous  avons  rendu  compte  aux  lecteurs  du  liulUtin  (t.  XI,  p.  7,  et  IX.  3). 

(3)  M.  Frédéric  B.iudrv,  qui  est  Ini-mènie  i'édileur  des  Mémoires  de  l'inten- 
dant N.-J.  Fownult,  piililiés  récemment  sous  les  auspices  du  Ministère  de  l'In- 
struction publique  {^Collection  des  Documents  inédits  de  l'histoire  de  France,  1862). 


MÉLANGES.  355 

rai,  ils  nous  apprennent  comment  vivait  alors  la  noblesse  de  nos  cam- 
pagnes. Une  notable  partie  avait  embrassé  le  calvinisme,  mais  elle  n'en 
menait  pas  une  vie  plus  triste  ni  plus  morose.  Au  sortir  des  études  clas- 
siques et  de  «  l'académie,  »  où  l'on  avait  appris  à  faire  des  armes,  à  mon- 
ter à  cheval  et  à  danser,  on  passait  quelques  années  au  service  du  roi; 
puis,  on  revenait  dans  ses  terres,  où  l'on  se  mariait,  et  le  temps  s'écoulait 
à  chasser,  à  visiter  les  voisins  et  à  faire  des  parties  de  festins  et  de  danses 
où  il  n'y  a  pas  trace  de  l'austérité  de  Calvin.  Comme  ils  vivaient  noblement 
sans  rien  faire  et  que,  pour  arrondir  leurs  domaines,  ils  empruntaient  de 
l'argent,  presque  tous  ces  gentilshommes  étaient  gênés  dans  leurs  affaires, 
et  sans  la  législation  d'alors,  qui  protégeait  les  fortunes  territoriales  con- 
tre la  liquidation,  ils  auraient  marché  tout  doucement  vers  la  ruine. 

«  Isaac  Dumont  de  Bostaquet,  né  en  1632,  à  Boslaquet  ou  Boistaquet, 
près  de  Tôtes,  passa  ainsi  sa  jeunesse.  Nous  ne  dirons  rien  de  ses  courtes 
et  insignifiantes  campagnes,  ni  de  ses  trois  mariages  successifs  avec  Mes- 
demoiselles de  la  Rive,  deTibermont  et  de  Grosmesnil,  desquelles  il  n'eut 
pas  moins  de  19  enfants.  Le  grand  intérêt  des  Mémoires  commence  avec 
Ja  révocation  de  l'Edit  de  Nantes.  On  assiste  aux  suites  de  cet  acte  à  jamais 
regrettable,  aux  souffrances  qu'il  causa  et  à  la  désorganisation  qu'il  jeta 
dans  une  foule  de  familles.  Bostaquet  raconte  les  obsessions  et  les  dragon- 
nades dont  lui  et  les  siens  furent  victimes,  et  les  détails  qu'il  donne  con- 
firment le  caractère  essentiellement  administratif  de  cette  cruelle  et  soltf 
persécution.  Le  dergé  gallican  et  la  nation  elle-même  y  ont  sans  doute; 
aussi  leur  part  de  responsabilité.  Depuis  plus  de  vingt  ans,  à  chaque  con- 
cession que  ses  assemblées  faisaient  au  roi,  le  clergé  se  payait  par  une. 
restriction  nouvelle  à  la  liberté  religieuse.  C'était  chaque  fois  quelques 
temples  démolis  et  quelque  profession  dont  l'usage  était  interdit  aux  pro- 
testants. Le  peuple,  mal  disposé  en  général  envers  le  calvinisme,  applau- 
dissait aux  avanies  dont  il  était  l'objet.  Les  démolitions  de  temples  étaient 
surtout  de  véritables  fêtes  pour  la  canaille,  chez  qui  survivait  le  vieil  esprit 
ligueur.  Mais  par  un  phénomène  qui  fait  honneur  à  notre  pays,  dès  que  la 
persécution  atteignit  les  personnes,  toute  animosité  du  peuple  fut  suspen- 
due. Le  clergé  lui-même  n'y  prit  aucune  part,  les  intendants  et  les  dragons 
firent  tout  (1).  Quand  Bostaquet  voulut  s'enfuir,  il  fut  aidé  par  le  curé  de 
sa  paroisse  et  par  d'autres  prêtres,  et  pas  un  voisin  ni  un  indifférent  ne  le 
traîit. 

«  Rien  de  plus  lamentable  que  la  tentative  d'embarquement  des  femmes 
et  des  enfants  à  Saint  Aubin-sur-Mer,  terminée  par  une  échauffourée  où 

(1)  M.  Baudry  conclut  peut-être  ici  un  peu  trop  du  particulier  au  général. 
Plût  au  ciel  que  tous  les  curés  et  abbés  de  France  eussent  ressemblé  au  curé  du 
Bostaquet  et  eussent  agi  comme  lui  !  {Réd:) 


356  MÉLANGES. 

Bostaquet  reçut  un  coup  de  feu  dans  le  bras.  Malgré  ce  bras  blessé,  il  put 
se  cacher  et  s'enfuir  en  traversant  la  Picardie.  11  ne  trouva  de  repos  que 
dans  les  Pays-Bas,  d'où  il  gagna  tranquillement  la  Hollande.  S'y  étant  mis 
au  service  du  prince  d'Orange,  il  participa  à  la  descente  en  Angleterre  et 
à  la  campagne  d'Irlande  contre  Jacques  II  et  Lauzun.  Mais  ici  l'intérêt  des 
Mémoires  se  déplace;  ils  ne  concernent  plus  la  Normandie  que  par  le 
grand  nombre  de  réfugiés  de  notre  province,  tant  bourgeois  que  nobles, 
dont  ils  constatent  la  présence  en  Hollande  et  dans  la  Grande-Bretagne. 
C'est  un  véritable  dépeuplement,  confirmé  d'ailleurs  par  les  plaintes  que 
font  entendre  en  1G98  les  intendants  de  Rouen  et  de  Caen,  dans  les  mé- 
moires dressés  pour  l'instruction  du  duc  de  Bourgogne.  Si  le  commerce 
est  ruiné  alors,  ils  Taltribuent  à  ce  que  la  plupart  des  marchands  ont  émi- 
gré, li  ne  s'en  trouvait  plus  à  Caen  de  quoi  recruter  un  tribunal  con- 
sulaire. 

«  Boslaquet  finit  ses  jours  en  1709,  dans  la  colonie  des  protestants  fran- 
çais  (jui  s'était  installée  à  Portarlington,  en  Irlande.  Il  laissait  une  nom- 
breuse postérité;  moitié  en  Irlande,  où  elle  subsiste  encore;  moitié  en 
France,  où  les  aînés  de  ses  enfants  étaient  restées.  Le  dernier  desrendant  du 
nom,  à  ce  que  nous  croyons,  est  mort  en  1847  :  c'était  M.  le  marquis  Du- 
niont  de  Lamberville,  qui  a  laissé  à  Rouen  les  plus  honorables  souvenirs. 

«  Il  faut  s'armer  de  courage  pour  envisager  sans  déclamation  cette  triste 
histoire  de  la  Révocation  de  l'Edit  de  Nantes.  L'examen  de  sang-froid,  sans 
diminuer  l'indignation,  fait  comprendre  au  moins  les  enirainemenls  qui 
conduisirent  à  ce  crime  et  à  cette  immense  faute  politique.  Un  gouverne- 
ment plus  réfléchi  eût  pu  sans  doute  les  éviter;  mais  l'état  de  l'opinion, 
l'infatuation  de  Louis  XIV,  et  parmi  son  entourage  le  fanatisme  des  uns, 
la  plate  servilité  des  autres,  l'ignorance  de  tous,  expliquent  ce  riste  ce  qui 
se  passa.  Le  roi,  outre  sa  dévotion  étroite,  avait  les  yeux  tournés  vers  le 
passé;  il  craignit  toute  sa  vie  le  retour  de  la  Fronde  et  même  des  guerres 
de  religion.  L'amour  de  l'unité,  qui  a  toujours  séduit  les  Français,  était 
alors  à  son  comble  :  il  animait  la  politique  aussi  bien  que  la  littérature. 
Comme  on  n'avait  (|u'un  roi,  comme  on  tendait  à  n'avoir  ([u'une  loi,  on 
rêvait  aussi  di;  n'avoir  qu'une  foi.  Beaucoup  crurent  sincèrement  qu'un  roi 
si  bien  obéi  n'aurait  qu'à  témoigner  que  la  religion  réformée  lui  déplaisait 
(paroles  de  Louvois),  pour  voir  les  religionnaires  rentrer  à  l'instant  même 
au  giron  de  l'Eglise. 

«  L'état  du  calvinisme  y  prêtait  aussi.  Le  généreux  mouvement  du 
seizième  siècle  était  tombé,  faisant  place  à  un  esprit  de  théologie  et  d'er- 
gotage qui  n'attirait  plus  de  prosélytes.  Les  protestants  se  trouvaient, 
comme  on  dit,  en  l'air  et  sans  soutien  dans  le  |)ays.  Sauf  le  coin  des  Cé- 
vennes,  le  coup  d'Etat  dirigé  contre  eux  ne  rencontra  d'autre  résistance 


MÉLANGES.  357 

que  celle  des  consciences  individuelles ,  auxquelles  le  gouvernement  n'eut 
pas  raèuie  le  bon  sens  d'ouvrir  la  retraite  à  l'étranger.  Il  en  fut  puni  tout 
de  suite,  et  ce  fut  le  commencement  des  expiations.  Les  protestants  échap- 
pés aux  dragons  et  aux  galères  se  crurent  déliés  de  toute  obligation  envers 
leur  injuste  patrie,  et  leur  adjonction  à  l'ennemi  contribua  pour  sa  part 
aux  revers  qui  assombrirent  la  dernière  partie  du  règne. 

«  N'est-il  pas  permis  de  penser  que  l'esprit  philosophique  du  dix- 
huitième  siècle  se  serait  moins  porté  aux  extrémités  si  le  protestantisme 
se  fût  trouvé  là  pour  ménager  la  transition?  On  peut  aussi  regretter,  à 
l'origine  de  la  Révolution,  l'absence  de  la  bourgeoisie  protestante,  qui, 
avec  son  sérieux  et  sa  solidité ,  lui  eût  peut-être  communiqué  l'élément 
modérateur  et  pratique  qui  lui  manqua.  Par  le  rôle  à  la  fois  sage  et  ferme 
que  les  puritains  venaient  de  jouer  dans  l'établissement  des  Etats-Unis 
d'Amérique,  on  peut  juger  de  ce  que  la  France  perdit  à  ne  plus  posséder 
leurs  frères. 

«  La  vengeance  fut  plus  directe  aux  mauvais  jours  de  la  Révolution.  On 
copia  les  lois  les  plus  furieuses  contre  les  émigrés,  les  suspects  et  les  prê- 
tres réfractaires,  là  où  on  les  trouvait  toutes  faites,  c'est-à-dire  dans  les 
édits  de  Louis  XIV  et  de  Louis  XV  contre  les  protestants. 

«  L'histoire  a  ses  ironies.  Pendant  que  les  «  missionnaires  bottés  »  tra- 
quaient ces  pauvres  réformés  du  pays  de  Caux,  qui  n'avaient  mis  en  péril 
ni  le  catholicisme  en  particulier,  ni  le  christianisme  en  général,  un  prêtre 
des  environs  de  Dieppe,  Richard  Simon,  inaugurait  l'application  de  la  cri- 
tique indépendante  à  l'exégèse  biblique,  et  préludait  à  petit  bruit  aux  tra- 
vaux des  Strauss,  des  Réville  (un  autre  Dieppois)  et  des  Re;;an.  Son  peu 
de  notoriété  le  sauva,  et  il  s'en  tira  moyennant  quelques  tracasseries. 
Mais  si  l'on  avait  prévu  l'avenir,  de  quelles  rigueurs  Louis  XIV  ne  l'eùt-il 
pas  accablé!  Frédéric,  Baudry.  » 

Complétons  cet  article  (sur  lequel  nous  aurions  bien  quelques  petites 
réserves  à  faire,  comme  on  l'a  vu  dans  une  note  ci-dessus),  complétons- le 
par  les  lignes  suivantes,  que  M.  H.  Taine  vient  de  consacrer  à  la  même 
publication  dans  le  Journal  des  Débats  du  H  novembre  : 

«  Nous  signalons  à  l'attention  du  public  deux  ouvrages  qui  ont  paru 
dans  ces  derniers  mois,  et  qui  sont  remarquables  tous  les  deux,  chacun 
à  ues  titres  différents.  Le  premier,  publié  par  MM.  Charles  Read  et  VS^ad- 
dington  (chez  Michel  Lévy),  comprend  les  Mémoires  inédits  de  M.  de  Bos- 
taquet,  gentilhomme  normand,  qui,  après  la  révocation  de  l'Edit  de  Nantes, 
sortit  de  France  pour  échapper  à  la  persécution  religieuse. 

«  11  avait  essayé  de  passer  en  Angleterre  avec  sa  mère,  sa  sœur,  une 
quantité  d'enfants;  poursuivi  par  les  gardes-cotes,  il  avait  re(,;u  une  balle 


358  MELANGES. 

dans  l'épaule  ;  sa  famille  n'avait  échappé  qu'à  grand'peine  à  la  marée  mon- 
tante. Là-dessus,  dénoncé,  poursuivi,  le  bras  en  écharpe,  il  traversa  la 
France  h  cheval,  en  se  cachant,  et  il  parvint  en  Hollande.  Cependant  sa 
mère  et  la  plupart  des  femmes  de  sa  famille  furent  enfermées;  l'une  mou- 
rut en  prison.  Ses  biens  furent  confisqués;  il  fut  lui-même,  avec  son  beau- 
frère  et  plusieurs  de  ses  gens,  condamné  aux  galères  perpétuelles.  Il  entra 
au  service  du  prince  d'Orange,  et  fit  sous  lui  les  campagnes  d'Angleterre 
et  d'Irlande. 

«  Non-seulement  on  trouvera  dans  son  récit  le  détail,  les  progrès,  l'effet 
de  la  persécution  religieuse  et  les  circonstances  frappantes  que  les  Mé- 
moires privés  peuvent  seuls  conserver;  mais  encore,  comme  la  narration 
est  une  biographie  complète,  on  y  verra  une  peinture  de  la  vie  seigneu- 
riale et  campagnarde  au  dix-septième  siècle,  éducation,  mariages,  repas, 
procès,  cavalcades,  cérémonies.  Cette  peinture  est  d'autant  plus  intéres- 
sante, qu'on  s'aperçoit,  en  la  regardant,  que  depuis  ce  temps  le  caractère 
humain  est  profondément  changé  ;  l'homme  alors  était  plus  simple,  moins 
exigeant  en  fait  de  bonheur,  plus  grossier  peut-être,  du  moins  plus  franc, 
plus  exempt  des  raffinements  et  des  délicatesses  de  sensibilité  et  de  lan- 
gage où  nous  nous  complaisons  aujourd'hui,  en  tout  cas  plus  borné,  mais 
en  même  temps  et  par  contre-coup  plus  ferme,  plus  droit,  mieux  assis  dans 
ses  principes,  moins  enclin  aux  attendrissements  et  aux  tergiversations, 
en  un  mot  plus  capable  d'agir.  Le  style  du  narrateur  est  conforme  à  son 
caractère;  il  est  de  bonne  trame  et  de  bonne  étoffe,  solide  et  simple,  sans 
brillant  ni  recherche.  On  peut  le  comparer  au  portrait  flamand  de  quelque 
brave  gentilhomme  contemporain  tout  d'un  coup  retiré  de  la  poussière;  et 
mis  au  jour  par  un  soigneux  antirpiaire.  Le  personnage  est  très  «ligne  d'es- 
time, et  l'œuvre  est  très  digne  d'attention...  H.  Taine.  » 

Nous  n'ajouterons  (lu'un  détail.  C'est  que  dans  aucun  ouvrage  on  ne  ren- 
contre autant  de  renseignements  précis  sur  les  officiers  réfugiés  qui  prirent 
du  service  en  Hollande  et  en  Angleterre.  Parmi  les  pièces  justificatives  se 
trouvent  des  listes  de  noms,  les  cadres  du  régiment  de  Schomberg,  pré- 
sentant beautîoup  d'intérêt.  C.  R. 


HIV   I.IA'RE   RARE.  f- 

«  Cri  d*alarmc  aux  nntionH,  pour  It'S  faire  sortir  de  Babyloiie 
et  des  t«'iièlirc»,  etc.»  (1«  1!2)> 

Le  livre  dont  nous  allons  parler  fait  suite  au  Théâtre  sacré  des  Cévcn- 
nes.  Les  parties  dont   il  se  compose  remontent  à  diverses  époques  de 


MÉLANGES.  359 

l'année  1711,  mais  ne  furent  publiées  qu'en  1712.  L'impression  fut.  termi- 
née le  19  février. 

Nous  disons  que  ce  livre  est  rare  :  voici  quels  sont  les  motifs  que  nous 
avons  de  le  penser.  Les  auteurs  qui  ont  fait  une  étude  spéciale  de  l'his- 
toire des  Camisards  ne  parlent  point  de  cet  ouvrage.  Les  frères  Haag,  ces 
bénédictins  de  l'histoire  du  protestantisme  français  ne  le  mentionnent  que 
d'après  Barbier,  n'en  donnent  point  le  titre  avec  exactitude  et  négligent, 
sur  le  mode  de  publication,  des  détails  qu'ils  n'auraient  certainement  pas 
omis  s'ils  avaient  eu  le  volume  entre  les  mains.  M,  le  pasteur  Alfred  Du- 
bois, dans  son  écrit  intitulé  Les  Prophètes  cévénouls  mentionne,  il  est 
vrai,  cet  ouvrage,  mais  sans  aucuns  détails,  cl  il  transcrit  le  titre  avec  les 
mêmes  inexactitudes  que  la  France  protestante.  Enlin  M.  Hippolyie 
Blanc,  à  la  suite  de  ses  recherches  nouvelles  sur  V Inspiration  des  Cami- 
sards ne  fait  pas  figurer  le  livre,  dont  nous  allons  parler,  dans  la  liste 
pourlant  très  étendue  des  ouvrages  à  consulter  sur  l'histoire  des  Cami- 
sards., qu'il  a  placée  à  la  fin  de  son  écrit. 

De  toutes  ces  considérations  nous  croyons  être  en  droit  de  conclure  que 
l'ouvrage,  dont  le  signalement  va  suivre,  est  un  livre  rare  et  fort  peu  connu. 

C'est  un  in-8°  de  331  pages,  caractère  compact  et  assez  fin,  dont  voici  le 
titre  textuel  :  Cri  d'alarme,  en  avertissement  aux  nations,  qu'ils  sor- 
tent de  Babylon,  des  ténèbres,  pour  entrer  dans  le  repos  de  Christ,  im- 
primé par  les  soins  de  N.  F.  1712,  sans  nom  de  lieu  ni  d'éditeur. 

Il  s'ouvre  par  un  Avertissement  de  l'esprit  du  Seigneur.,  prononcé  de 
la  bouche  de  Jean  Jllut ,  à  Lelpsic ,  le  samedi  22  août  1711.  F.  M.  P. 
Cet  avertissement  doit  servir  de  préface  à  tout  le  livre,  comme  il  est  dit 
dans  les  dernières  lignes  :  Ceci  sera  mis  pour  préface  du  livre,  et  main 
d'homme  n'y  mettra  la  main.  C'est  ma  volonté. 

A  la  marge  inférieure  de  chaque  page  se  trouve  inscrit  un  nom  de  ville. 
C'est  toujours  celui  du  lieu  où  la  vision  fut  reçue.  Au  bas  de  cette  préface 
est  le  mot  Leipsic. 

Le  livre  s'ouvre  ensuite  par  24  pièces  ou  révélations  données  à  Londres, 
du  lijuin  au  4  juillet  1711.  Les  bienheureux  qui  les  reçurent  furent  Jean 
Aliut,  Isaac  Avy,  Daniel  Le  Tellier,  Elle  Marion,  Elizabet  Charras. 

De  Londres,  et  toujours  par  un  ordre  exprès  de  lesprit,  les  prophètes  se 
transportèrent  à  Harwich  et  y  passèrent  seulement  deux  jours  pour  y  rece- 
voir six  révélations  par  l'intermédiaire  de  Jean  Allut  et  d'Elie  Marion. 

jean  Allut  eut  encore  une  communication  de  l'esprit  aux  champs  tout 
près  d'Oud-Beyerland,  le  6  juillet. 

Nos  prophètes  arrivèrent  à  Rotterdam  ce  jour  même  et  y  séjournèrent 
jusqu'au  9.  Ils  eurent  cinq  révélations,  dont  quatre  par  Jean  Allut  et  une 
par  Elle  Marion. 


360  MÉLANGES. 

Ils  ne  passèrent  à  Amsterdam  que  le  M  et  le  12,  et  ce  peu  de  temps  leur 
suffit  pour  recevoir  trois  communications  de  l'esprit,  toutes  par  Allul. 

Allut  reçut  encore  deux  révélations,  l'une  sur  le  chemin  de  Camptn  à 
Devenler,  l'autre  entre  Deventer  et  Bentheni. 

Ils  ne  firent  que  traverser  Halenistat,  le  19  juillet,  et  Allut  y  fut  visité 
par  l'esprit. 

A  Magdebourg  le  même  Hlarion  eut  encore  trois  révélations  les  19,  20 
et  21. 

Ils  arrivèrent  enfin  à  Berlin  où  ils  firent  un  plus  long  séjour,  car  ils  y 
restèrent  depuis  le  23  juillet  jusqu'au  14  août.  Le  nombre  des  révélations 
qu'ils  y  eurent  fut  de  trente. 

A  Potsdam  où  ils  arrivèrent  le  15  août,  l'esprit  dit  à  Elie  Marion  :  «  Ne 
vous  éloignez  point  de  la  route  de  Leipsic ,  car  c'est  là  où  je  vous  envoie 
porter  ma  parole.  Le  message  est  fait  pour  le  Brandebourg.  Vous  irez  en 
voiture  à  Hall.  » 

Arrivés  à  Leipsic  le  18,  ils  y  resièrent  jusqu'au  I'-'' septembre  (27  révéla- 
tions). C'est  toujours  Marion  et  Allut  à  qui  l'esprit  s'adresse. 

En  parlant  de  Leipsic,  et  comme  ils  passaient  sur  le  pont  du  fossé,  l'es- 
prit fit  connaître  à  Marion  que  de  terribles  persécutions  fondraient  sur 
cette  ville  à  cause  de  la  parole  qui  s'y  s(  mait. 

A  demi-lieue  de  Leipsic,  encore  une  révélation  nouvelle  fut  donnée  à 
Allul. 

L'esprit  se  manifesta  de  nouveau  à  Allul  à  Coburg  une  fois,  le  4  sep- 
tembre, à  Erlang  dix  fois  jusqu'au  13. 

Ils  séjournèrent  à  Nuremberg  du  15  au  27  septembre.  Allut  et  Marion 
y  eurent  28  révélations. 

Le  28  septembre,  ils  étaient  à  Schwabach  d'où  ils  ne  partirent  que  le 
8  octobre  pour  Ratisbonne,  après  avoir  reçu  onze  révélations  :  ils  n'y  pas- 
sèrent que  cirui  jours,  y  furent  visités  dix  fois  par  l'esprit,  et  se  dirigèrent 
sur  Vienne  où  ils  arrivèrent  le  mercredi  21  oclobrc. 

C'est  là  que  le  livre  s'arrête.  La  dernière  révélation  est  du  i3  octo- 
bre 1711.  Il  y  a  en  tout  164  révélations,  dont  deux  seulement  pour  la  ville 
de  Vienne. 

A  la  dernière  page  sont  les  signatures  :  Jean  Allut.  — Elik  Marion.  — 
Nicolas  Facio.  —  Chaules  Portalis 

Quoi(jue  le  frontispice  n'en  dise  rien,  l'orthograpbe  du  tilre  et  les  njms 
(pi'il  porte  rendent  probable  qu'il  fut  imprimé  à  Londres. 

Pu.  Corbière. 
Montpellier,  décembre  1864. 

l'ari».  —  Typ.  de  Ch.  Meyrucis,  i  uc  dos  (lies,  M.  —  1814. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Pages. 

Abjurations  (Quatre)  d'hérésie  à  Paris,  au  XVn«  siècle  (4  665-4673).      195 

Arc  (Un  descendant  de  Jeanne  d'),  professant  la  R.  P.  R.  en  1666.  .      195 

Assas  (La  famille  d').  1693-1748 251 

Assemblée  générale  de  la  Société  tenue  le  5  avril  1864 81 

Baptême  (Quatre  dépêches  au  sujet  d'un)  célébré  par  le  pasteur 

Claude,  en  sa  maison  (1684) 63 

Aubeterre  (Testament  d'Antoinette  d'),  dame  de  Soubise,  du  Parc  et 

de  Mouchamps  (1570) 306 

Basnage  (Le  réfugié  Jacques),  pasteur  de  l'Eglise  wallonne  de  la  Haye 

en  1718 10 

Bastille  (La).  Renseignements  divers  sur  Pierre  et  Charies  Dicq,  et 

Pierre  Guy,  qui  y  furent  arrêtés  et  détenus  en  1691.  .     .     .          5 

Bèze  (Théodore  de).  Un  propos  de  cardinal  et  sa  réplique  au  collo- 
que de  Poissy  (1561) 284 

Bossnet  (Uni  dauphinois  célébrant  la  révocation  de  l'Edit  de  Nantes 

et  le  Roi-Soleil  (1693) :    •     •    •      ^^^ 

Bossuet,  évèque  de  Meaux,  dévoilé  par  un  prêtre  de  son  diocèse  (1 690). 
Les  motifs  de  la  conversion  de  Pierre  Frotté,  chanoine  régu- 
lier de  l'abbaye  royale  de  Sainte-Geneviève  de  Paris,  prieur- 
curé  de  la  paroisse  de  Souilly,  au  diocèse  de  Meaux,  adressés 
à  Messire  Jacques-Bénigne  Bossuet,  évèque  de  Meaux,  pre- 
mier aumônier  de  Madame  la  dauphine,  cy-devant  précepteur 
de  Monseigneur  le  dauphin 971 

Bracque  latin  (Qu'est-ce  que  le  ou  la)  devant  lequel  était  le  presche 

des  huguenots  en  1562 15,116,283 

Calvin  en  Italie  (1536) 183 

—  (Lesamitiésde).  GuillaumeFarel.  — PierreViret(1536-1564).        89 

—  (Les  disciples  de)  à  Halle-sur-la-Saale  (Prusse),  par  M.  Zahn.      1 1 3 
Caus  (Salomon  de).  Son  nom  donné  à  une  rue  de  Paris.  (Voir  t.  XI, 

301,407,443 193 

Captifs  protestants  à  Alger,  à  Tunis,  à  Salé,  etc.  (1 645-1 699)  ...      119 

Chanson  spirituelle  du  XVI«  siècle  (1540) 14 

Charles  IX  (Ordonnance  du  roi)  en  faveur  des  protestants  de 

Nantes  (1 564) 203 

Cimetières  des  Huguenots  à  Paris  aux  XVI«,  XVII«  et  XVIII^  siècles 

(1563-1792).  (Voir  t.  XI,  p.  132,  351,  et  XH,  p.  33,  141  et 

274). 

—  H.  De  l'Edit  de  Nantes  (1 598)  à  la  Révocation  (1 685). 

—  6°  Les  registres  des  quatre  cimetières  parisiens  (suite),  de 

1642  à  mars  1651 224 

Collège  (Le)  des  Arts,  fondé  à  Nîmes  sous  François  I"en  1537,  et 

détruit  en  1664,  sous  Louis  XIV 288 

Convertis  (Les  nouveaux)  de  Saint-Maurice  de  Casevieille  en  1714. 

—  Un  baptême  au  désert  en  1743 10 

—  (La  justice  des  intendants  envers  les  nouveaux).  Un  Montal- 
ijanais  condamné  quand  même  à  l'amende  (1747) 65 

Court  de  Gébelin  et  le  musée  de  Paris.  Deux  lettres  inédiles  de  Gé- 
belin  et  de  Kabaut  Saint-Etienne.  Avant-dernier  anniversaire 


VI  TABLE    DES    MATIERES. 

de  la  fête  de  Gébelin.  —  Sa  mort.  —  Sort  de  ses  papiers 
(1783-1784) ,     .         tJ7 

Cri  d'alarme  aux  nations,  pour  les  faire  sortir  de  Babylone  et  des 

ténèbres,  etc 358 

Culte  protestant  (Le)  célébré  à  Paris,  dans  le  commencement  du 
XVI11«  siècle,  aux  hôtels  des  ambassades  d'Angleterre,  de 
Hollande  et  de  Suède 8 

Documents  inédits  et  originaux 14,126,202,289 

Du  Moulin  (Une  épître  dédicatoire  de)  à  la  duchesse  de  la'  Tré- 

mouiIle(1639) M  9 

—  (.loachim),  père  du  célèbre  Pierre  Dn  Moulin,  a-t-il  été  moine?      273 

—  (Une  note  autographe  de  Pierre)  sur  la  garde  d'un  de  ses 
ouvrages  (1648) '27i; 

Dnraïui  (Jean)  et  sa  descendance ,hi3 

Ldit  de  Nantes  (L)  en  Bourbonnais  d'après  des  documents  origi- 
naux (1600-1618) 18,207 

—  (Pièces  sur  la  Révocation  de  1'),  ayant  servi  à  Rulhière  pour 

ses  Eclaircissements  hisioriques'Cif)^^-]^^) 231 

—  (La  révocation  de  1'),  une  des  conséquences  de  la  centralisa- 
tion excessive  du  siècle  de  Louis  XIV 4 

Eglise  (L')  de  Saint-Chrislophe  en  Touraine  et  celle  de  Vienne  en 
Dauphiné,  pourvues  de  pasteurs  par  les  seigneurs  de  Berne 

(1561-1562) '. 126 

Eglise  réformée  de  Caen  (Réorganisation  de  r)  en  1777 339 

Ferrier  (Procédurps  contre  Jérôme).  (1612) 137 

France  protestante  (La) 1 

Généalogies  (Utilité  des)  pour  l'histoire 80 

Hamelin  (Philibert)  et  les  instructions  à  lui  remises  par  Calvin. 

(Voir  le  t.  Xll,  p.  469) 12 

Henri  IV  (De  l'abjuration  d')  et  de  l'influence  exercée  par  ce  prince 
sur  les  destinées  de  la  Réformation  en  France,  depuis  la  Saint- 
Barthélémy  jusqu'à  la  révocation  de  l'Edit  de  Nantes.  .     .     .        70 V    « 

Hérésie  (L')  luthérienne  à  Touloose  en  1540 ^'^^V^ 

Jalaberl  (Etienne),  galérien  protestant  (1698-1713),  omis  par  Elle  '   ^ 

Benoît,  mentionné  par  .\ni,  Haag.  —  Régime  des  galères.   .  7 

Johannot  (Les  frères),  d'Annonay,  descendant  de  réfugiés,  lauréats 

du  gouvernement  français  en  1778 287 

Latidré  (Renseignements  demandés  sur  Daniel)  réfugié  originaire  de 

Gien  (Loiret) 283 

L(!  Ui'cque  (Testament  de  Louis  de),  réfugié  à  Kampen,  etc.    .     .     .       123 
Le   Fournier-Montmorency  (Jean),  baron  de  Neuville  et  seigneur 
d'Aulisy,  en  Champagne,  réfugié  à  Daihem,  pavs  de  Liège 

(1740) ■    .     .     .     .       165 

Lettre  de  M.  Jules  Bonnet  à  M.  Albert  Rilliel,  ancien  professeur  à 

l'Académie  de  Genève 183 

Lettres  —  Dociments. 

—  de  François  Chastaign(>r  ;i  M.  de  la  Rocheposay,  son  père, 

sur  l'entrée  du  duc  de  Guise  à  Paris  et  le  presche  des 
huguenots  en  cette  ville  (1562) <5' 

—  de  François  de  Sales  (inédile)  à  son  oncle  Louis  de  Piiigon, 

baron  de  Cusy,  gentilhomme  de  S.  A.  R.  Monseigneur  le 

due  (le  Savoye  (1598) 16 

—  de  Charles  Dreliiicourt  à  la  duchesse  de  la  Trémouille  (1C25).        26 

—  de  consolation  apportées  avec  le  corps  de  M.  de  Sainct-Her- 

mine  escriles  à  M.  et  Madame  de  la  Tabarière  (1029  1630) 
par  M.  Daillé,  pasteur  en  l'Eglise  de  Paris,  —  M.  de  Beau- 


TABLE   DES   MATIERES.  Vil 

lieu  le  Blanc,  pasteur  à  Sedan,  —  M.  Mestreza,  pasteur  en 
l'Eglise  de  Paris,  —  M.  Daillé,  pasteur  en  l'Eglise  de  Pa- 
ris, —  M.  de  Velhieux,  ministre  du  sainct  Evangile,  — 
M.  Turrettin,  ministre  du  sainct  Evangile  et  professeur  en 
théologie  à  Genève 27 

—  de  Court  de  Gébelin  et  de  Rabaut  Saint-Elienne      ....        67 

—  de  Frédéric-Guillaume,  électeur  de  Brandebourg,  à  Louis  XIV, 

et  réponse  (inédite)  de  Louis  XIV  à  l'Electeur  (1666).  .     .      146 

—  de  Corteis,  pasteur  du  désert  (1720),  à  M.  Campredon  ,  à 

Barre,  en  Cévennes,  et  à  31.  Dussain,  marchand  droguiste, 

proche  l'hôtel  de  ville,  à  Nîmes 153 

—  de  Boissy  d'Ângias  à  Rulhière  de  l'Académie  française  (1 787).  1 67 

—  de  Sully-Aujorrant  à  sir  Thomas  Parry  (1603) 204 

—  de  Henri  IV  au  R.  P.  jésuite  GoBtery  (1608) 205 

—  d'André  Rivet  à  la  duchesse  de  la  Trémouilie  (1625)  ...  209 

—  (Suite  des)  apportées  avec  le  corps  de  M.  de  Sainct-Hermine, 

escrites  par  M.  Daillé,  pasteur  en  l'Eglise  de  Paris,  — 

M.  Dreliiicourt,  pasteur  en  l'Eglise  de  Paris 211 

—  de  Rabaut  le  Jeune  à  Portalis  sur  l'organisation  du  culte  ré- 

formé (1803) 255 

—  de  Corteis,  pasteur  du  désert  (1720).  —  P.  S.  de  sa  lettre  à 

M.  Campredon 286 

—  de  Lavrillière  à  M.  de  Bernage 286 

~    de  Catherine  de  Parthenay  à'ia  reine  Elisabeth  d'Angleterre,      313 

Littérature  (La),  source  de  l'histoire  psychologique 124 

Livre  (Un)  allemand,  traduit  en  français  par  lefils  d'un  ministre  ré- 
fugié au  canton  de  Vaud.  —  Quel  est-il? 196,284 

Louis  XIV  (Deux  épigrammes  contre),  par  le  tils  d'un  pasteur  mar- 

ty-  —  Quel  est  le  nom  de  ce  dernier? 284 

Luther  (Une  histoire  abrégée  de) 116 

Mélanges.     . 70,183,257,353 

Mémoire  du  Roy  aux  intendans  et  commissaires  départis  dans  les 
provinces  et  généralités  du  royaume  pour  leur  servir  d'in- 
struction (1699) 239 

Mémoires  inédits  de  Dumont  de  Bostaquet,  gentilhomme  normand 
(sur  les  temps  qui  ont  précédé  et  suivi  la  révocation  de  l'Edit 
de  Nantes,  sur  le  refuge  et  les  expéditions  de  Guillaume  III 
en  Irlande  et  en  Angleterre),  publiés  par  MM.  Charles  Read 
et  Francis  Waddington,  et  précédés  d'une  introduction  his- 
torique. Articles  de  MM-  Fréd.  Baudry  et  H  Taine.  ...  353 
Ministre  protestant  (Une  anecdote  d'un)  du  XVII»  siècle.  (Voir 

t.  XII,  p.  478.) 13 

Montenay  (Poésies  de  Georgetle  de),  fille  d'honneur  de  Jeanne  d'Al- 

bret  (1571) /I29 

Montfaucon  en  1572  et  en  1864 M  6 

Musique  (La)  religieuse  dans  les  temples  protestants 124 

Notices  biographiques 175 

Palissy  »  (La  vignette  dite  «  de  Bernard)  lui  est-elle  particulière? 

(Voir  lest.  I,  p.  25;  XI,  252,  322.) 277 

Perrette  (La  Boîte  à).  Qu'est-ce  que  Perrette?  —  Ce  nom  appliqué 
à  La  Rochelle.  (Voir  t.  VII,  p.  219;  VIII,  p.  11,  271,  384; 
X,  204;  XI,  9,  331.)    ............!       115 

Préliminaires  (Les)  de  l'Edit  de  1787  sur  l'état  civil  des  protestants 

(1775-1787) 257 

Prisonniers  protestants  en  Barbarie  (1644) 118 

Protestantisme  (Le)  français  grandement  utile  à  l'Eglise  romaine.    .          2 


VIII  TABLE    DES    MATIERES. 

Questions  et  réponses.  Correspondance 1,113,193,273 

Quevedo  (Une  vision  singulière  de  Dom  Francisco  de) 194 

Rabaut  Saint-Etienne  (Observations  de)  sur  l'Edit  de  Louis  XIV 

restituant  l'état  civil  aux  non-calholiques  (1787) 342 

Ramerupt  (Détails  généalogiques  sur  une  tamille  de)  expatriée  en 
Suisse  pour  cause  de  religion,  au  XVII"  siècle.  —  Réponse. 
(Voir  le  t.  YIII,  p.  119.) 281 

Ranc  (Condamnation  à  mort  de  Louis)  prédicant,  prononcée  par  le 

parlement  de  Grenoble  (1745) •  ,    ,      334 

Recouvrement  d'amendes  contre  les  nouveaux  convertis  en  vertu  de 

l'Edit  de  1724(1730) 161 

Réfugiés  de  l'Agenais  (Les).  Extraits  de  notes  pour  servir  à  l'his- 
toire des  Eglises  réformées  de  l'Agenais  (1683) 314 

—  (Les)  secourus  à  Lausanne  en  1698 150 

Relation  d'une  dispute  publique  et  solennelle  qui  eut  lieu  en  1207,  à 

Réalmont,  entre  des  délégués  du  pape  (Innocent  III)  et  des 

ministres  albigeois 201 

Rohan  (Ordonnance  du  duc  de).  (1629) 145 

—  (Duc  Henri  de).  Sa  réponse  au  petit  conseil  de  la  république 

de  Genève  (1638) 223 

Romilly  (Les  mémoires  de  sir  Samuel),  tils  de  réfugiés 198 

RuHiières  et  ses  «  Eclaircissements  sur  les  causes  de  la  Révocation 

de  l'Edit  de  Nantes  » 199 

Salviali^  (Les  dépèches  du  nonce)  sur  la  Saint-Barthéleray  et  le  pro- 
jet de  publication  de  Chateaubriand.    ........  3,114 

Scudéry  (Mademoiselle  de).  Lettre  et  huitain  sur  les  conversions.   .      230 
Teslard  et  Amvraut  (La  grande  affaire  de  MM.),  d'après  un  manu- 
scrit des  Synodes  nationaux  antérieurs  à  la  Révocation  de  l'Edit 

de  Nanies  (1637) 39 

Tronchin  (Les  Théologiens  du  nom  de).  Notices  biographiques.    .      175 
Valérand  Poulain.  Nouveaux  renseignements  sur  lui.  (Voir  les  t.  VII, 

p.  12,  228,  370.  et  VIII,  p.  23,  131.) 280 


erratum.  —  Pages  113  et  114,  dans  l'article  intitulé  :  Les  disciples  de 
Calvin,  etc.,  lire  partout  :  M.  Zahn,  et  non  Jahn. 


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